Les couleurs reflètent parfois ce qu'on essaie de fuir.
Lycoris
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Hellhound Ether Jail
À Sirotina
Cela fait à présent deux semaines misérables que je suis enfermé dans cet endroit : sombre, sale et sans lumière. Tout cela pour une chose insignifiante qui ne méritait pas ce traitement.
Deux semaines au Hell, putain, c'est mon record depuis mon arrivée dans cette prison. C'est qu'ils aiment tellement tout dramatiser que je savais que ça me mènerait ici, mais pas pour autant de temps.
Je suis coincée dans ce trou à rat, plongée dans l'obscurité absolue à cause de ces foutus bandages sur les yeux. Une pratique qui est totalement normale selon eux, mais ce n’est pas le pire qui puisse arriver…
Ils sont tellement cinglés ici qu'ils te les enlèvent seulement pour manger une fois tous les deux jours. Bien évidemment, on doit choisir entre le repas ou l'eau, et dans ces cas-là, il faut être stratégique.
L'eau ! Toujours choisir l'eau en premier.
Ne me demandez pas pourquoi, faites-le !
Je ne vous parle même pas du calvaire que c’est pour aller aux toilettes. Et encore, si on a la chance de se retrouver dans une cellule qui en possède une... et ça, c'est quatre chances sur quarante dans le Hell. Ce n'est pas le pire, malheureusement.
Ils sont tellement dans l'extrême qu'avant d’entrer dans cet enfer, on doit choisir le vêtement qu'on souhaite garder : le haut ou le bas.
Petit conseil : choisissez toujours le haut. Je parle en connaissance de cause.
La porte s'ouvre brusquement. J'étais tellement plongée dans mes pensées que je n'ai pas entendu les pas approcher. J'espère vraiment que je vais sortir, car je n’en peux plus.
Et surtout, j’ai faim, merde !
— Lève-toi, tu sors ! hurle une surveillante, comme si j'étais sourde.
Je me lève avec difficulté. Je suis à bout de forces. Je n’y vois absolument rien. Ma tête cogne contre les murs et mes jambes tremblent tellement je suis épuisée. Rester en position assise pendant des heures, ça tue.
Mais... attendais, elle vient de me donner un ordre, là ? Je jure que…
— Dépêche-toi, bordel !
— Sinon ? lançai-je. Baisse d’un ton aussi, personne n’est sourd ici à part toi.
Ozerova. Comment oublier sa voix ? J'aimerais avoir des acouphènes pour ne plus supporter son timbre semi-autoritaire qui ne fait peur qu'aux filles du secteur Ether.
— Répète ce que tu viens de dire ! cria-t-elle.
— Parce que je suis un lecteur DVD ? répliquai-je.
— Les deux semaines ne t’ont pas suffi ? Tu veux y rester encore ? me lança-t-elle.
Je ne jugeais pas utile de lui répondre. Ma salive est précieuse et je suis du genre à agir, pas à parler. Tout le contraire d'elle. Elle parle beaucoup mais n'agit jamais. Je ne supporte pas ce genre de personne. Et le fait qu'elle soit gardienne n'arrange rien : elle se croit tout permis.
— Espèce de petite salope, ajoute-t-elle en tirant sur mes chaînes.
— Dit-elle, répondis-je froidement.
Depuis mon arrivée à Ether Jail, elle me voue des sentiments particuliers. Elle m'aime. Je le sais. C'est le genre d'amour que tout le monde aimerait recevoir, surtout avec des mots doux comme ça.
Un silence s’installe.
Je l'ai choquée.
Elle ne dit plus rien.
Petite conne !
Mon odorat est assez développé. Je pouvais sentir l'odeur du propre et du coton même entourée de cet endroit invivable pour l'être humain.
Malinova..
J'avais du mal à ouvrir les yeux. Être plongée dans l’obscurité pendant deux semaines sans la lumière du jour, c'était intense. J'ai l'impression de retrouver la vue bien que je n'ai jamais été malvoyante.
Cet endroit te fait perdre tous tes sens. Tu ressors de là comme si tu venais de naître. Ce moment qu'on a tous vécu lorsqu'on est sorti de l'utérus de nos mères. Voilà.
Ayez la vision
— Tu vas rester tranquille maintenant ? me demanda Malinova.
— Bien sûr. “Tranquille”, c'est mon deuxième nom, répondis-je avec un sourire.
Je suis quelqu’un de calme. Il ne faut juste pas gâcher ma paix. Elle détache les chaînes autour de mes poignets, reliées aussi à mes chevilles. Je n'ai jamais compris pourquoi ils font ça, ce n'est pas comme si on pouvait s'enfuir du Hell.
Les cellules du Hell sont conçues de façon à te rendre fou. Il n'y a ni fenêtre, ni toilettes, ni lit, ni draps. Il n'y a rien, absolument rien que toi sur un sol froid et sale avec le bout de tissu qui te sert de couverture. Il fait froid dedans, très froid. Je viens à me demander parfois comment ça se fait que je sois toujours vivante.
Même la faucheuse m'esquive, alors que moi, je l'attends avec impatience. Avec tout ça, ils pensent vraiment qu'on peut fuir. Il n'y a même pas de toilettes pour faire comme Escobar.
Un génie
Une chose est sûre : de tous les établissements pénitentiaires, Hellhound Ether Jail est le dernier duquel tu puisses fuir. Elle a été construite sur une île.
J'ai été escortée jusqu'à la douche. J'ai retiré le semblant de tissu qui restait sur moi et je l'ai jeté à la face d’Ozerova, qui venait d'entrer dans les douches.
J'appuie directement sur le bouton, et l'eau touche mon crâne. Cette sensation est meilleure que tout. Je pourrais rester là des heures, des années, mais tout est chronométré, comme à l'armée.
Dix minutes, ni plus, ni moins. Alors je m'empresse de laver mes cheveux. Deux semaines, c'est long. J'ai peur d’avoir attrapé des poux ou pire. Maintenant que j'y pense, c'est vraiment inhumain de laisser une personne sans soin d'hygiène pendant deux semaines.
Ce n'est pas pour rien que c'est l'une des pires prisons du monde.Cela ne m'étonne absolument pas de ce pays : ils appliquent les règles qu'ils veulent, sans se soucier des droits de l'être humain.
Une fois cette douche de dix minutes terminée, je suis partie demander ma tenue. Mais, comme toujours, ma chance légendaire fait des siennes : rien ne se passe comme prévu.
Les filles chargées du linge, elles font quoi au juste ? Elles se touchent, sûrement, pour ne pas réussir à faire de simples putains de machines.
Si elles continuent comme ça, on devra tout laver à la main, comme il y a deux mois. Deux petites connes étaient en train de s'envoyer en l'air au lieu de faire leur taf. On s'est retrouvées à laver nos vêtements dans nos cellules et à attendre qu’ils sèchent. Il fait froid ici : ça peut prendre deux ou trois jours avant que tout soit sec. Alors imaginez le calvaire.
— Il reste des tenues de quelle couleur ? demandai-je d’un ton agacé.
— Il reste du noir...
— Tu m’as bien regardée ? J’ai l’air d’une personne qui porte du noir ? lançai-je sèchement.
Hors de question
C’est non !
Moi, en noir ? Je préfère mille fois ne rien porter qu’enfiler une couleur qui signerait mon arrêt de mort.
— Ou du blanc… continua-t-elle.
Dites-moi que c'est une blague. Une tenue blanche ? Pour rien au monde. Je sais que je suis un peu folle, mais pas à ce point-là.
— Et du jaune. Laquelle tu choisis ? conclut-elle avant de me poser une autre question.
Laissez-moi vous dire que dans ces choix, aucun n'est mieux que l'autre. La prison Hellhound Ether Jail est divisée en plusieurs secteurs, chacun avec ses couleurs. Et celles qu'elle vient de citer représentent des secteurs de dingues.
Le jaune, c’est la couleur du secteur Jail, réservé aux prédateurs sexuels. Sympa. Une couleur bien joyeuse.
Le blanc, c’est la couleur du secteur Nord, réservé aux personnes instables mentalement : sociopathes, psychopathes, tueurs en série et j’en passe.
Le noir, c’est la couleur du secteur Protégé, celui des balances et des traîtres qui coopèrent avec la police pour obtenir des réductions de peine.
Si seulement je pouvais rester nue... Aucune de ces trois couleurs ne me représente. Le pire, c'est que selon la couleur que tu portes, tu finis dans le secteur qui va avec. C'est dingue.
Ici, les règles sont simples : tu changes de couleur de combinaison, tu te retrouves dans le secteur correspondant. C’est une prison de fous. Quelle autre prison fait des choses pareilles, dites-moi ?
Des cinglés.
Dans la norme, tu as une cellule, et c’est tout. Mais pas ici. Cette prison n'a rien à voir avec celles des autres pays, je peux vous le confirmer.
— Alors ? dit-elle en me présentant les trois tenues. Je sais que c’est compliqué, mais dès que j'en aurai de ta couleur, je te préviendrai.
Elle croit savoir ce que c'est, une vie compliquée ? Assise derrière un bureau avec des vitres blindées, à l'abri de tout danger. Aucune chance.
Pas à moi !
Je tire la tenue que j'ai choisie et pars m'habiller.
— Cette couleur te va à ravir ! mentit Ozerova avant d'attraper mon bras.
— Ta gueule ! dis-je d’un ton agacé.
C’est mieux qu’elle ne me chauffe pas, celle-là. Je suis d’humeur massacrante aujourd’hui.
Et elle, j’aimerais bien la massacrer, et ce n’est pas du second degré.