Sa robe jaune aux reflets mordorés chatoyant sous les rayons du soleil couchant, elle sait que le moment est venu. Son instinct est infaillible. Elle l’entend dans le murmure du vent qui la caresse doucement. Elle le sent dans les effluves du voile de fraîcheur nocturne se posant délicatement sur l’humus, si loin en dessous d’elle. Elle le voit dans les teintes chaudes du soir qui parent la forêt alentour. Enfin, elle va quitter son nid douillet.

Ce voyage, elle s’y est préparée sa vie entière. Depuis sa plus tendre enfance, elle s’apprête. Prenant de belles formes durant sa jeunesse, poussant ses doigts aussi loin que le lui auras permis sa sève, défiant les lois de la décence. Puis, l’âge passant, elle a choisi ses couleurs avec soin et sagesse. Du vert tout d’abord, pour s’accorder au camaïeu de ses sœurs, mais le jaune convenait mieux à son côté rebelle. Puis, avec l’orange, elle se montra raisonnable… Et, enfin, le rouge ! Parce que le temps l’a rendue coquette…

Désormais elle est prête. La brise souffle sur sa peau aussi délicatement que le baiser d’un amant timide et son voyage commence alors, éphémère…
Elle se lance et sa robe se déploie. Dans un ballet mille fois répété, elle tourne avec grâce et légèreté, planant et virevoltant. Le vent tourbillonne tout contre elle, la pousse, la bouscule, l’entraîne et elle se laisse guider par ce partenaire de danse improvisé. Le monde pivote de plus en plus vite autour d’elle, mais elle s’en fiche… Elle est heureuse désormais, emportée par les bras de son amant de passage.

Elle a vu ses sœurs tomber l’une après l’autre. Fonçant tête baissée, gâchant leur instant de gloire… leur spectacle final… leur apothéose.
Mais pas elle, non. Elle a pris son temps pour se préparer. Répétant inlassablement chaque vrille et chaque boucle. Et si ses débuts furent hésitants, maintenant ce n’est plus le cas !

Pleine d’assurance et de grâce, elle continue sa descente. Ses mouvements s’accélèrent, le tempo toujours plus rapide l’essouffle, mais elle tient bon ! Elle sait que les derniers instants sont les plus importants. C’est maintenant qu’elle doit tout donner, l’apogée de sa chorégraphie dont le bois tout entier se souviendra pour les saisons à venir et plus encore.
Le vent la presse de plus en plus et sa robe se perle de goutte de sueur à peine perceptible. Juste assez pour capturer la lueur du soleil couchant, la faisant scintiller de mille feux.

Et, brusquement, tout s’arrête !

Le sol froid sur son dos annonce la fin du voyage. Ce fut court, mais de tout l’automne on n’a vu plus beau ballet que le sien. Elle est fière, heureuse. Elle peut enfin se reposer sans regret, les rayons du soleil désormais emprisonnés dans les centaines de petites perles de pluie recouvrant sa belle robe fanée…