— Tout va bien ?
Tomy semblait inquiet face au regard incrédule qu’arborait Malo. Ce dernier sembla se reconnecter à la réalité, clignant plusieurs fois des yeux.
— Oui, désolé, j’étais en quelques sortes dans mes pensées. Tu ne portes pas ton full cuir aujourd’hui? tente-t-il de changer de sujet.
— Non, j’étais à la bourre ce matin, j’ai pas trop eu le temps de l’enfiler.
Malo sourit, mais son sourire n’atteignait pas ses yeux. Devait-il dire à Tomy qu’ils se connaissaient déjà plus ou moins ? Ou peut-être se faisait-il des films et ce n’était pas la même personne. Mais entre son prénom et ce tatouage, cela faisait beaucoup de coïncidences pour l’identité d’une seule personne. Et il n’y avait qu’une seule façon d’être fixé.
— Je me demandais…
Tommy reporta son attention sur Malo qui sentit sa pointe de courage diminuer sous le poids de son regard, mais il ne devait pas se dégonfler.
— Ça te dirait qu’on aille boire un verre un de ces jours ? Histoire de discuter ailleurs que sur le periph’.
— Ouais ça pourrait être sympa ! C’est pour ça que tu as l’air tout stressé ? J’vais pas te croquer hein, sourit Tomy en enlevant l’un de ses gants pour saisir son téléphone. Si tu veux tu me donnes ton insta comme ça on voit par message où et quand on se fait ça.
— Carrément !
Les deux jeunes hommes échangèrent donc leur compte respectif et, oh surprise, ils se suivaient déjà. Tomy sembla surpris et fit défiler les publications. A mesure que les photos défilaient, ses yeux s’écarquillaient. Malo, lui, se mordait nerveusement la lèvre en guettant ses réactions.
— Je… Waouh je t’avais pas du tout reconnu je suis désolé ! Je sais même pas quoi te dire, putain je suis sur le cul !
Malo sourit en voyant Tomy être à la fois heureux et perturbé. Au moins les ressentis étaient partagés.
— Si ça peut te rassurer, je ne t’avais pas reconnu non plus, jusqu’à maintenant. C’est l’un de tes tatouages dans le cou qui m’a fait tilté.
Malo se gratta nerveusement la nuque. Il venait de dire qu’il se rappelait de son tatouage. Quel genre de personne se souvient d’un simple dessin encré dans la peau de quelqu’un qu’il n’a jamais réellement rencontré ?
— Ah ouais ? Le quel ?
— Le demi tournesol que tu as à la base du cou.
— Tu as une bonne mémoire, c’est un des premiers que j’ai fait ! Je n’en reviens pas qu’on se rencontre enfin après tant de temps, je te jure je ne vais pas m’en remettre, rit-il en remontant la fermeture de son blouson. On s’écrit ce soir pour se caler un jour pour se voir, ça te va ?
— Nickel ! Sois prudent !
— Toi aussi, et Malo ?
— Oui ?
— C’est vraiment cool, de te voir en vrai.
Les yeux de Tomy, seule zone de son visage visible dans le casque, laissaient transparaître un sourire ému. Malo sourit en retour et le salua du fameux V des motards avant qu’il ne reprenne la route en interfile.
Inconsciemment, Malo sourit en le regardant s’éloigner. Il ne pensait pas que Tomy se rappellerait de lui. Après tout, il n’était encore qu’un adolescent lorsqu’ils ont commencé à échanger des messages sur instagram. Tomy, lui, était déjà un jeune adulte de vingt-deux ans qui avait probablement d’autres chats à fouetter que discuter avec un gamin et pourtant, ils avaient discuter de façon très régulière, tels deux lycéens pendant des mois jusqu’à ce que sa mère découvre qu’il échangeait avec un inconnu et le force à couper tout contact avec lui. Malo lui en avait terriblement voulu bien qu’il comprenne son inquiétude de le voir se faire avoir par un pervers.
Le soir même, Tomy avait écrit à Malo. Ils convinrent d’un rendez-vous directement le lendemain soir après le travail, impatients de pouvoir discuter plus librement et rattraper les cinq années perdues.
Malo était légèrement en retard. La circulation dense avait eu raison de sa volonté à arriver en avance. Être le premier arrivé avait un avantage, celui de ne se poser aucune question quant à la façon de se saluer. Or, Tomy était déjà installé. Devait-il lui serrer la main ? Lui faire un check ou le serrer dans ses bras ? Il n’en n’avait aucune idée et cela le stressait quelque peu. Il poussa la porte du café et soupira en sentant la climatisation rafraîchir la salle.
— Bonjour monsieur, pour une personne ?
Malo regarda la serveuse quelques secondes avant que son regard ne soit attiré par une main secouée en l’air. Tomy était installé dans un coin, sur un pouf géant.
— Bonjour, non je rejoins un ami, il est installé là-bas, sourit-il.
— Je vous laisse vous installer, je viens dans une minute prendre votre commande.
Il hocha la tête et se dirigea vers Tomy, un nœud dans l’estomac. La dernière fois qu’il s’était senti aussi stressé, c’était lorsqu’il avait passé son diplôme. Tomy se releva à son approche et l’attira dans une courte accolade pour le saluer avant de lui indiquer le second pouf pour qu’il s’installe à son tour.
— Trois minutes de plus et tu étais en retard !
— Eh, on a pas tous un engin passe-partout, certains sont obligés de faire la queue !
— Ouch, c’était une attaque personnelle ça.
Tomy grimaçait faussement, une main posée sur le cœur de façon dramatique. Malo sourit. Il l’avait cherché. La serveuse qui avait accueilli Malo plus tôt passa prendre leur commande et un silence gêné s’installa. Tout à coup, dans cette ambiance plus intimiste, discuter semblait bien plus difficile que les semaines précédentes entre les klaxons et les moteurs de véhicules. Où était-ce peut-être le fait de se connaître sans que ce ne soit vraiment le cas.
— Je peux te poser une question ? Malo se lança. Ils étaient là pour discuter pas pour se regarder dans le blanc des yeux.
— Bien-sûr.
— Pourquoi tu as arrêté les vidéos ? Je veux dire, tu avais l’air de t’éclater à filmer tes aventures sur la route et avec ton groupe.
— C’est vrai, je m’amusais énormément. Mais ça me prenait beaucoup de temps et même si j’avais une certaine visibilité sur les réseaux, je ne touchais pas grand chose sur mon investissement donc j’ai commencé à travailler en parallèle et le boulot à grignoter chaque minutes que je voulais garder pour les vidéos et j’ai finalement complètement arrêté.
— Je comprends, ça ne te manque pas des fois ?
— Si, tout le temps. J’aimerai m’y remettre maintenant que j’ai une situation stable mais qui voudrait regarder les vidéos d’un motard presque trentenaire ?
— Moi je les regarderais.
Un sourire illumina le regard ambré de Tomy. Malo avait toujours été investi dans ses vidéos, il commentait toujours, partageait à ses amis et en story. C’était l’abonné modèle, curieux dans le bon sens du terme. Il glanait des informations sur les motos, le permis et l’équipement.
— Et moi, je peux te poser une question ?
— Evidemment !
— C’est un peu délicat et, même si je veux savoir, tu n’es pas obligé de répondre, mais je voulais savoir pourquoi tu avais cessé de me parler du jour au lendemain sans même une explication. Je t’avoues que je me suis vraiment posé beaucoup de questions et je n’ai jamais compris.
Le sourire de Malo s’affaissa quelque peu. Il s’attendait à cette question bien-sûr, mais pas si tôt dans la conversation.
— C’est compliqué à dire sans que ça ne paraisse ridicule… Ma mère est tombée sur notre conversation et elle l’a très mal pris. Pour elle, je me mettais en danger en discutant avec quelqu’un que je ne connaissais pas et surtout parce que j’étais mineur et pas toi. Elle a reconnu que nos conversations n’avaient rien de mal, tu n’étais pas un vilain monsieur en train d’essayer de m’attirer dans ton lit. Mais tu restais un gars de vingt ans passés et moi un gamin de dix-sept ans qui “n’a pas conscience des dangers du monde”. Donc j’ai été puni pendant deux mois et j’ai eu interdiction de te contacter.
— Je la comprends au fond. J’aurai pu te recontacter aussi, plus tard. Mais je ne savais pas trop quoi dire.
— Moi non plus.
Un nouveau silence prit place. Mais celui-ci n’avait pas le même goût que le précédent. C’était un silence nécessaire, pour assimiler ce qui venait d’être avoué.