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leanalaloum
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Chapitre 2

Aiden

Je les ai tous vus.

Des dizaines, des centaines de visages. Des cris, des hurlements qui fendent la salle comme des lames. Des bras tendus vers moi comme si j’étais un messie ou un martyr. Peut-être les deux à la fois. La lumière m’éblouissait, les projecteurs tournaient lentement, dessinant des halos flous autour des corps qui se balançaient. C’était flou. Tout était toujours flou. Et malgré le vacarme, malgré la foule, j’étais seul sur cette putain de scène.

Mais au milieu de cette masse hurlante, il y avait ce regard. Un seul.

Il ne bougeait pas. Il ne criait pas. Il… observait.

Une fille. Au fond. Immobile. Détachée du reste. Une silhouette calme dans le chaos. Elle ne filmait pas comme les autres, ne chantait pas les paroles, ne tendait pas les bras. Elle avait un carnet, un simple carnet noir contre sa poitrine, et un crayon entre les doigts.

Elle me dessinait.

Et cette réalité m’a percuté avec plus de force que n’importe quel trip, n’importe quelle ligne, n’importe quelle baise sans lendemain. Ça m’a donné le vertige. Parce qu’elle ne regardait pas l’icône, pas le chanteur torturé, pas le gars qui se déchire les cordes vocales pour que les autres se sentent vivants.

Elle regardait moi.

Ou ce qu’il en restait.

Et j’ai merdé.

Une seule note. Une minuscule erreur, une dissonance à peine perceptible. Mais dans mes oreilles, c’était un cri. Un rappel que je ne contrôlais rien, même pas mes propres doigts.

J’ai terminé le morceau en pilote automatique. Le regard dans le vide. Mon corps jouait encore, ma voix sortait par habitude. Mais moi, j’étais ailleurs. Perdu dans ce foutu croquis qu’elle était peut-être en train de faire. Dans ce silence dans ses yeux.

Et quand tout s’est arrêté, quand les amplis se sont tus, j’ai balancé ma guitare contre l’ampli. Le bruit a claqué comme un coup de feu. Pas de colère. Juste d’usure. J’étais vidé. Encore. Toujours.

Je suis sorti par l’arrière, sans parler à personne. Les gars savaient. Les fans savaient. On ne me retient plus depuis longtemps. Je suis l’animal blessé qu’on laisse s’échapper parce qu’il finira bien par crever dans un fossé.

L’air glacé m’a fouetté le visage quand j’ai poussé la porte de service. J’ai allumé une clope. La première bouffée m’a brûlé les poumons, et j’ai fermé les yeux. C’était presque agréable, cette douleur-là. La seule qui me prouvait que j’étais encore vivant.

Et puis j’ai entendu des pas.

Lents. Mesurés. Pas pressés, pas hésitants non plus. Des pas qui appartenaient à quelqu’un qui savait qu’il ne devait pas venir… mais qui venait quand même.

Je me suis retourné.

Elle était là.

Léna

Je n’aurais pas dû le suivre.

Camille m’aurait dit que c’était une idée idiote, que j’étais trop sensible, trop rêveuse. Mais elle ne m’a pas vue pendant qu’il chantait. Elle n’a pas vu ce que moi j’ai vu.

Quelqu’un en train de s’effondrer à l’intérieur de lui-même. En direct.

Alors je l’ai suivi. J’ai contourné les corps qui dansaient encore, j’ai traversé les coulisses en retenant mon souffle, et j’ai poussé la porte qui menait à l’arrière du club. L’air froid m’a giflée. Il était là, juste là, silhouette solitaire dans la nuit, une clope entre les doigts.

Je voulais juste un dernier croquis. Capter le relâchement dans ses épaules, la fatigue sur son visage. L’abandon, ce truc brut que les gens ne montrent jamais vraiment. Mais il m’a entendue. Il s’est retourné. Nos regards se sont accrochés.

Et j’ai figé.

J’étais prête à m’enfuir. Vraiment. Mais sa voix m’a retenue. Grave. Éraillée. Belle comme une fin du monde.

— Tu me dessines depuis quand ?

J’ai serré mon carnet contre moi. J’ai baissé les yeux. Je n’osais pas le regarder trop longtemps. C’était comme fixer le soleil à travers une vitre fêlée.

— Depuis le premier accord, j’ai murmuré.

Il a esquissé un rire. Un son sans joie, un râle de gorge plus qu’un vrai amusement.

— Et t’as vu quoi, dans ton croquis ?

J’ai relevé les yeux. Lentement.

— Quelqu’un qui hurle sans faire de bruit.

Il a plissé les paupières. Je ne sais pas si ma réponse l’a touché ou blessé, ou peut-être les deux. Il a tiré une dernière bouffée de sa clope, puis l’a jetée au sol, l’écrasant du bout du pied.

— Faut être un peu foutue dans ta tête pour voir ça, tu sais ?

Je n’ai pas reculé.

— Peut-être. Mais pas autant que toi pour le chanter.

Cette fois, il a souri. Un vrai sourire, mince et triste, qui lui allait étrangement bien.

— Comment tu t’appelles ?

— Léna.

Il a répété mon prénom, à voix basse, comme s’il le testait. Comme s’il essayait de voir s’il avait encore la capacité de garder quelque chose de vivant en lui.

— Léna… Tu devrais pas traîner avec des types comme moi.

— Je sais.

Je suis restée là. Sans bouger. Juste à deux mètres de lui. Le silence entre nous était lourd mais pas pesant. Il avait quelque chose de réel, de tangible. C’était comme si, dans cette ruelle glacée, il n’y avait plus de club, plus de public, plus de monde. Juste nous deux. Deux âmes cabossées qui s’étaient reconnues sans même savoir pourquoi.

Il s’est assis sur une caisse retournée, les coudes sur les genoux. Il regardait le sol, les cheveux tombant devant son visage.

— J’ai pas dormi depuis trois jours, tu sais ? a-t-il dit soudain. J’crois que j’ose plus fermer les yeux. Trop de trucs dedans.

Je me suis accroupie face à lui. J’ai ouvert mon carnet, lentement, et j’ai tourné les pages jusqu’à mon croquis. Il a levé les yeux et l’a regardé. Longtemps.

— C’est moche, a-t-il soufflé. Brutal.

— C’est vrai.

— C’est moi, alors.

Il a redressé le visage. Il n’avait plus ce masque qu’il portait sur scène. Plus de rôle. Juste un homme, fatigué, hanté, et terriblement vivant malgré lui.

Je n’ai rien dit. Je me suis contentée d’être là. D’exister avec lui dans cet instant suspendu.

Et dans ce moment silencieux, j’ai compris.

Je venais de mettre les pieds dans un enfer que je n’avais pas choisi.

Et je n’avais aucune intention d’en sortir.

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