Solitaire, la lune se cachait dans les moindres recoins. Vivant son propre cycle loin de tout, elle se contentait d'observer le monde bourdonner de vie. Puis, un soir éclairé par sa pâle rondeur, elle fit la rencontre de deux étoiles bouleversantes. L'une l'agaçait, l'autre l'intriguait. Deux êtres aussi différents que le jour et la nuit, la forcèrent à quitter la pénombre, révélant toutes les imperfections de la veilleuse céleste. Cependant, attirée par leur lumière, elle s'affranchit de ses remparts nuageux et osait s'exposer sans crainte. Libérée de ses entraves émotionnelles, elle rayonna enfin dans le ciel. La gravité du monde ne la terrifiait plus. Jusqu'à aujourd'hui. La réalité s'est chargée de lui rappeler sa nature. Incapable d'étinceler, la lune se contente de refléter la lumière du soleil, sans jamais en posséder l'éclat.
Elle ne peut pas briller, puisqu'elle n'est rien sans les autres...
Une tâche noire grossit autour de la plume de mon stylo, figée sur le dernier point. Je continue à ronger ma lèvre inférieure, malgré le goût métallique du sang. Les mots couchés sur le papier devraient me libérer de mes maux. Il n'en est rien. D'un revers de manche, je frotte mes paupières pour en retirer la lourdeur. Il n'est que dix-huit heures mais je suis épuisée, assise à mon bureau. La peau de mes joues tiraille sous la pellicule salée laissée par mes pleurs. Un résidu de souffrance que je suis trop lasse pour effacer.
J'inspire profondément, fixant les deux pots aux feutres multicolores alignés contre le mur immaculé. Je remarque l'absence du gris. À quoi bon posséder trois nuances de bleu et de rose s'il manque la seule couleur qui me correspond ?
À force d'avoir serré, mes doigts engourdis lâchent le stylo. Je ne sais pas ce que je dois faire maintenant. Par la fenêtre, l'astre lunaire disparaît lentement derrière le brouillard, refusant d'être témoin de ma honte. Mes pensées s'embrouillent, parasitées par la petite voix sournoise dans mon esprit :
Je t'avais prévenue, Luna.
L'anxiété est toujours là, cachée dans le creux entre les autres et moi. Elle glisse dans chaque regard appuyé, rampe dans chaque silence persistant, s'empare de chaque battement de cœur affolé. Oui, elle m'avait prévenue. C'est vrai, je savais. Je savais que j'aurais dû rester vigilante, quoiqu'il arrive. Pourtant, je me suis laissée convaincre que je pouvais évoluer dans ce décor de conte de fée. Je n'étais plus seule. Avec eux, je transcendais mes peines et ravivais les flammes éteintes par mes peurs. Une nouvelle vie. J'y croyais tellement que je m'effondre sous le poids des désillusions.
Je voudrais ne plus ressentir cette angoisse dans ma poitrine, ce vertige constant qui m'éloigne des gens. Je voudrais disparaître, fuir comme l'astre derrière les nuages. Je voudrais remonter le temps et changer le passé. Impossible, il est trop tard. Le duo A&A a ravagé la monotonie de mon existence et je ne sais toujours pas s'il s'agit d'une bénédiction ou, au contraire, d'une malédiction. Tout a commencé par un innocent qui subissait la vie du haut de ses huit ans.
Je voulais juste aider alors pourquoi c'est moi qui souffre ?
Après les sanglots et les cris ne reste que le silence épais, poisseux, suffocant. Je me recroqueville sur ma chaise, mes genoux contre moi et relis les quelques phrases griffonnées d'une main tremblante. Aussitôt, mes paupières brûlent de nouveau et mon estomac se contracte. Le poison de l'humiliation pulse dans mes veines. Je voudrais expulser ma rage mais elle m'étrangle. Alors, la gorge nouée, je m'empare de la lettre et la déchire. Les bruits secs résonnent, couvrant à peine les martèlements de mon pouls. Les morceaux de papier s'éparpillent sur le bois clair. Des fragments de mon chaos intérieur.
Tu aurais dû m'écouter.
Impuissante face au trop-plein d'émotion, j'éteins la lampe et bascule ma tête en arrière. Ma nuque proteste contre le dossier dur. Peu importe. Les étoiles phosphorescentes au plafond percent l'obscurité de la pièce, devenant plus nettes à mesure que les minutes s'écoulent. Je soupire et murmure d'une voix cassée :
— Est-ce qu'il y a encore un espoir d'être heureuse ?
Ça n'arrivera jamais, Luna.
Je ferme les yeux, libérant une ultime larme.