Personne ne te parle comme ça
Mao
Assis sur un banc de la cour avec quelques copains, nous discutons des derniers ragots du bahut. Lucas et Hugo me taquinent au sujet de la nouvelle élève qui vient d'arriver dans notre classe. Selon eux, elle me regarde sans arrêt en cours, sauf que je ne l'ai jamais vue faire et je suis certain qu'ils prêchent le faux pour savoir si elle me plaît.
Soudain, une voix féminine hurle mon prénom, notre conversation s'interrompt brusquement et je scrute les alentours à la recherche de la source du cri. Très vite, j'aperçois une blonde courir vers nous. Alerté par la détresse que je décèle sur son visage, je me lève rapidement et m'approche d'elle. Hors d'haleine, elle s'arrête devant moi et essaie de reprendre sa respiration. Instinctivement, je cherche Camila, notre meilleure amie, mais Iris est seule et je m'alarme aussitôt.
— C'est Cam... souffle-t-elle.
— Où elle est ? m'informé-je, un brin affolé.
Elle se redresse et m'apprend que Camila a avoué ses sentiments à Rayan, qui s'est moqué d'elle devant tout le monde en évoquant son plus gros complexe : son appareil dentaire. Avant qu'Iris puisse me donner plus de détails, je me précipite pour le retrouver avec la ferme intention de lui éclater la tronche.
Mes amis m'appellent, leurs voix me parviennent dans un écho étrange. J'ai conscience qu'ils me demandent de ne pas y aller, de me calmer, mais la colère qui bout en moi est si grande que ma rage prend toute la place dans mon crâne. Alors quand ils essaient de me retenir, je les repousse sans ménagement.
Déterminé, j'entre dans le bâtiment du collège et arpente les couloirs jusqu'à atteindre le préau couvert, l'endroit où Rayan et ses copains se trouvent à chaque pause. L'un d'eux le prévient de mon arrivée, il se tourne vers moi avec un sourire suffisant qui me fout davantage en rogne. J'avance sans m'arrêter. Ses lèvres remuent, mais je n'entends rien, sauf le bruit de mon poing qui rencontre sa joue. Son visage part violemment sur le côté, un râle de douleur lui échappe, puis il se redresse pour me faire de nouveau face. Nos regards s'arriment, je comprends qu'il ne va pas en rester là. Tant mieux, je n'avais aucune intention de m'arrêter maintenant.
Le monde s'agglutine autour de nous dans un brouhaha infernal qui résonne dans ma tête. La mâchoire de Rayan se crispe, il tente de me frapper au visage, mais je bloque son coup et riposte en envoyant mon coude opposé dans sa pommette. L'entendre gémir, alors qu'il y a moins de dix minutes, il se foutait ouvertement de la gueule de Camila, a quelque chose de grisant. Ce n'est pas bien, j'en ai conscience, mais je prends du plaisir à lui remettre le cerveau en place. Nos bandes respectives essaient de s'interposer, seulement, aucun de nous deux ne veut abandonner. Alors que je me débats, ce con profite du fait qu'un de mes amis me retient pour me coller un uppercut dans le menton. C'est douloureux et ça attise ma colère à son égard.
— Ça suffit ! gronde une voix féminine et autoritaire dans mon dos, au moment où je repousse mon ami.
Je n'ai que faire de cet ordre. J'esquisse mon prochain coup, mon corps pivote sur le côté et je lance ma jambe avec force afin d'atteindre l'abdomen de mon adversaire. Rayan tombe à la renverse, entraînant quelques personnes qui nous entourent dans sa chute. Je m'apprête à le rejoindre pour en découdre au sol, mais on tire sur ma capuche violemment pour me faire reculer.
— Non, mais ça ne va pas ? s'écrit Louisa, une surveillante.
Je me dégage brutalement de son emprise et elle râle de plus belle, tandis que mes copains m'encerclent et me demandent d'arrêter parce qu'il n'en vaut pas la peine. Sauf que Camila le vaut et elle ne mérite pas les mots qu'il a prononcés à son égard.
— Qu'est-ce qu'il te prend, Mao ? J'ai touché ta corde sensible ?
— Ferme bien ta gueule, rétorqué-je, alors que Louisa nous ordonne de la boucler.
Elle est totalement dépassée par la situation et demande à quelques élèves d'aller chercher de l'aide.
— Pourquoi ? Tout le monde sait que tu as envie de te la taper, cette mocheté, mais dommage pour toi, c'est moi qu'elle veut, ricane-t-il.
Autour de nous, des objections résonnent pendant que ses amis rient aux éclats. Je fonce dans le tas, les hurlements des élèves emplissent le préau. Je suis conscient que dans quelques instants le CPE[1] arrivera, alors je donne tout et brise la promesse que j'ai faite à mon père. Lorsque je me retrouve face à Rayan, ses yeux s'écarquillent d'un mélange de surprise et de peur. Je lui envoie un direct, suivi d'un uppercut qui le propulse au sol. Aussitôt, je me positionne à califourchon sur lui, déterminé à ne pas le laisser échapper. Il sait bien qu'il ne peut plus se soustraire et se protège le visage derrière ses avant-bras, pendant que je continue de frapper, coup après coup comme un fou.
— Mao ! hurle une voix que je reconnaitrais entre mille.
Il me semble que quelques secondes s'écoulent avant que je ne perçoive sa présence près de moi, et qu'elle me somme d'arrêter. Pourtant, je n'obtempère pas. Je n'en suis pas capable. Je veux que ce fils de pute ravale chacun de ses mots, il n'y a plus que ça qui compte. Soudain, mon souffle se coupe. Quelque chose de dur entrave mon cou, puis je bascule en arrière comme projeté par un boulet de canon, tandis que mon bas-ventre se retrouve captif d'une paire de jambes. C'est alors que je réalise que Camila vient d'utiliser une prise de grappling [2]pour me stopper.
— Arrête ça, grogne-t-elle.
La respiration erratique, je me fige et me soumets à elle. Le brouillard de rage dans lequel je me trouvais commence à se dissiper et, peu à peu, mes muscles se détendent. En revanche, mon aversion pour Rayan reste intacte.
— Je vais te lâcher, Mao. Tu ne déconnes pas.
J'émets un grognement pour marquer mon accord, tandis que ma meilleure amie défait prudemment sa prise.
— Monsieur Wesson, dans le bureau de la directrice. Tout de suite ! ordonne la surveillante qui a essayé de me retenir.
Elle se détourne de nous afin de disperser les élèves et demande aux amis de mon adversaire de l'emmener à l'infirmerie. Je me lève et tends ma main à Cami pour l'aider à en faire autant.
— T'es dans la merde, qu'est-ce qu'il t'a pris ?
— Iris m'a tout raconté !
Mon acolyte jure dans ses moustaches avant de répondre :
— Je ne vais pas en mourir, tu sais ?
— J'en ai rien à faire ! Personne ne te parle comme ça.
— Mao, souffle-t-elle.
— On forme un tout, Cam. T'es mon oxygène.
— Et tu es ma force, Mao, mais tes parents vont te demander des comptes et ça va...
Sa voix se brise et son regard se voile, cependant, elle n'a pas besoin de terminer sa phrase pour que je comprenne où elle veut en venir. Sans hésiter, je la prends dans mes bras et glisse mes doigts dans ses cheveux.
— Je garderai le silence, Camila. Ton père n'apprendra jamais que tu as demandé à Rayan de sortir avec toi.
Elle secoue la tête et m'interrompt doucement.
— Et tu vas davantage te faire punir parce que j'ai désobéi et que je n'ai pas su fermer ma bouche.
— Ton vieux est taré ! Les sentiments ne se contrôlent pas. Et puis, je me fiche de ma punition, si c'était à refaire, j'agirais de la même manière, parce que je ne laisserai personne dire du mal de ma meilleure amie ni la blesser.
Louisa nous interrompt, ordonnant à Camila d'aller en cours. La surveillante m'accompagne ensuite vers les bureaux de l'administration et frappe à la porte de celui de la principale. Cette dernière nous autorise à entrer. Elle lève la tête et ajuste ses lunettes sur son nez. Ses yeux marrons me sondent, je détourne rapidement le regard. La cheffe de l'établissement s'informe sur notre venue, et Louisa lui relate les faits, pendant que j'observe la pièce, puisque c'est la première fois que je mets les pieds ici.
L'endroit est terne, baigné dans des teintes jaune, vert et bleu identiques aux salles de classe, défraichies et fades. Il n'y a rien de chaleureux, même le cabinet de mon docteur est plus accueillant. La directrice interrompt mes pensées, elle m'invite à m'assoir en face d'elle tandis que Louisa quitte la pièce. Sans tarder, elle m'interroge sur mon comportement, sur ma violence, et je lui réponds simplement que je n'apprécie pas Rayan. Ce qui n'est pas faux. Madame Dubois râle et se lance dans une morale que je n'écoute pas, du moins jusqu'au moment où elle m'apprend qu'elle va contacter mes parents. Je me doutais qu'elle le ferait, c'était d'ailleurs inévitable, mais d'un coup, l'idée qu'elle appelle mon père et qu'il vienne ici me retourne l'estomac. Pourtant il n'a jamais été violent avec moi, mais j'ai peur de la déception que je vais lire dans son regard quand il saura tout. Je soupire, les épaules voûtées, je ne suis pas prêt à l'affronter. La proviseure tape sur son clavier et déniche visiblement ce qu'elle cherchait puisqu'elle s'empare du combiné sur le bureau et compose un numéro en regardant son écran d'ordinateur pour ne pas se tromper.
J'attends fébrilement de savoir qui elle contacte tandis que ma jambe droite trépigne nerveusement, battant une mesure que je n'apprécie pas. Après un temps qui me paraît interminable, la directrice salue la femme qui m'a mis au monde, instantanément, mes épaules se relâchent et un soupir de soulagement m'échappe. Elle lui demande si elle peut venir dans l'heure parce qu'il y a eu un souci avec moi. Connaissant ma mère, j'imagine sans mal son inquiétude et si j'en crois les paroles rassurantes de la femme en face de moi, je donne dans le mile. Madame Dubois n'en dit pas plus, elle raccroche et son téléphone sonne presque immédiatement derrière. Tant mieux, pendant ce temps, elle ne me ressortira pas ses grands discours sur la violence et le règlement du collège. Elle prend l'appel, je tends l'oreille. D'après les bribes de la conversation, je comprends que Rayan a peut-être l'arcade fracturée. Je n'avais pas prévu ça et la situation se corse de plus en plus. Merde ! Si avec ça mon père ne me décroche pas ma première baffe, j'ai de la chance, surtout que j'ai failli à ma promesse. Ma gorge se noue à cette constatation.
Les minutes s'égrènent, contre toute attente, le silence règne dans le bureau. Ça m'arrange et en même temps, c'est horrible, parce que ça me laisse tout le loisir d'imaginer la réaction de mes parents. J'ai déconné, je ne sais pas vraiment ce qu'il va se passer pour moi. Je pense que je vais me faire renvoyer, mais j'ignore pour combien de temps, j'ignore également si mes parents vont avoir des problèmes avec ceux de l'autre abruti. J'espère que non.
Soudain, quelques coups à la porte me sortent de mes réflexions, je déglutis avec peine. Une chaleur intense m'envahit, l'extrémité de mes membres s'engourdit et mes boyaux se tordent au point que j'ai l'impression qu'on essore mes intestins comme une serpillère. La directrice se lève pour accueillir ma mère, avant de l'inviter à prendre place près de moi. Nos regards se croisent, j'y lis son étonnement et devine les questions qui lui passent par la tête. Ses sourcils se froncent, ses doigts se posent sur mon menton, elle tourne mon visage d'un côté puis de l'autre, avant que ses yeux glissent sur mes mains éraflées. Inutile de les cacher, de toute façon, elle saura que je me suis bagarré. La douceur de sa peau quitte brusquement ma peau, j'ose un coup d'œil vers elle, son regard me foudroie sur place.
— Tu t'es battu ? s'informe-t-elle.
J'acquiesce.
Madame Dubois relate les événements récents, ainsi que les nouvelles qu'elle a eues de Rayan, puis elle enchaîne avec mon refus de coopérer quant à la raison de mon emportement. Au fil de la discussion, le visage de ma mère se froisse d'agacement. Elle me dévisage, à plusieurs reprises, l'air de dire « C'est le moment de parler », mais je me terre dans mon mutisme. La directrice conclut en annonçant ma sanction. Je suis exclu huit jours et les parents de ce petit enfoiré, qui s'en sortira indemne parce que ne peux pas expliquer les raisons de mon comportement sans trahir ma meilleure amie, risquent de porter plainte contre moi.
Lorsque nous quittons l'établissement, ma mère a une expression de tueuse en série imprimée sur le visage, si bien que je continue de la boucler. De temps en temps, je la vois secouer la tête d'un air désapprobateur, comme si elle était dépitée, je crois. Et surtout, je remarque que son corps est aussi tendu que lorsqu'elle se dispute avec mon père. Je n'aime pas cela. Être la cause de sa colère est bien la dernière chose que je souhaite. Je ne suis pas habitué à sa distance et à sa froideur, je pense même que c'est la première fois que je la mets autant en rogne et ça me chagrine d'être le responsable de son état. Elle qui d'ordinaire est si douce et calme, en devient presque une inconnue quand elle se fâche.
Arrivés près de notre véhicule, elle déverrouille les portières, s'engouffre à l'intérieur et s'attache rapidement. Je monte à ses côtés et tourne la tête vers elle.
— Tu ne veux toujours pas t'expliquer ? demande-t-elle, sèchement.
— Je te l'ai dit, je ne l'aime pas, il me sort par les yeux, ce con.
Je sais que je vais trop loin, mais tant pis. Ma mère soupire et se pince l'arête du nez, avant de me regarder. Dans l'azur de ses iris, je devine toute la frustration et l'énervement que je provoque en elle. Malgré son contrôle pour ne pas exploser, elle hausse le ton.
— C'est ça ton excuse ? Tu me prends pour une débile, Mao ?
Je ferme les paupières. Je déteste qu'elle me crie dessus.
— Je ne dirai rien, maman, je suis juste désolé, soupiré-je.
— La belle affaire ! Tu réalises ce que ta connerie peut te coûter, en dehors du fait que c'est immoral de se battre comme ça ?
Je ne réponds pas. Bien sûr que j'en suis conscient. Elle passe ses mains dans ses cheveux, ferme les yeux un instant et respire profondément avant de reprendre plus calmement :
— On ne t'a pas élevé comme ça et ce n'est pas dans tes habitudes d'agir ainsi. Qu'est-ce qu'il s'est passé, Mao ?
— Maman, s'il te plaît... soufflé-je.
— Alors quoi ? gronde-t-elle. Je dois accepter tes foutues excuses et faire comme si mon fils n'avait pas envoyé un autre gamin à l'hosto ? C'est ça ?
— Non, mais...
— Tu sais quoi ? Tu régleras ça avec ton père, parce que là, tu me gonfles.
J'obéis et me tais. Le silence dans l'habitacle est lourd, voire étouffant, mais je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.
La boule de stress dans mon estomac ne cesse de grandir, j'appréhende la réaction de mon père quand il découvrira que j'ai trahi sa confiance. Je sais d'avance qu'il m'interdira l'accès à sa salle de sport. Ça m'ennuie, néanmoins je vais devoir l'accepter sans rechigner, puisque je ne peux pas lui dire que j'ai agi ainsi pour venger Camila. Ça reviendrait aux oreilles de Jay, qui désapprouve le fait que sa fille ait un petit copain. D'ailleurs, c'est complètement con. C'est normal de flirter à notre âge, je ne comprends pas pourquoi il est aussi strict sur ce sujet. Ah oui, c'est vrai... Il sait que les adolescents ne pensent qu'à tripoter les filles, puisque lui-même l'a fait, et il est hors de question qu'un gamin touche la sienne. Alors pour que Camila ne soit pas éclaboussée par mes actes, j'accepterai chaque sanction sans broncher.
Ma mère se gare devant chez nous, le silence entre nous me gêne, mais je n'ai pas le droit de me plaindre, alors j'encaisse. Nous sortons de la voiture pour rentrer à la maison, j'ai à peine franchi le seuil de la porte qu'elle tend sa main dans ma direction. Elle n'a pas besoin d'ouvrir la bouche, je sais qu'elle souhaite que je lui donne mon téléphone. J'obéis sans un mot.
— File dans ta chambre, Mao.
— Pardon, maman.
Je n'attends pas de réponse et monte les marches de l'escalier en vitesse. J'entre dans la pièce, pose mes affaires sur mon bureau, avant de me vautrer sur mon lit, où se trouvent les baguettes de ma batterie. Je m'en empare et les fais tourner entre mes doigts. L'envie de jouer me démange, mais je doute que ma mère soit d'accord pour me laisser me plonger dans ma passion en cet instant.
Un peu avant 20 h, mon père rentre. Comme d'habitude, la première chose qu'il fait, c'est rejoindre sa femme. En temps normal, il l'enlace tendrement, lui chuchote quelques mots d'amour, puis il vient me voir, soit dans ma chambre, soit dans le salon. Ce soir, le moment qu'il passe avec ma mère est bien plus long que d'ordinaire et mon angoisse noue à présent ma gorge.
Je sursaute en entendant ma porte s'ouvrir. Le corps massif de mon père apparaît dans l'embrasure. Il avance de quelques pas et s'installe sur ma chaise de bureau. Allongé sur le lit, les jambes tendues contre le mur, j'effectue une roulade et me redresse maladroitement pour lui faire face. Nos iris se croisent. À cet instant, je suis certain que nos yeux n'ont en commun que leur couleur. Son regard est intense et vif, il me passe au crible, alors que le mien doit trahir mon inquiétude.
— J'ai entendu dire que tu t'étais battu et que tu refusais d'en donner la raison.
Sa voix grave se répercute en moi, son ton mécontent s'incruste dans chaque fibre de mon corps. Je me sens si petit face à lui, j'ai envie de tout lui dire, mais je ne craquerai pas. Je n'ai qu'une parole et je m'y tiendrai jusqu'au bout.
— J'ai donné la raison. C'est un pauvre gars, et ça fait un moment qu'il me cherche.
Je mens à peine, c'est vrai qu'entre Rayan et moi, les piques fusent à longueur de temps, mais je n'ai jamais été au-delà de ce manège parce qu'il ne m'intéresse pas.
Mon père fronce les sourcils, tandis que sa mâchoire se contracte. Je devrais peut-être me la fermer.
— Tu ne gagnes rien de bon à suivre ce chemin, Mao.
Pour seule réponse, je hausse les épaules. Je n'ai jamais tenu tête à mes parents, et je croise les doigts pour ne pas me prendre un aller-retour en jouant comme ça avec eux.
— Toi et moi, nous avions un accord, il me semble. Tout ce que tu apprends à la salle doit y rester. Les techniques de combat, les coups, tu peux les utiliser autant que tu veux à For The Ragnarok, mais une fois dehors, tu oublies tout, sauf si ta vie est en danger. Est-ce qu'elle l'a été, aujourd'hui ? As-tu laissé tes connaissances aux vestiaires ?
Je secoue la tête. À quoi bon nier que j'ai utilisé ce que lui et mon oncle m'ont appris ?
— Savoir se servir de ses poings, c'est bien, mais le faire proprement, c'est mieux. Je suis déçu, je ne m'attendais pas à ce que mon fils enfreigne des règles aussi importantes. Quant à ton refus de t'expliquer, je ne vais pas t'engueuler ni chercher à te tirer les vers du nez. En revanche, tu peux oublier tes entraînements, et parce qu'à mon avis, c'est une maigre peine, tu n'es pas autorisé à voir Cami durant les huit prochains jours.
— Quoi ? Mais papa tu ne peux pas faire ça, c'est quoi le rapport avec elle ? m'indigné-je, alors qu'il se lève.
— Je le peux et je le fais. Quand tu te décideras à éclaircir tout ce bordel, je reverrai peut-être ma position. On dîne dans cinq minutes, déclare-t-il, en examinant sa montre. Ça te laisse déjà un peu de temps pour méditer sur ton choix.
Il sort de la chambre sans me regarder.
— Ça fait chier, putain ! craché-je.
Du couloir, mon père me met en garde :
— Ma patience a ses limites, Mao. Ne m'oblige pas à prolonger cette punition.
Je suis dégouté. Je savais qu'il me priverait de mes entraînements de boxe et de MMA et c'est normal, je ne l'ai pas volé, par contre, il abuse pour Camila. Tu m'étonnes que je vais avoir le temps de cogiter avec toutes ces restrictions !
La colère m'envahit. J'ai envie de tout détruire dans cette foutue chambre, mais je ne suis pas certain de m'en sortir sans plus de problèmes si je me laisse aller à cette émotion, d'autant qu'elle a assez fait de dégâts pour aujourd'hui.
Alors je me lève et lance le lecteur audio sur mon ordinateur, Radiohead joue ma chanson favorite, puis je m'écroule sur le lit et tente de reprendre mon calme.
— Mao, on mange ! crie ma mère en bas de l'escalier à la fin de la musique.
Je ne perds pas de temps et les rejoints, l'ambiance va être sympa pour le dîner. Ce soir, je regrette davantage que ma sœur ne rentre pas tous les jours à la maison. Si elle avait été présente, j'aurais eu une alliée à qui me confier.
En arrivant dans la cuisine, je remarque que la table est mise. Nous prenons nos places habituelles, seulement un silence pesant remplace la bonne humeur qui règne généralement à la maison.
Ma mère se lève pour aller chercher le sel, en passant près de moi, elle glisse ses doigts dans mes cheveux. Je savoure ce petit geste tendre qui prouve qu'elle n'est plus aussi remontée que tout à l'heure. En revanche, mon père m'ignore et cette indifférence me blesse profondément. J'imagine que c'est aussi douloureux que d'être déçu par son fils. Je soupire. Nos regards se croisent, mais intimidé, je détourne les miens et picore dans mon assiette.
[1] Conseiller.ère principal.e d'éducation
[2] Terme utilisé pour désigner l'ensemble des pratiques de lutte spécialisées au sol