Vendredi 3 juillet - Appartement
Il est 09h30 quand mon réveil sonne pour la 4ième fois. Les rayons du soleil passent au travers des rideaux et illuminent la chambre. Jaime cette chambre, mais déteste la couleur : elle est peinte d'un vieil orange similaire à la décoration que l'on trouvait dans de nombreux logements des années 70.
- "Bouge ton cul Vi, il est 9h30, on a rendez-vous à 10h15. Putain, il faut que l'on s'habille, que l'on mange un bout et que l'on fasse la route à pied. Allez merde ! Bouge ton cul, on va être en retard !"
Aujourd'hui, nous avons deux entretiens, l'un se déroule dans un petit restaurant et l'autre dans une enseigne de vente de boissons à emporter. Nous avons pris la décision de choisir un emploi dans lequel nous pourrions travailler tous les deux, d'abord pour être ensemble, mais surtout pour pouvoir échanger nos heures en cas d'imprévus ou d'examens.
- "Bon Vi tu te bouges ou je vais vraiment péter un câble !" lui dis-je tout en enfilant un haut noir à col et manche longue ainsi qu'une jupe crayon noire qui m'arrive aux genoux.
- " Oui, c'est bon, je vais me lever ! Pas besoin de gueuler comme ça, je ne suis pas sourde !" me dit-elle tout en hurlant autant que moi.
Je me dirige vers la salle de bain, me brosse les cheveux, me lave les dents, le visage et me maquille. Comme à mon habitude, ni fond de teint, ni tralala, juste un trait d'eyeliner noir et un rouge à lèvres bordeaux foncé. Vi est plus longue que moi à se préparer, mais je décide de la presser un peu afin de ne pas être en retard. Une fois prête, elle me rejoint dans l'entrée. Je décide de porter mes bottines hautes rouges et mets mon habituelle veste.
Une fois dans la rue, Vi tape l'adresse du restaurant sur son smartphone pour éviter que l'on se perde, même si nous avons repéré les lieux la veille. Il vaut mieux être sûr.
- "Hey Liv tu as vu ? Il y a un club pas loin de chez nous, à environ 10 minutes à pied, "Le Péché". Il faudrait que l'on y fasse une soirée quand on aura rencontré quelques personnes !"
- "Oui tu as raison. Sortir me manque, danser aussi et même les mecs me manquent. Avec la recherche d'emploi, d'appart' et l'inscription à l'université je crois bien que l'on a oublié de s'éclater et de s'envoyer en l'air"
Vi approuve par un sourire en coin mes propos.
La discussion se poursuit sur divers sujets et nous arrivons doucement devant le restaurant. Nous passons le pas de la porte et sommes accueillis par une jeune femme qui nous conduit vers un espace où sont installées pas moins de sept personnes. Les lieux sont sombres, les murs sont en pierre et les tables sont serrées. Aucune intimité en mangeant n'est possible ici. Quelques regards divergent dans notre direction, dont un en particulier. Une femme blonde à queue de cheval d'environ 30 ans, tirée à quatre épingles, vêtue de blanc de la tête au pied, me lorgne avec un regard inquisiteur. Après m'avoir examiné de haut en bas, elle se penche vers sa voisine et lui murmure quelque chose à l'oreille. Celle-ci se tourne vers moi et pouffe de rire. Vi ayant surement remarqué leurs manèges, se tourne vers moi et dit à voix haute :
- "Qu'est-ce qu'elles ont les deux pouffiasses là ?"
- "Oh rien, j'ai l'impression que "madame, coincée du cul et mal baisée" à un problème avec mon style vestimentaire. Ou peut-être avec ma gueule, oui c'est surement ma gueule ! Alors pouffiasse répond à la question de mon amie, c'est quoi ton putain de problème ?"
- "C'est à moi que tu parles ?" me répond-elle d'un ton offusqué. "Je n'ai aucun problème, je disais simplement à Abby que l'effort vestimentaire n'a pas été fait de la part de tout le monde".
- " À parce qu'essayer de ressembler à une vierge à un entretien d'embauche pour bosser dans un restaurant c'est mieux peut-être ? Ma chérie, les candidatures pour devenir bonne sœur, c'est tous les premiers lundis du mois à la paroisse de la sixième avenue."
Ayant compris qu'elle avait perdu le combat, elle se réinstalle confortablement sur sa chaise et croise les bras sous sa poitrine.
- "Euh Liv ? Comment tu sais que pour les bonnes sœurs, c'est le premier lundi du mois ?"
J'explose de rire. Violette a souvent du mal avec le second degré. Elle est capable de croire tout ce qu'on lui dit et est toujours la première à foncer tête baissée dans une connerie.
- " Je n'en sais rien, c'est juste pour qu'elle ferme sa gueule."
Les minutes défilent et enfin, un homme vient à notre rencontre. Il est habillé d'un costume trois pièces et à environs 60 ans, sûrement le patron des lieux. Arrivé à notre hauteur, un sourire jusqu'aux oreilles s'affiche sur son visage, il se positionne face à la "pouffiasse" écarte grand les bras et dit :
- "April ! Ma jolie ! Que fais-tu ici ? Tu ne viens pas passer l'entretien tout de même ? Ton père m'a contacté hier dans l'après-midi et je lui ai confirmé que tu fais déjà partie de l'équipe."
Un seul regard en direction de Vi me confirme qu'elle est sur la même longueur d'onde que moi. Nous nous levons simultanément et prenons la direction de la sortie. Sur notre chemin, nous sommes stoppés par la voix du maitre des lieux :
- "Mesdames, l'entretien va bientôt débuter, merci de bien vouloir revenir si vous souhaitez maintenir votre candidature".
Je me retourne et lui dis d'un ton calme et sérieux :
- "Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le directeur, il vaut mieux que nous partions. Car, voyez-vous, il y a deux possibilités : soit on est refusé et tant mieux pour vous, soit on est accepté et votre jolie protégée se fera arracher les cheveux d'ici à la fin de la semaine."
D'un air hébété, il nous répond :
- "Bonne journée, mesdames"
Que les choses soient claires. Ni Violette, ni moi ne savons nous battre correctement, mais avec notre impulsivité et notre caractère explosif, il est fort probable que les mots fusent et déclenchent parfois des "accrochages".
Une fois dans la ruelle, nous marchons sans savoir où nous allons. Je vois à la tête que fait Vi qu'elle a une idée farfelue derrière la tête et que celle-ci va me plaire. Tout à coup, elle s'arrête, saute à pied joint et crie :
- " On va se faire tatouer !"
Je me doutais bien que c'était une idée farfelue, mais j'avoue qu'elle me plait. La sensation de l'aiguille qui pique ma peau me manque depuis un petit moment déjà et je ne dirais pas non à un nouveau petit chef-d'œuvre.
- "Ok, mais pas un énorme tatouage, un discret, car je me vois mal arriver à l'entretien avec un énorme bout de cellophane sous mon haut ou encore pire sur l'un de mes mollets."
Elle rit et me répond :
- "Non promis, en revanche, je veux poser une condition."
Comme par hasard, cela m'étonne, Vi poser des conditions ? Non, impossible, ce n'est pas son genre.
Elle continue :
- "Je veux que ce soit un tatouage en commun et que tu fermes les yeux. Une sorte de tatouage à l'aveugle. Ne t'en fais pas, ce sera petit et derrière l'oreille."
Ça fait plus d'une condition et je vois qu'elle avait tout prévu.
- "Je te suis, aucun problème pour moi."
Vi trouve le shop qu'elle avait repéré quelques jours plus tôt sur le web, et après avoir réservé un créneau sur le site, nous nous y rendons.
Le tatoueur nous attend dans le hall. Je me sens dans ce lieu qui m'est inconnu comme à la maison. Je prends une grande bouffée d'oxygène aux odeurs d'encre et sens déjà mon stress dû aux entretiens diminuer.
Violette s'éloigne avec Jack, le tatoueur, pour lui faire la description de ce qu'elle souhaite. Il revient vers moi et m'indique la direction de sa salle de torture. Merveilleuse torture. Jack est vraiment très mignon. Il mesure environ 1,75m, est tatoué de la tête aux pieds, n'a pas de barbe, cheveux châtains tombant sur le front et yeux marron. Son arcade est traversée par un piercing et il porte un petit écarteur à chaque oreille. C'est tout à fait mon genre de type, bien loin de celui de Vi qui préfère les garçons plus "simples ». Vu la manière dont il me regarde, il semblerait que je sois aussi son style de fille.
- "Allonge-toi sur la table."
Oh déjà ? C'est du rapide !
Je rigole à ma connerie et secoue la tête. Il me regarde avec un sourire en coin et j'ai l'impression d'avoir été grillé.
Il me répond toujours avec ce sourire :
- "Jamais pendant le travail, jamais avant le 1er verre. Je vais te tatouer derrière l'oreille droite, ça va être rapide et vu la pièce que tu as à ton bras, ce sera sans douleur."
Bon là, c'est sûr, je rougis. Il a clairement capté mes pensées. Je m'installe comme demandé. Il pose le calque et commence à piquer. Dix minutes suffisent pour finir le travail. Vi m'a sagement attendu dans la pièce à côté. Elle est déjà passée sous l'aiguille, mais ne supporte pas de voir quelqu'un y être à sa place. Elle tournerait bien trop vite de l'œil.
Je remercie Jack et me relève. Il demande à Violette de nous rejoindre et lui indique de s'installer comme moi précédemment, à la différence que son dessin se trouvera derrière son oreille gauche. De ma position, je ne vois rien de ce qui se déroule. Je peu seulement reluquer le dos et les nombreux muscles de Jack. Et quel dos ! Je ne serais absolument pas dérangée d'être coincée entre ses bras musclés avec son visage à quelques centimètres du mien. Sans vêtements et au milieu d'un lit bien...
- "Liv !? Ouh ouh !? Tu peux redescendre d'où tu es pour que l'on puisse découvrir en même temps nos tattoo ?"
Oh putain ! Oh la honte ! Oh merde !
C'est à ce moment précis que je me rends compte que je l'ai fixé un peu trop longtemps. En plus d'avoir été pris en flagrant délit de pensées salaces par ma meilleure amie, le principal concerné m'a lui aussi grillé et me regarde avec les lèvres pincées. Il se retient clairement de rigoler. Du cul, il me faut du cul. Je suis clairement en manque de sexe pour avoir fantasmé avec autant d'intensité sur un inconnu rencontré à peine une demi-heure plus tôt.
Vi me demande de me coller à elle, puis à Jack de prendre une photo de l'arrière de nos oreilles. Après une vérification de la qualité de la photo, Vi me tend son portable toute heureuse.
Mes lèvres s'incurvent instantanément jusqu'à mes oreilles. Une main qui trinque avec une coupe de champagne est représentée derrière l'oreille de Vi. Derrière la mienne est gravée à l'encre noire une main qui trinque avec un verre à cocktail.
Lorsque nous sortons dans les bars ou dans les clubs, Vi prend toujours une coupe de champagne et moi un cocktail. De plus, le Champagne représente parfaitement les origines françaises de Vi. Je prends son visage dans mes mains et lui embrasse le front. Elle en fait de même avec moi.
Nous payons et quittons le shop, mais avant cela, Vi fait volte-face, prend le téléphone que Jack a en main et y inscrit quelque chose.
Oh merde, elle a des vues sur lui ? Elle aurait au moins pu me consulter. Il me plait vraiment bien ce mec et en plus, ce n'est pas du tout son genre d'habitude.
Revenant vers moi dans la rue et voyant surement mon visage perplexe, elle rit et me dit :
- "Ne fais pas la gueule, tu n'es pas un monstre ! T'inquiète, Rose, je ne vais pas te voler ton petit Jack." Elle rit de nouveau à sa blague et reprend : "Je lui ai donné ton pseudo, plus cas attendre de voir s'il te demande ou non en ami."
Au même moment, mon téléphone bip, je le déverrouille et ouvre l'appli :
[Vous avez une demande d'ami : Jack_025]
J'accepte son invitation.
- "Oh bah, c'est un rapide dit donc, j'ai bien fait de lui donner, il a l'air d'être intéressé. À partir d'aujourd'hui, appel moi cupidon." Elle s'esclaffe et je soupire, exaspéré de sa lourdeur.
Mon téléphone sonne de nouveau.
[Toi aussi tu es mignonne. Ne sois pas gêné, on a été deux dans cette pièce à mater. C'est juste que l'un de nous deux est plus discret que l'autre 😉 ]
[Ah, ah, l'air con ! Je ferai mieux la prochaine fois au prochains tattoo 😊]
[Prochain tattoo ? Je pensais que l'on se verrait plutôt. Si tu changes d'avis pour sortir ou prendre un verre contacte-moi 😀]
[Qui t'a dit que ce serait dans longtemps ? Aucun souci je te recontacte. Bye 😙 ]
[😙]
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Nous avons mangé dans un fast-food et nous nous sommes rendus dans le second établissement pour notre entretien de 13h30.
L'établissement est plus petit que le restaurant de ce matin. Une énorme vitrine recouvre l'intégralité de la façade du magasin. Au fond du magasin se trouve un comptoir auquel on peut commander avec de grandes affiches au-dessus pour nous aider à faire notre choix. Six tables hautes de deux places sont installées sur les côtés ainsi que trois grandes tables de 10 personnes au centre. Il y a un sens de direction pour fluidifier la file d'attente avec une entrée et une sortie. Quelques fausses plantes sont installées dans les coins ou sur des étagères murales pour donner un peu de gaieté à cet endroit.
Un jeune homme nous reçoit. Il est grand, environ 1,80m et est musclé, mais pas trop. Il a les cheveux blonds longs sur le dessus et plus court sur les côtés.
D'une voix enjouée, il nous dit :
- " Salut, moi c'est Adam, je suis l'un des Staffs qui bossent ici. Vu l'heure, vous devez venir pour les entretiens. Je peux avoir vos noms ?" Dit-il tout en regardant d'un air très sérieux la liste qui se trouve sur son bloc note.
Avant même que j'ouvre la bouche, Violette prend la parole.
- "Elle s'est Liv Sawyer, et moi, Violette Paige."
Tiens, tiens, tiens, ma petite Violette aurait-elle un petit crush ?
Je la regarde du coin de l'œil et à l'aide d'un discret clin d'œil, elle me confirme mon hypothèse.
Ok Liv, tu as compris ? Ce petit Adams est chasse garder.
- "Ok, nickel" reprend-il.
"Suivez-moi, je vais vous conduire au recruteur. Vous êtes dans les dernièrs à passer, mais si j'ai bien compris, les personnes avant vous n'ont pas dû être très convaincantes. Alors détendez-vous et répondez normalement aux questions. Dans le meilleur des cas, dites-vous que vous serez prises et dans le pire, vous n'aurez juste pas le job. Votre vie n'est absolument pas en jeu."
Nous acquiesçons toutes les deux. Il a raison et ses paroles se font rassurante. Une partie du poids qui comprimait mon estomac disparait un peu, assez pour que je relève de quelques centimètre le menton. Ma confiance en moi est remontée à bloc.
Tu peux le faire, tu es forte, tu es intelligente, tu es capable.
Si toutes les personnes dans cette boutique sont aussi sympas, nous ne rencontrerons aucune difficulté à s'y adapter.
Nous attendons environ 15 minutes dans un couloir qui se situe à l'étage au-dessus de la boutique puis entrons chacune notre tour pour notre entretien individuel.
L'enseigne recherche trois nouvelles personnes, il y a donc une petite chance pour que Vi et moi soyons prises toutes les deux. Hormis nos diplômes, nos expériences professionnelles sont identiques. Depuis nos 16 ans, lorsque j'ai compris qu'il était mieux que je gagne mon propre argent, Vi et moi travaillons toutes les vacances scolaires dans différents endroits : bars, restaurants, fast-foods. Les recruteurs ne peuvent donc pas nous départager sur ce point-ci ni sur énormément d'autres d'ailleurs. Elle comme moi avons une aisance à l'oral et une facilité a sociabilisé même si Vi reste tout de même la plus timide de nous deux face à des inconnus.
Les entretiens sont rapides et les questions basiques :
"Pourquoi prendre cet emploi ?", "Quel est votre dernier emploi en date ?", "Arriveriez-vous à accorder votre emploi avec vos études ?", "Quel est votre rapport avec l'autorité ?" .... Et patati et patata...
Une fois mon entretien terminé, je sors de la pièce et rejoins Violette dans le couloir. Elle est assise sur une chaise aux côtés de deux autres personnes.
Ils n'étaient pas là à notre arrivée, il doit donc y avoir plusieurs recruteurs.
Mon recruteur m'a demandé d'attendre qu'il revienne me voir afin d'avoir une réponse sur un éventuel contrat.
Il sort de la pièce dans laquelle je me trouvais il y a quelques instants plutôt et entre dans la pièce voisine.
Plusieurs minutes passent de nouveau avant que mon recruteur sorte de la seconde pièce en compagnie d'une femme voisinant les 40 ans. Il nous balaie du regard et dit d'une voie solennelle :
- "Madame Miller, Madame Sawyer et Madame, euh" dit-il en regardant les CV qu'il tient entre ses mains "Paige, restez ici, quant aux autres, nous vous remercions et vous souhaitons de trouver une enseigne qui répondra favorablement à votre candidature".
Un énorme soulagement se répand dans mon corps et un sourire que j'essaie de retenir tant bien que mal incurve le côté de mes lèvres.
Je suis sûr à deux mille pour cent que Vi se retient de ne pas sauter de joie. Ce job nous retire une énorme épine du pied, nous allons pouvoir économiser pour pouvoir payer le loyer du mois de novembre. Nous ne sommes que début juillet et les trois premiers mois sont réglés, mais nous allons enfin pouvoir mettre de l'argent côté. Sans parler de notre second semestre universitaire qui sera prélevé automatiquement début janvier.
Les candidats non retenus passent devant nous pour rejoindre l'escalier qui mène à l'étage inférieur et donc à la sortie.
- "Madame Harisson ici présente vous rédigera vos contrats que vous pourrez signer demain lors de votre première journée de travail. Elle est employée depuis huit ans au service des ressources humaines. Quant à moi, je suis le responsable de cet établissement, monsieur Rix, pas le directeur, noté bien. Celui-ci vit à New York et ne se présente presque jamais ici. À partir de demain, vous aurez deux formateurs, Adam et Lyndsay. Vos plannings définitifs vous seront transmis d'ici à une semaine. Je vous souhaite une agréable soirée."
Il se retourne pour rentrer de nouveau dans son bureau, s'interrompt, nous toise par-dessus son épaule et dit d'un ton joyeux :
- "Ah, au fait, bienvenue chez "Café & Chocolat"