À trois ans, Cataleya allait faire ses premiers pas dans une école. Phoebee, sa mère, avait pris le temps de lui expliquer l’importance de s’y rendre. Sur la pelouse fraîchement coupée de leur grande maison blanche, son père, David, était accroupi devant elle. Les bras croisaient et cette éternelle mine boudeuse exagérait, elle protestait, indignée par leur abandon. La main sous le menton de la jeune fille, son père lui promettait une sucette à la pomme dès qu’elle rentrerait. C’était son parfum préféré. Elle lui tendait la main pour conclure le pacte comme « les grands » disait-elle. David riait de son sérieux tout en prenant la minuscule paume entre ses doigts puissants et rêches.

— Allez, hop ! Dans la voiture, ma puce !

Leya se glissait dans son siège auto en répétant les mouvements que sa mère lui avait appris. Elle le faisait mécaniquement sous l’œil attentif de ses parents. La vitre arrière ouverte, Cataleya gigotait la main avec énergie tandis que Phoebee s’engageait dans la ruelle. Son père faisait de même afin de cacher son immense angoisse de laisser sa chair s’éloigner de lui le temps d’une journée. Jusqu'au moment où Conrad, l'aîné, se mettait à tirer sur son pantalon frénétiquement pour attirer son attention

— La grande aiguille est dans le bleu ! Il faut partir, papa ! Je veux pas être en retard !

Cataleya arrivait main dans la main avec sa mère, dans la grande salle dédiée spécialement pour cette première journée. Elle se cachait derrière les longues jambes de cette dernière. Il y avait des ateliers de maquillage, des ballons à l’effigie de superhéros et de princesses, une piscine remplie de boules en plastique ainsi que plusieurs autres stands, comme le dessin. Tous les enfants étaient sous la surveillance des parents qui, eux aussi, faisaient connaissance autour d’une table où se tenaient les enseignants des listes en main.

— Tu veux essayer une robe de princesse ? Moi, je serai juste là, disait-elle en désignant l’attroupement d’adultes.

Cataleya avait énormément de mal à communiquer avec les petits de son âge. Cela inquiétait davantage ses parents quand elle refusait de s’adresser à Liliana, la petite fille de la meilleure amie de Phoebee. Les médecins les encourageaient à parfois l’éloigner d’eux afin qu’elle puisse voler de ses propres ailes. Heureusement, Leya se chamaillait et rigolait avec son grand frère comme une petite dit « normal ». Mais cela restait tout de même douloureux de devoir forcer son enfant à faire ce qu'il ne voulait pas. C’est à contrecœur qu’elle s’éloignait rejoindre un groupe de maman en train d’échanger des astuces pour faire prendre la douche facilement à leur progéniture.

Un garçon vêtu d’une chemise bleu nuit avec deux ballons roses s'approcha de sa fille. C'étaient les seules de cette forme classique et de cette couleur dans la salle. Phoebee regarda la scène avec attention.

— Tiens.

Cataleya le détailla, intriguée par ses cheveux châtains trop longs pour son gabarit. Elle planta ses poings sur ses hanches, imitant l’assurance des adultes.

— T’es qui, toi ?

— Andrew, répondit-il simplement.

— Ma maman m’a dit de pas parler aux inconnus.

Il éclata de rire. Cataleya fronça les sourcils.

— Pourquoi tu rigoles ?

— Parce que t’es drôle ! Et puis maintenant, je suis plus un inconnu !

Il avait dit ça avec tant de naturel que Cataleya ne trouva rien à redire. Après un instant d’hésitation, elle attrapa le ballon qu’il lui tendait.

— Moi, c’est Cataleya.

Ils n’eurent pas besoin de plus. Déjà, ils couraient l’un après l’autre, jouant au chat comme s’ils se connaissaient depuis toujours.

Un peu plus loin, une femme aux cheveux châtains et aux yeux verts observait la scène, un sourire amusé sur les lèvres.

— On dirait que nos enfants s’entendent bien, dit-elle à Phoebee.

Cette dernière se retourna vers elle, surprise.

— C’est incroyable, souffla-t-elle. D’habitude, elle ne parle à personne.

— Le mien, c’est pareil. Karen, poursuit-elle en s'avançant vers elle pour se présenter.

Voyant les bonnes manières de la mère du jeune garçon, elle serrait sa poigne, un grand sourire sur son visage accueillant. Ça l’avait rassuré de savoir qu’il était, à première vue, d’une bonne famille.

— Phoebee.

Les deux mères échangèrent un regard complice. Elles ne le savaient pas encore, mais cette rencontre allait changer bien des choses.