Chapitre 2 : Le Manipulateur masqué
La lumière tamisée brillait dans le salon, seulement troublée par la flamme d'une bougie posée sur la table en acajou. Une faible odeur de whisky, mélangée à celle du cuir, flottait faiblement.
Un homme triturait nerveusement le bord de sa veste, retenant du mieux qu'il pouvait la peur qui s'échappait de lui. Ses doigts tremblaient, alors qu'il mordillait avec angoisse une lèvre.
Assis en face de lui, Abol, le roi sans couronne, l'observait avec un calme absolu, les mains relevant son monocle, s'arrêtant sur l'arrête de son nez. Son visage affichait un sourire sans chaleur, purement technique et calculé.
« – Enfin, M. Alba, pourquoi êtes-vous si tendu ? Avez-vous quelque chose à vous reprocher ? » Sourit Abol.
L'homme afficha un rictus crispé. Alba était un homme influent, chef d'un réseau de jeux illégaux qui, jusqu'il y a peu, engrangeait des millions. Mais désormais, il était pris au piège dans une partie dont il ignorait les règles.
« – J-Je veux juste savoir pourquoi vous avez fait ça, balbutia Alba, J'ai toujours payé mes dettes et respecté mes engagements... »
Abol éclata de rire avant de croiser des jambes et de poser une main sur son genou.
« – Enfin, ce n'est pas parce que vous respectez ce que je demande, que je ne vais rien faire. C'est trop simpliste comme vision. Non, Alba, si vous êtes assis devant moi aujourd'hui, c'est parce que vous ne m'êtes plus d'aucun intérêt. Vous n'êtes plus qu'une variable inutile dans mon équation. »
Il fit une pause, ajustant les boutons de son costume bleu nuit.
« – Et voyez-vous, je préfère les équations les plus simplifiés possibles. »
Alba se redressa, ses yeux teintés par le désespoir.
« – Je peux me rendre utile, je peux... » S'écria-t-il.
Abol leva la main, le faisant taire immédiatement.
« – Vous ne comprenez pas. Je n'ai plus besoin de vous, je ne vous porte plus d'intérêt. Que vous me soyez utile ou pas ne vous sauvera pas. »
Il fit glisser un dossier vers lui. Alba hésita un instant avant de l'ouvrir, mais le regard de son interlocuteur suffit à le faire ouvrir. Ses yeux s'agrandirent avec horreur en découvrant le contenu ; Des preuves suffisantes pour l'envoyer en prison à perpétuité, des enregistrements de pots-de-vins, mais surtout des images de sa famille sous surveillance.
« – N-Non » Souffla Alba.
Abol posa un coude sur la table et soutint son menton d'une main pensive.
« – Voilà ce que vous êtes réellement. Longtemps vous avez cru que vous pourriez vous hisser à mon niveau, et même me vaincre. La vérité, c'est que vous n'êtes qu'un pion arrogant que je déplace selon mes envies. Donc, maintenant, faites votre boulot. »
Alba, livide, acquiesça. De toute façon, il n'avait pas le choix. Qu'importe ce qu'il choisirait, son interlocuteur l'aurait déjà prévu. Qu'il avait été stupide et orgueilleux de croire que
Abol sourit, un air satisfait sur le visage, et prit une gorgée de thé, comme si de rien n'était.
« – Très bien, maintenant que c'est clair, nous pouvons passer aux choses sérieuses. » déclara-t-il.
Aux choses sérieuses ? Que pouvait-il bien penser par là ? Alba tenta du mieux qu'il pouvait de cacher sa surprise, bien que ce soit vain.
« – Qu'entendez-vous par là ? S'étrangla l'homme.
– Qu'est-ce que j'entends par là ? C'est très simple. J'aimerai que vous alliez chez un ami à moi, et que vous le tuez. »
Non... Alba secoua négativement la tête, ses mains devenant de plus en plus moites. Il ne pouvait pas tuer quelqu'un d'autre... C'était au dessus de ses forces.
Abol tapota légèrement sur le dossier, comme pour lui rappeler ce qui était en jeu. Sa famille risquait sa vie... Il risquait sa propre vie.
« – Quel ami ? Demanda finalement Alba, la voix tremblante.
– Peter vous donnera toute les informations dont vous aurez besoin. A partir de maintenant, vous vous entretiendrez avec lui. »
Sur ces mots, Abol se leva et quitta la pièce, laissant sa proie seule, l'esprit rongé par la culpabilité. Un sourire amusé apparaissait sur son visage. Finalement, contrairement à ce qu'il avait d'abord pensé, Alba avait été amusant jusqu'au bout.
Il sortit du club privé et monta dans une voiture noire où l'attendait une silhouette familière.
Des cheveux roux cascadant en de boucles soyeuses sur une robe extravagante noire, des hautes bottes en cuir à talon et une apparence soigneuse qui soulignait la beauté meurtrière de la personne... Il n'en fallut pas plus pour deviner que cette silhouette était celle de Dolly, la cinquième Monarque.
Elle afficha un sourire en coin, avant de tapoter le siège à côté d'elle pour qu'Abol s'asseye.
« – Tu continue de torturer tes marionnettes ? Demanda-t-elle.
– Je me divertis, corrigea son interlocuteur en s'installant, As n'as plus frappé depuis plusieurs jours et ça devient ennuyant. »
Dolly tapota l'écran de son téléphone du bout de ses ongles, les lèvres légèrement pincés.
« – Ça revient à la même chose, commenta la Monarque, Mais, dans tous les cas, la nouvelle que je te rapporte devrait te plaire. »
Abol arqua un sourcil, et attendit qu'elle continue.
« – Pendant que tu t'amusais,As en a fait de même. » avoua-t-elle.
Un sourire s'étira sur les lèvres de son interlocuteur, alors que ses yeux se mirent à briller.
Dolly n'avait jamais compris l'intérêt que portait Abol au premier Monarque, le roi sanglant. Il n'avait rien qui le différenciait réellement des autres, si ce n'était son imprévisibilité. Imprévisibilité qui avait à de nombreuses reprises manqué de faire rater les plans des deux Monarques.
Elle tendit son téléphone au jeune homme, qui s'empressa de le récupérer.
« – Il est fascinant, s'extasia Abol, réussir à faire tout ça sans plan, sans rien... C'est fascinant.
– Oui, enfin, il faut quand même souligner que, sans nous, il se serait sûrement déjà fait attrapé.
– Ça, j'en doute. A lui tout seul, il pourrait battre l'armée de plusieurs pays réunis, contredit le roi sans couronne. »
Dolly leva les yeux au ciel et regarda par la fenêtre. Dire qu'un génie comme Abol était autant fasciné par une personne comme As... C'en était presque pathétique.
« – Il faudrait prendre bientôt contact avec lui, avant qu'il ne devienne un problème, précisa-t-elle.
– Oui sûrement... Et il faudra faire la même chose avec les deux autres.
– Tu penses déjà à eux ? Ce n'est pas un peu tôt pour se projeter aussi loin ?
– Ce n'est jamais assez tôt, répliqua Abol, sans quitter des yeux le téléphone, Surtout lorsqu'on parle des Monarques. »