CHAPITRE 1
Ses vêtements se déchiraient sous l’assaut impitoyable des branches, leurs griffes invisibles lacérant sa peau déjà meurtrie. Chaque pas était un calvaire, une lutte désespérée contre une terre hostile qui semblait vouloir l’engloutir. Il trébuchait sur des racines perfides, s’écorchait aux ronces avides, et chaque pierre sous son pied ajoutait à la douleur grandissante. Il aurait voulu ralentir, reprendre son souffle, mais le danger était trop proche. La forêt autour de lui n’était pas un simple amas d’arbres et de feuillages. Elle était vivante, oppressante, une entité sombre et affamée. Elle bruissait d’un murmure sinistre, comme si elle chuchotait aux ombres qui s’y tapissaient. Une brume rampante s’insinuait entre les troncs, étouffant la clarté de la lune. Il savait que s’arrêter signifierait mourir. Son flanc brûlait d’une douleur vive. Il baissa brièvement les yeux : une longue estafilade rouge sang s’étirait sur son côté, poisseuse, implacable. Une branche l’avait frappé lorsqu’il s’était élancé sans réfléchir, mais il n’avait pas le temps de s’attarder sur la blessure. À cet instant, la douleur importait peu. Ce n’était rien comparé à l’idée que, s’il ralentissait, il mourrait. Sa respiration devenait erratique. Un goût métallique emplissait sa bouche.
Depuis combien de temps courait-il ? Ses souvenirs lui échappaient, s’effilochaient comme une étoffe trop usée. Il était perdu dans cet enfer végétal, une proie égarée dans le territoire du chasseur. Il trébucha sur une souche cachée sous un tapis de feuilles mortes et s’écrasa face contre terre, la bouche pleine de terre et de débris végétaux. La panique le saisit, lui enserrant la gorge comme une main glaciale. Se relever. Tout de suite. Il n’avait pas le droit à l’erreur. Il roula sur le côté, ignorant les protestations de son corps, et rampa quelques secondes avant de se hisser difficilement sur ses jambes tremblantes. Le silence était total. Trop total. Plus de bruissements, plus de craquements. Juste un vide oppressant. Puis un son, infime, derrière lui. Un souffle. Son cœur rata un battement. Il ne réfléchit pas. Il bondit en avant, heurtant une barrière de buissons épineux. Les ronces s’agrippèrent à lui, écorchèrent ses bras et ses jambes, mais il s’y jeta sans hésitation, ignorant la douleur. Il étouffa un gémissement en se recroquevillant derrière le rideau végétal. Son souffle, oppressé, résonnait comme un tambour de guerre dans son crâne. Rester calme. Ses paupières se fermèrent un instant. Dans le chaos de son esprit, un souvenir jaillit brutalement, aussi net qu’un coup de couteau. Un coffre. Le claquement sec du métal lorsqu’il s’était refermé sur lui. L’obscurité totale. L’odeur suffocante d’essence. Puis un bar. Un endroit tamisé, la chaleur des néons colorés, le parfum ambré des alcools bon marché. Un rire cristallin. Une femme. Ses cheveux tombaient en cascade sur ses épaules, ses lèvres s’étiraient en un sourire. Kathy ? Était-ce son nom ? Il n’était plus sûr de rien. L’image était floue, comme un rêve trop parfait, un mirage mensonger. Un autre souvenir surgit, brutal. Un espace confiné. Sombre. Il est balloté mais ne peut pas bouger. Ou est-il ? Le bruit d’un moteur. Il est dans le coffre d’une voiture. Elle freine brusquement. L’air glacé de la nuit qui s’engouffre lorsque le coffre s’ouvre. Des mains puissantes qui l’agrippent, le tirent dehors. Son corps s’écrase contre le sol, un sol froid et humide. La boue imbibe ses vêtements. Ses poignets entravés, la brûlure des cordes sur sa peau. Un coup de pied en pleine tête. Une explosion de douleur. Une étoile noire jaillissant dans son champ de vision. Il aurait voulu hurler, mais un bâillon l’étranglait. Puis un son. Aussi glaçant qu’une sentence. Un clic métallique. Le bruit sec et implacable d’une arme que l’on charge. Un instant de silence. Suffocant. Puis une voix. Froide. Mécanique. Dépourvue d’émotion.
— Dix minutes.
Et le tic-tac d’un minuteur. Une frénésie animale s’était emparée de lui à cet instant. Il ne savait pas pourquoi son bourreau lui laissait une chance. Était-ce un jeu sadique ? Une vengeance tordue ? Un simple plaisir morbide ? Neuf minutes.
Le compte à rebours l’avait arraché à sa stupeur. Il s’était relevé, avait couru. L’instinct avait pris le relais. Ne pas réfléchir. Ne pas s’arrêter. Survivre. Mais l’espoir s’effilochait à chaque pas. Ses muscles brûlaient, sa vision s’embrouillait. La forêt, elle, semblait infinie. Un labyrinthe oppressant.
Et derrière lui, le chasseur avançait. Lentement. Sûrement. Il n’avait pas besoin de courir. Le temps ferait son œuvre. Et bientôt, les dix minutes seraient écoulées