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1 - Chapitre 1 - Salomé
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EvyCharly
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Chapitre 1 - Salomé

« Tout le monde savait. Mais personne n’a rien fait. »

Le témoignage d’Anna me percute en plein cœur. Son histoire est d’une monstrueuse banalité, un simple paragraphe noyé dans les faits divers. L’histoire d’Anna aurait pu arriver à Carmen, à Elise, à Victoria. Mais elle lui est arrivée, à elle.

Puis elle m’est arrivée à moi.

Sur le sol, le journal chiffonné affiche un titre que je n’aurais jamais cru lire un jour. 

« Libertés en sursis : les droits des femmes sacrifiés. » 

Personne ne l’a vu venir. Pourtant, tous les indices étaient là : la montée de l’extrême droite, l’élection de Trump… Je déglutis avec difficulté pour chasser la boule dans ma gorge. Je ne peux pas regarder sans rien faire. Il est de mon devoir d’agir.

Les mains moites, le cœur battant, j’observe la barre de téléchargement de la vidéo progresser, puis s’arrêter. Ça ne prend que le temps d’une respiration. Enfin j’imagine, parce que je suis en apnée durant tout le processus. Mon index tremble au-dessus de la touche « publier ».  Une seconde d’hésitation. Une seule. Puis j’appuie. Et le tourbillon médiatique m’emporte.

***

De la fenêtre de ma chambre, j’observe les premiers rayons de lumière caresser la campagne environnante. Ici, rien ne vient entraver la vue : pas d’immeubles, de ballet incessant de véhicules, de troupeaux d’anonymes au visage fermé. Fuir l’agitation de Paris était la meilleure des décisions. Quand je lève les yeux, je peux apercevoir l’aube teinter le ciel de rose, d’orange et de bleu. Au moins, mon insomnie me permet de profiter du spectacle du premier lever du soleil dans ma nouvelle maison. L’aboutissement de toute une vie : pouvoir dire « je suis chez moi » après avoir été ballotée de famille d’accueil en famille d’accueil, puis de foyer en foyer. 

Les vibrations de mon téléphone ne m’ont laissé aucun répit. Impossible de fermer l'œil quand tout internet s’agite à mon sujet. Mon smartphone rendu inutilisable à cause des notifications, j’attrape mon ordinateur et lance instagram. Le fil est rempli de mentions à ma dernière vidéo.

« Soutien infaillible à Salomé de la chaîne Le Journal de Salomé. »

« La honte doit changer de camp. Soutien à Salomé. #metooYoutube »

Ma vidéo atteint déjà plusieurs centaines de milliers de vues. Les commentaires, mitigés, m’arrachent un sourire sans joie. Toujours les mêmes arguments avancés par ceux qui ne savent pas : « tout ça pour le buzz. » Je me serais passée de ce genre d’exposition. Partager mes coups de cœur en matière de fond de teint, blush ou créer des tutos make up halloween suffisait à mon confort. En quelques clics, j’affiche le tableau de bord de ma chaîne youtube. Huit-cent-mille abonnés. Je serre les poings et sens mes ongles s’enfoncer dans mes paumes. Tous mes efforts risquent d’être réduits en poussière pour avoir osé dénoncer. Une double peine : devenir suspecte aux yeux d’une partie des spectateurs, les premiers à détourner les yeux au lieu d’agir. Mais au moins, ma conscience est clean.

Je m’apprête à sortir ma carcasse du lit quand trois coups discrets font vibrer la porte. Sans attendre de réponse, Diego entrouvre le battant.

— J’espère que t’es pas à poil, ce serait un coup à finir traumatisé à vie !

Mon ami apparaît sur le seuil, une main posée sur les yeux. Dans l’autre, il tient une tasse d’où s’échappe une odeur de café, de lait et de vanille. Je m’empresse de la lui subtiliser en me léchant les babines.

— En parlant de trauma, ça sera jamais pire que miss-je-me-balade-en-string, celle que t’as ramené la dernière fois ! 

— Je trouve qu’elle avait des arguments plutôt convaincants, s’esclaffe Diego.

Je lui balance un oreiller. Aussi précise que Legolas, il se le prend en pleine face.

— T’es vraiment un beauf. Et fais gaffe, ajouté-je tandis qu’il fait mine de me relancer le projectile, c’est de la soie.

— Oh de la soie, excusez-moi madame la snob, dit-il en s’inclinant.

Je m’installe sur le lit pour déguster ma boisson. Dehors, le chant des oiseaux ajoute une touche de charme à ce cadre idyllique. Je profiterais bien du spectacle mais je sens le regard de mon ami peser sur ma nuque. Je jette un coup d’œil dans sa direction. Diego enfonce ses mains au fond des poches de son jean et se balance sur ses pieds d’avant en arrière. Je brise le silence la première.

— J’imagine que t’es pas seulement venu me donner ce latte vanille.

— Tu as publié une vidéo hier soir.

Droit au but, sans détour, comme toujours. 

— Ouais… lâché-je, la tête rentrée dans les épaules comme une enfant prise en faute. Qu’est-ce que t’en penses ?

— C’est super grave. Tu aurais pu… non, tu aurais m’en parler, gronde Diego.

— Oui je sais, je suis pas aussi douée que toi avec finalcut pro, plaisanté-je.

Mais ma tentative d’humour ne l’atteint pas. Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, Diego me toise. Les bras croisés, il roule des yeux et claque la langue.

— Je te parle pas du montage là, Salomé. Ce qui s’est passé… Bordel, tu me retires la possibilité de lui casser la gueule en rendant l’affaire publique.

Une boule se forme au fond de ma gorge. Diego est un vrai nounours. Il lui en faut beaucoup pour sortir de ses gonds. Mais une fois la limite franchie, même Hulk fait figure d’enfant de chœur à côté de lui ! 

— C’est exactement pour ça que je t’ai rien dit ! m’exclamé-je. 

Le front de Diego se plisse sous l’inquiétude. Radoucie, je pose ma main sur son bras en signe d’apaisement.

— Te fais pas de nœuds au cerveau pour ça Diego. Je gère.

Il hausse un sourcil, pas convaincu. 

— Si tu gères cette affaire comme le montage de la vidéo, autant te dire que tu cours droit à la catastrophe ! 

Un léger rire s’échappe de mes lèvres. 

— Je pouvais plus me taire, lui expliqué-je. J’ai la chance d’avoir une plateforme pour faire entendre ma voix. Mais tu as raison : j’aurais dû t’en parler. Désolée. 

La lueur espiègle dans ses yeux contredit son attitude sévère. 

— Mouais. Je te pardonne pour cette fois. Mais sérieux Salomé… arrête de croire que tu dois tout gérer toute seule. Je sais que tu peux le faire. Mais t’es pas obligée. Je suis là pour toi. Ok ?

Je baisse les yeux sur ma tasse. Du bout du doigt, je fais tournoyer la mousse onctueuse. Je ne peux pas m’empêcher de songer que ma vie est elle aussi un tourbillon où, pendant longtemps, je n’arrivais à me raccrocher à rien. Les personnes qui auraient dû me mettre en sécurité ont fini par m’abandonner. Bon d’accord, pour mon père c’est injuste puisque la Faucheuse n’a demandé l’avis de personne. Après ça, j’ai dû apprendre à me débrouiller seule pour survivre. 

Jusqu’à l’arrivée de Diego dans la famille d’accueil. J’avais dix ans, lui en avait huit. Sans s’imposer, il est devenu comme un frère pour moi. Sans jamais rien exiger en retour, il a pris soin de moi, jusqu’à me suivre dans cette folle aventure de création de contenus. S’il y a bien une personne à qui je peux accorder ma confiance, c’est lui. 

— Je m’en souviendrai, lui assuré-je, promis.

Diego hoche la tête, satisfait. Il finit par me lancer : 

— Une dernière chose ! Pour le bien d’internet, par pitié, la prochaine fois : laisse-moi faire le montage !

Nous rions sans retenue, libérant la tension. Pendant un court instant, nous ne sommes que des frères et soeurs qui se taquinent, insouciants, dans le moment présent. Je m’apprête à le remercier pour le café quand le thème de Harry Potter nous interrompt. Les vibrations de mon téléphone laissent place à la sonnerie d’appel. Diego m’interroge du regard mais c’est un numéro inconnu qui cherche à me joindre. Méfiante, je m’attends à tout depuis la publication de la vidéo : journalistes, trolls, insultes… ou pire. Mais la curiosité l’emporte, je décroche. Diego colle son oreille contre la mienne pour suivre la conversation.

— Allô ?

— Allô, madame Delcourt ?

— Qui la demande ? réponds-je sur mes gardes.

— Philippe Beltran, rédacteur en chef pour la chaîne d’information InfoPop, je voulais savoir si vous seriez disponible pour me rencontrer et…

Ils n’auront pas perdu de temps ces chasseurs de gossip.

— Je ne ferai aucun commentaire et ne donnerai aucune interview, l’interromps-je agacée.

Je sens l’hésitation de mon interlocuteur. 

— Ah non, nous nous sommes mal compris. Je ne vous contacte pas pour une demande d’interview.

— Demande lui ce qu’il veut, m’enjoint Diego.

La discrétion n’est définitivement pas son fort. Je lui fais signe de se taire puis reprend la conversation.

— Que voulez-vous dans ce cas ? demandé-je.

— Nous avons adoré le ton de votre dernière vidéo. Je voudrais vous rencontrer pour vous proposer une collaboration avec InfoPop.

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1 Comment

2 days ago
Wow !! Hâte de découvrir la suite 🤩
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