Le printemps et sa tendre brise chassaient le froid hivernal, mais ce n’était pas le bourgeonnement des fleurs qu’attendait Laurent. Il guettait, anxieux, l’éclosion de celle qu’il aimait. L’opération fut plus longue que prévu. La convalescence le fut davantage. Alors, le grand brun accablé dans le fauteuil de la chambre d’hôpital attendait. Il attendait, minute après minute, heure après heure, jour après jour… Peut-être même lui en voulait-il. Au moins un peu, sans trop se l’avouer. Natacha aurait pu se contenter d’accorder son corps avec son cœur. Laurent la trouvait déjà magnifique, alors qu’importe ! Elle, pourtant, avait d’autres aspirations. Des aspirations qui la dépassaient elle-même. Des aspirations qui dépassaient Laurent et même le genre humain.
Le jeune homme, pour se raccrocher à quelques espoirs, se pencha sur le lit et se souvint de sa première rencontre avec elle. À l’époque, elle n’était qu’une jeune doctorante qui venait lui demander timidement un café au bar dont il était serveur. Parfois, elle se livrait sur ses travaux et ceux de son directeur. Ils voulaient changer le monde. Ils voulaient le rendre meilleur. Souvent, Laurent n’était pas pleinement d’accord avec leur vision du bonheur, mais qu’importe ? Il l’aimait, voilà tout. Une larme perla sur son visage.
Il regarda par la fenêtre, cherchant du réconfort dans les oiseaux, mais il ne vit que les voitures volant au loin. Laurent lâcha un soupir, Natacha aussi. Le brun tressaillit. Enfin ! Elle se réveillait. Il sursauta une seconde fois quand elle ouvrit les yeux : un anneau lumineux doré nimbait ses iris marron. Une autre larme, de joie cette fois, coula sur sa joue. Il avala sa salive, préférant se dire qu’elle pourrait lire dans le noir sans souci. Elle était en vie, n’était-ce pas le plus important ?
— J’ai cru que tu ne te réveillerais jamais ! lança Laurent, aussi soulagé que chagriné.
Natacha sourit et se redressa. Elle passa une main sur sa tempe. Il lui fallait du temps pour s’habituer à sa nouvelle vision. La brune aux belles boucles posa ensuite sa main sur celle de son homme. Il eut un frisson.
— Pardon, mon amour, mais cela valait le coup ! Tu réalises ce que nous avons réussi ? répondit la convalescente, de plus en plus exaltée.
Laurent n’osa rien rétorquer : il ne voulait pas réaliser. La jeune femme bondit du lit.
— Tu es plus petite ? s’étonna-t-il.
— Je n’avais pas besoin d’être aussi grande ! rétorqua-t-elle en filant vers le miroir de la chambre. Elle laissa sa robe d’hôpital glisser sur son corps voluptueux. Nue, elle s’admira quelques instants.
— Je vois que tu t’es fait plaisir sur la carrosserie ! plaisanta le brun pour se détendre. Elle le gratifia d’un clin d’œil.
— Ce n’est que du cosmétique, le plus important est en moi ! rétorqua-t-elle fièrement.
C’était bien ce qui inquiétait Laurent. Natacha qui avait pourtant de nouveaux yeux ne semblait pas le voir. Elle sauta dans les bras de l’homme qu’elle aimait. Il s’étonna de sa force, mais l’étreignit tendrement. Ses yeux sombres ne quittaient pas les siens, lumineux. Il les observait sans que la généreuse poitrine de la bouclée ne parvienne à le faire diverger. Il ne pouvait pas regarder autre chose que ce cercle doré surréaliste. Elle l’embrassa. Ses lèvres étaient froides.
— Enfin, j’ai atteint la transcendance ! Tu comprends ? C’est fantastique, toute l’humanité va pouvoir en profiter ! s’extasia-t-elle.
— Parce que tu veux que tout le monde transcende ? Et si les gens se trouvent bien comme ils sont ? osa Laurent.
— Arrête tes bêtises ! répliqua la scientifique, incrédule.
Natacha se dirigea vers la fenêtre. Elle aperçut dans un parc en contrebas quelques citadins qui profitaient des premiers rayons du soleil de l’année. Ils semblaient heureux, mais elle ne le voyait pas. Elle ne voyait que des corps mortels et cela la répugnait. Après toutes ces années de recherche, elle avait enfin rendu possible la transcendance.
— Tu ne comprends pas ? Fini la fatigue, la famine, la peur ! argua l’humanoïde.
Pourtant, Laurent avait peur et Natacha aussi. Elle commençait à réaliser qu’il ne la suivrait peut-être pas.
— Je suis devenue immortelle ! Et toute l’humanité en profitera ! continua-t-elle pour convaincre celui qu’elle aimait.
— Est-ce qu’il reste seulement quelque chose d’humain en toi ? demanda-t-il. Est-ce que tes organes sont humains ? Est-ce que tes muscles, ton sang sont encore humains ? Est-ce que… tes sentiments… sont encore humains ? Ou est-ce que ta puce neuronale feint cela aussi ?
Natacha resta silencieuse un moment. Peut-être avait-elle envie de verser quelques larmes, mais son corps ne le pouvait plus. Entendre les mots de Laurent lacéraient sa peau synthétique. Elle prit une inspiration en fermant les yeux. Elle aurait aimé qu’il se montre davantage enthousiaste à l’idée d’atteindre la transcendance. Par dépit, elle utilisa son interface neuronale sans qu’il puisse s’en apercevoir.
— Ce n’est pas grave. Je ne t’en veux pas. Tu as besoin de temps, lança la machine, se leurrant.
— Je ne veux pas transcender ! Jamais je ne pourrai me faire à cette idée ! protesta l’humain en reculant.
— Ça viendra.
La porte s’ouvrit brusquement et un robot infirmier entra dans la pièce. D’un geste vif, il planta une seringue dans le cou de Laurent, qui s’écroula sans avoir le temps de dire un mot.
— Conduis-le au bloc ! Je t’aime, mon amour. Rien ne nous séparera… ni le temps, ni la maladie. La chair est une prison et je compte bien tous nous en libérer.