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4 - CHAPITRE 1
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zephyravespera
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CHAPITRE 2

Je restai figée, les doigts crispés sur la surface glacée du miroir, le souffle coupé par l'horreur. Mon reflet me renvoyait mon propre regard, agrandi par la panique, mais plus aucune trace d'Elio.

Et plus aucune trace de cette ombre qui l'avait emporté.

Le silence autour de moi était assourdissant. Le labyrinthe entier semblait s'être figé, comme s'il retenait son souffle, suspendu entre deux mondes. Mon cœur tambourinait contre ma cage thoracique, un écho désespéré dans cet espace sans réponse.

— Elio ! criai-je encore, ma voix brisée par la peur.

Je frappai, griffai, tentai de secouer le cadre, mais rien ne bougea. Mes ongles glissèrent sur le verre, et une douleur sourde pulsa dans mes paumes. L'air semblait plus froid, plus lourd, comme si l'endroit tout entier était devenu une cage invisible. Mon reflet paraissait plus sombre, plus distant, comme s'il n'était pas tout à fait moi.

Puis un nouveau chuchotement s'éleva, si bas que je crus l'avoir imaginé.

Lilith...

Je me retournai d'un coup, le sang battant contre mes tempes.

Le labyrinthe avait changé.

Les miroirs n'étaient plus les mêmes. Leurs surfaces étaient ternies, comme des vitres recouvertes de buée, et des ombres y glissaient, furtives et insaisissables. Certaines semblaient m'observer, d'autres murmuraient des paroles indistinctes qui faisaient vibrer l'air autour de moi.

Un mouvement attira mon regard sur la droite.

Une silhouette se reflétait dans l'un des miroirs. Un homme. Vêtu d'une tunique sombre, il se tenait immobile, la tête penchée comme si il écoutait attentivement mes cris de détresse. Ses traits étaient flous, déformés par l'étrange brume rougeâtre qui recouvrait la surface.

Je reculai d'un pas, mais il ne bougea pas.

Puis, lentement, il leva une main et posa ses doigts contre le verre.

Mon corps tout entier se raidit. Je voulais fuir, courir hors de cet endroit maudit, mais mes jambes refusaient de bouger. L'air était devenu épais, étouffant, chaque respiration une lutte contre une présence invisible qui pesait sur moi.

Par instinct, je fis volte-face.

L'un des miroirs s'ouvrait lentement, comme une porte cédant sur ses gonds rouillés. De l'autre côté, un corridor sombre serpentait vers une obscurité sans fin. L'air qui en sortait était glacé, porteur d'une odeur humide et métallique. Ressemblant à celle... Du sang ?

Un choix s'offrit à moi.

Rester ici, enfermée avec ces reflets qui me fixaient, qui pouvaient venir me dévorer à n'importe quel moment... ou suivre cette ouverture vers l'inconnu.

Je fis un pas en avant, mais quelque chose me tira violemment les cheveux, me faisant basculer en arrière.

Le souffle coupé, je levai les yeux... et je le vis.

Mon reflet.

Il me regardait, une touffe de mes propres cheveux blancs serrée dans sa main. Un sourire dérangeant étirait son—mon—visage.

Je levai la main droite. Aussitôt, il m'imita.

Je passai les doigts sur ma joue gauche, et il s'exécuta.

Mais moi... moi, je ne souriais pas.

Lui, oui.

D'un geste lent, il porta mes cheveux à sa bouche et les mâcha. Il les broya entre ses dents, encore et encore, si violemment que j'avais presque l'impression d'entendre chaque fibre crisser sous la pression. Puis, soudain, il s'arrêta.

Ses yeux plantés dans les miens, il posa ses mains à plat contre la glace... et frappa.

Une fois.

Deux fois.

Trois fois.

Si fort que les autres miroirs tremblèrent dans un écho sinistre.

J'avais peur. Une peur si intense que mes jambes cédèrent sous moi, que ma robe se mouilla, que mon cri déchira l'air, appelant ma mère comme un dernier espoir.

Les larmes roulèrent sur mes joues, incontrôlables, se transformant en un torrent de sanglots brisés.

Mais mon reflet... lui, ne s'arrêta pas.

Il frappait. Encore. Plus fort. Plus vite.

La glace se fissura dans un bruit strident, des lignes craquelées se répandant comme une toile d'araignée.

— Maman !

— Maman.

Il répétait chacun de mes mots, tordant ma voix en un écho dérangeant.

Mon propre cri, déformé, me revenait comme un murmure moqueur.

Alors que je fixais mon reflet, sur le point de briser la barrière qui nous séparait, un vertige me prit. Une sensation étrange, comme si quelque chose m'aspirait à travers le miroir derrière moi. Mon cœur s'emballa. J'essayai de reculer, mais mes pieds restaient cloués au sol. Une peur viscérale m'envahit, et je compris trop tard que j'étais piégée.

Puis, tout bascula.

Je fus happée. Mon cri s'étouffa dans ma gorge. Tout autour de moi se déforma, une force invisible me tirant à travers tout. Je luttais, je voulais m'accrocher à quelque chose, mais il n'y avait rien. Juste ce vide immense et glacé.

Et soudain, une claque retentit.

Je revins à moi brutalement, aspirant une grande bouffée d'air. Une lumière blanche m'aveuglait. Des voix. Des bruits de sirènes. J'étais enveloppée dans une couverture rêche, assise sur le siège d'une ambulance. Mon corps était en sueur, mon souffle court.

Lilith ! Oh mon dieu, Lilith...

Je tournai la tête. Ma mère se penchait sur moi, les larmes aux yeux. Mon oncle était là aussi, une main posée sur son épaule, le visage sombre. Autour de nous, des policiers, des ambulanciers, et des gyrophares qui clignotaient dans la nuit.

— Où... où est Elio ? murmurais-je, la gorge sèche.

Un silence s'abattit et les regards se baissèrent.

— Lilith... commença mon oncle d'une voix grave.

— Il est encore là-bas ! Le miroir l'a pris ! Il faut le retrouver !

Je tentai de me lever, mais une main m'en empêcha.

— Doucement, petite. Tu es en état de choc, reste assise, murmura un ambulancier.

— Non, vous ne comprenez pas ! C'était le miroir ! Je l'ai vu ! Il... il était juste là !

Je regardai autour de moi, le cœur au bord de l'arrêt. Plus de chapiteaux. Plus de lumières. Juste un terrain vague, quelques barrières tordues et des flaques de boue.

Le cirque avait disparu.

— Lilith, écoute-moi, dit doucement ma mère. On va retrouver Elio... Mais il faut juste que tu nous dise la vérité.

— Mais je dis la vérité ! C'était là ! Il était là !

Une policière s'agenouilla devant moi, un carnet en main.

— Ma puce, est-ce que tu peux me dire exactement ce qui s'est passé avant que ton frère disparaisse ?

— Il... il a traversé le miroir. Il était devant moi et... il a disparu dedans !

Un silence gênant suivit. Les adultes échangèrent des regards. Personne ne me croyait.

— Lilith, ton frère n'a pas pu disparaître dans un miroir, me coupa doucement la policière.

— Si ! Il faut me croire !

Elle griffonna quelque chose dans son carnet avant de relever les yeux vers mes parents.

— À son âge, avec le choc, il est probable qu'elle mélange les souvenirs et la réalité. Vous avez dit qu'Elio avait déjà fugué auparavant ?

— Une fois... quand il avait six ans, murmura ma mère en essuyant une larme. Mais ce n'était pas vraiment une fugue, enfin... Jamais comme ça...

— Ça arrive souvent chez les enfants, surtout quand il y a des tensions familiales ou des problèmes à l'école, dit calmement la policière. On va ouvrir une enquête, mais pour l'instant, tout porte à croire qu'il est parti de son plein gré.

Je sentis une vague de colère monter en moi.

— Non ! Il n'a pas fugué ! Ce n'est pas ça !

— Lilith, ça suffit ! coupa mon oncle d'une voix ferme. Tais toi un peu !

Je me figeai.

— Ce n'est pas le moment d'inventer des histoires. Ton frère est quelque part, et on doit le retrouver. Mais pas avec des contes de miroirs et de magie absurdes !

Il marqua une pause, souffla puis continua.

— Mais enfin, qu'est-ce que tu racontes ?! Tu étais partie te promener dans les bois avec Elio, et ça fait trois heures que vous aviez disparu. On vient tout juste de te retrouver !

Un froid terrible s'empara de moi.

— Dans les bois... murmurai-je. Non ! On était tous au cirque ! Maman, tu t'en souviens, non ? On a vu les danseurs et les clowns !

— Ma chérie...

Je les regardais s'éloigner, ma mère en sanglots dans les bras de mon oncle, tandis que la policière parlait de me faire passer des examens. Ils me prenaient pour une folle. Personne ne se souvenait que nous étions tous ensemble. Ils ne me croyaient pas. Personne ne me croyait.

Pour eux, Elio était un enfant qui avait simplement fugué. Peut-être qu'il reviendrait. Peut-être pas.

Mais moi je savais la vérité.

Le Cirque l'avait pris, il était seul, piégé derrière ce miroir, et c'était mon reflet le coupable.

Dix ans plus tard,    

21 novembre 1977

Il s'est installé comme par magie, surgissant au bord de la ville sans que personne ne semble l'avoir vu arriver. Personne ne parle de son retour, et tous semblent surpris qu'un tel événement se prépare en ville. Pourtant, ce n'est pas une première.

Je me tiens devant l'entrée principale, carnet et crayon en main, observant la scène avec fascination.

Les chapiteaux sont immenses, leurs toiles rouge et or contrastant avec le ciel gris habituels de cette fin d'après-midi. De grandes affiches décorent les barrières de l'enceinte, annonçant un spectacle grandiose, « un voyage au-delà du réel », d'après les lettres décolorées.

J'essaie d'imaginer ce qu'il y a à l'intérieur. Les artistes, les décors, les numéros spectaculaires. Mais surtout... la vérité. Celle que personne ne veut entendre, celle qui m'a été volée il y a dix ans.

Je fais quelques pas, contournant l'entrée officielle. Pas un chat. Juste le bruissement du vent qui soulève les fanions, le grincement discret des cordages tendus des attractions à venir. J'ouvre mon carnet et commence à esquisser rapidement les contours du chapiteau principal, mais mon trait est hésitant, maladroit. Comme toujours. Mon dessin ressemble davantage à un gribouillage d'enfant qu'à une véritable représentation. Je soupire et m'apprête à tourner la page quand une voix grave retentit derrière moi.

— Hé, toi !

Je sursaute et me retourne d'un bloc.

Un homme se tient devant l'entrée du chapiteau. Grand, chauve, le dos légèrement voûté, il tient un balai usé à la main. Son visage est creusé, marqué par l'âge et la fatigue. Ses vêtements, couverts de poussière, suggèrent qu'il a passé sa journée à nettoyer ici.

— Pas public, lance-t-il d'un ton bourru avec un fort un accent de l'est. Fermé.

Je referme mon carnet d'un geste rapide et tente de masquer ma nervosité par un sourire.

— Oh, je ne fais que passer... Je suis dessinatrice, je cherche de l'inspiration.

Il plisse les yeux et s'approche de moi, tendant la main.

— Fais montrer.

— Pardon ?

— Carnet.

Mon cœur rate un battement. Je le serre contre moi, hésitante, mais il me l'arrache presque des mains avant que je ne puisse protester. Il l'ouvre et commence à feuilleter les pages, une expression indéchiffrable sur le visage.

Moi non plus, je ne saurais dire ce que j'ai réellement tenté de faire...

Le silence s'éternise alors qu'il examine mes horribles dessins. Des contours tremblants, des proportions foireuses, des visages qui ressemblent plus à des spectres qu'à de vraies personnes. J'aimerais lui dire que je ne fais que gribouiller, que je n'ai jamais eu de talent pour ça, mais il referme le carnet sans un mot et me le tend à nouveau.

— Inspiration, hein ?

J'attrape mon carnet et hausse les épaules, mal à l'aise.

— Je suis meilleure avec les mots qu'avec les images, admis-je. Mais d'ailleurs... vous recrutez des artistes ?

Il laisse échapper un soupir las et se remet à balayer devant l'entrée.

— J'en sais rien, moi. Je ménage, c'est tout.

— Mais vous pourriez demander, non ?

Il me jette un regard agacé, comme si je venais de lui poser la question la plus stupide du monde.

— Pourquoi ?

— Parce que j'aimerais vraiment travailler ici.

Il continue de balayer comme si je n'existais déjà plus.

— S'il vous plaît, insistai-je, je suis acrobate et je cherche une troupe depuis des mois ! Vous êtes la seule à vous être installée dans la région, et j'ai vraiment besoin d'un travail. Sinon, je risque de me retrouver à la rue... et de mourir de froid par votre faute.

Il s'arrête net et me fixe, exaspéré par ma comédie.

— Toi... très embêtante, et bizarre.

Je garde le silence, me contentant de le fixer avec insistance. Finalement, il souffle bruyamment et glisse une main dans la poche de sa veste. Il en sort une petite carte cartonnée, jaunie par le temps, et me la tend.

— Tiens.

Je la prends avec précaution. Un simple numéro est inscrit dessus, accompagné d'un nom.

— C'est patron, explique-t-il. Toi veux travailler cirque ? Parle à lui. Pas moi.

Un sourire de victoire se dessine sur mes lèvres.

— Merci !

Il ne répond pas, haussant juste les épaules avant de reprendre son balai. Je le regarde une dernière fois, puis recule lentement avant de quitter le chapiteau.

La carte serrée entre mes doigts, je me mets en route vers chez moi.

Quand je pousse la porte de chez moi, une boule de poils sombre se faufile aussitôt entre mes jambes et miaule doucement.

— Bonsoir Mister Pudding...

Mon vieux chat noir, vient se frotter contre mes chevilles, sa queue dressée comme une antenne. Je me baisse pour lui gratter la tête, mais je suis ailleurs, perdue dans mes pensées.

Sans même retirer mon manteau, j'allume le feu dans la cheminée. Les flammes lèchent lentement les bûches, projetant des ombres tremblantes sur les murs. Je traverse le salon et file directement dans mon petit bureau. L'endroit est un véritable chaos de papiers, de carnets et de livres entassés sur chaque surface disponible. L'odeur du vieux papier et de l'encre séchée m'accueille comme une vieille habitude.

Je fouille dans un tiroir, repousse des piles de notes griffonnées et, enfin, mes doigts effleurent le papier jauni d'une vieille affiche. Je la déplie délicatement. Une publicité datant de dix ans. Je l'avais gardé en souvenir et aujourd'hui je le remercie de l'avoir fait.

Mon regard passe rapidement sur les motifs usés par le temps, les lettres ornées qui annoncent un spectacle inoubliable. Puis je sors la carte que l'homme du cirque m'a donnée un peu plus tôt et je les compare. Une sensation glaciale me traverse l'échine.

Les deux portent les mêmes initiales : L. Lo.

Et le numéro de téléphone... identique.

Je vais enfin en voir le bout.

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