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𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟏
𝑢𝑛𝑒 𝑎𝑢𝑡𝑟𝑒 𝑠𝑎𝑖𝑠𝑜𝑛
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𝕬𝖕𝖗è𝖘 un été entier à les côtoyer, Sebastian était certain d'une chose ; jamais il ne se ferait à l'ambiance de ces couloirs. En dépit de toutes les cryptes et grottes qui lui avaient été données de visiter durant cette dernière année, aucune ne lui paraîtrait jamais aussi lugubre que chaque recoin de l'hôpital de Ste Mangouste. Pour un lieu qui avait vertu de sauver les gens, il n'arrivait pas à en voir autre chose qu'un endroit où on souffrait et mourait.
Pourtant, depuis la mort de Solomon, il n'était pas passé un jour sans qu'il ne vienne. Non par plaisir, mais parce qu'il ne sentait pas en avoir le choix.
Il s'asseyait toujours sur ce même misérable banc, à deux mètres de la chambre d'Anne. Chambre dont il n'avait par ailleurs jamais vu la couleur, aussi ironique que cela soit. On lui en avait interdit l'accès. Et "on" n'était nul autre que Anne elle-même. Alors nonchalant, il se tenait presque affalé sur l'assise inconfortable, la tête soutenue par son bras grossièrement accoudé pendant que son pied tambourinait frénétiquement le sol.
La même infirmière que d'habitude sortit de la pièce, ferma avec le même soin que d'habitude la porte derrière elle et lui adressa sur le passage le même sourire compatissant que d'habitude. Voilà que tout était devenu trop habituel ici, et ce n'était pas pour lui plaire. Par Merlin, il aurait donné un rein pour l'extirper d'ici ! Et dire que s'il avait accepté la prison, elle ne se serait peut-être pas enfermée délibérément dans la sienne.
Quelques minutes après, enfin, Ominis Gaunt quitta à son tour la chambre. Sur le pas de la porte, il prit le temps de replacer les manches de son blazer, titillant la patience de Sebastian.
— Alors ? le pressa-t-il, bien vite lassé par son mutisme.
Ominis soupira, bien plus par simple habitude acquise ces derniers mois que par réel agacement. L'impatience de Sebastian était devenue monnaie courante ; il semblait courir perpétuellement après les secondes, comme s'il craignait qu'elles s'envolent. En vérité, il voyait la fin à toutes les portes, il était engagé dans une terrible course contre-la-montre face au temps lui-même. Car il en était certain, tout était toujours question de temps. S'il ne suffisait parfois que d'une seconde pour sauver une personne, c'était tout autant qu'il en fallait pour la perdre. Le temps avait le contrôle sur lui, il pouvait décider du début et de la fin, et c'était bien ce qui l'effrayait. C'était au temps de choisir qui survivrait, alors oui, Sebastian était depuis continuellement pressé.
— Alors je n'ai pas grand chose à te raconter de plus qu'hier ou avant-hier lorsque tu m'as posé cette même question. Serais-tu étonné d'apprendre que rien de très palpitant ne se passe pour elle entre ces quatre murs ?
— Tâche de ne pas oublier que c'est elle qui a décidé de venir vivre ici, rappela-t-il avec une pointe d'amertume.
— Peut-être parce qu'entre vivre seule à Feldcroft ou avec toi, le choix était vite fait.
— De quoi vous parlez, là-dedans, pour que ce soit si long ? Est-ce qu'elle parle encore de tout ce qui s'est passé ? quémanda-t-il, faisant une allusion à peine cachée à Solomon.
Cette question, il lui avait déjà été donné de la poser quelques semaines avant, en vain. Peut-être que suffisamment de temps s'était écoulé pour qu'il puisse espérer recevoir une réponse satisfaisante.
— Moins qu'avant, répondit-il en lui faisant comprendre d'un signe de tête qu'il était temps de partir. J'imagine que c'est sa manière de tourner la page. En vérité, on parle surtout pour faire passer le temps.
En ramassant sa cape sur le banc, Sebastian nota mentalement qu'il avait esquivé, mais qu'il ne l'avait toutefois pas rembarré.
— Je n'aime pas du tout la laisser seule ici, maintenant qu'on ne va plus pouvoir lui rendre visite tous les jours... Elle n'est pas faite pour croupir dans ce genre d'endroits.
— Il aurait fallu y penser avant d'assassiner l'une des dernières personnes à pouvoir s'occuper d'elle, le stoppa alors Ominis.
Il entendit que Sebastian s'était arrêté.
— C'est typiquement le genre de sujets qu'on avait dit devoir éviter en public, siffla-t-il
— Ça tombe bien, j'entends personne, ne se démonta pas l'héritier de Serpentard en reprenant sa marche.
Et pour cause, le couloir qu'ils empruntaient était bel et bien vide. Sebastian souffla pour éviter d'imploser et rattrapa les quelques pas de retard qu'il avait sur lui.
— Tu continueras à venir la voir, lorsqu'on sera de retour à Poudlard ?
— Bien sûr.
— Merci, souffla-t-il de soulagement.
— Je ne le fais pas pour toi, je le fais pour Anne.
— Bien sûr, répondit-il à son tour, mécaniquement.
Sur le plan relationnel, les deux jeunes hommes se trouvaient dans un entre-deux qui plaisait aussi peu à l'un qu'à l'autre. Si un mur semblait s'être forgé, il était encore trop tôt pour dire si quelque chose s'était réellement brisé. Il aurait fallu pour ça que le contact soit rétabli, mais ils ne communiquaient qu'à base de sarcasmes et de railleries. Pourtant, ils ne manquaient certainement pas de choses à se reprocher. Ominis se disait souvent qu'il se montrait trop indulgent avec lui après ce qu'il avait fait.
— À part ça, comment est-ce qu'elle va ? risqua Sebastian après un long silence. Je veux dire, tu sais... »
« Tu sais que je ne veux pas parler que de son moral », voulait-il dire sans avoir su formuler sa phrase jusqu'au bout. Mais il n'en avait pas eu besoin, Ominis comprenait toujours ce qu'il ne disait qu'à demi-mot.
— Pas pire. En fait, son état est même assez stable.
Assez stable après avoir brutalement chuté suite au choc des récents événements, ne prit-il pas la peine de rappeler. Malgré toute la rancœur qu'Ominis ressentait à son égard, il ne chercha pas non plus à lui expliquer à quel point ses douleurs la dévastaient. Sûrement méritait-il de se prendre cette vérité en face, mais il n'avait pas la moelle d'être celui qui lui infligerait.
— Tu devrais d'ailleurs t'estimer heureux que tout ça n'ait pas davantage affecté son état de santé, ne put-il toutefois s'empêcher d'ajouter, piquant.
Ces mots résonnaient en Sebastian, mais contrairement à son habitude, il ne chercha pas à répliquer. Il savait que ceux qui avaient tort gagnaient à se taire et aussi dur que cela soit à admettre, il tenait aujourd'hui bien ce rôle. S'il demeurait convaincue de ses raisons, il aurait été de mauvaise foi de ne pas admettre la gravité de ses actes. Il ne voulait pas que l'on pense qu'il banalisait le meurtre, seulement il considérerait toujours que celui de Solomon était justifié. Il pouvait bien se résoudre à délaisser une vie contre une autre, si celle de sa sœur en dépendait.
— Ne sois pas en retard demain, termina Ominis à la sortie de l'hôpital.
— C'est pas vraiment comme si j'avais qui que ce soit pour me retarder.
La perche était tentante, mais l'héritier de Serpentard s'abstint de la saisir et se contenta de s'éloigner dans la direction opposée.
Ce départ marqua la fin d'une nouvelle journée pour Sebastian, au cours de laquelle il n'avait toujours pas pu revoir le visage de sa sœur, ni même entendre le son de sa voix. Cette voix qu'il n'avait pas entendu depuis qu'elle lui avait soufflé qu'il avait fait son choix, avant de transplaner avec le corps inerte de leur oncle.
Toutefois, si on lui demandait de voir le bon côté des choses, ce soir-là, c'est qu'en cette veille de rentrée à Poudlard, ce serait la dernière fois qu'il aurait à retourner à Feldcroft. Son aversion pour cet endroit ne datait pas d'hier, mais la mort de Solomon et le départ d'Anne n'avaient fait que la rendre plus vive.
Étonnement, Ominis lui avait même proposé de venir chez lui, après qu'Anne ait évidemment décliné sa proposition la première. Mais la perspective de se retrouver chez les Gaunt ne s'était pas révélée beaucoup plus chaleureuse que celle de passer l'été dans son quartier presque fantôme.
Rétrospectivement, plus grand chose ne lui avait paru chaleureux depuis déjà quelque temps. Anne était la seule raison pour laquelle il se levait le matin ; et ça, personne ne voulait le comprendre.
Ominis, qui était pourtant son confident de toujours, ne soupçonnait certainement pas cinq minutes à quel point toutes les recherches de Sebastian étaient bien loin d'avoir été enterrées. Chaque soir, le premier geste de ce dernier lorsqu'il rentrait était de prendre place sur la table de la salle à manger, là où des quantités inconcevables de bouquins s'étaient empilées.
Malheureusement, il avait vite été forcé de reconnaître la pauvreté de ses sources à côté de la bibliothèque de Poudlard, du moins dès lors qu'on savait y étendre ses recherches en dehors des documents autorisés. L'attente insupportable de la rentrée ne l'avait toutefois pas empêché d'entamer chaque jour le même rituel : feuilleter ces mêmes livres une nouvelle fois, y souligner ou y effacer des informations, prendre des notes et parfois en déchirer des anciennes... avant de s'endormir là pour être réveillé le lendemain par le levé du jour. Chaque jour s'ajoutait au cycle infernal qui l'avait fait prisonnier et il était grand temps pour lui de retourner à Poudlard pour enfin avancer.
Ominis avait dit un jour que la magie noire semblait inoffensive jusqu'à ce qu'il ne soit trop tard. Sebastian avait décrété qu'il serait trop tard le jour où il en aurait décidé ainsi. Quoi qu'il en coûterait, il préférait voir sa sœur le haïr que la voir mourir.