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Horliana
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Chapitre 2 : Ewan

Au loin, j'aperçois deux hommes qui sortent d'une voiture. Ils jettent un bref regard sur la foule, puis se dirigent vivement en direction de ma mère. De ma place, je ne distingue pas leurs visages, mais leurs vêtements, bien trop décontractés, m'indiquent qu'ils ne sont pas là pour venir rendre hommage à ma sœur. Un peu en retrait, ils attendent que ma mère ait terminé les nombreuses mains accompagnées de suintantes condoléances qu'on lui tend. Lorsque ma vieille tante finit enfin par s'en aller, ils s'approchent et sortent de leur poche un portefeuille qu'il présente ouvert devant ma mère. Ses épaules se crispent, et je n'ai pas besoin de plus d'informations pour me précipiter à ses côtés. En me rapprochant, je reconnais les visages, bien trop familiers, des inspecteurs Connelly et Cameron. Comment osent-ils se montrer ici aujourd'hui ? Ma sœur n'est même pas encore mise en terre. J'allonge ma foulée et me place entre ma mère et eux dans une posture défensive.

— Qu'est-ce que vous voulez ? je crache.

— Nous sommes désolés de vous déranger dans un moment pareil, mais nous avons de nouveaux éléments concernant l'enquête et nous aurions besoin d'éclaircir ceux-ci avec votre mère.

— Et vous avez jugé opportun de vous pointer maintenant ?

— Encore une fois, nous sommes désolés d'interrompre votre recueillement et nous tenons d'ailleurs à vous présenter nos sincères condoléances, mais dans ce genre d'affaires il est essentiel de réagir rapidement.

Je lâche un rire gras. Depuis des semaines, ma mère et moi les supplions de faire quelque chose, mais à part rester le cul vissé sur leur chaise, rien... Quand nous leur avons signalé la disparition de Fiona, ils nous ont simplement renvoyé chez nous avec de brèves paroles encourageantes. Et quand son corps a été retrouvé, totalement mutilé, ils nous ont juré de tout faire pour retrouver le meurtrier. Pourtant, depuis presque dix jours, l'enquête n'a pas avancé d'un poil.

— Vous vous foutez de notre gueule ? je tonne, attirant ainsi tous les regards vers nous. Vous gardez le silence pendant des jours et vous venez nous interrompre alors que le cercueil n'a même pas encore été enterré.

— Nous...

— J'en ai rien à branler de vos excuses de merde, j'explose. Vous feriez mieux de dégager d'ici avant que je décide de vous virer moi-même.

J'amorce un pas dans leur direction, mais la main de ma mère se pose sur mon épaule, m'invitant d'une simple pression à me calmer. Je ravale un peu de la rage qui me brûle les entrailles et détourne mes yeux des deux agents afin de les poser sur elle. En l'espace de moins d'un mois, elle semble avoir vieilli de plus de dix ans. Ses traits sont marqués par l'angoisse et le chagrin et le bleu de ses yeux est perpétuellement délavé derrière un rideau de larmes.

— Nous accepterons de vous suivre à la fin de la cérémonie, je doute que quelques heures de plus aient une si grande importance.

Ses doigts se serrent plus fort dans une supplique muette de me tenir à carreau. Elle ne veut pas de scandale, rien qui ne puisse entacher le dernier hommage de Fiona. Je serre les mâchoires, seul signe perceptible de la colère et de la frustration qui me ronge. Connelly, le plus âgé des deux agents, hoche la tête. Il nous invite simplement à les rejoindre au commissariat dès que l'enterrement sera terminé. Un flot d'insultes me brûle la langue et je préfère rester muet plutôt que de les laisser sortir. Ma mère ne me pardonnerait pas.

— Encore une fois, toutes nos condoléances, lance l'agent Connelly avant de faire demi-tour avec son collègue.

Je doute qu'ils quittent vraiment les lieux, mais je préfère ne pas m'attarder plus longtemps sur leurs deux silhouettes qui se dirigent vers le cimetière.

La mise en terre se déroule dans un flou teinté de rage. Ce n'est qu'un amas de larmes et de belles paroles qui ne ramèneront pas ma sœur. À peine dissimulés derrière un arbre, les deux agents patientent. Ils ne se mêlent pas à la foule, ils observent simplement, mais leur présence n'est qu'un rappel supplémentaire que ce jour ne devrait pas avoir lieu, que mes ongles ne devraient pas être souillés de terre. Enfin, un à un, la famille, les amis et les curieux s'en vont. Nous n'avons pas prévu de veillée, ma mère ne voulant pas endurer de longues heures supplémentaires de condoléances et de bons sentiments. Bientôt, ils ne restent plus que ma mère et moi, debout, main dans la main, devant la terre fraîchement retournée. Nous nous offrons un dernier instant de silence, un ultime moment, avant de retourner aux corvées des vivants.

Le trajet jusqu'au commissariat est ponctué par la seule musique de nos respirations. Nous sommes perdus dans nos pensées, incapables de communiquer. Quand nous arrivons enfin au commissariat, un poids s'abat dans mes entrailles. Coincée entre un coiffeur et un petit café, la bâtisse se mêle parfaitement au reste du décor avec ses vieilles pierres et sa devanture délavée. Ma mère sort de l'habitacle en premier, elle s'arrête un instant devant les marches, lisse machinalement sa jupe et pénètre dans le bâtiment. De mon côté, j'ai besoin d'un instant supplémentaire. Je peux sentir la colère qui boue encore et menace d'exploser à tout moment. J'abaisse le pare-soleil et plonge mon regard dans mon reflet. C'est comme se plonger dans les yeux de ma soeur, c'est le même bleu clair piqueté de vert, mais sans la lueur de malice qui habitaient toujours les siens.

— Tu vas y arriver. Tu restes calme, peu importe ce qu'ils te racontent.

Je répète ce mantra plusieurs fois, jusqu'à ce que le feu dans mes veines se tarit un peu et je sors rejoindre ma mère.

À l'intérieur du commissariat, tout est beaucoup trop calme. Tous les bureaux sont clos et la réceptionniste, une jeune blonde d'une vingtaine d'années, lime ses ongles en jetant de temps à autre un regard vers l'entrée. Assise sur un des fauteuils de ce qui doit servir de salle d'attente, ma mère patiente. Je me dirige vers elle, mais suis intercepté par l'agent Connelly qui apparaît derrière une des portes fermées. Ils nous invitent à le suivre et nous nous retrouvons dans un bureau cossu à la décoration chaleureuse, bien loin des clichés austères que nous montrent les films. Assis derrière un secrétaire en bois, l'inspecteur Cameron a le nez plongé dans un dossier. Plusieurs mèches poivre et sel retombent sur son front et dissimulent son expression. Ma mère et moi prenons place dans deux chaises matelassées.

— Merci d'être venus aussi rapidement, commence Connelly en rejoignant son collègue. Je tiens à réitérer nos sincères condoléances et je tenais à vous assurer que nous faisons tout ce qui nous est possible pour retrouver l'assassin de votre fille. C'est d'ailleurs dans le cadre de l'enquête que nous souhaitions nous entretenir avec vous.

— Vous avez du nouveau ? je rebondis.

— Il semblerait que le petit ami de votre sœur, un certain Ronan Graham, ait quitté le campus le lendemain de la découverte du corps. Nous aurions aimé savoir si vous le connaissiez et si vous auriez plus d'informations à nous fournir sur la relation qu'ils entretenaient.

— Ma sœur n'avait pas de petit ami, si c'était le cas, elle me l'aurait dit.

Fiona avait abandonné l'idée d'entretenir une relation sérieuse après le fiasco de la dernière. Et puis, elle me racontait absolument tout, nous étions comme les deux côtés d'une seule pièce.

— Pourtant, plusieurs de ses amis nous ont assuré qu'elle avait bien une liaison avec Ronan Graham qui durait depuis plusieurs mois, insiste Connelly. Madame Fraser, peut-être que votre fille s'est confiée à vous ?

— Non, je suis désolée, mais Fiona savait se montrer discrète au sujet de sa vie privée. Cela faisait plusieurs années qu'elle ne me confiait plus grand-chose. Depuis la mort de son père en fait, ils étaient très proches, et après son décès, Fiona s'est éloignée de moi. D'Ewan aussi.

Je frotte ma paume contre ma poitrine pour essayer de calmer la sensation de brûlure qui s'étend sous mes côtes. Les paroles de ma mère sont comme une nouvelle blessure sur mon âme déjà meurtrie. Un rappel de ce que je n'ai cessé de nier au cours des six derniers mois. Fiona ne m'appelait plus, elle ne me disait plus rien.

— Et ce Ronan, vous l'avez retrouvé ? je demande.

— Non, sa famille ne semble pas savoir où il a pu passer, même s'ils ont eu des nouvelles récemment.

— Donc vous êtes en train de me dire que le petit ami de ma sœur aurait fui après la découverte de son corps, qu'il est en contact avec sa famille, mais que vous êtes dans l'incapacité de le retrouver.

Mon ton est calme mais suinte de colère et de menace. Le mince contrôle que je me suis promis de conserver est déjà à deux doigts de voler en éclat. Un bref coup d'œil sur les mains tremblantes de ma mère, me pousse à me renfoncer au fond de mon fauteuil.

— La famille de monsieur Graham a énormément d'influence, et les différentes procédures pour mettre la main sur lui sont ensevelies sous une tonne de paperasse fastidieuse.

— Évidemment, je souffle.

Toujours le même problème. Fiona est une simple campagnarde, une jeune femme du fin fond des Highlands qui avaient décidé de vivre la grande vie à la capitale, mais elle n'est qu'un grain de sable pour ces hommes. Il ne faudra pas longtemps avant que l'enquête se retrouve enterrée sous un scandale politique ou financier bien plus important.

— J'aurais aimé vous donner plus d'informations, déclare ma mère, mais si c'était la seule chose dont vous souhaitiez nous entretenir, alors je pense que nous avons déjà fait le tour.

Son visage est tiré par la fatigue. La prestance qu'elle s'est efforcée de maintenir ces dernières heures est sur le point de disparaître et je sais qu'elle a besoin de retrouver sa maison.

— Malheureusement, nous n'avons rien de plus...

— Alors, nous partons, je crache en me relevant. Je doute pas que vous saurez nous retrouver en cas de besoin.

Connelly acquiesce, et je glisse le bras sous celui de ma mère pour la traîner vers la sortie. Elle me semble affreusement frêle alors que je la guide jusqu'à la voiture. Je lui ouvre la portière côté passager et décide de m'installer derrière le volant. Avant de démarrer, je me tourne vers elle :

— Je vais découvrir ce qu'il s'est passé, je te le promets, maman.

Si je dois intégrer l'université d'Édimbourg et mettre un coup de pied dans la fourmilière pour débusquer le coupable, alors je n'hésiterais pas. 

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