« Pourquoi la vie est-elle si difficile ? »
C'est censé être une épreuve tordue pour voir combien de temps on tiendra avant de s'effondrer ? Un jeu cruel dont on ne connaît ni les règles, ni la fin ?
Je n'en peux plus. Je suis fatiguée d'essayer, fatiguée d'avancer sur un chemin sans fin, dont j'ignore la destination. Comme si je marchais dans le vide, sans repère, sans but.
Et celle qui, autrefois, répondait à mes questions... celle qui éclairait ma route, ma lumière dans l'obscurité... elle n'est plus là.
Ma joie de vivre.
Maman...,
Elle m'a quittée il y a deux semaines, après des années de combat contre sa maladie. Malgré la distance, malgré le fait que je ne la voyais pas souvent après son divorce avec mon père quand j'avais six ans... elle était toujours là, quelque part.
Elle avait quitté la Russie pour retourner au Vietnam, auprès de sa famille. Mes parents avaient décidé que je resterais avec mon père pour étudier et que je passerais mes vacances avec elle. C'était un compromis. Pas parfait, mais au moins, je ne les perdais pas complètement.
J'étais heureuse, malgré tout. Au moins, je pouvais encore les appeler « maman » et « papa ». Au moins, nous n'étions pas des étrangers.
Mais maintenant...
Un grésillement désagréable brise le fil de mes pensées, suivi de la voix de l'hôtesse de l'air qui résonne dans les haut-parleurs de l'avion :
_« Mesdames et messieurs, nous amorçons notre descente vers l'aéroport de Moscou-Cheremetievo. Veuillez attacher vos ceintures. »
Je sursaute légèrement, ramenée brutalement à la réalité.
C'est fini.
Le Vietnam, la chaleur familière, les rires de ma famille maternelle, l'odeur du thé au jasmin que préparait grand-mère... tout est derrière moi maintenant. Ce n'était pas une simple visite cette fois.
J'étais partie dire adieu.
Il ne reste plus rien, à part une tombe fraîchement recouverte de terre.
Un frisson me traverse. Je serre mes bras autour de moi, mais ce n'est pas le froid. C'est ce vide qui s'étire en moi, ce poids qui m'écrase la poitrine.
Dans quelques minutes, je serai de retour en Russie. Chez moi, en théorie.
******
Après avoir récupéré mes valises, j'aperçois mon père au loin. Il m'attend, le regard posé sur moi. Lorsqu'il me voit, il me sourit et ouvre les bras. Sans réfléchir, je cours vers lui et me blottis contre lui. La chaleur familière de son étreinte me réconforte un instant. Il embrasse mon front et caresse mes cheveux, comme à chaque retour.
- « Bienvenue à toi, ma princesse. J'espère que tu as passé un bon voyage. » dit-il avec un sourire forcé.
Je le regarde, et je comprends ce regard, ce sourire... Même s'il a divorcé avec ma mère, il était toujours amoureux d'elle. Le jour où nous avons reçu l'appel annonçant la nouvelle, il était plus que dévasté. Il n'a pas pu venir, prétextant le travail... mais je sais qu'il y avait autre chose.
- « Oui... et aussi, l'enterrement s'est bien passé. » dis-je en quittant ses bras.
- « Rayne et si on rentrait ? » propose-t-il en mettant mes valises dans le coffre de la voiture.
Je monte à bord et pose ma tête contre la vitre. Sans un mot, j'enfile mes écouteurs et lance la musique qui me permet de plonger dans mes pensées, loin de la réalité. Parce que oui... je suis ce genre de personne qui vit dans sa propre bulle, dans son propre monde.
Le trajet passe sans un mot.
Une fois arrivés, je descends de la voiture, suivie de mon père qui porte mes valises. Nous rentrons dans la maison, et il les fait monter à l'étage.
_ « Merci, papa. » dis-je en commençant a ranger mes affaires.
_« Bon je descend préparer le dîner, je te laisse ranger. » il sort de la chambre, me laissant seule .
Je termine rapidement et prépare des vêtements pour me changer après une bonne douche bien méritée. Je cours vers la salle de bain et, après trente minutes sous l'eau chaude, je sors, m'habille, sèche mes longs cheveux et me parfume légèrement.
-« Rayna, le dîner et prêt! »crie mon père depuis le rez-de-chaussée
Je sors de la salle de bain et je me dirige vers la salle à manger, Je descends lentement les escaliers, sentant l'odeur du plat flotter dans l'air. Un mélange de saveurs familières qui, d'ordinaire, m'aurait fait sourire.
Mon père est déjà à table, posant une assiette devant ma chaise avec un sourire tendre.
« Viens t'asseoir, ma princesse. J'ai préparé ton plat préféré. »
Je m'assieds sans un mot, prenant ma fourchette. Devant moi, un repas préparé avec soin, comme d'habitude.
« Merci, papa. » dis-je doucement avant de commencer à manger son plat,c'est un vrai chef cuisto.
Il me regarde discrètement, son sourire toujours là.
_« Je vais faire un tour au restaurant demain. » m'annoncet-il
Je lève la tête pour le regarder, même après son divorce avec ma mère, il a continué à s'occuper de son restaurant, celui qu'elle chérissait tant. Comme elle ne pouvait plus le gérer après son départ au Vietnam, il avait pris les choses en main, par amour pour elle, tout en jonglant avec la gestion de son showroom automobile, et je le remercie pour çà.
_« D'accord je viens avec toi alors et je... »
_« Non, toi tu te repose dans la maison comme c'est les vacances, ou même vas sortir avec tes copines ça te fera du bien ma fille. » dit-il en me coupant la parole.
_« D'accord..., mais ne te fatigue pas trop, je sais que c'est une charge pour toi. »
_« Ne t'inquiète pas, je peux m'occuper du restaurant au même temps que le showroom. Et puis j'ai Jack qui m'aide avec le showroom. » dit-il en me fessant un clin d'œil.
Après avoir terminé de manger, nous débarrassons la table ensemble dans la bonne humeur. Je lui souhaite une bonne nuit et monte ensuite à l'étage. Après m'être rapidement brossé les dents, je me laisse tomber sur mon lit.
L'épuisement m'envahit aussitôt, mais le sommeil, lui, tarde à venir. Mon esprit est encore trop bruyant, trop encombré de souvenirs et de pensées.
Je fixe le plafond, écoutant le silence de la maison. Un silence bien trop pesant, qui me fait paniquer. Mes pensées prennent une tournure négative, et ça me stresse. Mon cœur s'emballe, ma respiration devient plus courte.
Alors, pour ne pas sombrer, je me lève et attrape un cahier sur ma table de nuit, ainsi qu'un stylo. L'écriture m'apaise, elle m'aide à mettre de l'ordre dans mon esprit.
L'écriture est ma porte de secours, celle qui me permet d'échapper à la dure réalité et d'entrer dans mon propre monde. C'est un véritable soulagement, un baume sur mes angoisses.
Je ne sais pas combien de temps je passe à écrire, mais peu à peu, mon corps se relâche, mes paupières s'alourdissent. Lorsque le sommeil finit par me rattraper, je pose mon cahier, me couche et ferme enfin les yeux.
****
Mes pieds martèlent le pavé détrempé, soulevant des éclaboussures d'eau sale qui ruissellent sur mes jambes. L'air est glacial, chargé de l'odeur âcre de la pluie mêlée à celle des détritus qui s'entassent contre les murs décrépits.
Je cours.
Je ne sais pas où je vais.
Je sais seulement que je dois fuir.
Les immeubles délabrés se dressent autour de moi, sombres, oppressants, comme si la ruelle se resserrait à chaque pas. Devant, il n'y a qu'une lueur tremblotante, celle d'un lampadaire vacillant au bout de l'allée.
Derrière moi, un bruit.
Des pas.
Lourds. Lents. Implacables.
Je ne veux pas me retourner.
Je ne veux pas voir.
Mais mon corps trahit ma volonté.
Je jette un regard par-dessus mon épaule...
Et je le vois.
Sa silhouette se découpe dans l'ombre, massive et menaçante. Il ne court pas. Il n'a pas besoin de courir. Son pas est mesuré, assuré, celui d'un prédateur qui sait que sa proie n'a nulle part où aller.
Mon souffle se bloque.
Une vague de froid me traverse, me pétrifie.
Lui.
Je le reconnais.
Il est toujours là, tapi dans l'obscurité de mes nuits, hantant mes pensées, traquant le moindre de mes mouvements. Il n'a jamais eu besoin de parler. Son regard suffit à m'écraser.
Mais cette fois, il parle.
- « Rayna... » Sa voix racle l'air comme une lame effilée.
Un frisson me transperce.
Je veux crier, mais aucun son ne franchit mes lèvres tremblantes.
Je veux courir, mais mes jambes deviennent lourdes, ankylosées, comme si le sol lui-même cherchait à m'engloutir.
Et lui...
Il s'approche.
Toujours plus proche. Toujours plus menaçant.
Soudain, l'air se déchire d'un bruit sourd.
Un craquement brutal.
Avant même que je puisse réagir, une main surgit de l'ombre et s'abat sur moi.
Ses doigts froids et puissants enserrent ma gorge.
Je suffoque.
Mes poumons brûlent, ma vision vacille. Mes mains agrippent son poignet, tentent de desserrer son emprise. En vain.
Mes pieds quittent le sol.
Je me débats, frappant, griffant, luttant de toutes mes forces.
Mais lui ne bouge pas.
Il ne faiblit pas.
Son visage émerge de l'obscurité.
Froid. Impassible.
Ses yeux... Ils ne brillent pas. Ils avalent la lumière. Deux abysses sans fond, prêts à me happer tout entière.
-« Tu ne peux pas m'échapper, Rayna. »