— Pourquoi vous faites ça ? Pourquoi m'infligez-vous cela ? Vous n'êtes pas déjà assez satisfait de me voir dans cet état ? Que voulez-vous à la fin ? Que je vous implore à genoux pour que vous ayez pitié ? s'emporta-t-elle en joignant le geste à la parole.
— Ne faites pas ça ! gronda-t-il en lui prenant le bras pour l'empêcher d'aller plus loin.
— À quoi jouez-vous ? Pourquoi vous comportez-vous ainsi avec moi ?
Elle poussa un rire amer avant de continuer dans sa tirade.
— J'ai compris, déclara-t-elle sur un ton amer. Vous voulez faire durer le suspense avant de...
Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'il l'avait plaqué sur son torse, réduisant en une poussière de mètres la distance qui les séparait. À présent, leurs deux visages se frôlaient presque.
Elle pouvait sentir son souffle s'échouer sur sa figure.
Il ne laissait rien paraître, mais elle pouvait sentir sa colère dans ses gestes : ses yeux sombres, sa respiration erratique, les mâchoires serrées, sa bouche déformée en une moue de colère traduisaient à eux seuls son état d'esprit.
Incapable de supporter la rage qu'elle apercevait dans ses yeux noirs, la jeune femme baissa ses prunelles sur son torse, sur lequel était écrasée sa poitrine qui montait dangereusement à chacune de ses expirations ; cette vision la troubla plus qu'elle ne l'aurait cru.
Les lèvres pincées, elle subissait le silence froid que l'homme avait lui-même instauré, essayant de trouver d'elle-même des réponses à ses questions.
— Venez, vous semblez être fatiguée, dit-il en la prenant par le coude pour la ramener sur le canapé qu'ils venaient de quitter.
Malkia, éberluée, suivit l'homme qui avait glissé sa main sur son poignet sans quitter du regard son large dos qui se mouvait avec virilité et sensualité à chacun de ses mouvements.
Elle était morte de trouille et voulait partir, fuir cet homme qui n'inspirait que dangerosité, mais n'en fit rien, ne voulant risquer de le mettre en colère une nouvelle fois. Plus vite elle coopérerait, et plus vite elle pourrait être enfin libérée de sa présence troublante.
Sans un mot, elle prit place sur le canapé devant l'homme accroupi qui continuait à la manger du regard sans vergogne.
Il était toujours aussi mystérieux, les traits durs et tendus.
Matteo inspira profondément avant de poser une main sur son bras qu'il avait tenu fortement entre ses mains jusqu'à lui laisser un bleu.
Sourcil froncé, il détailla un instant la tâche, un rictus de dégoût aux lèvres, avant de reporter ses yeux sur elle.
— Avez-vous mal ? s'enquit l'homme sans la lâcher du regard pendant une seconde.
— Oui, acquiesça Malkia en grimaçant de douleur.
— Mais ça va aller, ne vous inquiétez pas, j'ai l'habitude, rajouta-t-elle alors qu'il caressait de son pouce la trace.
Ses yeux étaient toujours enfouis dans les siens. Il ne cilla pas devant cet aveu, la laissant croire qu'il était insensible face à sa souffrance.
— Je n'aurais jamais dû réagir de la sorte, je me suis laissé emporter par mes sentiments, reprit-il en se levant pour aller ramasser son manteau qu'elle avait laissé tomber et le lui remit sur les épaules.
— Pourquoi tant de prévoyance à mon égard ? demanda Malkia, la voix enrouée, alors que le canapé s'enfonçait, signe qu'il venait de prendre place à côté d'elle.
Il bascula la tête en arrière, les yeux fermés et le bras allongé sur le haut du canapé. Sans redresser la tête, il la tourna vers elle pour la figer dans son regard, où dansait une lueur de désir qu'il ne chercha pas à cacher.
Au contraire, cela l'amusait de sentir sa peau frémir près de son bras. Il la dévorait du regard comme un loup dévore sa proie avec appétit et bestialité.
Le souffle court, la jeune femme massa sa paume de main sur ses genoux pour faire passer sa nervosité grandissante, les lèvres pincées.
Sans crier gare, il avait pris ses mains moites et y déposa un baiser dans ses paumes. Ce geste lui fit monter le rouge aux joues, grâce à son blush, qu'elle tenta de réprimer en vain, alors que des milliers de papillons volaient dans son estomac noué.
Gênée par cette proximité soudaine qui ne la laissait pas indifférente, elle retira ses mains englouties dans celles chaudes de son mystérieux inconnu et les joignit sur ses cuisses.
— Vous n'auriez pas dû faire ça, monsieur, le prévint Malkia pour changer de sujet.
L'homme se rembrunit aussitôt, le visage assombri par une colère dirigée contre sa propre personne.
— J'aurais dû le faire depuis le début, au contraire, contracta-t-il en gardant son sang froid.
Elle leva les yeux sur lui, surprise par cette déclaration.
— Vous n'êtes pas une bête pour que l'on puisse vous marquer, c'est impardonnable ce qu'il a fait, continua-t-il sur un ton toujours posé, trop posé, laissant croire qu'il cachait la colère qui le consumait de l'intérieur.
— Il n'en reste pas moins que vous n'auriez pas dû, je lui appartiens et...
Elle s'arrêta un moment pour réprimer des larmes qui menaçaient de couler par un battement de cils avant de reprendre.
— Il va me tuer, chuchota-t-elle une main posée autour de son cou. Je suis fichue.
Sa voix était brisée à ces derniers mots, entraînant avec elle le cœur de l'homme qui s'éclata, déchiré par la peine poignante que lui partageait sa souffrance.
Malkia remonta sa main dans ses cheveux qu'elle agrippa pour matérialiser son angoisse.
— Rien ne vous arrivera, faites-moi confiance, l'entendit-elle le rassurer.
Il lui prit la main nichée entre ses cheveux et entrelaça ses doigts entre les siens.
— Regardez-moi, lui ordonna-t-il.
Malkia obtempéra avec une lenteur délibérée et, lorsque ses yeux rencontrèrent les siens, elle ne put réprimer un hoquet.
Ce dernier la regardait avec insistance, la bouche dure et une plissure entre ses sourcils.
Il plissa ses yeux en deux fentes impénétrables en baladant ses iris dans les siens.
Extrêmement contrite, elle figea un rictus nerveux sur sa bouche sans trop savoir quoi faire d'autre.
— Je vous donne ma parole que personne ne vous fera du mal, lui promit-il solennellement, alors qu'il avait enfermé leurs doigts entremêlés avec son autre main et les avait ramenés à son cœur.
Malkia le considéra un moment, la bouche sèche, avant de déglutir péniblement pour mieux assimiler cette promesse solennelle, digne d'un preux chevalier qui était prêt à livrer bataille pour elle.
Éberluée, elle secoua la tête de haut en bas comme hypnotisée par ses mots.
— Bien, reprit l'homme qui commençait à s'impatienter devant son silence. Je veux que vous soyez honnête avec moi, principessa. Pas de mensonges, de toute façon, je le saurai si vous me mentez.
La jeune femme qui avait cessé de trembler acquiesça une nouvelle fois de la tête.
— Je peux d'abord reprendre ma main ? demanda-t-elle d'une voix à peine audible.
Il lâcha sa main, et lorsque celle-ci sortit totalement des siennes, un froid glacial vint la frapper, et elle regretta aussitôt.
Malkia passa une main dans ses cheveux, en mettant de l'écart entre l'homme et elle, si elle voulait avoir la force de tout lui raconter, elle devait s'éloigner de cette fragrance musquée qui lui faisait tourner la tête.
Elle se racla la gorge avant de commencer sous le regard toujours appuyé de l'homme qui était resté à sa place.
— Je... j'ai été vendue... échangée, bredouilla-t-elle en cherchant ses mots.
Elle prit une grande inspiration pour laisser son cœur parler.
— Ma belle-mère m'a appelée jeudi dernier pour me proposer à dîner, commença-t-elle à raconter sans cacher sa tristesse en se rappelant de ce triste épisode de sa vie qui était le point de départ de tout.
Elle se passa la langue sur ses lèvres sèches avant de continuer :
— Quand je suis arrivée, il était là...
— Qui ? demanda l'homme qui écoutait d'une ouïe attentive cette histoire qui, à peine commencée, lui glaçait le sang.
— Damon, répondit-elle avec un brin de dégoût dans sa voix douce et angélique.
À la fin du dîner, après m'avoir servi du café, elle m'a expliqué de but en blanc que c'était un créancier de mon feu père et qu'il était là pour sa créance...
— Combien ?
Malkia émit un rire plein d'amertume avant de se passer le revers de sa main sous son nez.
— Cinq millions de dollars. Ne me demandez pas à quoi a servi cet argent ; à ce que je me souvienne, nous avons toujours été pauvres.
— Où en étais-je déjà ?
— Vous ne pouviez pas payer la dette de votre père, lui rafraîchit-il la mémoire.
— Oui. Vu que nous étions incapables de solder notre dette, enfin, sa dette, il a proposé un compromis : moi.
Je suis le prix de cette dette, finit-elle la voix brisée par la douleur qui lui poignait le cœur.
Matteo essaya de se rapprocher, mais elle leva les mains pour l'en empêcher.
— Restez où vous êtes, s'il vous plaît, je me sens déjà assez honteuse pour subir votre pitié, l'implora-t-elle.
— Vous savez ce que j'ai appris de cette histoire ?
Il secoua la tête négativement.
— C'est que je vaux cinq millions de dollars, cracha-t-elle, pince-sans-rire.
Matteo n'en pouvait plus de cette distance ; sans attendre plus longtemps, il la rejoignit et la prit dans ses bras pour la réconforter.
D'une main consolatrice, il lui caressa les cheveux avec douceur, et ce geste simple mais affectueux fit chaud au cœur de la jeune femme alors qu'elle se laissait bercer par l'homme qui lui chuchotait des mots doux à l'oreille.
Sans s'y attendre, il la relâcha et lui prit le visage en coupe, ses mains chaudes réchauffant son visage glacé qui virait au pourpre sans qu'elle ne puisse se contrôler.
Satané blush!
Une lueur de sincérité luisait dans ses iris argentés, et elle ne regrettait pas de lui avoir fait confiance.
Lentement, il rapprocha son visage et colla son front au sien sans la quitter des yeux.
— Je ne veux plus jamais vous entendre vous dévaloriser de la sorte. Vous valez mieux que ça, l'avisa-t-il d'une voix rocailleuse mais profonde, avant de la relâcher une nouvelle fois.
Malkia réajusta le manteau pour se couvrir, en jetant des coups d'œil à l'homme qui massait sa barbe sombre. Il semblait perdu dans ses pensées, et ce détail l'alerta. Et si tout ceci avait été monté de toute pièce ?
Elle n'eut pas le temps de faire maturer ses idées sombres que l'homme était de nouveau agenouillé devant elle et lui avait pris les mains pour la réconforter.
— Effacez ces idées de votre petite tête, la somma-t-il, la voix vibrante.
Malkia sursauta alors que l'homme venait non seulement de lire dans ses pensées une énième fois, mais aussi de chasser d'un revers de la main le nuage gris qui commençait à tempêter au-dessus de sa tête.
Était-elle si lisible ? Apparemment oui, vu que l'homme anticipait ses moindres faits et gestes.
Elle acquiesça de la tête avec un sourire confiant mais timide dessiné sur ses lèvres.
Matteo regardait la petite bouche de sa métisse, qui s'était incurvée en un sourire confiant, et n'avait qu'une seule envie : l'embrasser, sucer ce beau fruit mûr qui l'appelait sans cesse.
Il se craqua la nuque pour se reprendre avant de poser un acte irréfléchi qui réduirait à néant tous ses efforts pour la mettre en confiance.
Devait-il mettre en œuvre son plan ? Cette question nécessitait un moment de réflexion.
Il déposa sa tête sur les cuisses de la jeune femme, tout en gardant ses mains dans les siennes, et elle s'empressa de les resserrer. Elle laissa son regard vaguer sur la clôture en bois brûlé.
Il ne pouvait pas lui imposer un tel fardeau, conclut-il amèrement.
Il reporta son attention dans ses grands yeux bleus, et l'éclat qu'il vit à l'intérieur le fit flancher. Il fit voler en éclats les résolutions qu'il venait de prendre en un claquement de doigt.
Matteo pencha la tête en arrière ; il était sur le point de faire quelque chose de totalement et de purement égoïste. Il le savait ; seul lui profiterait de ce marché si elle venait à accepter. Et au lieu de se sentir mal, il était presque enthousiaste de connaître la suite si elle acceptait.
Sans un pincement de regret au cœur, il redressa sa tête et posa sa grande main sur sa joue. Il était temps de mettre un terme à tout ceci.
Il inspira profondément pour faire durer le suspense avant d'abréger son supplice.
— Et si je vous dis que je peux vous sortir d'ici ? commença-t-il en guettant sa réaction, qui fut instantanée.
Les yeux de Malkia se mirent à briller d'espoir, un grand sourire se dessina sur sa bouche, faisant apparaître ses dents blanches bien alignées.
— C... C'est vrai ? balbutia-t-elle, qui enfin voyait de la lumière dans cette obscurité.
Elle serra la main de l'homme posée sur sa joue, en cherchant dans son regard une pointe d'amusement, mais elle savait d'ores et déjà qu'elle n'en trouverait pas.
Il lui prit la main et reporta sa paume à ses lèvres dures et glacées.
— Oui, confirma-t-il en hochant la tête. Mais il y a un prix, chère...
Comme il s'y attendait, elle se raidit soudainement et essaya de dégager sa main posée sur ses lèvres, mais il ne la laissa pas faire.
Malkia, qui croyait enfin pouvoir s'en sortir, avait déchanté immédiatement quand l'homme lui avait annoncé que cette liberté avait un prix.
Sans même savoir ce qu'il en était, elle craignait le pire, avec les hommes il fallait s'attendre à tout, et celui qu'elle avait devant elle lui avait prouvé qu'il était aussi impulsif que séduisant.
Elle attendit qu'il lui inflige le coup fatal, mais il n'en fit rien ; il se contentait de la regarder silencieusement, comme s'il attendait que ce soit elle qui fasse le premier pas.
— Qu... quel prix ? bredouilla-t-elle, la poitrine serrée.
Un silence de plomb s'abattit après sa question.
À chaque seconde qui s'évaporait, sa panique montait jusqu'à l'asphyxier.
Elle avait l'impression d'étouffer, sans que son propre corps la compressait, lui laissant des sueurs froides qui lui collaient à la peau malgré le froid polaire.
Son cœur s'était délogé de sa cage thoracique et se trouvait à présent dans son estomac, où il faisait battre son ventre en un rythme affreusement rapide.
Pourquoi ? Pourquoi ? Elle n'avait que ce mot en tête depuis qu'elle l'avait rencontré.
Pourquoi était-il là ? Pourquoi l'avait-il rassurée ? Pourquoi était-il sûr que Damon ne lui ferait pas payer son absence ?
Pourquoi tant de suspenses autour de ce fameux prix de sa liberté ? Pourquoi ?
Il se réajusta pour détendre les muscles de ses pieds engourdis à cause de cette position pas très confortable.
Mais peu importait à Matteo si ça lui permettait de maintenir cet état de confiance, même s'il était sûr qu'il allait s'effondrer à la minute où il allait ouvrir la bouche.
Il fronça ses sourcils pour se reconcentrer sur elle et approfondit leur contact visuel avant de se lancer.
— Être à moi..., lui susurra-t-il enfin d'une voix dangereusement suave et calme.