Margot était heureuse, aujourd’hui elle allait enfin rencontrer X. X était un jeune homme rencontré sur une application de rencontre bien connue, et avec qui elle parlait depuis quelques semaines. Oui, quelques semaines, en effet, Margot était une jeune fille timide, du genre à ne pas savoir dire non, refuser un service ou s’énerver avec quelqu’un, donc elle se taisait toujours. Cela lui avait causé de nombreux problèmes par le passé. C’est pour ça qu’elle avait mis autant de temps à accepter de rencontrer X, même si elle l’aimait beaucoup. Elle avait préparé ce rendez vous depuis plusieurs jours, parce qu’il était hors de question que ce premier rendez vous se passe mal, étant une grande maniaque, elle avait choisi le restaurant, Aux Bons Vivants, puis sa robe, et ses accessoires. A vrai dire, elle était depuis ce matin en train de se préparer pour la rencontre, pour être propre, soignée et surtout agréable aux yeux de X. Selon les photos, ses fameux yeux étaient d’un beau brun foncé, dans lesquels elle se sentait fondre, rien qu’à les regarder.
Une fois fin prête, avec une heure d’avance, elle se rendit au restaurant, et attendit. Heureusement, il semblait que X ait eu la même idée, ils allaient donc pouvoir passer plus de temps ensemble. Une fois qu’elle avait vu ses cheveux bruns, elle se dirigea vers lui, il était assis, le dos droit, et semblait avoir déjà commandé. Elle ne vit pas les regards surpris et déroutés des serveurs. Elle s’avança, posa sa main sur son épaule sans se rendre compte de la froideur et de la dureté de celle-ci, et le salua. Elle s’assit en face de lui, intimidée, et se sentit rougir face à son regard plein d’étoiles filantes. Elle admira sa peau claire, presque translucide, laissant deviner le vert, le bleu et le rouge de sa chair et de ses organes, et ses mains, fines et froides, avec des doigts maigres.
Un serveur s’approcha alors, semblant être forcé et terrifié mais Margot ne comprenait pas tout cela, trop occupée à admirer son partenaire. Le serveur lui demanda d’une voix chevrotante ce qu’elle souhaitait manger, et sans remarquer son attitude pour le moins étrange, elle lui demanda une tourte au fromage de chèvre et aux épinards, parce qu’il n’était pas question qu’elle salisse sa robe, ou qu’elle paraisse désagréable aux yeux de l’homme en face d’elle. Elle ne remarqua pas non plus sa manière précipitée de reculer pour s’éloigner de sa table, ou les regards que les autres clients lançaient à son compagnon de table.
Aucun des deux ne savait comment commencer la conversation, l’une parce qu’elle était trop timide et absorbée par sa contemplation, et l’autre parce qu’il était en réalité plus concentré sur la pièce de viande crue qu’on lui avait servi, qu’il avait commencé à croquer et à mastiquer, plongeant ses doigts cadavériques dans la chaire saignante de boeuf. Il commençait aussi à ne plus voir grand-chose, à cause des asticots qui avaient commencé à ronger sa rétine, sa cornée et son cristallin. Il avait donc du mal à voir Margot, qui continuait d’observer les taches blanches dans ses yeux avec admiration.
Les spectateurs de cette scène étrange ne savaient pas quoi dire, une jeune fille se tenait amoureusement face à un jeune homme en état de décomposition, qui mangeait avec des doigts décharnés dont on voyait parfois même les os ressortir, leur aspect blanc laiteux attirant l’oeil. Et en parlant d’yeux, contrairement à Margot, les autres clients voyaient bien les masses blanches grouillantes qui se pressaient dans les orbites du jeune homme. En plus de son aspect, il y avait son odeur, une odeur de cadavre, qui embaumait l'air tout autour de lui, on aurait dit un corps putréfié, qui aurait passé plusieurs semaines sous le soleil de juillet en pleine canicule.
En bref, X puait, au point que les tables autour du couple pour le moins insolite s’étaient rapidement vidées.
Quand les deux eurent fini leurs repas, l’un avec la bouche entourée de sang et des fibres animales entre les dents, et l’autre proprement, sans laisser tomber une miette sur sa robe bleue, Margot prit finalement la parole, pour demander à X ce qu’il avait pensé de son repas, ce à quoi il répondit avec une voix caverneuse, en salivant sur la table, qu’il avait beaucoup apprécié le repas et qu’il avait envie de connaître plus en détail Margot.
Ils discutèrent ainsi pendant quelques heures, sans se préoccuper de ce qui se passait autour d’eux, jusqu’à ce que Margot soit épuisée et lui propose de finir la discussion chez elle comme c’était prévu.
Et c’est ainsi que Margot amena X chez elle, toujours complètement étrangère à la moindre idée que son compagnon fut un zombie. Une fois tous deux sur le canapé, Margot choisit de se rapprocher de l’homme qui était au cœur de son attention, pour l’embrasser. Évidemment, dans sa permanente habitude de tout prévoir, elle avait pris le soin de manger un chewing-gum à la menthe sur le chemin du retour, pour que son haleine ne soit pas trop répugnante pour son compagnon. Alors, elle se pencha, il l’observa, elle se rapprocha, les lèvres encore souples et hydratées par un gloss, il se tint droit, elle finit par lui prendre la tête et ils s’embrassèrent, doucement au début, puis de plus en plus langoureusement, jusqu’à ce que leurs langues s’emmêlent.
C’est alors que le baiser dérapa, parce que Margot dans sa prévoyance n’avait pas deviné que la pâte feuilletée de la tourte lui abimerait le palais, une miette ayant créé une légère lésion rouverte par le baiser sauvage. X, soudain réveillé par le goût du sang de sa compagne, sépara soudainement leurs lèvres, et se jeta sur la gorge de Margot pour satisfaire sa faim renouvelée de chair fraîche.
Finalement, Margot ne comprit jamais que son cher invité la tuait, toujours dans son monde imaginaire au sein duquel l’homme en face d’elle allait l’aimer sublimement, ce qui serait effectivement le cas quand il la dévorerait.
L’amour rend visiblement aveugle, donc évitez de date des zombies pour votre propre sécurité.
J'ai fait beaucoup de critiques, il s'agit simplement de mon ressenti et de mon expérience de lecture. Je les formules dans un but constructif, et j'espère que mes propos ne sont pas blessants (ça m'arrive, le tact et moi c'est une histoire complexe). Si néanmoins c'est le cas, je m'en excuse.
(Au cas où l'affichage est bizarre, j'ai dû couper mon commentaire en deux car il était trop long, ceci en est la deuxième partie).
J'ai eu un peu de mal à suspendre ma crédulité, par contre. Comment expliquer ? Je trouve qu'il manque un peu des raisons à Margot de rester aveugle et de ne pas remarquer que son date est un zombie. On sait juste qu'ils ont discuté par messages pendant plusieurs semaines, mais c'est tout. Et dans cette optique, sachant qu'ils ne se sont encore jamais rencontrés, j'ai du mal à croire qu'elle ne remarque pas ni l'odeur, ni la température, ni la couleur de la peau. À moins qu'elle ne soit déjà tombée folle amoureuse, ça semble un peu étrange.
D'ailleurs, la description est très chouette, on s'en prend plein les sens. On se représente d'autant mieux la scène qu'on passe par plusieurs modalités (toucher, vue, odorat, et même l'ouïe à la fin du repas).
J'ai eu un peu de mal avec l'archétype de la fille sage, qui cherche l'amour, qui veut plaire et être agréable, ne surtout pas déranger, et qui de surcroît n'a aucune jugeote. Je sais que dans les fables, les personnages sont des archétypes, mais ça m'a un peu dérangé à la lecture. (Bon après, c'est peut-être aussi parce qu'en tant que fille on a essayé de me ranger dans cette case toute ma vie, mais du coup c'est une représentation féminine qui me hérisse le poil. Ceci étant, ce n'est que mon appréciation subjective.)
Je chipote sur des détails (j'adore chipoter, faut pas hésiter à me dire si je suis chiante), mais un autre truc m'a un peu sorti du texte : "Margot ne comprit jamais que son cher invité la tuait". Sauf que, entre le moment où elle se fait mordre et le moment où elle meurt, il s'écoule probablement un laps de temps, au moins de quelques secondes, au cours desquelles elle se rend compte qu'elle se fait bouffer. (Oui, je me pose beaucoup trop de questions, c'est tordu comme remarque).