Riley se leva avec la boule au ventre.
Honnêtement, elle ne voulait pas y aller. En fait, ne même pas y retourner. Malheureusement, ses parents avaient encore l'autorité sur elle, et, au vu de ses mauvaises notes à répétition, Riley devait faire bonne figure et se présenter à chaque cours afin d'améliorer ses notes en vue de la fin du trimestre et de la remise des bulletins.
Alors elle soupira, et se força à se lever. Pour faire plaisir à Papa et Maman.
Comment pouvaient-ils ignorer son mal-être ? Comment faisaient-ils pour ne rien voir ? Ou alors, ils faisaient semblant, pour ne pas à se demander s'ils sont de bons parents ? La demoiselle n'avait aucune idée de tout cela, mais une chose était sûre : personne ne voulait d'elle sur Terre.
Après avoir pris un semblant de petit-déjeuner, Riley mis son sac sur son dos et sortit de la maison. Elle s'était machinalement habillée, rien de très extravagant. Après tout, l'uniforme était simple. Si elle l’avait voulu, Riley serait partit en pyjama.
Sans regarder derrière elle, l'image délabrée de la maison lui donnant à chaque fois la nausée, elle se rendit à pas rapides vers l'arrêt de bus.
Sans surprise, il était déjà là, à l'attendre. Elle soupira une deuxième fois depuis le début de la journée, et monta dans le bus sans saluer le chauffeur.
C'est parti pour une nouvelle journée de souffrances.
***
– Heeey, voilà l'anorexique !
A peine arrivée, ses bourreaux l'avaient remarquée. Quand bien même elle avait marché à une allure folle pour traverser la rue, rentrer dans le lycée et parcourir l'immensité de la cour, c'était raté.
Presque automatiquement, son coeur se serra, et elle rentra sa tête dans ses épaules. Elle observa ses pieds. Était-elle si mince pour qu'on la nomme ainsi ? Faut dire, entre les plats inqualifiables de la cantine de part leur répulsivité, l'anxiété qui l'accompagnait chaque seconde de la journée, et les soirées avec ses parents où elle n'avalait que de très petites quantités pour éviter de tout recracher dans l'assiette, peut-être que la qualifier d'anorexique était un terme approprié. Ou, du moins, Riley avait fini par détester son reflet depuis que l'on s'amusait à pointer du doigt ses défauts physiques.
Entrant dans le bâtiment dédié aux sciences pour tenter de retarder le plus longtemps possible l'instant où l'on se jetterait sur elle comme si elle était que de la simple viande destinée à une meute d'hyènes affamées, Riley ignora les paroles et accéléra la cadence pour se poster devant la porte de la salle de biologie. Elle espérait voir l'ombre d'un professeur prêt à sortir pour défendre une élève en détresse, mais encore une fois, personne n'était présent. Riley était seule, comme toujours. Et les hyènes se rapprochaient pour la décortiquer un peu plus.
– Attends-nous ! crièrent une bande de filles, tout en rigolant.
Riley les vit arriver près d'elle. Coincée, des frissons parcoururent son corps. Elle ne savait jamais ce qui l'attendait.
– Eh bah, je n'ai jamais vu quelqu'un aussi pressée d'étudier !
Celle qui venait de parler, c'était Stacy. Une fille extrêmement populaire au lycée, peut-être la seule. Elle avait tout une bande d'amis, autant des filles que des garçons, qui s'amusaient à martyriser la petite Riley.
Mais si ce n'était que ça...
– Stacy, ça suffit ! C'est mon tour de me charger d'elle.
Cette voix, forte, masculine, et moqueur, c'était celle de Kevin. Celui que tout le monde craignait, le gars le plus populaire du lycée, celui qui avait n'importe quelle fille à ses pieds.
Mais apparemment, il était trop occupé à s'amuser avec Riley pour s'intéresser à d'autres adolescentes.
Avec un sourire arrogant, il s'avança vers sa victime.
– Alors, Riley... à quelle sauce vais-je pouvoir te faire mijoter aujourd'hui ?
Il se frotta les mains, avec un sourire qui glaça le sang de Riley. Figée, elle ne bougeait plus bouger d'un millimètre. Elle sentit comme une cage qui rétrécissait petit à petit, l'enfermant dans un espace restreint. Sa poitrine cognait si fort contre sa cage thoracique qu'elle en avait du mal à respirer.
Ravalant sa salive, elle se remémora la fois où elle avait osé affronter Kevin, au tout début d'année. Elle avait lu quelque part que parfois, se faire justice à soi-même était plus bénéfique que le reste. Mais si elle avait su où cela l'aurait conduit... Au fond, elle culpabilisait de ses propres actes. Et Riley commençait à être persuadé qu'elle méritait ce qui lui arrivait.
– Au fait, tu ne m'as pas dit comment tu as trouvé la soirée de samedi soir ? A ton goût ?
Derrière, une fille ricana.
– Je dirais... un peu... pimentée !
La dizaine d'élèves présents autour de Riley explosèrent de rire. Cette dernière, honteuse et embarrassée, se recroquevilla sur elle même. De petites larmes commençaient à humidifier ses yeux, avant que quelques unes ne tombent discrètement sur ses joues.
La soirée de samedi soir avait été un véritable fiasco. L'adolescente, naïve, n'avait pas imaginé une seule seconde le sort que lui avaient réservé ses bourreaux. Et pourtant, le stratagème avait été si bien ficelé, que Riley ne s'était douté de rien. Une amie éloignée de Stacy était venue la voir, peinée de sa situation. Elle avait confié être désolée et avait qualifié Stacy comme étant une fille abominable qui n'avait de respect que pour sa petite personne. Puis, s'adressant à Riley, l'adolescente avait invité cette dernière à se rendre à une soirée déguisée organisée par elle-même. Le thème était «fast-food», et tout le monde devait jouer le jeu. Riley, stupéfaite qu'enfin quelqu'un s'intéresse à elle et comprenne son cas, y avait vu une opportunité d'appartenir à un véritable groupe d'amis. Alors, elle s'était rendue dans une boutique de déguisements d'occasion et avait emprunté un sorte de costume en pot de sauce piment. Puis, elle attendit l'heure, avant de se rendre à l'endroit indiqué.
La pauvre Riley était tombée des nues : non seulement la soirée avait commencé deux heures plus tôt, mais en plus, le thème de la soirée était en réalité «tenue de soirée» : en somme, chaque invité présent étaient sur leur trente-et-un, comme si un bal de fin d'année avait eu lieu. Les filles portaient de magnifiques robes, et étaient maquillées sur le bout des orteils, et les garçons étaient parfaitement coiffés et apprêtés dans leurs costumes trois pièces hors de prix, que Papa ou Maman avaient payé. Riley faisait tâche... et tout le monde avait hurlé de rire à n'en plus pouvoir. La fille qui avait monté de toutes pièces le piège l'avait affiché devant une centaine de personnes. Riley était désormais la risée du lycée, et depuis ce jour, il ne se passerait plus une seule seconde sans que quelqu'un lui rappelle ce douloureux souvenir.
– Allez, fais pas cette tête, c'était plutôt drôle, rigola Kevin.
Un sentiment de malaise lui donna des tremblements. Aucun d'entre eux ne pouvaient savoir ce qu'elle ressentait, à l'instant même. Elle voulait hurler, s'arracher les cheveux, pour que cette image disparaisse de son esprit. Mais rien n'y faisait : cet évènement du samedi soir resterait gravé dans sa chair. Elle en avait été traumatisée.
Elle aurait voulu courir le plus loin possible. Riley était prise au piège. Elle comparait souvent le lycée à une prison. Elle ne se sentait en sécurité nulle part. Et les œillères que portaient ses parents n'arrangeaient rien.
Finalement, la sonnerie retentit. Riley souffla intérieurement. Elle vérifia sa montre. Cinq minutes seulement étaient passées... Elle aurait jurée avoir été là pendant une heure. Un peu de répit, c'était déjà ça.
– T'as de la chance, rouspéta Kevin. On se voit à la cantine.
Il lui adressa un clin d'oeil mauvais avant de repartir à l'extérieur. Stacy, elle, resta.
Elles étaient dans la même classe. Et Riley ne pouvait y changer quoi que ce soit.
– Pousse-toi de mon chemin et baisse les yeux. Tu le sais, pourtant, que tu ne dois jamais entrer la première en classe. C'est toujours moi, d'abord.
Sans rien dire, Riley s'écarta.
– C'est mieux comme ça.
Enfin la professeure arriva. Riley aurait aimé pouvoir se jeter à ses pieds et enfin se libérer l'âme de tout ce qu'elle subissait, mais c'était impossible : Stacy était une experte du chantage. Si Riley parlait, Stacy lui ferait la misère. Et si Stacy lui faisait la misère, Kevin signerait l'arrêt de mort de Riley. Alors, elle préféra se taire, ravalant ses larmes.
Les élèves entrèrent et l'adolescente s'installa le plus loin possible du clan Stacy.
La journée était loin d'être terminée.
***
Il était treize heures, et Riley s'était réfugiée dans les toilettes à la sortie de la cantine.
Elle s'essuyait tant bien que mal la bouche pour faire disparaître le liquide d'une couleur étrange qui dégoulinait sur son menton, mais le papier toilette bon marché se désagrégeait au contact de l'humidité. L'odeur dans le fond de la cuvette lui donna l'envie de régurgiter à nouveau, mais après deux fois, il ne devait plus rester grand chose du repas de midi.
Avant d'avoir un énième relent de nausée, Riley tira la chasse d'eau et tourna le loquet. Elle vérifia qu'il n'y ait personne pour sortir et se précipiter en face pour boire une quantité assez suffisante d'eau afin de faire passer le goût atroce qui avait rendu sa bouche pâteuse.
Les yeux encore larmoyants de l'épreuve qu'elle venait de passer, les images dans l'esprit de Riley ne cessait de revenir, lui donnant le tournis. Encore tremblante et crispée, la demoiselle pensait avoir vécu le pire moment de sa vie.
La cantine a toujours été une étape éprouvante. Mais, curieusement, elle l'était encore plus aujourd'hui. Était-ce parce qu'elle avait miraculeusement réussi un test surprise en mathématiques alors qu'elle n'a jamais su calculer des nombres à plus de deux chiffres ? Peut-être, peut-être pas. Parfois, il n'y avait aucune raison à ce que Stacy ou Kevin s'en prenne à elle. Et c'était souvent ça qui faisait le plus mal.
Lorsque Riley était arrivé dans le rang où tous les élèves faisaient la queue les uns derrière les autres, Stacy l'avait surprise en l'attrapant par les cheveux et en la tirant violemment pour l'entraîner au devant de la file d'attente. Alors qu'elle n'a pas pu dire adieu à la mèche qui s'est retrouvée détachée du reste de sa chevelure cassante, elle se retrouva au milieu d'une bande de filles superficielles qui aimaient se sentir supérieures. Et cela s'était fait ressentir, lorsque chacune d'entre elles lâcha un mot assez violent à Riley pour que cette dernière commence à paniquer sérieusement de la suite des évènements.
Arrivée au self, Riley ne désirait pas faire de gâchis. Dans tout les cas, le repas finirait soit au sol, soit dans les toilettes. Elle pris alors un maigre repas composé d'une cuillerée de quelque chose ressemblant à du pâté pour chat, un laitage, et son verre d'eau. Elle alla s'installer à l'endroit le plus caché possible de tous regards, mais Stacy et sa bande l'avaient suivi pour s'installer à la table juste à côté, afin de la surveiller.
Dans la minute suivante, Kevin était entré en scène. Se posant devant Riley, à sa table, sans omettre de la saluer qualificativement de «crasseuse», l'adolescente sentit l'angoisse monter en flèche. Son pouls avait augmenté follement et sa poitrine était douloureuse. Sa vision troublée et ses oreilles bouchées suffisaient à l'alerter d'une possible crise. Kevin semblait ignorer ce qu'elle ressentait, car il l'incita clairement à se montrer en public, ce que l'adolescente ne souhaitait pas faire, car elle savait très bien que c'était pour la tourner en ridicule. Riley détestait se montrer en spectacle. Tout le lycée la connaissait, elle était la risée du quartier. Pour beaucoup, elle faisait tâche dans cette école.
Alors, Riley avait baissé la tête, pour que personne ne remarque ses larmes couler sur ses joues, et refusa poliment en tournant la tête de droite à gauche. Kevin, déconcerté, eu soudain un «éclair de génie». Il avait attrapé le plateau de Riley, et l'a laissé tomber au sol. Puis, il s'était levé, et avec un sourire sadique, tout en regardant sa victime, piétina le contenu du repas. Ramassant le tout, il s'était apprêté à le déposer devant Riley, mais déclara :
– Et la touche finale.
Il avait craché dedans. Et toujours avec le sourire...
– Et maintenant, mange. Je vais t'apprendre le respect.
Stacy, qui avait tout entendu, cria «MANGE». Suivie par Kevin, puis par trois, dix, et bientôt toute la cantine qui ne savait pas forcément ce qu'il se passait. Tous, avaient crié ce mot. Que Riley avait encore dans la tête, une heure après.
Mange ! Mange ! Mange !
Oh, oui, elle avait tout avalé, Riley. En pleurant à chaque bouchée. En voulant hurler à pleins poumons.
Elle était sorti le plus vite possible pour se précipiter aux toilettes.
«Bonne chienne». Riley avait ce mot à l'esprit. Tous les jours, Kevin trouvait une occasion pour la traiter ainsi. Riley était une petite fille obéissante, enfin, c'était ce qu'il se disait dans le lycée.
Mais est-ce que quelqu'un se demandait une seule seconde ce qu'elle pouvait bien ressentir au plus profond de ses entrailles ? S'il y avait eu quelque chose de coupant dans les toilettes, ou même, dans son sac, elle aurait sûrement essayé de s'arracher la peau juste pour que ces mots, ces insultes, et tout ce qu'elle subissait, quitte son corps une bonne fois pour toutes. Un peu comme lorsqu'on enlève la peau morte avec la serviette de bain, à la sortie d'une bonne douche. Mais cette douche serait sanglante.
Riley avait beau tenter de se sortir l'évènement de la cantine hors de son esprit, il restait ancré dans son enveloppe charnelle. Prise de sueurs froides, elle se passa de l'eau sur le visage.
– Tiens, et qui voilà. La petite chienne n'a pas aimé son repas, apparemment.
Encore ? Quand est-ce que cela se terminerait ?
– Et bien et bien... tu devrais changer de tenue la maigrichonne. Tu... empestes le ragoût.
Ah, très drôle. Comme si Stacy venait de découvrir que Riley avait été forcée à manger de la bouillie écrasée par une chaussure où des restes fécales s'étaient mélangés à la nourriture.
Et puis, c'était facile, pour elle, de la critiquer, ne serait-ce que sur le style vestimentaire. Stacy était fille de parents fortunés. Et Riley donnerait n'importe quoi pour avoir ne serait-ce que le quart de ce qu'elle possède, juste pour s'acheter de nouveaux vêtements. Même son uniforme était trop court. Et elle ne pouvait pas en avoir plusieurs. Pour une semaine de cours, Riley avait deux uniformes.
– Au fait, t'es pas au courant de ce qu'on raconte sur toi ?
Ca y est. Elle usait de ce qu'elle savait faire le mieux. Professionnelle dans le genre, Stacy lançait de fausses rumeurs sur Riley afin de mieux la faire chanter, et donc la contrôler.
La concernée secoua la tête de droite à gauche.
– Vraiment ? Dommage... Mais, j'aimerais te dire une chose.
Elle se rapprocha, et se pencha jusqu'à l'oreille de Riley.
– Arrête de faire ton intéressante partout où tu passes. N'oublie pas que la reine ici, c'est moi. Ne m'oblige pas à te rappeler que tu vis dans une poubelle. A moins que tu veuilles y passer une nuit entière, par exemple, dans celle à l'entrée du lycée ?
Riley frissonna, envahie soudainement par un nouveau sentiment de peur. Elle sentit à nouveau la bile monter, tandis que de nouvelles larmes se formèrent. L'angoisse réapparut, et alors qu'elle chercha à respirer, son estomac se serra.
Elle évacua ce qui semblait être un mélange de reste de repas et du liquide clair ressemblant à de l'eau. Le tout, sur les chaussures neuves de Stacy.
– OH MON DIEU ! Mais quelle pétasse tu es !
Stacy hurla et la colère l'envahit. Elle fusilla Riley du regard. Si ses yeux avaient été armés, Riley aurait été probablement morte sur le coup.
– Tu vas me le payer très cher, sale vermine ! Si tu savais combien elles m'ont coûté !
Riley exprima un désolé à peine audible.
– Désolé ? Tu es désolée ? Oh mais ma pauvre, tu n'aurais jamais dû faire ça... Mais comment tes parents font-ils pour assumer une fille pareille ? Tu ne mérites même pas de vivre !
Ne sachant plus où se mettre, Riley commença à reculer. Elle essayait tant bien que mal de trouver une issue, en vain.
– Tu sais quoi ? Je pense que ça fera très plaisir à tes parents si mon père leur faisait pression pour qu'ils remboursent l'intégralité de mes chaussures, et qu'ils m'en rachètent une paire neuve, au même prix ! Peut-être qu'après ça, ils auront l'intelligence de te déshériter !
Les dures paroles de Stacy firent l'effet d'un poignard dans le coeur de la pauvre Riley. Jamais ses parents n'auront de quoi rembourser ! Cette fois, c'était réellement terminé.
Et puis, peut-être qu'après tout, Stacy avait raison…
Peut-être que Riley ne méritait tout simplement pas de vivre. C'est drôle, puisqu'il y a deux jours de cela, samedi soir, lors de la soirée, Kevin lui avait dit la même chose.
Tu ne mérites pas de vivre !
Cette phrase résonnait encore et encore dans son esprit. Si bien, qu'à force, Riley commençait à les croire.
Elle n'avait aucune raison d'exister. Et elle avait mérité ça.
Demain, Riley n'irait probablement pas en cours.