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Chapitre 2

Je me trouvais à présent dans la salle d’attente des soins continus. Une très gentille infirmière m’y avait conduite, une certaine Charlotte. L’odeur, mélange âcre d’antiseptique et d’eau de Javel m’agressait les narines. Je n’avais qu’une seule envie, c’était de rejoindre maman et de la prendre dans mes bras comme si rien ne s’était passé. Or, je me trouvais là, assise dans une salle blanche, carrée avec une lumière si pure que je devais plisser les yeux pour regarder en face de moi.

J’observai les autres personnes qui m’entouraient. Une petite table avec des carnets de coloriage avait été installée au milieu de la pièce et un enfant à la peau mate qui devait à peine avoir cinq ans s’amusait avec les couleurs qu’il avait à disposition. Il n’avait pas l’air à l’aise et se dandinait sur la chaise verte de la taille de son gabarit. Très concentré, il s’appliquait à ne pas dépasser. Je me demandais qui il attendait. Etais-ce comme moi, un membre de sa famille proche? Avait-il, avec son jeune âge seulement conscience de pourquoi il était là? Il leva vers moi ses grands yeux verts et me fixa un instant. Son regard traduisait une douleur profonde, comme un écho lointain qui résonnait au plus profond de son âme. Ses sourcils étaient froncés d’inquiétude et sa pâleur trahissaient sa préccupation et son manque de sommeil. Un enfant aussi jeune ne devrait pas être confronté à de telles situations qu’elle qu’elle soient. Jamais ce gamin n’aurais dû se trouver là, à me regarder comme si son monde allait s’écrouler.
Je lui souris. C’était la moindre des choses que je pouvais faire alors que moi même je n’avais aucune idée de ce qui m’arrivait.

C’est alors que la grande porte recouverte de posters représentant diverses parties détaillées de l’anatomie humaine s’ouvrit. Tous les regards se tournèrent vers la personne qui entrait. Le petit garçon arrêta de colorier et son crayon rouge resta en suspension dans sa petite menotte. C’était comme si tout le monde avait cessé de respirer, cherchant à savoir qui de nous tous pourrait enfin avoir un diagnostic, sortir de ce lieu étouffant.
Un adolescent entra, les cheveux en bataille et minuscule sourire s’étira sur les joues de l’enfant. Celui-ci s’élança dans les bras du jeune homme qui devait être son frère. J’éprouvai un lourd pinçement au cœur au vu de l’amour qui se dégageait d’eux. Le supposé grand frère chuchota quelques mots à l’oreille de son frangin et tous deux s’en allèrent, visiblement de bonne humeur.
L’atmosphère en apnée se relâcha d’un coup. Les occupants vaquèrent, déçus, à leurs occupations.
Mon pied tapait le carrelage nerveusement, et je rongeai mes ongles l’un après l’autre. Plus le temps passait, plus mon axiété grimpait d’un cran. Je ne savais plus que penser, depuis que j’étais arrivée à l’hôpital, mon père ne m’avait plus donné de nouvelles. Et s’il s’était passé quelque chose de vraiment grave? Le cerveau en ébullition je me résolus à attendre comme tout le monde. Notre petite pièce oppressante commençait à se vider lorsque je vis mon père apparaître dans l’embrasure de la porte.
Mon cœur faillit rater un battement et je m’empressai de m’extraire de ce climat irrespirable.

– Comme je te l’ai dit, il y a eu des complications. Il s’avère que la masse qui était accrochée à l’ovaire de ta mère n’était pas un kyste.
Il prit une grande respiration, comme si les mots qu’ils s’apprêtaient à prononcer pesaient une tonne.

–  C’était une tumeur. Le problème, c’est que des métastases ont infesté son péritoine. Le péritoine c’est une sorte de membrane qui englobe tous les organes se situant dans l’abdomen. C’est censé les protéger, sauf que là les métastases peuvent carrément atteindre des organes vitaux, lâcha-t-il d’un seul coup.

Je savais que ce qu’il venait de me révéler n’était qu’une infime partie des évènements de la journée. Je sentais la lourdeur qui devait peser dans sa poitrine. Il avait sûrement synthétisé le maximum pour en venir à l’essentiel et éviter les détails susceptibles de me blesser encore plus.

Nouvelle grande respiration, assortie d’un long soupir.

– Du coup ils ont enlevé la tumeur à son ovaire, mais il n’ont pas réussi à enlever ce qui touche à son péritoine parce que… Enfin euh…
Mon père se gratta la tête comme toujours quand il était empli de désarroi.

– Dis, papa s’il te plaît, murmurais-je.

– Une hémorragie. Ta mère a fait une hémorragie. Ils ont dû arrêter l’opération.

A cette instant précis, c’était comme si mes neurones, mon système nerveux, tout avait arrêté de fonctionner. Mon corps s’était mis en mode “pilotage automatique” et je mettais un pied devant l’autre uniquement parce que je suivais mon père. On venait de m’annoncer que ma mère était atteinte d’un cancer. Je n’avais jamais cru que ce type de maladie pouvait entrer dans ma vie, atteindre mon entourage. Quand j’entendais le mot “cancer” c’était toujours à la radio, ou en cours de SVT. Pour moi “cancer” signifiait “mort”. Or je n’étais pas prête à ce que ma mère meure, personne n’était prêt à voir sa maman partir. J’avais besoin d’elle. J’avais l’impression que mes jambes allaient se dérober sous moi. Mes extrémités s’étaient glacées et j’avais une grosse boule dans la gorge. Je sentis mes yeux s’humidifier.

– C’est grave?

C’était la question la plus bête que je n’ai jamais posée de ma petite existence. Mais j’étais tellement bouleversée que c’est la première qui m’était venue à l’esprit.

– Ma chérie… Je ne peux malheureusement pas te dire qu’un cancer est insignifiant.

Il se mordit la lèvre. Je savais qu’il restait quelque chose qu’il ne m’avait pas dite. Quelque chose qui le secouait tout autant que l’annonce du cancer de ma mère. Je n’avais plus la force de prononcer quoi que ce soit, je me sentais lessivée. L’on m’aurait laissé une heure dans un sèche-linge puis enfermée une nuit dans un congélateur je me serais sentie pareil. Mais j’avais besoin qu’il continue, il fallait que je sache la suite. La seule chose que je fus capable de faire fut de lui aggriper la main. Il faut croire qu’il réussit à trouver dans ce geste simple, la force de terminer sa confession.

– Dans le cas de ta mère, si on veut qu’elle soit traitée correctement. Enfin, si elle veut pouvoir être traitée correctement. Eh bien, il y a un hôpital bien plus spécialisé en cancérologie que celui-ci. Mais euh… Il se trouve qu’il est… Comment dire…

Il prit quelques secondes pour trouver ses mots. Moi, j’étais en apnée.

– Il faudrait aller en Ecosse. Il s’y trouve un centre hôspitalier réputé pour son unité de cancérologie. Le Ninewells Hospital se situe sur la côte est de l’Ecosse dans la ville de Dundee. C’est là que nous devons envoyer ta mère.

J’avais l’impression d’avoir percuté un camion à toute allure. Afin de paraître plus forte que je ne l’étais je m’adossais contre le mur immaculé et m’y laissai glisser afin de m’assoir avant que je ne m’effondre.
J’avais beau m’être imaginé tous les scénarios possibles et imaginables, jamais je n’aurais pu penser à quelque chose d’aussi impactant.
Déménager! Ce mot me semblait si lointain que même le formuler dans ma tête relevait d’une épreuve. Je commençais seulement à trouver un semblant de rythme ici, entre Castle Combe et Bath. Les groupilles de ma classe commençaient seulement à arrêter de me critiquer et de me dévaloriser. Une routine s’était lentement installée dans ma vie et j’acceptais l’idée de m’y habituer. Je ne pouvais pas déménager. Pour revivre le harcèlement qui m’avait accueillie dans ce lycée? Non merci, sans façon. Je ne tenais carrément pas à devoir à nouveau tenter de m’intégrer, effectuer tous ces efforts sociaux qui m’épuisaient, me faire rejeter, humilier. Et si l’on me percevait comme différente? Et si je n’étais pas assez bien?

Mais par dessus tout j’avais peur pour maman. Après quelques minutes assise sur le sol froid en compagnie de mon père dont le visage impassible ne trahissait à présent plus aucune émotion, je me forcai à me relever. Je n’allais pas me laisser abattre, je n’avais même pas encore vu maman. 

Je me redressai lentement, époussetant mon pantalon d’un geste absent. Mon cœur cognait contre ma poitrine avec une force inédite, comme si chaque battement réclamait une seule chose : la voir.
— Je veux la voir, articulai-je d’une voix basse mais ferme.

Mon père ne répondit pas tout de suite. Il parut hésiter un instant mais lut la résolution sur mon visage. Il savait très bien qu’une fois une décision arrêtée, on ne pouvait plus m’en dissuader. ç’aurait été comme déraciner un arbre à main nues: impossible.

– D’accord. Mais prépare-toi… Elle est encore sous sédation. Elle ne te parlera peut-être pas. Et tu ne pourras rester que quelques minutes, essaya-t-il de me prévenir.

Je n’en fis rien, l’envie de voir ma mère, qu’elle soit inconsciente ou non était plus forte que ma réticence au choc que cela produirait très sûrement en moi. J’essayai de sourire, mais en vain. A la place je serrai les poings pour m’éviter de trembler. Peu m’importait si elle ne pouvait pas me répondre, ou même ouvrir les yeux. J’avais besoin que cette réalité devienne pour moi moins irréelle.

Nous avançâmes dans le long couloir des soins continus. Soit j’étais vraiment hypersensible à la lumière, du genre photophobe, soit le nombre de Watt de ces LED était illégal. Dans tout les cas, je dus plisser les yeux pour voir correctement là où je mettais les pieds. Dès que je clignai des paupières, je voyais des taches blanches fluorescentes qui témoignaient du sur-éclairage de ce couloir. Décidément, tout était fait pour faire fuir les gens ici!
J’accélerai le pas.

Arrivés devant la chambre 218, mon père s’arrêta et m’enjoint à entrer.

– Je reste ici. Tu as sans doute besoin d’être un peu seule avec ta mère pour… encaisser les évènements, me dit-il d’une voix compatissante.

Je poussai doucement la porte, mon souffle s’accéléra, ma poitrine était serrée. J’aperçus ma mère allongée sur le lit, pâle, les yeux fermés. Elle était reliée à tout plein de machines par des câbles, dont la majorité étaient dissimulés sous sa couverture blanche. Sa poitrine se soulevait lourdement au rythme des “bips” réguliers du cardioscope. La scène semblait irréelle, comme si l’hôpital, avec son odeur d’aseptisé, avait effacé tout ce qui faisait sa vivacité. J’avais l’impression d’être dans un film, la scène typique où quelqu’un a subit un accident et se réveille entouré de ses proches.

Maman était là, allongée comme une étrangère, mais c’était bien elle. Son index se leva imperceptiblement comme si elle réclamait ma présence. Alors je m’approchai, à pas lourds comme si je m’avançais dans un rêve. J’avais l’impression que le monde entier s’était figé autour de ce lit, autour de cette femme, ma mère, dont la vie semblait suspendue.

– Maman?, ma voix se brisa presque sur ces mots.

Ses paupières se soulevèrent lentement, et je voyais bien qu’elle avait beaucoup de mal à émerger. L’on m’eût dit qu’elle se réveillait d’un coma, je l’aurais tout de suite cru. Elle était là, mais pas vraiment. Ses lèvres tressaillèrent comme si elle essayait de sourire, un sourire de morphine, lointain. Elle avait le teint cireux, presque transparent. Je pris sa main entremêlée de bidules médicaux avec précaution, espérant que cela suffise à la ramener.

– Ma chérie... sa voix était faible, tremblante, mais elle essayait de me rassurer comme elle l’avait toujours fait. Je vais bien, ne t’inquiètes pas…

J'aurais aimé pouvoir y croire, mais tout dans cette chambre me criait le contraire. Sa voix n'était plus la même, rauque. Ses mots, bien qu’ils aient été prononcés pour me rassurer, n’étaient plus que des murmures éphémères, et je savais que derrière eux, il y avait une réalité bien plus dure.

Je fermai les yeux, serrai doucement sa main autrefois forte dans la mienne et me sentis submergée par l’émotion. 

– Je suis là mamounette, murmurais-je, presque pour moi-même. “Je suis là”.

Je me sentais égoïste. Comme si ma seule présence pouvait suffire à lui donner de la force, comme si ces simples paroles pouvaient effacer ce qu’elle venait de vivre, d’entendre, de sentir. Mais paradoxalement, je ressentais le besoin d’être utile, de pouvoir aider à mon échelle. Et j’avais l’impression, qu’ici, lui montrer que je la soutenais c’était ce que je pouvais faire de mieux pour le moment.

Je n’avais pas encore le courage de poser toutes les questions qui tournaient dans ma tête. Je n’avais pas le droit de les poser. Pas maintenant. Ma mère était encore là, et ça suffisait pour le moment.

Après un bon moment accroupie au chevet de ma mère, mon père entra et dût littéralement m’arracher à maman, car Léo voulait également avoir un moment seul avec elle. 

Je me redressai lentement, à contrecœur, laissant la main de ma mère glisser entre mes doigts comme si je lâchais une bouée en pleine mer. Léo s’approcha aussitôt, les lèvres serrées, les yeux brillants d’un mélange bizarre entre son amertume habituelle et de l’inquiétude. Je me demandai ce qu’il pouvait bien se passer dans sa tête. Etait-il encore en train de se répéter des tournures de phrases à fin de me dénigrer, encore, ou bien la gravité du moment m’accorderait-elle quelques temps de répit?
Il ne dit rien, mais son regard me suppliait de lui laisser cet instant.

Je lui fis un signe de tête, à peine perceptible, puis reculai d’un pas. Il m’était dur de laisser maman, mais après tout, Léo était aussi son fils. J’arrivai tout de même à me mettre à la place de mon frère, s’il était doté d’un minimum d’humanité. Malgré les blessures profondes qu’il m’avait infligé, invisibles mais présentes au quotidien, j’éprouvai un peu de compassion. Je savais ce qu’il vivait, même si son empathie limitée devait atténuer la douleur et l’anxiété.
Mon père posa une main sur mon épaule en silence, geste maladroit mais sincère, et nous quittâmes la chambre ensemble. Dans le couloir, le silence était presque assourdissant, seulement troublé par le bourdonnement discret des machines et les pas lointains du personnel.

Je m’appuyai contre le mur froid et fermai les yeux. J’avais la vive impression de me trouver dans une bulle, comme si j’étais suspendue dans un entre-deux, incapable d’avancer, mais déjà trop loin pour revenir en arrière.

— Elle va s’en sortir, tu sais, dit soudain mon père, d’une voix rauque.

Je rouvris les yeux. Il ne me regardait pas, fixant un point invisible quelque part au bout du couloir. Papa était du genre dur à cuire, je ne l’avais jamais vu pleurer. Je l’admirais très souvent, car quelque soit le problème qu’il pouvait rencontrer, il savait garder son sang-froid et avait un don pour trouver des solutions. Toujours. Si mon père était confiant, c’est qu’il devait y avoir matière à espoir. C’est vrai, les cancers se soignent. J’avais déjà entendu dans les médias, que le risque de mortalité ne faisait que de baiser depuis vingt-cinq ans grâce aux avancées médicales. Même si celui de maman était un stade avancé, peut-être que si on l’emmenait au bon endroit, elle pourrait être prise en charge au mieux. Tout était si soudain. Encore ce matin, nous pensions que maman serait rentrée deux jours après, en pleine forme, et maintenant, elle s’est vue diagnostiquée d’une maladie grave, mortelle et un déménagement se profilait à l’horizon. Certes j’étais très réticente à l’idée de changer de maison, de nation/pays, de lycée, de mode de vie, mais je décidai que si c’était la meilleure façon pour moi d’aider maman, je le ferai. Nous déménagerions.

***

Les semaines qui suivirent furent très intenses. Notre maison qui était autrefois extrêmement bien rangée, devint un dépôtoire si le terme m’est autorisé. Des cartons jonchaient le sol, parfois à moitié remplis, parfois vides. Des piles de livres, de tableaux, de cahiers s’amassaient n’importe comment, on ne pouvait presque plus marcher. Il faut l’avouer, sans l’aide de maman et son organisation naturelle, il nous était impossible d’être un minimum ordonnés. 

Maman était revenue à la maison au bout d’une bonne semaine. Semaine où papa, Léo et moi avons alterné entre travail, hôpital et remplissage de cartons. Nous étions au petits soins pour elle, lui apportant ce dont elle avait besoin dans la minute et restant prêts au moindre problème. Au lycée, je n’écoutais plus rien, comme si mes oreilles s’étaient bouchées et que plus rien ne me montait au cerveau. J’étais comme éteinte, absente. Devant mon presque désespoir apparent depuis le soir de l’opération, même William avait perdu de son enthousiasme et nous passions la plupart de notre temps ensemble sans vraiment nous parler à part pour des formalités. 
Durant cette période, je m’étais encore plus repliée sur moi-même. Lorsque je me regardais dans le miroir, il m’arrivait de ne plus me reconnaître. Je ma silhouette s’était beaucoup affinée, et des cernes s’étendaient jusque sur mes joues qui ne se coloraient plus. J’étais pâle, mon teint devait plus tirer vers celui d’un cadavre que d’une personne normale. 
Je mangeais que quand on me le demandait, et en très petites quantités. La nourriture me dégoûtais. J’avais l’impression que chaque bouchée était mon ennemie. Une ennemie qui m’éloignait à chaque fois un peu plus du “corps de rêve” que je m’imaginais. 
Je me fritais de plus en plus avec mon frère, qui lui était le seul à observer réellement mon comportement. Il adorait se moquer de moi, critiquer mon physique, me dénigrer. 

— Le régime c’est une nouvelle tendance ou quoi? Tu commences une collection de miettes dans ton assiette?, m’avait-il lancé avec son impérissable air narquois.

Toutes ses petites remarques au quotidien étaient presque comme crachées, plein de dédain, comme si j’étais une sous race d’un porc boueux. C’était comme un venin qui s’insinuait dans mon esprit, qui le faisait cogiter, remodeler mon image de moi-même. Chaque parole prononcées par mon frère était emprunte de dégoût, et me faisait chaque jour, un peu plus me détester. J’étais à chaque fois à deux doigts d’exploser, comme un ballon empli d’air auquel on en rajoutait toujours un peu plus. Mais je me retenais afin de ne pas nourrir encore plus la satisfaction de mon frère. 

Aujourd’hui c’était mon dernier jour à la King Edward’s School. Je m’étais résignée à jouer cette journée comme si c’était une journée des plus normales. A part William, personne n’était au courant de mon déménagement, à mon plus grand bonheur. 
Je décidai seulement de m’investir un peu plus pour mon cours de français avec madame Boyance, car je l’appréciais plus que les autres. Elle m’avait toujours soutenue, je lui devais bien cela.

— Quelqu’un pourrait-il m’expliquer en quoi le poème d’Arthur Rimbaud “Le Mal” montre sa révolte face à la guerre franco-prussienne?, demanda-t-elle sans grande conviction, car elle savait qu’au vu de la participation orale de la classe, elle devrait s’attaquer elle-même à l’analyse du poème.

Je tentai de vaincre ma timidité, et avant que le doute s’installe, je levai la main. Surprise, madame Boyance ouvra de grand yeux et m’intima de m’exprimer d’un mouvement de tête encourageant.

— Dans Le Mal, on sent que Rimbaud est révolté par la guerre.
Hésitante je m’appuyai sur les repérages que j’avais effectué sur mon texte. Ma prof me sourit. J’eus peur que l’on se moquât de mon analyse qui ne serait sans doute pas très poussée. Mais je me lançai:

– Il décrit les soldats comme des victimes, au travers de la déshumanisation, c’est “une masse”. On aussi par exemple observer l’antithèse entre le pluriel “cent milliers d’hommes” et le singulier “un tas fumant” qui montre la violence de cette guerre. Les images sont très dures et le présent à valeurs itérative “croulent”, ou encore “sifflent” donne l’impression que la guerre n’en finira jamais.

Je m’arrêtai. J’avais encore d’autres éléments de réponses, mais je craignais que l’on me prenne pour une intello parce que j’en disais trop. J’en restai donc là. Tout le monde me regardais comme si je venais d’une autre planète. Je ne me sentais pas à l’aise. Peut-être avais-je oublié de dire quelque chose?

– Euh après on peut voir aussi la dimension dénonciatrise de l’hypocrisie de la Religion, mais ce n’est pas la question, ajoutais-je d’une petite voix.

Le visage de ma professeure s’était soudain illuminé comme si on venait de lui annoncer une dinguerie. Je cru même qu’elle se retenait d’applaudir tellement elle était choquée que j’aie participé. Il faut dire que c’était une première. 

Elle reprit alors mes éléments et continua son cours. Moi j’essayais d’écouter, vraiment. Mais même si je déployais tout les efforts du monde je m’en sentais incapable. Mon cerveau s’était à nouveau mis en veille et mon esprit divaguait.

A la fin du cours Mme Boyance m’interpella:

– Mademoiselle Valmont, puis-je vous retenir un instant?

– Euh… oui bien-sûr, bredouillais-je, étonnée.

Elle m’observa quelques secondes, comme si j’avais changé.

– Vous devriez participer, plus souvent. Votre intervention durant mon cours était tout à fait pertinente et je sais que vos capacités peuvent encore aller au délà de cela. Si je peux me permettre, vous impliquer un peu plus en classe pourrait vous aider à prendre confiance petit à petit.

Fallait-il que je lui annonce mon départ? J’étais mitigée. Je n’avais pas envie de lui mentir, ce n’était pas très poli et elle avait l’air de m’apprécier. C’est pourquoi je me contentai d’une réponse quelque peu énigmatique qui pourrait laisser entendre le fait qu’elle ne me reverrait sans doute plus. Je préférais cela que de m’épencher dans une discussion où je devrais me justifier et afficher un sourire en disant “tout va bien, tout ira bien”, ou encore “ce n’est pas bien grave”. Ce qui soit disant passant était totalement faux.

– Merci…, choisissais-je de répondre. J’essaie de faire de mon mieux, même si… je ne sais pas encore combien de temps ça durera.

La journée passa étrangement vite, entre semi-véritées et esquives d’un maximum de personnes.
Le soir, William me raccompagna exceptionnellement chez moi, car nous ne savions pas quand nous nous reverrions. Enfin, lui ne savait pas quand, mais moi je n’étais même pas sûre du fait que nous nous reverrions un jour. J’avais choisi, avec ce déménagement de laisser le moins de trace possible de mon passer afin de pouvoir m’intégrer le mieux possible dans ma nouvelle ville. C’est-à-dire discrètement, comme si personne de nouveau n’y avait aménagé et que l’on ne remarque pas ma présence. Je voulais passer le maximum de mon temps seule avec moi même ou ma mère. Je n’avais pas besoin des autres.

Bizarrement, William me parut très bouleversé. Je lui avais pourtant promis de vite le recontacter. Je ne comprenais pas son attachement pour moi, j’étais la fille la moins attachante qui soit. Toujours renfrognée et silencieuse alors que lui était toujours enthousiaste et de bonne humeur. Nous étions le ying et le yang. Noir et blanc. Des opposés.

Lui, n’eut pas l’air de se rendre compte de cette différence. Je crus qu’il était au bord des larmes, mais comment le soulager alors que moi même n’était pas capable de me rassurer toute seule?
Je me rapprochai et le pris dans mes bras. Infime geste, qui peut-être soulagerait son fardeau et lui donnerait une bonne image de notre “au revoir”. Nous restâmes comme cela pendant une bonne minute. A vrai dire, j’attendais qu’il se détache, ce serait le signe pour moi qu’il aurait eu sa dose, qu’il ne se séparerait pas de moi frustré. 

–  On s’écrira hein?, me demanda-t-il, essayant de recouvrer son sourire enthousiaste.

– Bien-sûr, on se donnera des nouvelles, laisse moi juste le temps d’arriver. Tu sais, tous ces chamboulements, ça fatigue.

–  ça, je te crois sur parole. En tout cas, vraiment je t’envoie tout mon courage et si jamais tu as besoin d’une quelconque aide, n’hésite pas. Même si c’est d’un point de vue émotionnel. J’espère que tout ira mieux au plus vite de votre côté, me dit il tout en me prenant les mains.

Il m’embrassa sur la joue, puis se retourna très vite et partit sans rien dire. Sans doute était-il trop gêné à présent pour me parler, ou bien préférait-il ne pas s’épancher sur des discussions trop longues afin que ça fasse moins mal. 

Peut-être que finalement savoir que même dans un autre pays quelqu’un s’en ferait pour moi, même s’il n’avait idée que d’une partie de ce que je subissais, m’aiderait à m’accrocher. Je n’en savais que trop rien.

Tout ce que je pouvais être sûre était que je m’apprêtais à rentrer dans un long tunnel noir et je ne savais pas quand la lumière de la sortie m’éclairerai à nouveau.

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