Le lendemain vint enfin, et l’homme était encore là, prenant son rôle de protection très au sérieux, même s’il ne laissait rien paraître.
— Oh, vous ne m’avez pas dit votre nom…
soufflai-je en donnant sa bouillie à Seraphina, qui s’agitait de plus en plus à la vue de l’homme. Tu aimes les beaux garçons, hein toi ? Moi aussi, moi aussi.
— Ce n’est pas si important.
— Si, ça l’est ,Très bien, je commence : je m’appelle Faylin. Tu peux m’appeler Fay, Fay-Fay, Fayli ou encore Faylinou, mais je dois avouer que je n’aime pas trop la dernière option, alors appelle-moi juste…
— Ingrid.
Ingrid. Il avait dramatiquement le même nom que le dragon vénéré dans mon royaume, Ingrid, le dragon aux flammes noires.
— Dites, Ingrid, vous êtes un sorcier ? Parce que le sort d’hier…
Il me regarda de ses pupilles rouges. Tiens, c’est intense.
— C’était de la magie.
Mais tout le monde sait qu’il n’y a plus de magiciens depuis des siècles… Je ne crois pourtant pas qu’il mente.
— Alors ce jour-là, vous ne m’avez pas menti.Mais c’est incroyable ! Vous devez être le seul magicien, ou alors, il y en a d’autres comme vous ?
Il se raidit complètement et se leva presque immédiatement.
— Tu parles beaucoup trop, ça me fatigue.
— A-attendez !
Il avait disparu, mais la dernière expression qu’il avait faite m’inquiétait. Suis-je allée trop loin ? Il a des pouvoirs extraordinaires, alors pourquoi était-il autant blessé la dernière fois ? Qui l’a amoché à ce point ? Ou quoi ? À chaque fois que je le rencontre, il laisse plein d’interrogations derrière lui.
J’aurais dû essayer d’en savoir plus sur les ombres. Ils n’avaient rien à voir avec ceux ayant détruit le continent. Ceux de chez nous ressemblaient plutôt à un énorme nuage noir détruisant absolument tout sur son passage. Tout. Laissant mon père et mes frères, mes fidèles chevaliers, mourir pour sauver leur peuple en vain.
Une larme s’échappa de mes yeux, sans que je puisse l’empêcher. Seraphina me regarda, comme pour essayer de me réconforter. Je n’ai pas à pleurer devant toi. Tu as aussi perdu ta famille… Il ne nous reste que nous deux, l’une pour l’autre.
Plusieurs mois étaient passés depuis le drame. Le prince avait mobilisé des gardes pour renforcer la sécurité au village et dans les alentours. Les dégâts avaient été réparés, et un hommage avait été rendu aux victimes.
Les habitants reprenaient petit à petit leur mode de vie. Et moi, dans tout ça ? Eh bien, j’ai trouvé du travail !
Il se trouve que Yvira dirigeait une petite boulangerie. Comme elle se faisait assez vieille, elle avait besoin d’une personne pour l’aider. De plus, j’ai le droit de ramener Seraphina avec moi.
J’avais déjà pris ma pause et je discutais avec Yvira. Seraphina, qui, depuis peu, avait commencé à faire du quatre pattes, n’arrêtait pas de faire des allers-retours dans la boulangerie. Elle avait bien grandi ces derniers mois, et ses premières dents avaient même commencé à pousser ! J’attends juste qu’elle dise ses premiers mots, et je serai au comble du bonheur !
— Oh oh, je suis si contente de travailler avec toi, Faylin. Tu sais, je te considère comme ma fille… Oh, je t’ai déjà dit que tu ressemblais beaucoup à ma fille ? Qui est maintenant décédée… Oh, mon pauvre bébé.
Madame Yvira se perdait souvent dans ses pensées. C’était une habitude, mais ce n’était pas la première fois que ça arrivait, même si maintenant, je dois avouer que cela est plus que fréquent.
— J’en suis honorée, Yvira…
Ce monde est vraiment injuste. Trop de personnes ont perdu des êtres chers. Beaucoup trop.
— Que diriez-vous de me prendre les mains ?
Je faisais cela pour lui infuser un peu de mon énergie de lumière. Mon pouvoir a des compétences incroyables de guérison, mais ne peut rien faire contre le vieillissement. Rien. En prenant sa main, je peux sentir qu’il ne lui reste que quelques années au plus de vie. Je perdrai encore quelqu’un qui m’est précieux… Le peu que je puisse faire, c’est lui donner de ma lumière pour qu’elle se sente mieux.
— Oh, Faylin, à chaque fois que je prends tes mains, j’ai l’impression de recevoir une bénédiction des dieux. Merci.
Elle me regarda avec un sourire sincère, et je ne pus m’empêcher de me sentir mal. Je ne fais que vous soulager de votre douleur.
Seraphina nous détourna de notre discussion en renversant un pot de farine par terre. Je me disais bien qu’elle était trop calme !
On devait encore faire des madeleines, mais je pense qu’il nous manquera un élément important : la farine…
Seraphina s’amusait dans sa bêtise, et je courus la prendre avant qu’elle ne mange la farine.
— oh, ce n’est rien… Mais peux-tu aller acheter de la farine ? Hum, oh, je crois qu’on n’en a plus en stock…
Effectivement, on n’en avait plus.
— J’y vais, je vous laisse cette petite fripouille entre vos mains.
Dis-je en prenant mon sac.
Je suis arrivée chez notre fournisseur de farine, et je me suis rendu compte qu’ils avaient augmenté, à ma grande surprise, les prix !
— Deux pièces de cuivre de plus, sérieusement ?! Vous ne trouvez pas que c’est un peu abusé ?
Le vendeur me regarda avec ennui et cracha :
— Bah, c’est comme ça, ma petite dame. L’inflation, tu connais ? En plus de ça, je t’ai fait un bon prix. Mes voisins le vendent plus cher.
— Rah ! Vraiment, vous ne pouvez pas le laisser au prix habituel ? J’ai que la somme que vous demandez sur moi ! Comment je ferais, moi, pour rentrer avec le transport ?
— Alors, c’est à prendre ou à laisser ! Humph.
Sale vioque. J’abdiquai et lui donnai mes dernières quatre pièces de cuivre restantes.
Le sac de farine était grand, mais ce n’est pas grave. Avec un peu de courage, j’y arriverais ! Et la boulangerie n’est pas si loin d’ici, n’est-ce pas ?
J’avais réussi, par miracle, à prendre le sac, mais je n’arrivais à rien voir. J’ai bousculé quelqu’un en me retournant, sans faire attention, et je me suis retrouvée sur cette personne, par terre, avec le sac de farine qui c’était renversés sur nous.
Oh zut ..
— Je crois bien que je suis tombé amoureux…