La ville n'a pas changé. Les mêmes routes, les mêmes maisons, mais surtout les mêmes magasins, en particulier celui de notre enfance. Le soleil illumine les rues. C'est trois bancs dans ce parc.

Sans même avoir besoin de se parler, juste avec un regard, nous savons que nous devons continuer notre tradition.

"Mes deux habitués, comment allez-vous ?"

"Bien, et vous, Josh  ?" Je réponds à Josh qui nous connait depuis des années maintenant.

« Je vais bien, alors dites-moi quel parfum ? »

Je vois Noah hésiter beaucoup plus longtemps qu'auparavant. Nous avons l'habitude de prendre notre glace à la vanille depuis notre enfance.

"Fraise, s'il te plait, Josh." Je regarde Noah d'un air surpris.

« Fraise ? Tu n'as jamais pris de fraises.

« Peut-être que j'ai changé, » me dit-il en haussant les épaules.

Après avoir récupéré nos glaces, plus par habitude qu'autre chose. Nous nous asseyions sur le banc où s'asseyaient nos mères quand nous étions plus jeunes. Le silence règne, il n'est pas embarrassant, juste plus pesant qu'avant. Je vois Noah goûter à sa glace sans afficher aucune émotion.

"Alors, tu l'aimes, ce nouveau parfum  ?"

"Bien sûr  !" Je connais Noah par cœur. Ce petit regard furtif vers la colline ne signifie qu'une seule chose : il ment.

"Tu mens  ?"

« Peut-être un petit peu.  »

Nous rions face à l'incapacité de Noah à mentir.

C'est drôle, sur des choses futiles je n'arrive pas à mentir, mais quand il s'agit de mes sentiments, cela devient plus facile.

Après avoir fini de rire, je vois June me regarder dans les yeux.  Plus que d'habitude, peut-être même trop longtemps. Je détourne alors mon regard et colle mon dos au dossier du banc.

"Qu'est-ce qu'il y a  ?" Je lui demande alors

« Est-ce que tu penses que ça durera pour toujours  ?»   

"Nos mercredis glaces ?"

"Non, tout ça, nous deux, revenir ici chaque été comme depuis des années sans que rien ne change."

June Si tu savais à quel point j'aimerais que tout change entre nous.

"Peut-être que certaines choses ont déjà changé, mais on fait juste comme si tout était comme avant."

Peut-être que je n'aurais pas dû dire cette phrase. Parfois mon cœur parle plus vite que ma bouche, car j'aimerais tout lui avouer, mais il y a trop de répercussions possibles pour tenter.

Elle colle elle aussi son dos contre le banc avant de reprendre.

"Tu as déjà eu envie que ça change, Noah  ?"

« Oui, je pense   parfois. »

En réalité, j'aimerais que tout change, mais que rien ne change à la fois.

"Tu penses que c'est grave de ne plus réussir à se reconnaître  ?" Encore l'une de ces fois où mon cœur parle trop vite.

"Je te reconnais encore, Noah, et je te reconnaîtrai toujours."

Cette fois-ci, elle me regarde dans les yeux. Elle ne le sait pas, mais ces mots ne sont pas juste des paroles en l'air ; pour moi, ils sont précieux

"Même si je change de parfum de glace  ?" J'essaie en affichant un léger sourire, ce qui me vaut un rire de la part de June.

Cette fois-ci, pas de silence, nous nous parlons comme d'habitude de tout et de rien à la fois. Juste comme de meilleurs amis.

Sur le chemin du retour June me tend un de ses écouteurs.

"Mets-le, j'ai quelque chose à te faire écouter."

Dubitatif, j'approche l'écouteur à mon oreille, mais j'entends cette musique, cette musique que je ne connais que trop bien. June me regarde, je sais qu'elle s'attend à ce que je chante ou que je dise quelque chose, mais pas cette fois.

"Tu ne peux pas ne pas chanter sur celle-là  !"

"Je ne sais pas, je me reconnais plus tellement dans cette musique."

"Et moi, je m'y reconnais toujours autant, c'est peut-être ça le problème."

Je sens que ma phrase l'a touchée, et ce n'était pas l'intention. Cette chanson parle de deux meilleurs amis quile seront pour le reste de leur vie, sauf que moi je ne veux pas être que meilleur avec elle, toucher d'avance dans pas plus rapide, alors que moi je reste là à constater que peut-être, on ne se reconnaît plus tellement.

Je la rejoins quelques mètres plus loin, toujours sans un mot. Elle chante comme lorsque nous étions enfants et, moi, je la contemple discrètement .

Une fois chez June, nous nous retrouvons dans le salon. Au début, nous étions seules, mais ses parents sont arrivés de la cuisine.

"Noah, comme ça fait longtemps, comment ça va, mon grand  ?" me demande le père de June.

« Je vais bien, et toi, Julien ? »

« Je vais bien aussi ! »

Julien me lance un sourire avant d'aller s'asseoir à côté de sa fille dans le canapé, tout en me laissant une place à côté de ma meilleure amie comme toujours. Quand tout à coup, Éloïse, la mère de June, s'écrit de son bureau.

"Venez, j'ai quelque chose à vous montrer."

Nous la rejoignons tous dans son bureau, elle est là devant cette photo que je ne reconnais que trop bien.

« Vous deviez avoir quel âge sur cette photo...  » Sept ans, peut-être  ?

"Huit", je précise à Eloïse.

"Vous devrez refaire cette photo  !"

"Oui, ce serait drôle", enchaîne la mère de June.

Cette dernière me regarde avec un sourire aux lèvres comme pour me demander si je suis d'accord ; bien évidemment, en la voyant dans cet état, je ne peux refuser.

Julien nous dit de nous positionner comme sur la photo qui a été prise neuf ans auparavant. Quand tout à coup, le flash illumine nos visages. Et une notification retentit, elle vient de tous les téléphones de la maison. Quand je l'ouvre, c'est ce dernier qui nous a envoyé la photo. Quand je la regarde, je ne peux voir qu'une chose. Je relève alors la tête vers June.

"Qu'est-ce qu'il y a  ?" me demande-t-elle.

Je secoue la tête pour lui dire qu'il n'y a rien de grave.

Enfin, je crois...

"C'est juste que tu n'as pas tellement changé, tu as toujours le même sourire, les mêmes yeux, mais... ils ne brillent plus comme avant."

Mes mots l'ont touché, je le sais, car je vois son corps se crisper un moment et son sourire s'estomper.

« Qu'est-ce que tu veux dire par là ? » Sa voix a changé elle semble plus faible qu'avant.

"Je ne sais pas, c'est juste que tes yeux brillaient avant, maintenant... ils brillent moins."

Elle tourne la tête, mais reste toujours silencieuse. Elle aurait pu mentir, dire que tout va bien et faire semblant, mais non, elle reste uniquement silencieuse.

Je sais que j'ai déterré quelque chose qu'elle aurait préféré laisser enfoui.