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Hazeshore_
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Chapitre 1

Elias


Enfant, j'aimais m'imaginer une vie où il n'existerait aucune limite. Une vie faite de voyages et d'aventures où j'enfoncerai une punaise rouge dans un petit globe trouvé sur un marché local, une punaise pour chaque destination. Visiter l'Europe, Paris, ou même la Thaïlande ! passer de villes en villes, puis de rues en rues à bord d'un chuk chuk avec pour seul bagage un sac à dos et un beignet de crevette que je goûterai pour la première fois tout en admirant la ville.

   Mais rien de tout cela ne s'est passé.

Je n'ai même jamais quitté ma Suède natale. Père ne me l'aurait jamais permis, aujourd'hui encore, malgré mes efforts, il continue d'ériger ma vie et s'assure que je n'outrepasse plus jamais les limites qu'il m'a fixées afin de s'assurer que son fils indigne n'ait pas une nouvelle fois l'idée de lui faire honte à lui et à notre blason familial.

   — Nous sommes arrivés monsieur, m'indique Johan en passant le portail de sécurité du domaine.

   Je hoche silencieusement la tête, sortant peu à peu de mes pensées. La voiture remonte l'allée centrale puis s'arrête près de la fontaine de style antique. Elle est d'un blanc immaculé et sans défaut, comme tout ici. La pelouse, elle aussi est impeccablement taillée au millimètre tout comme les arbustes en formes originales.

   En claquant la portière derrière moi, je lève les yeux vers la bâtisse. Le domaine de Wolfram et ses gigantesques piliers anciens me font fièrement face, telle l'architecture d'époque royale qui la démarque des autres manoirs du coin. On dit que Wolfram appartenait à la royauté suédoise il y a plusieurs siècles de cela, c'est donc tout naturellement que mon père n'en a pas changé le nom, ainsi tous ceux qui lui rendent visite sont en admiration. Elle ne change pas malgré les années qui s'écoulent, un peu comme si elle s'était figée dans le temps.

   Avant de rejoindre le domaine, je me tourne vers mon chauffeur et lance :

   — Tiens-toi prêt, je n'en ai pas pour longtemps.

   Oh non, pas question de m'éterniser. Une fois qu'il m'aura posé ses conditions, ses remontrances et tout ce qui va avec, je pense m'enfermer dans mon appartement et dormir les quarante-huit prochaines heures pour oublier cette conversation chaotique.

   — Entendu.

   Le pas traînant, je passe les piliers en pierre et laisse Markus, le majordome du domaine, me guider au salon principal. Un étage, puis deux, puis nous traversons l'interminable couloir qui nous y mène.

   — Bonjour, far.

   — Tu es en retard, m'assène mon père sans prendre le temps de me saluer.

   Je reste impassible, il soupire et m'indique d'un signe de main de m'installer dans le fauteuil face à lui. Ma mère, jusqu'ici installée sagement dans le canapé près de mon père, se lève et m'embrasse brièvement. À son expression fuyante, je devine que la discussion risque d'être houleuse. Mes yeux vagabondent sur le salon que je connais pourtant par cœur, cela me permet de me détendre en attendant que mon paternel ne se décide à prendre la parole. Comme depuis de nombreuses années, des portraits sont accrochés au mur. Celui de mon père, vêtu d'un costume sombre, je crois que c'était le jour de son élection au ministère il y a une quinzaine d'années, Henrik Gyllenstierna n'a rien perdu de sa superbe malgré quelques rides de vieillesse, il a toujours une prestance inégalable dans son costume haute couture. C'est ensuite un cliché de lui et de mère, ils sont plus jeunes et forgent dans le temps le souvenir de leurs premiers pas à Wolfram. Je continue mon avancée, saute quelques clichés sans importance et tombe irrémédiablement sur la mienne. J'ai environ dix ans et à cette époque, j'ai l'air plus mal à l'aise que je ne le suis maintenant, toute cette effervescence, ces maniaqueries d'aristocrates me paraissaient étranges à l'époque mais ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui. Pour vivre en harmonie avec le patriarche, il faut aller dans son sens et c'est une chose que j'ai bien vite comprise malgré moi.

   — Peux-tu me dire ce que cela signifie ?

   D'un geste vif, mon père dépose trois clichés sur la table basse qu'il fait glisser hargneusement devant moi. Figé, je tente de garder mon calme et de ne pas laisser paraître mon trouble mais il est déjà trop tard, son regard dur me transperce, je le sens alors que mes yeux restent fixés sur ces photos, interdit.

   Merde...

  — Tu fais honte à notre famille, crache-t-il en se levant brutalement. T'afficher de la sorte... avec un homme qui plus est ! mais enfin, quand cesseras-tu de me provoquer !

   Je ferme les paupières pour quitter son regard. Je ne peux pas, je ne veux pas voir l'air dégoûté qui s'imprègne sur ses traits. J'ai toujours cru que je ne pourrais pas être plus déçu de lui que ce qu'il en était déjà, mais il faut croire que je m'étais lourdement trompé. Mon père trouvera toujours quelque chose à pointer du doigt, quelque chose de supplémentaire pour me briser, anéantir notre relation déjà inexistante.

   — Heureusement pour nous, ces journalistes ont l'appât du gain facile. J'ai donc facilement pu en obtenir les clichés avant leur diffusion, même si j'ai payé une véritable petite fortune pour réparer tes fourberies !

   — Nous trouverons, intervient fébrilement ma mère. Tu es malade, Elias, nous t'aiderons, il existe des centres pour guérir cette... chose dont tu souffres, je suis certaine que...

   — Je ne...

   Cette chose.

   C'est comme cela qu'elle qualifie mon homosexualité, comme si c'était une tare, une maladie incurable et mortelle. Combien de fois ai-je redouté d'entendre ces mots ? ces thérapies de conversion dont elle parle, oui, elles existent bel et bien, mais elle ne s'imagine pas ce qui se passe réellement là-bas. Toutes ces atrocités dissimulées, moi, je les devine et rien qu'à y penser un long frisson remonte mon épine dorsale.

Je ne suis pas malade, ce sont eux qui le sont...

   C'est ce que j'aimerais dire mais rien ne sort. Au lieu de cela, mon mutisme se renforce tandis que mes parents échangent des regards silencieux bien qu'évocateurs. Abasourdis, je me laisse tomber dans le fond du fauteuil, j'ai l'impression qu'un poids vient de se poser sur ma poitrine comme alourdi par des années de déni. Qui à t-il de si terrible à aimer les hommes ? à défaut de pouvoir l'afficher au grand jour, je voulais seulement passer une soirée avec quelqu'un. Jakob n'était qu'un homme de passage parmi tant d'autres, un homme avec qui je voulais seulement passer du bon temps. La naïveté aura fini par être ma seule et unique erreur, si mon père apprenait tout les partenaires masculins qui ont peuplé mes nuits ces derniers mois, il m'enfermerait probablement à double tour.

   — J'ai discuté avec les Barnekow et ils sont d'accord avec moi, déclare mon père. Fredrik et moi avons les mêmes intérêts communs, tu épouseras donc sa fille ainsi aucune rumeurs de ce genre ne menaceront à nouveau d'entacher ma réputation.

   La bouche entrouverte je ne réponds toujours pas. Il ne va pas me faire cela... il n'oserait pas aller si loin... n'est-ce pas ?

   — Les Barnekow veulent marier leur fille, nous aurions dû unir nos deux familles il y a bien longtemps déjà. C'est une très bonne chose.

   Les dents serrées, je darde un regard menaçant sur mon père. Je crois ne jamais m'être montré si furieux contre lui, du moins pas sous ses yeux. Ma réputation, il dit cela comme s'il était le seul concerné, comme si j'étais une abomination, ainsi il obtient ce qu'il veut. Jusqu'ici c'était la seule chose sur laquelle j'avais le contrôle, ma vie sentimentale... enfin du moins tant qu'elle restait cachée.

   — Je n'épouserai pas Leyna, rétorqué-je d'un ton ferme et sans appel.

Un rire incrédule lui échappe.

   — Oh tu l'épouseras, que tu le veuilles ou non mon garçon. Ne m'as-tu pas assez déçu ?

Il lève les bras en l'air comme s'il s'apprêtait à insulter tous les cieux.

   — J'ai fais de nombreuses concessions pour toi Elias, te laisser travailler dans ce boui-boui avec Alrik a été la pire de toute si tu veux mon avis. J'ai accepté que tu ne suives pas mes traces mais il n'est pas question que je te laisse ruiner notre famille tu m'entends ? hors de question que notre nom de famille soit traîné dans la boue par ta faute !

   Et par boui-boui il veut dire la société qu'Alrik et moi avons fondée il y a quelques années. La politique ne m'a jamais interessé et il n'était pas question qu'il m'oblige à suivre ce chemin. Alrik, mon oncle à été d'un soutien indéfectible faisant tampon entre nous, si Eagle games, notre firme de jeux vidéos fonctionne si bien ce n'est dû qu'au travail acharné et à la sueur de notre front que nous le devons. Bien heureusement mon paternel n'a rien à voir avec notre réussite bien au contraire. L'entendre cracher sur notre travail me hérisse les poils, si Alrik était là pour l'entendre, nul doute que la discussion aurait tourné au vinaigre de même s'il l'entendait émettre des possibilités de mariage arrangé. Qu'il m'insulte s'il le veut, qu'il me renie mais qu'il ne m'oblige pas à épouser cette femme !

   — Qu'ai-je fait pour avoir un tel fils ! gronde t-il le regard menaçant.

   Ma mère toujours silencieuse me jette un regard d'excuse. Comme d'habitude elle ne dit rien et laisse mon père décider de l'avenir de cette famille disloquée, elle laisse son mari décider de tout sans broncher, elle le laisse même m'insulter. Pense-t-elle qu'un simple regard d'excuse enlèvera toutes ces années de souffrance ? j'aimerais le croire mais ce n'est pas le cas. Je n'en ai plus la force.

   Furieux, je me lève d'un bond et contourne mon père qui continue de répéter des menaces dont je n'écoute pas les noms. J'avance jusqu'à la porte que j'ouvre à la volée et me retourne vers mes parents avant de quitter la pièce. Je les observe, presque l'un à côté de l'autre et je réalise, là, maintenant, que je n'avais pas idée à quel point ce tableau de famille était pourri jusqu'à la moelle. C'était là, sous mes yeux tout ce temps. J'ignore si j'étais trop occupé à me persuader que quelque chose changerait ou si je préférais faire semblant d'y croire. C'était plus facile.

   — Cette discussion n'est pas terminée ! Elias ! où vas-tu ?!

   — Elias ! reviens ici immédiatement ! répète encore mon père.

Je m'arrête net puis me retourne lentement faisant face à mon géniteur.

   — Nous en rediscuterons père, en attendant si tu veux bien me le permettre je rentre chez moi. Cette maison n'est plus la mienne depuis bien longtemps.

   Sans un mot de plus je quitte le salon, dévale les escaliers et claque la porte du domaine. Il ne me faut que quelques instants pour rejoindre Johan qui démarre dans la foulée lorsque je grimpe.

   — Je présume que cela ne s'est pas bien passé ?

Je lève les yeux et croise le regard interrogateur de Johan. Mes lèvres s'étirent doucement dans un sourire feint.

   — On dit que je n'ai pas bon caractère, et je crois bien qu'ils ont bien raison.


Far : père en Suédois

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