Silverbrook
08h30
☾⋆✵⋆☽
— Dans les âges reculés, une prophétie oubliée des mortels annonçait l'avènement d'une enfant née sous le signe de la lune déclinante, marquée dès sa naissance par une affliction du cœur. Cette enfant, frêle en apparence, porterait en elle le pouvoir de sceller le destin des « Anciens », ces entités primordiales qui régnaient sur les ténèbres et les mystères du monde. Étrange, tu ne trouves pas ? conclut Iris en refermant le livre qu'elle vient de ramener de la bibliothèque de la fac.
— Hum, réponds-je simplement en m'adossant contre mon lit tout en m'aventurant sur les réseaux sociaux.
— Tu m'écoutes ? râle ma meilleure amie.
— Hum.
— Aveline !
— Quoi ? m'ennuyé-je en rencontrant ses yeux bruns.
Ses cheveux blonds sont attachés en queue de cheval, relevant encore plus ses taches de rousseur. Iris porte un jean bleu foncé qui se marie parfaitement avec son haut rose bonbon trahissant sa joie de vivre.
— Tu ne trouves pas ça bizarre, cette prophétie ? me demande-t-elle sérieusement.
Vous voyez ce genre de fille qui croit au surnaturel, aux fantômes, ou encore aux vampires et loups-garous ? Eh bien, Iris Voss est ce genre de fille. Ne me demandez même pas comment on est devenues amies. Mais quand j'étais au plus bas avec ma maladie, elle et ma mère étaient les seules à être là pour moi.
Et vous allez me dire : mais où est ton père ? Eh bien, je ne l'ai jamais connu, alors pour moi, il est mort.
C'est triste ou exagéré ?
— Ne me dis pas que tu y crois ?
Je ne comprends jamais ces personnes qui croient aux entités mystiques. C'est du n'importe quoi, ce truc.
— Pas toi ? me retourne-t-elle la question.
— Sincèrement, Iris, je crois que tu devrais arrêter avec toutes ces histoires qui n'ont ni queue ni tête. Les « Primordiaux » ? Les ténèbres ? Vraiment ? Et puis quoi encore ?
— Aveline...
— Quoi ? lui criai-je presque.
Chanel me regarde étrangement, en fronçant les sourcils d'une manière interrogatrice.
— Hein ? Mais je ne t'ai pas appelée.
— Arrête, ce n'est pas drôle, m'énervai-je.
— Mais je te le jure ! m'assure-t-elle.
— Aveline ..., entendis-je encore une fois.
Les lèvres d'Iris n'ont pas bougé, ses yeux me fixent comme si j'étais folle.
— Ça va ? s'inquiète-t-elle. Elle est de retour ?
Je sais de quoi elle parle : ma maladie.
Je suis un enfant bleu. En termes médicaux, cela veut dire que j'ai une malformation cardiaque depuis ma naissance.
À ma connaissance, j'ai pratiquement vécu à l'hôpital. Mais depuis douze ans, miraculeusement, comme disent les médecins, je n'ai plus eu de crises. Je ne crois pas que ce soit dû à un miracle.
Je ne crois ni aux miracles, ni au destin, ni aux prophéties d'ailleurs. Je crois ce que je vois, et non ce que j'entends.
Quelles sont ces voix que j'entends ?
C'est pourtant une voix féminine. Et nous sommes seules ici...
Je regarde autour de moi mais ne vois personne.
Putain, qu'est-ce qui m'arrive ?
— On devrait peut-être y aller, me suggère Iris en voyant que je n'étais pas prête à lui répondre.
Mon attention se porte sur elle, et je la vois se lever pour prendre son sac et sortir de ma chambre.
Oh non, la fac, on va être en retard !
J'accours moi aussi pour prendre mon sac, arrange mes cheveux noirs devant le miroir et remets en place mon collier qui s'était caché sous ma chemise.
Je ne me souviens plus qui me l'a offert,
mais je ne l'ai jamais enlevé depuis.
« Ne l'enlève jamais ».
Cette voix me hante depuis des années. Pourquoi je ne me souviens de rien ?
Je descends les dernières marches de l'escalier pour rejoindre Iris, qui est en train de discuter avec ma mère, et elle se tut dès que j'approche.
Les cheveux bruns de ma mère sont coiffés en chignon haut, exposant plus ses yeux verts et sa peau pâle. Elle porte un tablier bleu sur sa robe blanche fleurie lui apportant plus de touche maternelle derrière son apparence de guerrière.
— Salut maman, la saluai-je.
Les lèvres fines de ma mère s'étirent et elle m'embrasse sur la joue.
— Coucou, ma puce.
Seraphine Holloway m'a élevée seule, moi Aveline Holloway.
C'est une femme forte, indépendante, et incroyablement déterminée. Elle a toujours tout fait pour moi, m'offrant une enfance stable malgré les obstacles. Mais même si elle sait que je ne crains plus rien concernant ma maladie, elle continue de me couver comme si j'étais faite de verre.
C'est... épuisant, parfois. Je sais que je devrais me sentir chanceuse d'avoir une mère aussi aimante, et je le suis, vraiment. Mais il y a une différence entre être protectrice et être... envahissante. Et elle, elle dépasse souvent la limite. Pas dans le genre « Tu devrais manger plus » ou « Fais attention aux inconnus ».
Non, c'est bien pire.
Ma mère et Iris sont les deux personnes à qui j'ai confiance, ah oui il y a Zane Hale, mon copain.
Fils de la maire de Silverbrook, Ella Hale.
Je l'ai rencontré en première année d'université et ça a été tout de suite le coup de foudre.
— Vous voulez que je vous conduise ? demande-t-elle en nous regardant, les mains posées sur ses hanches, son regard perçant attendant une réponse.
Je pousse un soupir.
— Maman, l'université est à dix minutes à pieds, rétorqué-je en enfilant mon sac sur une épaule.
Elle plisse les yeux, pas convaincue.
— Oui, mais tu ne devrais pas faire trop d'efforts, Aveline.
Vous voyez ce que je veux dire ?
Je lui offre un sourire qui se veut rassurant, espérant clore la discussion avant qu'elle ne s'éternise.
— Je vais bien, maman. On doit y aller, la rassuré-je en déposant un rapide baiser sur sa joue.
Elle hésite, ouvre la bouche comme si elle voulait ajouter quelque chose, puis abandonne en poussant un léger soupir.
— Okay, okay, je vois. Passez une bonne journée, finit-elle par dire, bien qu'un pli soucieux barre toujours son front.
Avant qu'elle ne change d'avis et insiste encore, je tourne les talons et m'éloigne avec Iris. L'air du matin est frais, vivifiant. On marche d'un pas rapide, et je sens déjà la tension retomber.
— Ta mère est toujours aussi protectrice, commente ma meilleure amie avec un sourire amusé.
— Dis plutôt qu'elle est paranoïaque, soufflé-je en secouant la tête.
Mais au fond, je sais que c'est son amour qui parle.
☾⋆✵⋆☽
— Non mais, et si elle disait vrai, cette prophétie ? recommence Iris, incapable de lâcher l'affaire alors que nous franchissons les grandes portes en fer forgé de la seule université de Silverbrook.
Je soupire, levant les yeux au ciel. L'architecture gothique imposante du bâtiment se dresse devant nous, ses tours de pierre semblant toucher le ciel grisâtre. Et au centre de la grande porte de l'université, se trouve les symbolesdes cinq éléments des familles fondatrices.
Les Hale pour le Feu, les Voss pour l'Eau, les Lockwood pour la Terre, les Ashford pour l'Ombre et les Silverbrook pour l'Ether qui ont respectivement comme symbole : une flamme rouge, une goutte de cristal, un arbre à racine, une lune noir inversé et une lune argentées tous reliés par une cordes scellant le nœud.
À Silverbrook, l'étrange et l'inexplicable font partie du décor. Entre les rumeurs sur la forêt maudite et les légendes de disparitions mystérieuses, il y a toujours quelque chose pour alimenter les esprits curieux - et Iris, elle, en raffole.
— Iris, la prévenai-je, pas d'humeur à ça.
— Juste imagine, insiste-t-elle, ses yeux pétillant d'excitation. Je ne suis pas tombée sur cette lettre par hasard.
Ouais cette stupide prophétie qu'elle a trouvée en feuilletant un vieux livre poussiéreux dans la bibliothèque souterraine de l'université.
Rien que des histoires, évidemment. Cette ville adore se nourrir de secrets et de mystères.
— C'est sans doute un étudiant qui voulait juste s'amuser, rétorquai-je simplement en haussant les épaules.
— Mais, et si...
— Chut, la coupai-je en la poussant doucement vers l'amphithéâtre.
Heureusement, le professeur n'est pas encore là. Quelques étudiants sont déjà installés, certains discutent à voix basse, d'autres relisent nerveusement leurs notes. L'air est chargé de cette tension familière d'avant le début du cours. Moi et Iris étudions la littérature anglaise, et on passe presque tous nos cours ensemble - un vrai miracle, vu nos tempéraments opposés.
Mais la seule chose à laquelle on peut être d'accords c'est sur la lecture et l'étude des arts.
Alors que je m'installe, une chaleur soudaine me gagne quand deux bras familiers s'enroulent autour de mes hanches. Une voix grave murmure à mon oreille :
— Salut, toi...
Zane.
Un sourire incontrôlable étire mes lèvres tandis que je me retourne pour plonger dans ses yeux noisette. Ses cheveux blonds effleurent
son front, et son parfum boisé m'enveloppe comme une seconde peau.
— Hey, le saluai-je doucement.
Il m'embrasse sans attendre, un baiser à la fois doux et possessif, jusqu'à ce que ma meilleure amie se racle bruyamment la gorge derrière nous.
— Hé, je suis là, hein !
Zane grogne légèrement avant de s'écarter, clairement contrarié d'être interrompu.
— Toujours aussi chiante, commente-t-il agressivement, ce qui n'est pas de ses habitudes.
— Toujours aussi connard, réplique Iris, un sourire malicieux aux lèvres.
Elle ne l'aime pas. Ça a toujours été comme ça, depuis le début. Moi, je vois le capitaine de basket ball qui m'a fait chavirer en première année. Mais elle, elle ne voit qu'un mec arrogant avec un égo surdimensionné. Mais leur hostilité envers l'un et l'autre remonte à bien longtemps.
La haine entre les Hales et les Voss remonte à bien plus qu'un simple conflit de territoire ou de fierté. Elle est inscrite dans les racines mêmes de Silverbrook.
Les deux familles, respectivement liées au Feu et à l' Eau, ont fondé le ville sur ce que les anciens appelaient un Nœud Élémentaire
Malgré tout, Iris fait un effort pour le supporter - pour moi - et je lui en suis reconnaissante.
— Tu ne comptes toujours pas enlever cette horreur ? demande soudain Zane, brisant mes pensées.
Je fronce les sourcils, confuse, jusqu'à ce que je remarque qu'il fixe mon collier en forme de lune et m on cœur rate un battement.
— Quoi ? Tu ne l'aimes pas ? m'étonnai-je, portant instinctivement une main au pendentif argenté.
Jamais Zane ne m'a fais des remarques sur mon collier.
Jamais.
— Ça fait vieux truc bizarre. Et puis, regarde ce que j'ai pour toi.
Sans attendre, il sort un collier en or brillant, orné de nos initiales entrelacées. Avant même que je puisse répondre, il me le passe autour du cou, remplaçant presque de force l'autre.
— Oh... Merci, dis-je simplement, prise au dépourvu.
Mais au fond de moi, je sais une chose : je ne retirerai pas mon collier en forme de lune.
"Ne l'enlève jamais."
Les mots résonnent dans ma mémoire.
Qui me les a dits déjà ?
Question qui n'aura jamais sa réponse de toute évidence.
Le professeur entre dans l'amphithéâtre, et la salle s'apaise immédiatement. Je me redresse, tentant de me concentrer. À mes côtés, Zane se penche à nouveau vers moi.
— C'est toujours bon pour ce soir ?
— Ce soir ?
— Ton anniversaire, Ave. On devait aller au Devil's Heaven, me rappelle-t-il.
Je hoche la tête en me forçant à sourire. Le Devil's Heaven. Rien que le nom suffit à faire frissonner la plupart des habitants de Silverbrook. C'est plus qu'un simple bar : c'est un endroit où les secrets circulent aussi librement que l'alcool.
Caché dans les ruelles les plus sombres de la ville, il n'apparaît sur aucune carte officielle. Certains disent qu'il a été construit sur un ancien lieu de rituels, d'autres murmurent qu'on y voit des choses... inhumaines.
— Oui, bien sûr, répondis-je en essayant
d'ignorer le pincement d'appréhension dans ma poitrine.
Silverbrook est pleine de mystères. Et j'ai l'impression que cette nuit, au Devil's Heaven, je vais en découvrir un de plus.
☾⋆✵⋆☽
— Je vais aux toilettes ! hurlai-je à Zane par-dessus la musique qui résonnait dans tout le bar.
Il hoche la tête sans trop me regarder, absorbé par sa bière qu'il fait tourner entre ses doigts. Avec un soupir à peine audible, je descends du tabouret haut où j'étais perchée et pris la direction des toilettes. La foule dense me fait jouer des coudes pour avancer, l'air est chargé de chaleur humaine, d'alcool et de fumée de cigarette qui s'échappe de la terrasse. Pour l'occasion, j'ai opté pour une tenue qui attire les regards : une jupe en cuir noir et un haut au décolleté plongeant.
Je voulais me sentir belle ce soir, confiante... Comme si ça allait changer quelque chose.
Les toilettes sont un peu plus calmes, un havre de répit temporaire. Une lumière blafarde éclaire la pièce, et le miroir fissuré renvoie
mon reflet un peu flou. Après avoir fait ce que j'ai à faire, je me lave les mains machinalement, jetant un coup d'œil rapide à mon visage. Mes joues sont légèrement rosées, sans doute à cause de la chaleur. Je passe de l'eau fraîche sur mon cou, tentant d'apaiser cette sensation d'étouffement qui monte en moi depuis le début de la soirée.
En sortant, mes talons claquent légèrement contre le carrelage du couloir. Le retour au brouhaha ambiant fut brutal. En chemin, je croise plusieurs couples enlacés contre les murs, trop absorbés par leurs baisers passionnés pour prêter attention à mon passage.
Certains vont même au-delà des simples embrassades. J'accélére le pas, le regard fixé droit devant moi, essayant de ne pas m'attarder sur ces scènes. Enfin, je rejoins le bar, ou du moins, ce que je pense être notre endroit. Zane n'y est plus. Je plisse les yeux, cherchant sa silhouette familière au milieu de la foule qui danse sur la piste centrale. Et c'est là que je le vois.Mon cœur rata un battement.
Zane...en train d'embrasser une autre fille. Pas un simple baiser innocent. Non, c'était passionné, presque dévorant. Il a ses mains autour de sa taille, ses doigts s'attardant sur ses hanches comme si c'est la chose la plus naturelle au monde.
Je cligne plusieurs fois des yeux, persuadée que mon esprit me joue un mauvais tour. Mais non. La scène reste figée devant moi, cruellement réelle. Mon souffle devient plus court, mes jambes flageolent légèrement. Une douleur aiguë s'empare de ma poitrine, comme si une main invisible serre mon cœur, lentement mais sûrement.
Je sens les larmes monter, mais je refuse de pleurer ici, devant tout le monde. Mes poings se crispent, mes ongles s'enfonçant dans mes paumes.
Comment a -il pu ? Pourquoi... ? Ces questions tournent en boucle dans ma tête, assourdissant même la musique qui continue de vibrer autour de moi.
Le sentiment que je ressens est inexplicable. Vous savez, le sentiment d'avoir pratiquement tout partagé avec cette personne, jusqu'à prévoir votre futur, mais qu'un beau jour elle vous poignarde dans le dos ? C'est exactement ce que je ressens, mais en bien pire.
Je fais demi-tour sans un mot, fuyant cette vision insoutenable. Mes pas m'éloignent du bar, de la foule, de lui. Je ne sais pas où je vais. Tout ce que je veux, c'est disparaître, me fondre dans l'obscurité de la nuit pour ne plus sentir ce mélange de rage, de douleur et de trahison.
Quand je reprends conscience de mon environnement, tout a changé. Je ne suis plus entourée par le bruit et les lumières artificielles de la ville. Non, maintenant, je me tiens au milieu d'une forêt sombre et oppressante. Les arbres, immenses, forment une voûte dense au-dessus de moi, leurs branches s'agitant légèrement sous l'effet du vent frais de la fin du moins de septembre.
— Bon sang, mais comment je me suis retrouvée ici ?! murmuré-je, ma voix résonnant faiblement dans le silence pesant.
Je fais quelques pas, mes talons s'enfonçant légèrement dans la terre molle. Les ombres dansent autour de moi, et l'air semble chargé d'une tension que je ne parviens pas à définir. Mon cœur bat encore à tout rompre, mais maintenant, ce n'est plus uniquement à cause de Zane. Une angoisse sourde résonne en moi, comme si quelque chose — ou quelqu'un — m'observe.
— Aveline...
Encore cette voix...
— Aveline...
Je pose mes mains sur mes oreilles pour ne plus entendre cette voix étrange.
— Arrêtez ! criai-je pour que ça cesse.
Ça me donne le tournis, je commence à voir flou, tout autour de moi tourne.
Faites que ça s'arrête, par pitié...
C'est insupportable.
Crac.
Je me fige et arrête de respirer. Oh non...
Je me tourne lentement pour identifier la source du bruit et tombe sur ses yeux rouge sang et sa grande gueule pleine de crocs tachés de sang, comme s'il avait déjà dîné et que je serais son dessert.
Cette créature n'est ni loup ni ours, mais plutôt un mélange des deux.
— Gentil toutou, essayai-je de le calmer.
Ne me jugez pas, c'est la seule chose qui m'est venue à l'esprit.
Et avant que je ne comprenne quoi que ce soit, la bête me saute dessus.
☽✯✧✵✧✯☾
Ce n'était que le début... et pourtant, quelque chose se prépare. Tu l'as senti ? 👁️
Donne-moi ton avis, une théorie, une impression ! Ça me booste à fond pour écrire la suite 💥
Et toi, aurais-tu suivi cette voix dans la forêt ? 🌫
Laisse un commentaire pour me dire ce que tu ferais à la place d'Aveline...
Les réponses sont parfois plus sombres qu'on ne le croit.
Merci d'avoir lu ce premier chapitre !
N'hésite pas à liker et à commenter si tu veux m'encourager ou me partager ton ressenti. Ça fait vraiment plaisir 🥰