Lun 27 oct 2023.
Il est six heures du matin lorsque mon réveil se met à sonner, je soupire profondément en appuyant mes mains sur mon visage. Le vent frappe contre la fenêtre de la chambre et je sais déjà que la journée va être interminable.
Le silence règne dans la pièce, Aude dort encore profondément, je me redresse lentement, évitant de faire du bruit, et enfile mes pantoufles avant de rejoindre la salle de bain dans une démarche traînante. Quand je me regarde dans le miroir je sursaute presque, ma tête a l'air d'un cauchemar. Je retire mon bonnet en soie, puis les boudins qui maintiennent mes cheveux pour former des boucles parfaites. D'un geste mécanique, je fouille dans l'armoire d'Aude pour trouver de l'huile protectrice, que j'applique sur mes longues mèches blondes. Après avoir défait mes boucles, je passe au maquillage.
Aujourd'hui, je n'ai pas envie de me prendre la tête. Un peu de BB crème pour unifier mon teint, du correcteur pour camoufler mes cernes, un léger trait d'eye-liner au coin extérieur de mes paupières et une touche de mascara noir. Rapide et efficace.
Je sors de la salle de bain et ouvre la garde-robe. Le vent souffle fort, alors je choisis un pull à col roulé rose pastel et un jean basique. Je ferme la porte de l'armoire, puis me dirige vers ma commode pour attraper des sous-vêtements propres. Je fais un dernier détour par la salle de bain pour ajouter une touche de parfum au musc et me voilà prête. Il me reste trois-quarts d'heure avant le début des cours, assez pour savourer un petit déjeuner tranquille.
J'enfile mes sneakers et attrape mon sac de cours que j'avais préparé la veille. Avant de quitter la chambre je jette un regard rapide sur Aude, qui a, encore une fois oublié d'activer son réveil. Je m'éclipse sans bruit, me faufilant entre les étudiants qui commencent à s'agiter dans les couloirs, avant de rejoindre la cafétéria.
Un café long, sans sucre, et un cookie trois chocolats plus tard je trouve une table dans le fond, espérant profiter de ce moment de calme. Mais je n'ai pas le temps de me poser lorsque j'entends quelqu'un crier mon nom. Je lève les yeux en direction du cri, je l'aurais parié, il s'agit de Mathis, mon meilleur ami. Il est toujours impeccable, comment fait-il pour être aussi frais à cette heure-là ? Il porte un jean gris foncé et une chemise noire légèrement déboutonnée.
Il s'approche de moi avec un sourire qui pourrait faire fondre n'importe qui, je le lui rends à mon tour.
- Salut, tu as bien dormi ?
- Comme quelqu'un qui a fait une insomnie.
- Dis plutôt que tu as fait un marathon lecture jusqu'à pas d'heure.
Je grimace en réponse à Mathis et regarde l'heure sur ma montre. Il va bientôt être huit heures. Je me lève et débarrasse mon plateau. Mathis me suit. Nous sortons de la cafétéria pour rejoindre l'amphithéâtre. Aujourd'hui, c'est initiation à la connaissance du médicament avec Monsieur Lombronz. Un cours qui franchement me donne parfois l'envie de dormir. Il est tellement fatiguant, toujours à revenir sur des épisodes de sa vie privée, sans aucun filtre, alors qu'on est là pour apprendre.
Nous entrons dans l'amphithéâtre. Une dizaine d'étudiants sont déjà installés. Nous montons les escaliers, puis nous dirigeons vers le fond à gauche. Je pose mon ordinateur portable sur le banc et l'allume. Mathis lui est absorbé par son téléphone, comme toujours. L'amphithéâtre se remplit progressivement. Mon cœur commence à s'emballer. Je balaie mes cheveux de ma main droite et tente de me concentrer sur mes notes, mais l'angoisse monte petit à petit. J'ai horreur de la foule. Et encore plus des odeurs qui se mélangent dans cet espace clos. J'ai la nausée.
Le cours commence. Monsieur Lombronz est fidèle à lui-même : débraillé. Une chemise blanche à rayures noires, un jean noir, et des baskets blanches. Et comme à chaque fois, il porte des chaussettes dépareillées : une noire, l'autre bleue clair. Je ferme les yeux un instant, en me disant qu'il a sûrement dû se lever en retard.
Après deux heures de théorie intense, il est temps de faire une pause. Je range mon ordinateur portable dans mon sac et me dirige vers la sortie. Mathis est déjà parti se cacher à l'arrière du bâtiment pour fumer avec son colocataire. Le vent a cessé de souffler, mais l'air reste frais. Je remonte mon col et m'engage sur le chemin menant au parc de l'université, où je vais m'installer sur mon banc habituel sous un grand saule pleureur.
J'attrape ma gourde d'eau et bois une gorgée, c'est là que je remarque un visage qui m'est inconnu. Mais bon, avec tous les étudiants ici, il est difficile de savoir qui est qui. Il est adossé contre un bouleau au loin, téléphone en main. Il scrute les alentours d'un air méfiant avant de poser son téléphone contre son oreille.
Mathis finit par me rejoindre. Il s'assoit à côté de moi, et je tente de retrouver un peu de calme.
- Salut.
- Salut, ta cigarette était bonne ?
- Je ne vois pas de quoi tu parles.
- Je regarde Mathis un instant avant de lui poser une question :
- Est-ce que tu connais ce type ?
- Lui ? C'est Nathan Austvern. Ce n'est pas un étudiant.
- Alors, qu'est-ce qu'il fait ici ?
- Il attend Aude.
- Aude ?
- Ah tu n'es pas au courant ? Ils sont en couple depuis peu.
- Non je ne l'étais pas, mais je te remercie de me l'avoir dit.
- Elle ne tardera pas à te le dire, elle ne sait rien garder pour elle, tu le sais.
- Sans aucun doute, mais ça ne lui laisse pas le droit de rôder dans l'enceinte de l'université, si ?
- Si, c'est le beau-fils de Monsieur dépareillé, alors il a tout les droits.
Encore un autre protégé... Juste au moment où je me demande si je vais réussir à éviter ce type il s'approche de nous. Mathis se racle la gorge. Moi, je fais comme si de rien n'était, même si je ne peux m'empêcher de le regarder venir. Il porte une veste en cuir noire, un t-shirt blanc, un pantalon noir et des baskets New Balance grises et blanches.
- Salut, l'un de vous fume ?
- Non.
- Désolé mec mais elle est en raccord avec la météo. Aujourd'hui, elle est aussi maussade que la journée.
Mathis me donne un coup d'épaule et me fait un clin d'œil. Je le dévisage, un peu perplexe, et il éclate de rire.
- Sinon, l'un de vous aurait une cigarette ? Je n'ai pas que ça à faire.
Il se met dans une posture décontractée, bras croisés sous son torse, et lève les yeux vers moi. Ses prunelles vertes, presque hypnotisantes, me transpercent. Il est nerveux, ça se voit. Sa mâchoire se contracte alors qu'il attend une réponse.
- Mathis se lève et fouille dans sa poche pour sortir sa boîte de cigarettes. Il en tend une à Nathan, qui la prend rapidement avant de nous tourner le dos et s'éloigner.
- Non mais sérieusement, un merci, ça ne coûte rien.
Nathan s'arrête brusquement, se retourne, et me fixe du regard. J'aurais peut-être dû me taire.
- Pardon, tu disais ?
- Non, rien.
- C'est bien ce qu'il me semblait.
La sonnerie retentit. Il est l'heure de retourner en cours. Je récupère mon sac et me dirige vers l'amphithéâtre. Mathis me suit, et je me prépare à survivre à encore trois heures avec Monsieur Lombronz. Je suis déjà en train de lutter contre le sommeil.
Le cours est enfin terminé, je range mon ordinateur dans mon sac et je descends les escaliers de l'amphithéâtre lorsque je tombe nez à nez avec Nathan ce qui me fit sursauter.
- Nathan, tu es dans le chemin, il vaut mieux que tu m'attendes à l'extérieur.
- Tu as raison, tes élèves polluent mon air.
- Nathan !
Je le dévisage un instant, mais il ne semble même pas remarquer mon irritation. Il s'éloigne d'un pas rapide, sans me prêter attention, je contourne sa silhouette imposante pour rejoindre ma chambre. L'attente est interminable. Les étudiants ont formé un bouchon dans le couloir, et je lâche un soupir bruyant, agacée. Mathis, lui, se trouve déjà bien loin derrière, et j'imagine qu'il doit galérer pour me rejoindre. Le pauvre...
Arrivée devant la porte de ma chambre, je m'apprête à l'ouvrir quand je sens une légère tape sur mon épaule. Je tourne la tête et aperçois Mathis qui me sourit en guise d'au revoir. Je lui rends son sourire, un peu distrait, et il s'éloigne, me laissant seule avec le poids d'une journée longue et épuisante.
Une fois dans la chambre, je laisse tomber mon sac sur le sol, au pied du lit, et me précipite vers la salle de bain. Une douche rapide pour me détendre, puis je me glisse dans mon pyjama-short. Je suis épuisée, prête à sombrer dans un sommeil bien mérité.
Mais à peine mes yeux se ferment, Aude débarque, toute excitée, hurlant de joie.
- J'étais sur le point de m'endormir Aude...
- J'ai réussi !
- Réussi quoi ?
- Tu te souviens du mec dont je t'ai parlé avant-hier ?
- Celui pour lequel tu as des sentiments depuis six mois, ouais.
- Eh bien, il m'a enfin proposé de sortir avec moi !
Je souris malgré moi, heureuse pour elle, je fais comme ci je ne savais pas de qui il s'agissait.
- Oh, un premier rencard ! Fais-toi confiance, tu vas lui plaire, j'en suis sûre.
- Oui... mais ce n'est pas vraiment un rendez-vous, en fait.
- Comment ça ?
- Il m'a invitée à une soirée costumée ce vendredi pour Halloween. Et... je voudrais que vous veniez avec Mathis et toi.
- J'ai horreur des soirées costumées…
- Oh, s'il te plaît, Anaëlle, fais un effort pour moi. Si tu n'arrives pas à t'amuser, je te ramènerai.
- Tu te fiches de moi ? Tu seras totalement saoule, hors de question que je prenne la route avec toi dans cet état.
- On demandera à Mathis alors, il ne boit pas.
- Je vais y réfléchir.
Aude éclate de rire, le visage radieux, avant de sauter sur l'occasion.
- Donc, je prends ça comme une réponse positive ? Merci infiniment !
Sans même attendre ma réponse, elle fonce vers la porte et la claque derrière elle, me laissant seule dans le silence. Je lève les yeux au ciel, exaspérée. Je ferme à nouveau les yeux, cette fois pour m'endormir... enfin, j'espère.
Ça recommence, encore ce même cauchemar. Je me réveille en sursaut, le cœur battant à vive allure, les draps trempés de sueur. Le même sentiment d'impuissance, d'angoisse, qui m'envahit à chaque fois. J'ai l'impression que mes poumons ne veulent plus respirer, que tout se referme sur moi. Je me redresse brusquement dans le lit, le souffle court, et j'aperçois dans l'obscurité de la nuit que le lit d'Aude est vide. Une vague de panique m'envahit à la vue de son absence, me plongeant dans une phase de doutes. Pourquoi elle n'est pas là ? Peut-être que je suis trop stressée, peut-être que ce n'est qu'un cauchemar de plus... mais cette fois, ce n'est pas pareil.
Je me lève précipitamment, enfilant mon manteau beige par-dessus mon pyjama, mes doigts tremblants malgré le froid léger de la nuit. Je ferme la porte de la chambre derrière moi, écoutant silence qui pèse dans le couloir. Chaque pas que je fais me semble lourd, comme si la moindre action était un effort insurmontable. Ce poids invisible dans ma poitrine ne me lâche jamais, mais ce soir, il est plus pressant, plus accablant que jamais.
Je sors enfin du bâtiment. Le vent frais me frappe immédiatement le visage, agitant mes cheveux éparpillés. Je ferme les yeux un instant, comme pour essayer de me recentrer. Mais tout semble flou. Les étoiles au-dessus sont pâles, presque indifférentes, et je peine à respirer correctement. Je trouve finalement un coin tranquille et m'assois sur le muret, mes mains gelées tenant la cigarette que je peine à allumer. Mes doigts sont trop nerveux, trop tremblants.
Je souffle doucement, pour calmer la montée d'angoisse qui m'envahit. Le silence de la nuit est apaisant, presque réconfortant, mais l'impression d'être observée ne me quitte pas. Une brise légère effleure ma peau, mais elle ne suffit pas à me détendre. Mes pensées tourbillonnent, comme une tempête qui refuse de se calmer.
Je sens une présence avant même de le voir, une ombre qui se déplace dans l'obscurité. Je tourne lentement la tête et le vois, debout à quelques pas de moi. Nathan. Il n'a pas fait d'effort pour être discret. Il est là, et son regard est déjà fixé sur moi.
Sans un mot, il sort un paquet de cigarettes de sa poche, le déchire sans modération en sort une. Il allume sa cigarette d'un geste sec, un éclat de lumière dans la nuit, avant de tirer une bouffée. Le silence est lourd, presque insupportable.
Il prend un instant avant de briser ce silence d'une voix froide.
- Aude m'a dit que tu serais là samedi soir. J'ai pas le choix, faut que je te le propose de vive voix.
Il parle comme s'il m'offrait un service, mais son ton ne laisse aucune place à l'ambiguïté. Il est là par obligation, et ça se ressent dans chaque syllabe. Il ne me regarde même pas vraiment. Il fixe le bout de sa cigarette, comme s'il cherchait à évacuer son agacement.
Je déteste ce genre d'attitude. Il parle, il parle, mais il ne me respecte même pas assez pour être direct. Ses mots sont clairs, mais je sens qu'il n'a aucune intention de faire un effort. Pourtant, je n'ai pas l'intention de me laisser faire.
- Tu me proposes ça par "obligation" ? Tu te fous de moi, là ?
Je ne me retiens pas. Je suis prête à réagir. Mais Nathan reste parfaitement calme, comme s'il s'attendait à ma réponse. Il souffle la fumée de sa cigarette et la laisse s'échapper dans l'air, d'un air blasé.
- C'est ce que je viens de dire. Tu viens, ou tu restes chez toi, c'est pas mon problème. Mais Aude veut que tu sois là, donc je le fais.
Il fait une pause, me fixe un instant, puis reprend, d'une voix encore plus tranchante :
- Mais ne crois pas que ça change quoi que ce soit. J'ai pas besoin de ta compagnie, et ça ne m'intéresse pas vraiment. Mais c'est ce que j'ai à faire.
Il me dévisage enfin, une lueur d'irritation dans ses yeux. Ses paroles sont comme des coups secs, mais il ne semble même pas en avoir conscience. C'est froid, calculé, comme s'il me marquait de sa présence, sans chercher à m'impressionner.
Je le regarde un moment, je sais que je pourrais lui répondre sur le même ton, mais je prends une inspiration, et je me contente de ça :
- T'es un sacré morceau. J'espère que tu sais ce que tu fais.
Il me lance un dernier regard, glacial.
- Je sais exactement ce que je fais. Et toi, fais ce que tu veux. Mais je n'ai pas de temps à perdre.
Sans attendre une réponse, il pivote sur ses talons, prêt à s'éclipser. Je reste là, un peu secouée par l'interaction, l'air lourd d'une tension qu'il a laissée derrière lui. Ses mots flottent encore dans l'air, lourds et désagréables, mais ils ne m'ont pas déstabilisée autant qu'il l'aurait voulu.
Il disparaît dans la nuit, comme s'il n'avait été qu'une ombre, me laissant là, sur ce muret froid, avec cette sensation d'avoir été prise dans une tempête qui m'a laissée de marbre.
Après que Nathan ait disparu dans l'ombre de la nuit, un silence lourd retombe sur l'université. La brise fraîche se fait moins présente, laissant place à un calme presque oppressant. Je me remets en mouvement, les pensées se mélangeant. L'échange m'a laissée avec un goût amer dans la bouche, mais il est tard, et le froid commence à me ronger.
Je tire une dernière bouffée de ma cigarette, la jette à terre, et écrase la cendre sous mon pied. Ma tête me tourmente encore, les mots de Nathan résonnent comme une écho désagréable dans mon esprit. Mais il n'y a plus rien à faire. Je n'ai pas envie de rester dehors à me perdre dans mes pensées, je veux juste m'échapper de tout ça, de cette tension qui me tire en arrière à chaque respiration.
Je rentre dans le bâtiment d'un pas traînant, comme si chaque marche était un fardeau supplémentaire à porter. Les couloirs sont vides à cette heure, juste moi et le silence. J'ai l'impression d'entendre le battement de mon cœur résonner dans mes oreilles, une cadence irrégulière, comme une batterie qui perd son rythme. Je tourne la clé dans la serrure de ma chambre dans un geste mécanique sans réfléchir.
La porte s'ouvre, et je suis accueillie par l'obscurité familière de la pièce. L'odeur de la chambre, les draps encore froissés, Aude n'est toujours pas dans son lit. Je me glisse sous les draps, frissonnant un instant au contact du tissu froid contre ma peau. Je ferme les yeux, mais les images du moment précédent se bousculent dans ma tête. Nathan, son regard froid, son ton tranchant me font ressurgir des fragments de mon passé dont je voulais absolument me débarrasser.
Je tourne sur le côté, essayant de repousser ces pensées comme si elles pouvaient disparaître d'un simple coup de main. Mais elles persistent. Je finis par souffler, agacée, je pousse un léger soupir, mes doigts effleurent le bord du matelas. Un autre instant de silence, puis la tension commence enfin à se relâcher. Peu à peu, la pièce devient plus calme, le monde extérieur se fait moins pressant. Le doux bruit des respirations lentes s'élève dans la chambre, une douce mélodie qui berce mes pensées. Je ferme les yeux à nouveau, cette fois plus longtemps, et le sommeil finit par m'emporter, lentement, mais sûrement.
Tout devient flou, mon corps s'abandonne enfin, et je plonge dans les bras de Morphée. Le dernier souvenir de la soirée s'efface peu à peu, emporté par le souffle tranquille de la nuit. Je m'endors, enfin.