Madame Le Stégosaure

Herbivore

1, rue du Jurassique

30 000, MILLIERS-AVANT-JC

Jérémie Graine

Directeur du service clients

Lapin de Pâques & Cie

73 boulevard de Nulle-Part

99 771 CHOCOLATE-TOWN

Milliers-Avant-JC, le 21 avril 2025

Objet : Demande de dédommagement

Monsieur Graine,

Suite à la réception d’un colis d’œufs en chocolat, ce jour le 21/04/2025, j’estime avoir subi un manque de respect intolérable. J’exige un dédommagement immédiat, assorti d’excuses publiques de Lapin de Pâques & Cie. Sans quoi, je traînerai l’entreprise en justice pour préjudice moral, ce qui ne manquera pas de porter atteinte à votre réputation.

Tout d’abord, je tiens à vous exprimer mon incommensurable déception quant à la qualité du chocolat prétendument contenu dans mon paquet. En effet, la marchandise reçue ne s’apparente en rien à un produit cacaoté, malgré son indéniable forme d’œuf. Cette espèce de pâle copie de sucre et de gras n’est rien de plus qu’une vaste escroquerie. Un outrage. Vous osez dénommer cette immondice, qui ne contient pas un gramme de cacao, du « chocolat blanc » ? Vous osez comparer ce pitoyable subterfuge ovoïde aux douceurs de Pâques que vous expédiez habituellement ? C’est à n’y rien comprendre. Je me sens bafouée. C’est une honte. Un scandale. Un scandale ! Que dis-je ! C’est une trahison ! Un chocolat sans cacao, il fallait l’inventer. Eh bien voilà, félicitations. C’est immonde, immangeable, répugnant, infâme, putride. Vous êtes la honte des chocolatiers.

Par ailleurs, vous n’ignorez pas que cette ignominieuse contrefaçon cible très majoritairement les enfants, encore sans défense face aux basses manœuvres commerciales des firmes peu scrupuleuses. Alors quoi ? Vous me croyez née du néolithique ? J’ai trente millions d’années, monsieur. Trente millions. Je me sens insultée, salie. Vous osez ! Vous osez m’expédier ce produit bas-de-gamme destiné aux garnements ! Vous pensez peut-être que les stégosaures ne savent pas différencier un bon chocolat d’une reproduction factice à bas-coût ? Cela s’appelle du dinosaurisme, monsieur, et c’est tout bonnement intolérable ! Je nous pensais sortis du jurassique depuis quelques millions d’années, voyez-vous ? Je ne parviens pas à comprendre que des considérations aussi arriérées perdurent aujourd’hui encore. Il serait temps de remettre en question votre mode de pensée d’une autre ère.

En outre, je tiens à vous signaler l’incompétence inqualifiable de vos livreurs, lesquels ont répandu le contenu de ma commande partout autour de mon domicile, dans les endroits les moins visibles et les plus inaccessibles qu’on puisse imaginer. J’ai passé l’après-midi à fouiller les fougères et à abattre les arbres pour récupérer l’intégralité de mon colis. (Tout ça pour découvrir, sous le papier d’emballage, une fumisterie sans nom.) C’est intolérable. J’affirme, et je pèse mes mots, que votre service de livraison est le pire auquel j’aie jamais eu affaire !

Sans parler du vacarme abrutissant produit par vos véhicules de livraison. Pensez-vous : un salmigondis de gloussements gallins et de tintinnabulements suraigus un jour férié, tôt le matin de surcroît ! C’est un manque de respect inconcevable. Inadmissible ! J’ai appelé la police pour tapage diurne, malheureusement les officiers ont manqué vos agents de peu. Quel dommage. Mais à votre place, je sonnerais les cloches à ces poules mouillées, qui ont détalé comme des lapins en apercevant les poulets.

Enfin, permettez-moi d’exprimer mon mépris le plus profond envers le service clients de la corporation. Celui-ci a rejeté une première demande de remboursement, au seul prétexte que je n’avais rien payé. Cette excuse est absurde, bien entendu, et tout bonnement irrecevable. La véritable explication à ce choix éhonté, c’est le stégosaurisme profondément enraciné dans la culture de votre entreprise.

Voilà des milliers d’années que vous refusez les dinosaures à l’embauche, au seul motif qu’ils ne sont ni des lapins, ni des poules, ni des cloches. Pourtant, à l’instar de ces trois espèces, ils pondent des œufs ! Voilà des siècles que vous devez mettre à jour vos infrastructures, qui ne respectent plus les normes d’accessibilité et de sécurité, et voilà des siècles que vous ignorez le problème ! Lorsque ma demande de remboursement a été si injustement évincée, je me suis déplacée jusqu’au siège de la firme pour protester de vive voix. Et, savez vous ce qui s’est passé ? On m’a refusé l’entrée au prétexte que je risquais d’abîmer le bâtiment ! Comme si c’était ma faute, si la porte d’entrée ne mesurait même pas quatre mètres ! C’est un monde !

Sans évoquer la taille de vos œufs, microscopique et impropre à la consommation par des dinosaures. Par votre faute, nos petits sont forcés d’attendre l’âge adulte avant de pouvoir goûter le moindre morceau de chocolat. Jeunes, ils s’étouffent avec, et finissent à l’hôpital ! Quel genre de monstre est le lapin de Pâques, pour priver tous ces pauvres gamins de la douceur incomparable du cacao ! Pour les déposséder de leur enfance ! Il vous suffirait pourtant de produire des œufs plus gros. Tant pis. Au vu de la qualité de vos produits, mieux vaut sans doute qu’ils n’y touchent pas, de toutes façons. Je suppose qu’ils ne ratent pas grand-chose. Toutefois, la discrimination systémique perpétrée par votre entreprise me laisse sans voix.

En raison de ces trop nombreuses fautes professionnelles, et du stégosaurisme inqualifiable de votre firme, je réclame un dédommagement exemplaire, assorti d’excuses publiques de Lapin de Pâques & Cie. En outre, j’attends bien évidemment un nouveau colis garni de véritable chocolat, et intégralement livré dans ma boîte aux lettres. Sans quoi, cette affaire ira jusqu’au procès, et vous fera ce faisant une fantastique publicité.

Veuillez manger, monsieur, les plaques osseuses que j’ai sur le dos.

Madeline Le Stégosaure.

PS : En l’absence d’une réponse satisfaisante dans les soixante-douze heures, j’inviterai mes homologues carnivores, qui rencontrent les mêmes déboires, à venir vous rendre une petite visite. Le cas échéant, nul doute que mes amis aux dents longues vous trouveront à croquer.