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Horliana
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Chapitre 3 : Ewan

Septembre 2025

Un léger crachin tombe sur Édimbourg lorsque je sors du taxi, ma grosse valise à la main. Le ciel, entièrement gris, donne à la ville des allures presque fantomatiques. Le dortoir de Buccleuch palace à un aspect lugubre sous la grisaille de ce début septembre. Le brouillard de fin d'après-midi s'attarde au pied de la bâtisse bien trop silencieuse. La plupart des étudiants n'ont pas encore pris leur quartier pour l'année à venir et les lieux paraissent complètement déserts, abandonnés. Les pierres ocre ont viré au gris sous l'humidité ambiante et les tours qui cerclent le bâtiment lui donnent l'aspect d'un vieux château hanté. Je me dirige d'un pas incertain vers l'entrée principale, le son de mes pas se mêlant aux tintamarres des roulettes sur la route pavée. Dès que mes yeux se posent sur un nouvel élément de décor, j'imagine Fiona qui y évolue. Je la vois assise en tailleur au milieu du carré d'herbe, profitant de quelques rayons de soleil. J'aperçois sa silhouette qui dévale la rue, pressée de rejoindre sa salle de classe. Je peux entendre son rire s'échapper d'une des nombreuses fenêtres qui habillent la façade. Mais, ce n'est que son fantôme qui refuse d'arrêter de me hanter.

J'inspire une grande goulée d'air, et pousse la porte dans un grincement sinistre. À l'intérieur, la modernité a volé sa place au passé. Les vieilles pierres ont été remplacées par du plâtre d'un blanc immaculé et des lumières, trop vives, chassent la moindre parcelle d'ombre. Je ne m'attarde pas dans le hall et emprunte l'un des deux ascenseurs pour rejoindre la chambre que je loue au quatrième étage. En sortant de la cabine, je suis accueilli par un couloir où s'aligne une dizaine de portes de part et d'autre du corridor. Une musique aux sonorités rock s'échappe d'une des chambres et je distingue également la voix d'une jeune femme, bien trop distinctement. Pour l'intimité, il faudra repasser. Je tire ma valise jusqu'à la piaule estampillée du numéro treize – espérons que cela ne me porte pas malheur – et découvre enfin l'espace dans lequel je passerai les prochains mois. Conçue pour deux personnes, la chambre fait à peine une quinzaine de mètres carrés agencés pour y placer : deux lits, deux armoires, deux bureaux et même une petite bibliothèque encore vide. Comme Fiona, j'ai opté pour la colocation afin de réduire mes dépenses au minimum. Les maigres économies de ma mère ne nous permettant pas de louer mieux.

Alors que mon regard se porte vers la fenêtre et que je découvre le campus depuis les hauteurs, mon cœur se serre douloureusement. C'était le rêve de Fiona d'évoluer entre les bâtiments chargés d'histoire, de profiter de l'inspiration mystique de la ville. Ce n'était pas le mien. La boule qui n'a pas quitté ma gorge depuis presque trois mois semble encore plus grosse que d'habitude et mes yeux brûlent de larmes que je peine à contenir. Je me laisse tomber sur le matelas encore nu du lit de gauche, lessivé par le tumulte d'émotions qui bataille sous mon crâne. Venir ici, sur les pas de ma jumelle, s'avèrent bien plus difficiles que prévu. Tout me ramène à elle. Je revois notre première conversation vidéo alors qu'elle me montrait sa chambre, si excitée de cette nouvelle vie qu'elle entamait. Je me souviens des photos qu'elle m'envoyait, souvent le matin, avec la vue qui donnait sur le parc. Elle voulait m'attirer ici, me sortir de ma campagne où je comptais rester enfermé. Si seulement je l'avais écoutée.

Épuisé, mon corps bascule en arrière. Je ferme les yeux, repassant le film de ces dernières années sur l'écran de mes paupières jusqu'à ce que le sommeil vienne me délivrer de la prison de mes souvenirs.

Bam ! Le fracas me tire de ma torpeur en un violent sursaut. Hagard, le cœur battant à tout rompre, je scrute les ténèbres, mais me retrouve aveuglé par l'éclat soudain de l'ampoule qui s'allume.

— Oh bordel, je suis désolé, je ne savais pas que tu étais là...

Il me faut quelques secondes pour que mes yeux s'habituent à la luminosité et découvre enfin les traits de la silhouette debout dans l'embrasure de la porte. Avec son visage encore juvénile, son sourire désolé et son épaisse masse de boucles blondes, mon nouveau colocataire dégage une forme d'innocence sympathique.

— Vraiment, je pensais pas que tu serais déjà là, sinon j'aurais fait attention. Au fait, je m'appelle Finlay. Je suis trop content de partager ma chambre, j'ai vraiment hâte de découvrir Édimbourg. Je viens d'un tout petit village en Irlande, c'est la première fois que je quitte mon pays et j'ai entendu tout un tas de trucs de dingues sur l'université, genre des histoires de fantômes et tout, paraît même que l'année dernière y'a eu un meurtre sur le campus.

Il régurgite sa diatribe en prenant à peine le temps de respirer alors que ces derniers mots me frappent en plein cœur. Savoir que le meurtre de Fiona est devenu en l'espace d'un été un fait divers morbide qui se raconte dans les soirées étudiantes me donne envie de vomir.

— Au fait, c'est quoi ton nom ? Tu viens d'où ? Ça fait longtemps que t'es arrivé ?

Son flot ininterrompu de questions menace déjà de me provoquer une violente migraine.

— Finlay, est-ce que tu pourrais juste la fermer pendant deux minutes, j'exhale dans un soupir ?

— Je...je... ouais, désolé, je suis juste tellement content d'être ici.

— Finlay...

— Je me tais, je me tais.

Il lève les mains en signe de capitulation et le silence résonne comme une douce musique à mes oreilles. Je prends une profonde inspiration pour tenter de réprimer ma montée de colère et m'assois sur le rebord du lit. Finlay, lui, n'a pas bougé. Il se trémousse sur place, visiblement mal à l'aise après que je l'ai rabroué. Je décide de rompre le silence :

— Ewan, je m'appelle Ewan. Désolé pour la réaction, je suis vraiment crevé et j'ai passé une journée de merde, alors vas-y installe-toi, mais ne m'en veut pas si j'ai pas trop la tête à faire connaissance pour l'instant.

Mon ton est légèrement plus froid que prévu, mais mon nouveau colocataire semble quand même se détendre. Il pénètre enfin complètement dans la chambre en claquant la porte derrière lui.

— Pas de souci, on pourra faire connaissance un autre jour, de toute façon, on est colocs, on va avoir le temps.

Il traîne son énorme valise vers le lit en face du mien et commence à déballer ses affaires en massacrant un morceau de rap célèbre :

— Yo, iss palm sweady, nees wicky, armz are hevvy
There's a vommi' on his swetta awreddy...
Mum's paghetti, he's nervis....

Épuisé, je me laisse retomber sur le matelas que je n'ai toujours pas couvert, en essayant de faire abstraction de la voix affreusement nasillarde de Finlay. Je ferme les yeux dans l'espoir de retrouver l'étreinte du sommeil, mais dès que je suis sur le point de replonger un nouveau bruit agaçant me ramène au présent. Je suis tombé sur le colocataire le plus agaçant de la terre. Il y a quelques mois, ça aurait probablement pu matcher entre nous deux, mais j'ai perdu tout mon enthousiasme le jour où ma sœur a été scarifiée et tuée par une espèce de malade que la police n'est même pas capable de retrouver. Il ne reste de l'homme que j'étais qu'une coquille remplie de colère et de culpabilité, animée par la seule volonté de se venger. 

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