Le soleil commençait à se coucher, baignant Neo-Tokyo sous ses rayons de lumière tamisée s’assombrissant au fil du temps. Mais en cette fin d’après-midi, Kei avait choisi de clore les stores de sa chambre, et donc de se priver d’un tel spectacle.
Il avait passé une bonne heure à faire essayer diverses tenues achetées pour Joshua dans sa chambre. Des pantalons en jean ou en cuir, des t-shirts tantôt moulants, tantôt amples, divers vestes ou manteaux, parfois décorés de petits néons qui s'illuminaient le soir... L'argenté s'était montré généreux dans ses achats, et rassuré d'avoir deviné juste concernant la taille du brun. Tous ces vêtements lui seyaient à merveille ! Même le miroir dans lequel ce dernier se regardait, et qui jugeait les habits portés, affichait d’excellentes notes. La veste et le pantalon en jean noirs qu’il portait avec un t-shirt blanc décoré d’une inscription japonaise rouge en son centre, récoltaient ensemble la belle note de dix-huit sur vingt.
« T'as vraiment payé tout ça pour moi ? demanda Joshua en se contemplant sous tous les angles.
— Non ! Je les ai volés sans que les vendeurs ne s'en rendent compte. »
Le plus jeune se retourna vivement vers Kei, les sourcils haussés d'étonnement et d'indignation. En voyant qu'il le prenait au sérieux, l'argenté retint un rire moqueur et répliqua :
« Relaxe, Joshua ! Je te fais marcher, je n'ai rien volé ! J'ai dépensé mon propre argent pour t'offrir ces vêtements, histoire qu'on ne devine pas que tu viens de l'extérieur de la ville. J'ai négocié pour les avoir à moitié prix pour la plupart. Deux-cent-et-quelques euyens pour tout au lieu de quatre cents environ ! Autant dire que j’ai fait une très belle affaire. Par contre, est-ce que ça te plaît ?
— Euh... »
Joshua ne cacha pas son hésitation. Il trouvait tous ces vêtements plutôt pas mal. Seulement, il ne se sentait pas à l'aise dedans. Il avait l'impression d'être une autre personne. De ne pas être lui-même.
« C'est justement le but de la manœuvre, mon grand ! informa Kei en s'installant à son bureau devant ses ordinateurs à écrans virtuels. Si tu souhaites te rapprocher de la Kai-Riu ou même simplement te promener en ville, tu dois mettre de côté ton style et tes manières de primit... »
Il bloqua dans sa phrase en remarquant le froncement de sourcils chez l'autre. Il semblait détester le terme « primitif » pour le désigner. Ce qui pouvait se comprendre car une telle appellation conservait un aspect assez péjoratif et réducteur.
« Bref ! En gros, tu vas devoir t'adapter à la vie de Neo-Tokyo. Ce qui signifie te faire passer pour un banal citoyen d'ici. C'est la seule façon de ne pas attirer l'attention sur toi.
— Ça ne devrait pas être trop compliqué, je suppose, affirma Joshua en commençant à se déshabiller.
— Pour l'apparence, effectivement, c'est simple. Niveau administratif par contre, ça se corse.
— Admini quoi ? »
Kei afficha un air légèrement dépité devant une telle question. Joshua avait beaucoup de choses à apprendre sur le style de vie à Neo-Tokyo, visiblement !
« Chaque habitant possède un nom, un prénom, une adresse et un numéro de matricule, pour ne citer que ça. Toutes ces informations sont conservées dans les archives administratives et permettent de vérifier l'identité de chacun lors d'un contrôle effectué par des autorités, ou par certains autres services comme les transports en commun. Si t'es pas en règle de ce côté-là, tu risques d'avoir d'énormes problèmes.
— Et comment je peux éviter ce genre de problème ? » demanda le plus jeune qui, uniquement vêtu de son pantalon, s'approcha de lui pour l'observer tapoter sur son clavier tactile lumineux. Plusieurs choses incompréhensibles à ses yeux défilaient sur les trois écrans affichés.
« C'est là que j'entre en action, répondit son hôte d'un rictus confiant. En accédant discrètement aux archives administratives, je peux glisser des informations sur un habitant supplémentaire. Toi, en l'occurrence !
— Tu peux faire ça ?
— Pas de manière légale, mais ouais ! En tant que prodigieux hacker, ça ne me posera pas trop de problèmes. Normalement. »
Joshua voulut lui poser une question, mais Kei lui coupa l'herbe sous le pied.
« Cherche pas à savoir ce qu'est un hacker, c'est un peu long à t'expliquer et j'ai besoin de concentration pour faire ça bien ! Si je me loupe et qu'on parvient à me détecter, c'est moi qui risque de me retrouver dans la mouise. »
Ainsi, le brun laissa le hacker effectuer ses opérations informatiques. Il n'osa pas bouger de sa position, souhaitant ne rien manquer si quelque chose d'intéressant survenait sur l'un des écrans. Un silence s'installa entre les deux hommes. Seul le pianotage sur le clavier se fit entendre. Joshua balaya rapidement la chambre du regard, pensant y trouver Neeko. Mais celle-ci était probablement dans le salon en train de s'occuper autrement.
Il se concentra alors sur un Kei pleinement absorbé par sa manœuvre. L'air sérieux et imperturbable, l'informaticien s'attelait à sa tâche avec un calme olympien, sans sourciller. Joshua avait presque l'impression de voir une autre personne. L'argenté l'avait habitué à une facette décontractée, joviale et assez taquine. Mais en cet instant, son expression reflétait l'exact opposé. C'était assez perturbant, mais Joshua trouvait un tel aspect chez lui... fascinant ? Inspirant ?
« T’aimes ce que tes yeux regardent ? » questionna l'artiste martial en sentant son regard posé sur lui depuis quelques secondes. Pris au dépourvu, son rescapé dévia sa tête.
« J'observe juste ce que tu fais.
— À quoi bon observer vu que t'y comprends que dalle ? taquina-t-il d’un petit sourire.
— Sachant que ce que tu es en train de faire me concerne, je pense être légitime pour regarder, même si je ne capte rien.
— Pas faux, vu sous cet angle ! »
Quelques secondes plus tard, le sourire de Kei s'agrandit de satisfaction : il était parvenu à accéder aux archives de la mégalopole sans se faire repérer par la cyber-sécurité. Il ne lui manquait plus qu’à y glisser un formulaire contenant les informations identitaires au sujet de Joshua et le tour était joué.
« C'est quoi ton nom de famille ?
— Mon nom de famille ? demanda le primitif d'un air circonspect.
— Le nom qui accompagne ton prénom ! Par exemple, je m'appelle Takahashi Kei. Kei étant mon prénom et Takahashi mon nom de famille.
— Je... n'ai pas ça. De là où je viens, le nom accompagnant notre prénom ne dépend pas de notre famille mais de notre lieu de naissance. Je suis né dans un village situé en montagne. Alors on m'a nommé Joshua de la Montagne. »
Face à une telle explication qu'il jugeait plutôt étrange, un air blasé s'empara du hacker.
« Tu m'aides pas beaucoup, mec ! Joshua de la Montagne... Tu penses sincèrement pouvoir passer inaperçu avec un nom pareil ? Ça fait pas du tout Neo-Tokyoïte, ça !
— Hey, c'est pas moi qui l'ai choisi, ok ? Je réponds simplement à ta question ! Désolé de ne pas avoir un nom sonnant Neo-Tokyo-machin-chose ! »
Il croisa les bras d'un air boudeur en regardant ailleurs. Kei soupira devant cette réaction. Il s'en voulait d'avoir dit les choses de cette manière, mais restait concentré dans sa tâche. Il ne devait pas s'éterniser dans le système qu'il avait piraté. Ainsi, il compléta le formulaire lui-même, en imposant certains trucs.
« Puisque tu es hébergé sous mon toit, autant t'appeler Takahashi Joshua.
— Tu me laisserais porter ton nom de famille ?
— Ayant la flemme de réfléchir à un autre nom, ouais. Considère-toi dorénavant comme... mon petit frère ?
— On ne se ressemble même pas ! Me faire passer pour ton frère n'est pas crédible.
— Tu préfères passer pour mon époux, peut-être ? » questionna le plus âgé en levant les yeux au ciel, l'ombre d'un sourire aux lèvres. Joshua cligna plusieurs fois des yeux, stupéfait d'une pareille proposition.
« Ton... époux ?! Mais... on est deux hommes !
— Et alors ?
— Le mariage n'est pas censé concerner un homme et une femme ? »
L'ignorance de son invité exaspérait Kei autant qu'elle l'attendrissait. L'homme aux mèches blanches hésita entre exploser de rire et se taper la figure devant une telle bêtise.
« Considère-toi comme tu veux : mon frère, mon mari, mon cousin, mon neveu, on s'en fout ! Ce qui nous intéresse, c'est que tu aies un nom de famille et tout le reste que je suis en train de générer ! »
Joshua ne répondit pas, troublé de se faire passer pour un membre de la famille d'une personne qu'il connaissait à peine. Mais il comprenait cette nécessité pour dissimuler sa véritable identité et faire profil bas. Ainsi, il laissa Kei finir son piratage et préféra partir déambuler dans le salon après s’être rhabillé.
*
Deux heures passèrent pendant lesquelles le voile nocturne envahissait le firmament. Kei et Joshua s'étaient rafraîchis, pendant que Neeko, dans son corps d’automate félin rose, se mettait en veille, couchée sur un coussin dans le salon.
Le duo masculin soupait à présent devant le téléviseur qui présentait les informations du jour. Parmi elles, la Kai-Riu ayant mis au point une technologie destinée aux agents du Bushi. Une sorte de pistolet givrant qui congelait instantanément tout individu tentant de fuir son contrôle ou son arrestation. L'utilisation d'une telle arme n'était pas dangereuse pour les cibles touchées, à en croire les dires de la journaliste. Mais Kei y croyait moyen :
« Des armes qui ne font physiquement pas mal... On aura tout vu avec cette société à la con !
— Pourquoi vouloir créer des armes pour les utiliser contre ses semblables, à la base ? Voilà un truc que je ne comprendrai jamais. »
Agacé, Joshua détourna son regard de l'écran projeté. Il préférait river ses yeux vers la vitre la plus proche et observer le paysage urbain dehors. Toutes ces lumières lui donnaient mal aux yeux. Et ces voitures volantes qui circulaient à grande vitesse... Le jeune brun peinait à s'habituer à une telle ambiance, qui changeait drastiquement de celle de son village où tout était plus calme et naturel.
« Ça a toujours été dans la nature humaine, de confectionner des armes et de se battre avec, répliqua Kei sans délaisser l'émission. Et ce qui est con, c'est que les gens n'apprennent pas de leurs erreurs. Nos ancêtres ont détruit notre planète d'origine à coup d'armes nucléaires et de guerres à répétition, et ont eu la chance de pouvoir élire domicile sur Calreon afin d'y bâtir Neo-Tokyo. Malgré ça, leurs descendants continuent à perpétrer leurs conneries en voulant faire des armes de plus en plus puissantes, et en pourrissant lentement cette planète qui leur sert de refuge depuis plusieurs millénaires. »
Joshua observa son interlocuteur en haussant un sourcil étonné. Il ne s'était pas attendu à ce que l'autre se montre aussi amer à ce sujet. N'était-il pas content de vivre dans le confort que lui offrait le commerce de la Kai-Riu et des autres entreprises faisant tourner Neo-Tokyo ?
« Tu as... étrangement le même genre de raisonnement que les gens de mon village, ou des villages voisins. C'est assez bizarre d'entendre de tels mots de la bouche d'un sophistiqué.
— Un sophistiqué ?
— De la même manière que vous nous surnommez les primitifs, pour nous, vous êtes des sophistiqués. N'ayant aucune harmonie avec la nature, vous vous complaisez dans votre luxe superficiel et vous nourrissez votre ego et votre soif de pouvoir en vous en fichant du monde qui vous entoure.
— Doucement, l'ami ! tempéra Kei d'un air blasé. Évite de mettre tout le monde dans le même panier, s'il te plaît. Tous les habitants de Neo-Tokyo n'approuvent pas spécialement le mal que cette mégalopole fait à ce monde, tu sais ?
— Pourtant, personne ne m'a l'air de se bouger pour changer les choses !
— Parce que ce n'est pas aussi simple que tu le crois. T'as bien entendu les infos, non ? Les autorités du Bushi sont de mieux en mieux armées chaque jour. Surtout depuis que la Kai-Riu impose son influence dans cette ville ! Qu'est-ce que tu crois qu'il arrivera si certains osent se rebeller contre cette société ? Ce genre de soulèvement implique beaucoup de sacrifices. Et ce n'est pas tout le monde qui se sent capable de s'y risquer.
— Malgré tout, tu as pris des risques en effectuant une action illégale pour me couvrir. Tu aurais très bien pu me dénoncer au Bushi lorsque tu m'as trouvé.
— C'est vrai, j'aurais pu. Mais je ne l'ai pas fait.
— Pourquoi ?
— C'est ma façon de dire à la Kai-Riu et au Bushi d'aller se faire foutre. »
Un petit sourire étira ses lèvres pendant que Joshua entrouvait inconsciemment sa bouche, stupéfait. Tout comme lui, Kei ne portait pas cette société influente dans son cœur. Même, il la méprisait. Voilà une chose qui le rendait curieux. Il souhaitait lui poser des questions à ce sujet, mais son hôte ne lui en laissa pas le temps.
« Demain, je dois reprendre mon boulot. Je serai donc de sortie pour toute la journée. J'ai envie de t'emmener avec moi, mais j'hésite. D'un côté, je ne suis pas rassuré à l'idée de te laisser seul même si Neeko est là, et d'un autre, j'ignore s'il est prudent de te laisser sortir, sachant que tu n'es pas habitué au train de vie de Neo-Tokyo.
— Je n'ai pas spécialement envie de me tourner les pouces ici sans rien faire. Et de toute façon, je sortirai tôt ou tard. Je ne suis quand même pas ton prisonnier, après tout ! Et j'ai besoin de me dégourdir les jambes et de respirer l'air extérieur, même si celui de cette ville pue la pollution. »
Cela sonnait légitime aux oreilles de l'informaticien. De toute façon, Joshua serait confronté tôt ou tard à l'extérieur des murs de cette résidence. Autant le laisser prendre rapidement ses marques. Peut-être que cela l'aiderait à concocter un plan d'approche contre la Kai-Riu ?
*
La journée suivante, Kei avait reçu les coordonnés de son lieu de travail du jour : sixième niveau de l'allée P14, secteur Nao, district Fujin.
Ce n'était pas excessivement loin de chez lui, mais ce n'était pas non plus la porte d'à côté. Heureusement qu'il avait récupéré son véhicule la veille ! Ainsi, il embarqua dans ce dernier et fit monter Joshua du côté passager. Le primitif se sentit perdu au milieu de la multitude de boutons ornant l'intérieur du vaisseau. Il s'était attendu à une machine volante simple à piloter, mais toutes ces commandes ajoutaient de la complexité à son maniement. Pourtant, Kei s'y sentait à son aise alors qu'il appuyait sur plusieurs interrupteurs pour démarrer le moteur et décoller. Un volant fusionné à un manche directionnel et deux pédales, se situaient respectivement devant et aux pieds du conducteur.
Après s'être assuré de leurs ceintures bien attachées, le vaisseau du hacker s'envola jusqu'à se mêler parmi la dense circulation, formée de véhicules à tailles variables et aux couleurs personnalisées.
Joshua fut impressionné et un brin effrayé par la hauteur de leur position. Il ne pouvait même pas voir le point le plus profond de Neo-Tokyo, recouvert d'un épais brouillard permanent. Sa plus grande surprise se révéla cependant être la taille démesurée de la mégalopole. Il avait eu vent de l'immensité de cette cité, mais ne s'était jamais rendu compte à quel point jusqu'en cet instant. En le voyant admirer une telle vue, Kei sourit en restant concentré sur sa conduite.
« Pas de vertige ?
— Pas vraiment. Mais j'espère que les portes de ta machine volante sont bien fermées ! J'ai pas envie de tomber en bas.
— T'inquiètes pas ! rit l'argenté devant sa crainte. Les portières des vaisseaux de ce genre sont programmées pour se verrouiller dès le démarrage. Tant que le moteur tourne, elles restent verrouillées. En cas de problème nécessitant un atterrissage forcé, un bouclier technologique s'active automatiquement pour protéger la bagnole et les personnes à bord. Un signal est ensuite envoyé aux organismes d'urgence qui se rendront sur les lieux du crash.
— Je vois. Ils ont l'air d'avoir pensé aux pires scénarios possibles, dans cette ville. »
Un petit moment de silence s'installa. Joshua continuait de contempler les buildings environnants d'un air ébahi. Kei, qui n'aimait pas spécialement le calme complet lorsqu'il conduisait, s'apprêta à activer le lecteur de musique. Mais le brun lui posa une question qui le freina dans son geste.
« Comment vous arrivez à vous repérer dans une ville aussi gigantesque ? Il y a tellement de bâtiments qui se ressemblent qu'on a de quoi se perdre facilement !
— Neo-Tokyo se divise en douze districts, chacun réparti autour de la grande tour centrale qui est la résidence de notre président. En partant du nord, et en tournant dans le sens des aiguilles d'une horloge, on a Tsukuyomi, Suijin, Susanoo, Hachiman, Izanami, Izanagi, Amaterasu, Kojin, Hotei, Fujin, Ebisu, Kannon. J'habite dans le district Amaterasu. Fujin, là où nous allons, se trouve deux districts plus loin.
— Et niveau adresse ? Tu m'as parlé de sixième niveau de je-ne-sais-plus-quoi...
— Les districts sont séparés à la verticale par les allées, et à l'horizontale par les niveaux. Le niveau 0 part du bas des bâtiments, et plus on monte, plus le niveau s'élève. Il y a généralement cinq à huit étages entre deux niveaux. Les allées sont nommées par des lettres suivies de chiffres en fonction de leur emplacement. Quant aux secteurs, ce sont simplement les quartiers des districts. »
Une certaine confusion s'empara de Joshua. Il avait à peu près compris les explications du conducteur, mais tout ce système pour se déplacer au sein de la ville lui paraissait compliqué. Déjà qu'il y avait douze districts, probablement tous aussi vastes les uns que les autres, et que chacun était divisé en secteurs, si en plus on rajoutait les allées et les niveaux...
« Je vois ton cerveau fumer d'ici ! l'embêta Kei d'un rictus farceur.
— Oh ça va ! Pas la peine de te ficher de moi ! s'exclama un Joshua légèrement boudeur. Je ne suis pas un citoyen de cette ville ! »
Sa réaction fit sourire son homologue, d'humeur enjouée. Mais il préféra arrêter sa taquinerie et se focaliser sur le travail qui l'attendait à destination.
*
Une demi-heure plus tard...
Après avoir garé son véhicule dans un parking d'immeuble, le duo masculin se rendit jusqu'à l'intérieur des locaux de la société du jour : Netlust. Une start-up informatique fraîchement créée, mais en proie à quelques problèmes techniques. Kei et Joshua furent accueillis dans un bureau par le patron et unique personne présente : Yori Gaku. Celui-ci était presque aussi jeune qu'eux. Mais son costume cravate aux couleurs sobres, ses mèches courtes blondes coiffées vers l'arrière et sa paire de lunettes rectangulaires donnaient l'illusion d'un homme trentenaire.
« Pardonnez cette question, mais pouvez-vous me confirmer votre identité ? demanda-t-il à Kei. Je souhaite vérifier si les coordonnées fournies par votre firme employeuse concordent, et je veux également tester mes lunettes scanner. »
Joshua était complètement largué par ce langage trop technologique qui le fatiguait déjà. Il laissa donc la parole à son compagnon.
« Takahashi Kei, je suis un programmeur informatique avec de grandes connaissances en hacking et en cybercriminalité.
— Exactement comme vous ont décrit votre firme. »
Yori activa ensuite ses lunettes à l'aide d'un bouton microscopique situé l'avant de la branche gauche. Kei et Joshua virent quelques écritures lumineuses apparaître sur ses verres. Mais seul le propriétaire de celles-ci pouvait les lire convenablement.
« Mes lunettes vous reconnaissent effectivement comme étant Takahashi Kei. »
Il se tourna ensuite vers Joshua, et l'observa longuement avant de lui demander :
« Takahashi Joshua ?
— C'est mon jeune frère, expliqua l'informaticien en voyant le primitif légèrement se crisper. Il souhaite devenir programmeur comme moi, alors je l'emmène de temps en temps sur le terrain. Et il m'aide souvent dans mes tâches.
— Votre... frère ? Il ne vous ressemble pas. Sans ne vouloir offenser personne, bien sûr ! »
Kei sentit le regard blasé de Joshua se poser sur lui façon « je te l'avais bien dit ! ». Mais le hacker trouva instantanément une parade.
« C'est mon frère adoptif. Nous partageons les mêmes parents mais pas le même sang. »
Joshua dut faire un effort colossal pour ne pas laisser échapper un « ah bon ? » de sa bouche. Surtout qu'une telle justification semblait satisfaire Yori qui se montrait compréhensif.
Les présentations étant faites, le fondateur de Netlust confia vouloir réparer son système informatique récemment infecté par un puissant virus. Il avait tenté de l'endiguer lui-même mais malgré ses connaissances en la matière, il n'était pas parvenu à s'en défaire et ignorait d'où cette infection provenait.
« Si je ne parviens pas à éliminer ce satané virus, quatre années de ma vie partiront en fumée. Et mon rêve d'une superbe entreprise avec !
— Si ce n'est pas trop indiscret... se risqua Joshua. À quoi aspire votre entreprise ?
— Avec un nom comme Netlust, je suis prêt à parier cinquante euyens qu'il s'agit de la mise en place d'une plate-forme pour visionner du porno.
— Une quoi ? » questionna le brun qui ne comprenait rien au charabia de l'argenté. Yori se contenta de racler sa gorge d'un air gêné en déviant son regard.
« Il s'agit d'un centre indépendant pour former des programmeurs informatiques comme vous.
— Oh. » fit simplement Kei qui se sentait idiot de s'être laissé induire en erreur par une telle appellation. Ce désagréable sentiment s'accentua lorsqu'il vit Yori lui tendre un petit appareil possédant un scanner de la taille d'une carte, avec un petit écran au-dessus qui affichait cinquante euyens. Kei poussa un soupir avant de payer cette somme avec une carte électronique qu'il passa sur le scanner, avant de poser son doigt sur celui-ci pour une vérification d'empreinte digitale.
Ça m'apprendra à être trop confiant en pariant sur tout et n'importe quoi...
Il sentit la main de Yori lui tapoter l'épaule en guise de compassion suite à cela, pendant que Joshua s'interrogeait encore sur la signification d'un porno.
Après cet échange, le patron de Netlust confia son ordinateur à Kei et à Joshua, avant de quitter son bureau pour passer quelques appels. Le hacker s'installa devant l'appareil en faisant craquer ses phalanges. Le brun rapprocha un siège pour prendre place à ses côtés et observa son compagnon à l'œuvre. Avec un calme toujours aussi déconcertant lorsqu'il pratiquait cette activité, Kei navigua à travers les fichiers, dossiers et logiciels de Yori. Il fut surpris de voir que ce dernier était tout de même parvenu à limiter la casse en stoppant la propagation du virus, l'empêchant d'envahir tout son système. Malheureusement, certains documents et programmes étaient plus ou moins endommagés. L’infection visait en particulier ceux en rapport avec Netlust. Comme s'il cherchait à ce que cette start-up ne voit jamais le jour.
« Ça, c'est carrément suspect... murmura-t-il en réfléchissant à un moyen de remédier à un tel problème.
— Désolé de ne pas pouvoir t'aider, je ne comprends même pas ce que signifie tout ce que tu es en train de faire.
— Je pense pouvoir m'en sortir tout seul. Pour tout te dire, ce n'est pas la première fois que j'ai affaire à ce genre de cyberattaque. D'ailleurs, j'ai ma petite idée sur les personnes qui en sont responsables. »
Kei fouilla dans la poche de son pantalon pour en sortir une clé USB de la taille d'un auriculaire, et le connecta à l'une des prises de l'ordinateur pourvu à cet effet.
« Ça risque de me prendre un peu de temps pour arranger ce bordel. J'espère que tu ne t'ennuieras pas trop !
— Juste, fais ce que tu as à faire, répliqua Joshua en regardant à travers une vitre proche. Yori semble tenir à son projet. Alors qu'est-ce qu'on s'en fiche que je m'ennuie, si ça permet de l'aider ? »
Son interlocuteur ne put s'empêcher de le fixer un instant, tandis que son cadet n'avait d'yeux que pour la fenêtre. Puis il se concentra à nouveau dans son opération.
« Tu m'as l'air d'être un mec bien, malgré ton ignorance sur certaines choses. Beaucoup disent des primitifs qu'ils ont un tempérament sauvage et violent en plus d'être égoïste et stupides. Tu as peut-être des réactions un peu sauvages et on ne peut pas dire que tu sois très malin. Mais tu sembles loin d'être égoïste et violent. »
Le concerné ignorait s'il devait se sentir vexé ou ravi. Le fait que les habitants de Neo-Tokyo aient une aussi mauvaise image des personnes vivant en dehors l'énervait au plus haut point. Mais savoir qu'il existait des gens comme Kei, suffisamment ouverts d'esprit pour comprendre qu'une telle vision était erronée, lui donnait un soupçon d'espoir. Si d'autres Neo-Tokyoïtes raisonnaient comme lui, alors peut-être que cette mégalopole n'était pas totalement corrompue par son luxe et sa technologie.
*
Quelques heures passèrent avant que Kei n'étire enfin ses bras. Il venait de terminer son travail : plus l'ombre d'un virus et plusieurs logiciels discrets et complémentaires installés, pour prévenir d'une potentielle autre cyberattaque. En remarquant que Joshua s'était endormi sur sa chaise, il lui donna un petit coup de coude au bras pour le réveiller. Le brun prit quelques secondes pour émerger complètement.
« T'as fini ?
— À l'instant. Ça s'est révélé plus compliqué que prévu parce qu'une nouvelle vague de virus a tenté d'infecter d'autres fichiers entre temps. Mais j'ai réussi à la bloquer. Par contre, cette méthode d'enflure, c'est clairement signé la Kai-Riu.
— Sérieux ? s'étonna Joshua, un sourcil haussé. Mais pourquoi la Kai-Riu s'attaquerait-elle à une autre entreprise qui n'a même pas encore vu le jour ?
— Elle a voulu tuer Netlust dans l'œuf, probablement par crainte qu'elle gagne en popularité ou qu'elle lui porte préjudice. Après tout, une start-up informatique indépendante pour former des programmeurs peut représenter un danger pour la Kai-Riu, si les programmeurs en question souhaitent s'en prendre à elle. Et ce, même si ce n'est pas spécialement l'objectif de Yori.
— Si la Kai-Riu est capable de faire détruire des villages entiers en dehors de Neo-Tokyo, ce genre de coup bas ne me surprend pas d'elle. »
Le brun dévia son regard, envahi d’une profonde rage. Plus les jours passaient, moins il supportait l'existence de cette firme affluente. Il rêvait du jour où il rencontrerait ses fondateurs pour les rouer de coups, comme le gang Masamune l'avait fait avec lui, et leur faire payer tout le mal qu'ils avaient fait.
Kei remarqua son tourment et réfléchit à une parole réconfortante pour calmer sa haine. Mais ils entendirent tout à coup du grabuge dans l'une des salles adjacentes, suivi de plaintes souffrantes de Yori. Ni une ni deux, les deux hommes se précipitèrent en dehors du bureau. Mais leurs yeux s'écarquillèrent en découvrant quatre voyous, membres du gang Masamune, en train de martyriser le créateur de Netlust. Ils étaient entrés dans les locaux en défonçant la porte et n'avaient pas hésité à briser certaines vitres et à mettre l'intérieur sens dessus dessous.
Yori finit recroquevillé dans un coin alors que les délinquants se tournaient vers les deux nouveaux venus.
« On dirait que cette tapette de Yori a des employés ! se moqua l'un des intrus avant de cracher sur le sol carrelé.
— Autant leur faire leur fête, avant de jeter leur cadavre par la fenêtre pour qu'ils s'écrasent au niveau 0 ! » proposa un autre pendant que les autres approuvaient. Face au danger imminent, Kei passa devant Joshua pour faire face à la bande.
« Occupe-toi de Yori ! Je me charge de ces enfoirés. »
Mais contre toute attente, Joshua se plaça à ses côtés, prêt à en découdre également.
« On est deux, ils sont quatre. On aura plus de chances de s'en débarrasser en faisant équipe. Et puis j'ai une revanche personnelle à prendre sur les Masamune. »
Une telle justification pouvait s'entendre, mais ferait-il le poids face à des hommes aussi vicieux qui, en plus, pouvaient être armés ? Kei n'eut pas le temps de dissuader Joshua que les quatre voyous fonçaient déjà en leur direction, sous l'air effrayé de Yori.