03.11.2023
Petit ange.
— Pour quelle raison est-ce que je viendrais alors que je pourrais tranquillement rester ici et réviser pour mon examen de littérature française ?
— Nous savons toutes les deux que tu ne m’abandonnerais jamais au milieu de cette concentration de testostérone, Lilibeth. En plus, tu adores ça !
— Ce n’est pas parce que j’aime voir les garçons sur la glace que je dois venir à tous les entraînements.
Elle se tait pendant quelques secondes. Et, alors que je pense avoir gagné notre petit échange, je l’entends marmonner :
— Et tout le monde sait que tu le connais sur le bout des doigts, ton cours de littérature française.
Je lève les yeux au ciel, poussant sur mes pieds afin de faire reculer ma chaise de bureau, faisant face à ma meilleure amie. Enfin, « lui faire face » ne sont peut-être pas les mots les plus adéquats.
Celle-ci est en état de semi-décomposition, affalée sur mon lit depuis près d’une heure, un magazine de mode posé sur le visage. Puisqu’elle n’avait fait aucun bruit depuis plus d’une demi-heure, j’avais fini par croire qu’elle s’était endormie. Mais non, elle était simplement en train de chercher un moyen de me convaincre de l’accompagner ce soir alors que j’avais décidé de travailler assidument avant de partir pour le week-end de Thanksgiving et, par conséquent, de ne rien faire à part m’empiffrer et passer le temps en regardant des films puisque nos parents ne seront pas là.
— Si tes parents ne te forcent pas à y aller, mes parents, eux, exigent presque que je sois là pour encourager Nate. Alors je t’en prie, accompagne-moi ! me lance-t-elle d’une voix suppliante.
— Je serai au match, mais je ne vois pas pourquoi j’irais à l’entraînement.
Elle se retourne, s’allongeant sur le ventre pour m’observer de ses grands yeux marron, me dédiant une moue suppliante. Je lève les yeux au ciel, jetant un œil par la fenêtre. Il neige à gros flocons ; si cela ne tenait qu’à moi, je resterais volontiers enfermée dans ma chambre pour travailler. Mais je ne pense pas que cette chère Josephine me laissera m’échapper aussi facilement. Pas cette fois.
— Pourquoi est-ce que tu tiens tant à ce que je t’accompagne ? Si tu ne tiens pas à y aller, emmène de quoi t’occuper. Tu y seras, mais tu n’y feras pas attention. Emmène ton carnet à dessin, tu pourras imaginer les prochains designs de la collection que tu dois présenter à la fin de l’année.
— Tu penses vraiment qu’avec tous les cris de ton frère et de ses coéquipiers et l’agacement de Milori, je vais pouvoir me concentrer ?
— Ton frère aussi fait partie de l’équipe, je te signale.
Mais je fais tout de même mine de réfléchir, sachant très bien où elle veut en venir. Tous les arguments que je pourrais lui sortir auront des contre-arguments qu’elle se fera un malin plaisir de m’exposer.
— Tu vois, tu n’as rien à redire ! Alors, je t’en prie, accompagne-moi ! Si tu acceptes de m’accompagner, je te promets que tu seras mon mannequin principal pour le défilé. Je t’en prie, Lilibeth.
Je finis par soupirer, ôtant mon plaid de mes jambes pour le jeter à ses côtés sur mon lit. Je me lève, me dirigeant vers mon dressing. Elle sait très bien que je n’en ai rien à faire de son défilé ; elle ressort automatiquement gagnante dans le deal qu’elle me propose.
— Tu as de la chance que je t’aime, Jo.
Je jurerais l’entendre sourire dans mon dos avant qu’elle ne lâche un cri de joie. Du coin de l’œil, je la vois se lever, ouvrant la porte de ma chambre dans un fracas assourdissant qui me fait grimacer. Quelques secondes plus tard, sa voix résonne dans toute la maison que nous partageons avec mon frère, le sien et leur meilleur ami :
— Lilibeth m’accompagne ce soir !
Je soupire, levant les yeux au ciel avant d’ouvrir mon armoire pour choisir une tenue pour ce soir. Ma meilleure amie est une véritable enfant.
Après quelques minutes de réflexion, je finis par attraper un simple jean noir, que j’enfile au-dessus du collant que je portais depuis que Jo et moi sommes passées à la bibliothèque du campus, et un teeshirt blanc à longues manches. J’attrape aussi une paire de bottes et mon bonnet noir décoré de l’écusson de l’équipe des garçons ; un cadeau de Jo il y a quelques mois. Je pose le bonnet sur mon lit et les bottes au pied de celui-ci, regagnant mon bureau. J’enregistre les dernières modifications sur le document du premier jet de mon mémoire et ferme l’écran de mon ordinateur. J’attrape les rideaux que je ferme à leur tour avant de regagner mon lit où je récupère mon téléphone, lorsque l’on toque à la porte que Josephine a laissé entrouverte en sortant.
— Toc toc.
Je tourne la tête vers la porte en souriant, autorisant mon frère à me rejoindre. Il porte déjà son maillot, bien que son équipement l’attende dans la voiture avec sa crosse et ses patins. Je lui souris, me redressant pour le regarder arriver.
— Qu’est-ce qu’il y a, Jace ?
Il me lance un deuxième maillot que je n’avais pas vu. Je l’attrape par les épaules et le tends droit devant moi pour l’observer. Il est plus petit que ceux qu’il porte pendant les matchs, au-dessus de son équipement, mais il reste beaucoup trop grand pour moi, au vu de la carrure de mon jumeau. C’est un des trois maillots qu’il garde pour les réunions ou pour les évènements hors de la glace.
— Pour ce soir. Comme d’habitude.
Je lui souris, enfilant le maillot au-dessus de mon haut.
— Il te va encore mieux qu’à moi, se bidonne-t-il alors que je me relève, observant mon reflet dans la miroir.
— Tu parles ! Déjà que je pouvais faire un pyjama de ton ancien maillot, je suis sûre que celui-ci pourrait passer pour une robe !
Son maillot, arborant fièrement les couleurs orange et verte, porte le numéro 14 et m’arrive presque aux genoux, ce qui, de l’extérieur, peut paraître quelque peu ridicule. Je me retourne pour faire face à mon jumeau qui, assis sur mon lit, continue de se moquer de moi et, plus précisément, de la dégaine que m’offre cette tenue que j’adore et qui, dans notre monde, paraît presque normal. J’attrape le bonnet que je pose sur ma tête, tournant sur moi-même comme si j’étais un modèle à un défilé de mode, exhibant la toute dernière création du créateur qu’elle présente.
— Excuse-moi de t’annoncer que tu es un peu ridicule.
— Excuse-moi de t’annoncer que je l’aurais beaucoup moins été si tu n’avais pas pris plus de trente centimètres sur tes dernières poussées de croissance et si tu ne t’entraînais pas comme un forcené.
— Tu as arrêté de grandir il y a longtemps, je te signale, petite sœur. Ce n’est donc pas entièrement de ma faute.
Je lève les yeux au ciel en bougonnant alors que son téléphone se met à sonner.
— Ah, il est l’heure d’y aller.
— Youpi.
L’ironie qui perce dans ma voix à ce moment-là le fait sourire alors qu’il quitte ma chambre pour rejoindre les escaliers où il hurle la même chose à l’intention de ma meilleure amie, cette fois-ci.
— On y va, Elizabeth !
J’enfile mes bottes en quatrième vitesse et attrape mon petit sac à main et le pass duquel Jo et moi ne nous séparons presque jamais. Ce simple petit bout de papier plastifié, arborant fièrement nos noms et photos, nous donne accès à tous les matchs de l’équipe de l’université, quand bien même ces derniers afficheraient complet.
Dévalant les escaliers, je rejoins les autres au rez-de-chaussée, saluant Nate et Sam que je n’avais pas vu de la journée.
— On ne t’attendait plus, se moque le frère de Jo en passant un bras autour de mes épaules, m’embrassant la tempe.
— C’est vous deux qu’on n’attendait plus. Vous étiez où, hier soir ?
Les deux comparses cherchent quoi nous répondre, mais aucun son ne trouve le chemin de leur bouche alors que je passe la porte, leur tirant la langue. Ils savent qu’ils n’ont normalement pas le droit de sortir la veille des matchs.
Jace déverrouille la Jeep en appuyant sur la clé et je me rue sur la place passager avant, attendant que mon frère me rejoigne pour pouvoir allumer le chauffage. J’aime Portland, surtout pendant les fêtes de fin d’année.
— Qu’est-ce que tu peux être frilleuse, petite sœur ! se moque mon jumeau.
Je lui mets un coup de poing dans l’épaule alors qu’il met le contact, nous faisant quitter l’allée pour rejoindre la patinoire de l’université où se déroule le match de ce soir. Sur la banquette arrière, les paris et les pronostics sur le match — et surtout sur les joueurs — vont de bon train, mais je les entends plus que je ne les écoute.
Depuis quelques temps, je dors plutôt mal. Sûrement le stress des examens, l’excitation à l’approche des fêtes, la fierté d’avoir bientôt fini mes écrits… Mais ça devient vraiment compliqué à gérer. D’autant plus que je suis de plus en plus sollicitée par mes professeurs d’écriture créative qui demandent mon avis sur les écrits des premières années et par les responsables des pôles recherche de la faculté lorsqu’ils ont besoin d’un coup de main.
— Lilibeth, tu m’écoutes ?
Je décolle ma tête de la portière, rouvrant les yeux comme si j’avais été brûlée. Je ne m’étais même pas rendue compte que j’avais commencé à m’assoupir. Je fais papillonner mes paupières, tournant la tête vers Jace qui m’observe à la dérobée, quittant le moins possible la route du regard.
— Pardon, tu disais ?
— Je disais que, au lieu de lire, tu devrais dormir, la nuit.
— Mais je dors, la nuit. Plus sérieusement, qu’est-ce qu’il y a ?
Il soupire, ralentissant alors que nous approchons du parking de la patinoire de l’université.
— Je te demandais si tu avais eu des nouvelles de papa et maman.
Je réponds par la négative, sortant mon téléphone de ma poche pour regarder à quand remonte mon dernier échange avec nos parents. Mais les dernières nouvelles que j’ai eu de papa et maman sont dans le mail qu’ils nous ont envoyé à tous les deux, avec les dizaines de photos de leur dernier « voyage d’affaires ». Il soupire devant mon absence de réponse, manœuvrant comme un chef pour garer la voiture dans le parking encore quasiment vide, puisqu’il reste plus de trois heures avant le début du match et deux avant l’arrivée des joueurs de l’équipe adverse.
— J’espérais qu’ils viendraient ce soir.
— Je t’avais dit de ne pas trop espérer. Ils ne sont jamais là quand ça compte vraiment, Jace.
Il acquiesce, coupant le contact. Je suis sûrement trop dure, mais je ne fais que dire la stricte vérité. Même si j’avais pensé, pendant un moment, que papa lui enverrait au moins un message…
Je descends et rejoins l’arrière de la voiture en courant, ouvrant tout de suite le coffre pour récupérer leurs sacs. Nate me rejoint et attrape les crosses alors que je tends les trois sacs à mon frère et son meilleur ami. Je referme le coffre, rejoignant prudemment Jo qui nous attend à l’entrée de la patinoire. La neige cache probablement du verglas et je ne tiens pas à me blesser maintenant.
Je saute dans les bras de ma meilleure amie qui m’accueille en frictionnant mon dos et mes épaules.
— Dépêchez-vous les garçons !
Mais ces trois idiots, bien au chaud dans leurs maillots et dans leur espèce de sous-équipements qui tiennent plus chaud que n’importe lequel de mes pulls ou manteaux, prennent tout leur temps pour avancer de la voiture à l’entrée de la patinoire, nous observant en rigolant.
— Je jure que je vous égorgerai avec vos patins si vous osez encore traîner des pieds !
Ils éclatent de rire mais ne pressent pas le pas pour autant. C’est qu’ils se foutent de moi ! Je m’apprête à leur hurler une nouvelle fois dessus quand la double-porte vitrée de la patinoire s’ouvre de l’intérieur, laissant échapper un courant d’air chaud pour mon plus grand plaisir. Je suis tirée en arrière et mon dos heurte un torse que je reconnais comme celui de l’un des membres de l’équipe, au vu des formes géométriques bien trop dessinées que je sens épouser ma silhouette.
Je tourne la tête et rencontre le sourire chaleureux de mon sauveur de la soirée ; Ethan Carlson, l’arrière gauche titulaire des Majestics. Il me dédie un sourire resplendissant dont il a le secret et que je lui rends, m’écartant de lui pour le prendre dans mes bras, me passant son blouson autour des épaules.
— Mademoiselle Lockwood. Qui serait assez criminel pour vous abandonner dans un froid pareil ?
— Qui oserait, à ton avis ?
Il éclate de rire alors que son comparse, Colin, serre Josephine dans ses bras, la faisant tournoyer autour de lui. Ils sont vraiment adorables, ces deux-là.
— Salut, toi.
— Bonsoir, toi.
Les deux tourtereaux échangent un chaste baiser qui m’arrache un sourire. Nous nous connaissons tous depuis l’école élémentaire et ne sommes jamais allés dans des écoles différentes, grâce à une sorte de coup du destin. Un délicieux et sublime hasard qui fait que nous ne sommes jamais réellement sortis de notre zone de confort. Et cela me va parfaitement et cela m’a toujours allé.
— L’air est frais, Lockwood ? me demande le copain de ma meilleure amie en passant un bras autour de ses épaules.
Colin me sourit, feignant l’innocence.
— Frais ? Frais ? J’ai eu l’impression d’être en Islande rien qu’en passant de la voiture à la patinoire.
Il éclate de rire alors que la porte se referme sur mes trois colocataires qui nous rejoignent à leur tour, riant aux éclats. Je leur grimace au visage, tournant les talons pour rejoindre la glace. Dans mon dos, Jace demande à Ethan ce que sa veste fait sur mon dos et je presse le pas, me soustrayant au regard meurtrier que mon frère adresse probablement à son coéquipier.
Je passe dans les différents couloirs, slalomant entre les vitrines, où sont exposés tous les trophées de hockey, mais aussi de patinage artistique qu’ont reçu les élèves de l’université, les cadres protégeant les photos des hockeyeurs et les casiers appartenant à certains élèves ou encore à quelques rares professeurs.
La porte menant jusqu’aux gradins et jusqu’à la glace est grande ouverte et, sur la glace, s’entraînent les autres membres de l’équipe. Au milieu d’eux, s’énerve leur entraîneur, Milori Carter. Un grand nom du hockey, un nom connu de tous les États-Unis d’Amérique, un nom qui fait trembler. Ce nom est celui du diabolique, colérique, sanguin, entraîneur des Majestics de Greenfield University. S’il n’était pas mon parrain, je jure que je serais la première à prendre mes jambes à mon cou alors qu’il hurle sur les défenseurs remplaçants de ce soir car ils ne tiennent, selon lui, pas la crosse assez fermement. Je ne peux que lui accorder le fait que la prise de ses défenseurs est un peu trop fébrile et, si je n’avais pas peur de ce que pourrait me faire subir mon parrain, je me serais interposée et lui aurais cloué le bec. Mais je suis moi-même terrorisée par Milori, donc je me contente d’un sourire de soutien envers ces trois pauvres joueurs.
— Descendez un peu plus la main droite les gars ! Vous verrez que votre prise s’améliorera nettement !
Toutes les têtes se tournent vers le couloir menant des vestiaires à la glace d’où provient la voix qui a conseillé les hockeyeurs. Tiens, ils ont fait vite, contrairement à d’habitude.
Jace, Nate, Sam, Ethan et Colin font leur entrée, glissant avec la grâce d’un éléphant monté sur des patins, vers leur entraîneur. Ce dernier semblant tout bonnement… enchanté de les voir… en retard.
— Lockwood ! Maxwell ! Tupper ! Carlson ! Gordon ! Est-ce que je dois vous acheter des putains de montres pour que vous soyez à l’heure ?!
Josephine s’installe près de moi, retenant son rire pour ne pas se faire reprendre, elle aussi, par mon très accueillant parrain.
— Milori a l’air enchanté de les voir, contrairement à d’habitude.
— Il n’a pas le choix. Sans eux, le match de ce soir est, on peut le dire, perdu d’avance, quelle que soit la stratégie qu’ils emploieront.
— N’empêche que je le trouve terrifiant. Tu te rends compte que sa force de frappe, lorsqu’il a une crosse dans les mains, pourrait t’arracher la tête ?!
— Oui, je m’en rends compte, Jo, soupiré-je. Tu me le rappelles à chaque fois que nous venons ici et qu’il y est, donc presque une à deux fois par semaine.
Elle grommelle quelque chose que je ne comprends pas alors que je reporte l’entièreté de mon attention sur la glace où les échauffements continuent. Pendant dix minutes, ils se font passer le palet. Pendant cinq, ils travaillent leur endurance, patinant en suivant le tour de la patinoire, accélérant, puis ralentissant. Ils ne vont pas tarder à s’arrêter pour avoir encore de l’énergie pour le match. C’est pour cette raison que Milori exige d’eux qu’ils soient présents au moins eux à trois heures avant le début du match, en fonction de l’importance de ce dernier.
Leur entraîneur leur demande de se mettre en place. La dernière partie de leur échauffement consiste en un petit match d’une quinze minutes. Et, bien qu’ils soient de la même équipe, ils se donnent à fond et ne se font réciproquement pas de cadeau. Ce sport implique une violence non camouflée, un courage à toute épreuve, un esprit d’équipe plus puissant que tout. J’adore ça.
Un sourire se peint sur mon visage alors que Jace patine jusqu’à la cage et marque le premier point de son équipe.
— Ton frère est impressionnant, Lilibeth.
Je tourne la tête vers ma meilleure amie qui ne lâche pas la patinoire du regard. Enfin, qui ne lâche pas mon jumeau du regard. Je fais mine d’essuyer un filet de bave au coin de ses lèvres.
— Ne bouge pas… Tu as un peu de bave qui coule juste…là !
Elle frappe mon bras, me forçant à le baisser. Je souris et ris alors qu’elle ne prend même pas la peine de tourner la tête vers moi.
— Je n’ai jamais caché mon admiration pour Jace, je te signale. C’est un très bon hockeyeur ! Et Colin est d’accord avec moi.
— On sait toutes les deux que ton admiration pour Jace William Enrique Lockwood ne se limite pas à la glace. Et, en revanche, ça, je ne suis pas sûre que Colin approuve.
Elle me lance un regard en coin, soufflant d’exaspération. Une enfant, je vous dis.
Le problème lorsque l’on vit en colocation avec sa meilleure amie, son frère, le frère de sa meilleure amie et leur meilleur ami, c’est que les discussions sérieuses partent régulièrement et facilement en fumée.
Lorsque nous sommes entrés au lycée, Jo a eu le béguin pour Jace. Enfin, le béguin, elle en était complètement dingue. Mais il l’a recalée. Plus d’une fois. Et, il y a deux ans, elle a finalement déclaré avoir tourné la page et s’est mise à sortir avec Colin. Ce qui m’effraie depuis le début, bien qu’ils forment l’un des couples les plus mignons que je connaisse, c’est que le pauvre ne lui serve qu’à oublier mon frère. Et cette impression ne cesse de me rappeler à l’ordre à chaque fois que je l’écoute commenter leurs matchs. Et surtout les actions de mon frère, alors même qu’elle ne sait pas ce qu’elle commente.
— Arrête de jouer au mauvais œil, Elizabeth, je t’en prie. Je suis heureuse avec Colin, je t’assure !
— Je n’ai jamais prétendu le contraire. Ce que j’ose prétendre, cependant, c’est que tu n’as pas complètement oublié Ja-
— Lilibeth ! Tu peux m’apporter ma bouteille derrière toi, s’il-te-plaît ?
Je tourne la tête vers la patinoire où Ethan me sourit, casque sous le bras, accoudé à la porte menant à la glace.
— Tout de suite !
— Et, moi, j’ose prétendre que tu devrais réellement tenter ta chance avec Ethan, chuchote cette chère Josephine alors que je monte deux à deux les marches où certains des garçons ont laissé leurs affaires pour garder les places de leurs familles.
J’attrape la bouteille thermos orange strié de vert sur lequel trône la couronne et l’épée de l’université. Je descends les escaliers jusqu’à la patinoire, ne pouvant me retenir de jeter un œil sous celle-ci où subsiste, légèrement effacée, le petit message d’encouragement que je lui avais écrit au premier match de la saison dernière.
— Tiens !
— Merci, Lilibeth.
Il me dédie un clin d’œil craquant et vide ce qu’il restait dans sa bouteille avant de me la tendre. Je lui souris en retour, récupérant le thermos. Je le regarde s’éloigner, rejoignant les autres au milieu de la glace.
— Lockwood !
Mon frère réagit au quart de tour, répondant à son entraîneur qui, je pense, doit être très fier du temps de réaction de son poulain. Je remonte les escaliers dans le but de rejoindre Jo quand la voix de Milori claque une nouvelle fois dans l’air.
— Pas toi ! leur crie mon parrain.
Je fais volteface, tiquant.
— Moi ?
— Au lieu de bâiller aux corneilles, rends-toi utile !
— Et avec des mots, ça donne quoi ? insisté-je.
J’entends ma meilleure amie couper sa respiration en entendant la réponse insolent que je dédie à mon parrain.
— Monte sur la glace et montre à ces gros balourds comment on se déplace sur la glace !
J’écarquille les yeux, ne comprenant pas où il veut en venir quand je le vois brandir une paire de patins que je reconnais directement ; c’est celle que je laisse ici dans le casier de Jace. Je le dévisage, les yeux écarquillés, mais son regard se fait plus insistant. Je comprends alors qu’il ne s’agit pas tant d’une question, mais plutôt d’un ordre. Dans mon dos, Josephine tente de retenir son rire alors que je redescends les marches me séparant de la glace. Je récupère la paire entre les mains de Milori, lui dédiant un sourire forcé.
— Heureux que tu sois là, Lilibeth, sourit-il, retenant tant bien que mal un rire.
Jace me rejoint, s’accoudant à la porte menant à la glace, enlevant son casque pour m’observer.
— Quel plaisir de te voir de nouveau sur la glace, petite sœur.
— Je te jure que c’est la dernière fois que je vous accompagne à un entraînement d’avant-match.