Ivy, Canada ,Octobre 2008
Les quelques gouttes d'eau qui me chatouillent le nez me sortent du sommeil. Mes paupières sont encore lourdes lorsque la lumière du jour m'éblouit. Je reste quelques minutes assise, sans bouger.
Le cœur vide, je rallonge le moment sous l'averse qui commence à tremper mes vêtements. L'eau qui ruisselle sur mon corps ne me fait aucun effet. D'habitude, elle trouve le moyen de m'apaiser, de soulager le poids qui pèse sur mes épaules. A présent, elle ne peut plus rien pour moi. Le poids qui pèse n'est pas sur mon dos, oh non, il écrase mon cœur sans état d'âme. Il m'anéantit à coup de remords. A tel point que je ne le sens même plus battre. La lueur dans mes yeux est fade, la seule personne qui l'alimente, s'est éteinte hier.
Je puise dans les dernières forces qui me restent pour me mettre debout. Mes vêtements sont toujours envahis par le sang, sans compter que l'eau se joint à la fête. J'traîne des pieds, mes converses se noyant dans les flaques qui inondent la rue. Le reflet que j'aperçois à chaque fois que je baisse les yeux, ne fait que m'écoeurer.
Je n'arrive pas à croire que j'ai laissé ma meilleure amie, la seule personne que j'ai profondément aimée, mourir dans les flammes. Je me dégoûte. Profondément. Je ne parviens même plus à me regarder en face.
La pluie qui crée des auréoles sur les surfaces trempées déclenche une vague de nostalgie. Eli disait toujours que ce n’étaient que les traces de pas des elfes invisibles, qui veillaient sur nous. On adorait les jours de pluie, appréciant l'idée que quelqu'un se soucie réellement de nos vies. On s'était bien trompé. Avec un peu de recul, c'était complètement idiot. Mais quand on est enfant, et que l'on a plus aucune attache à laquelle s'agripper pour ne pas se faire emporter par le courant, même une brindille nous suffit pour tenir le coup.
Un klaxon me ramène à la réalité, mon corps à quelques centimètres du par choc de la voiture. J'alterne les regards entre le véhicule et moi, avant de présenter mes excuses auprès du conducteur. L'homme d'une cinquantaine d'années râle, agitant ses bras dans tous les sens. Son air contrarié ne fait qu'accentuer ses marques de vieillesse. Ses lèvres bougent mais je n'entend rien. En voyant que je ne comprend nada a ce qu'il me raconte, il ouvre la fenêtre.
-Regardez ou vous allez ma p'tite, j'ai failli vous écraser. Non mais, les jeunes de nos jours! Vous n'avez aucune notion de danger! Crie t-il.
Je m'excuse une dernière fois et continue ma route, mes cheveux trempés par la pluie. Des frissons s'installent sur la peau de mes jambes, attisant mon angoisse.
J'observe les quelques personnes qui ont eu le courage de sortir par ce temps.
La plupart des gens ne font pas attention aux détails. Grave erreur. Chaque petite mimique, chaque petit mot ou geste est un indice.
Lorsque j'étais petite, j'adorais deviner le travail, le lieu ou encore ce que les gens avaient mangé, en les regardant passer. Par exemple, cette femme brune d'une trentaine d'année, elle a un strickers d'enfant collé sur son sac a main. Ses cheveux sont en bataille, ses clés de voiture sont sur le point de tomber et elle cherche activement dans son sac. Je parie qu'elle a un enfant, une jeune fille a en déduire par la couleur du stickers, elle est en retard au travail et elle a oublié son téléphone chez elle.
C'était plus facile de me concentrer sur la vie des autres, plutôt que de me consacrer à la mienne. Une vie qui n'a pas lieu d'être. Elle ne vaut pas la peine que l'on s'y intéresse, tout ce qui la constitue n'est que mensonge et violence. Tel un tableau gâché par le sang, une toile que l'on aurait charcutée à coup de couteau.
Mes pieds claquent continuellement sur le bitume. Je marche sans but précis, mes pensées divergent dans tous les sens. Les gens qui me croisent, me dévisagent, surement à cause du sang qui tache mon uniforme. Des gouttes viennent se poser sur mes cils, alors que mes yeux vagabondent entre les épiceries, les fleuristes et toutes les petites boutiques coloré qui habillent le trottoir.
Un petit garçon accompagné de ce que je devine être son père marchent main dans la main. Les yeux du père brillent de fierté lorsqu'il regarde son fils.
Mon corps s'immobilise, mon cœur lui, se serre davantage devant cette scène des plus banales. Je suis incapable de détourner les yeux, hypnotisé par l'amour qu'ils renvoient. La petite fille en moi les envies. En revanche, celle qui s'est retrouvée dans un tourbillon de cauchemars à cause des erreurs de ses parents, n'éprouve que rancœur.
Je les méprises, mais je suis incapable de les detester. Moi aussi, je croyais qu'un jour, quelqu'un viendrait me délivrer des griffes du Hell. Que mes parents plongeraient leurs mains dans les mers les plus sombres, pour me sauver des abysses du mal.
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J'abandonne!
Plus de trois heures que je tourne en rond. Je suis certaine d'être déjà passé devant cette maison. Ou peut-être pas… j'en sais rien.
–Pourquoi toutes les maisons se ressemblent dans cette foutue ville? Murmuré-je.
Je soulève ma jupe, lis pour la centième fois l'adresse gravée sur ma peau. Un souffle d'agacement sort par la fine ouverture entre mes lèvres.
–C'est la bonne rue pourtant, alors pourquoi je ne vois pas ma maison…
La pluie s'est arrêté, me permettant de ne pas être perturbé. J'ai le cerveau en vrac. La nuit ne va pas tarder à tomber, je suis toujours couverte de sang et j'ai super froid.
Je suis à peine vêtue d'une jupe et d’une fine chemise alors que la brise de fin d'automne écorche ma peau de sa température glaciale.
Je fais pour la centième fois le tour du pâté de maison, pensant égoïstement que cette fois ci sera la bonne. Mon regard passe de la villa aux murs d'un blanc eclatant a une petite maison composé d'un grand jardin. Alors que mes yeux sont attirés par une villa au bord de l'abandon, mon cœur se serre en apercevant la balançoire bleu accroché à un chêne.
Mes pieds se précipitent jusqu'à la bâtisse, le souffle coupé par son état. Elle n'a pas l'air d'être habitée, la porte est dans un état déplorable et la plupart des vitres sont brisées. Comme si le drame qui a touché ma famille n'avait jamais cessé. Il a imprégné chaque brique de cette rue, rendant l'air si sinistre. Ici, tout semble vide, sans vie. Le sang qui a coulé il y a de cela neuf années, semble avoir inondé les alentours. Les hurlements qui me déchiraient la trachée sont resté tel des échos d'horreur.
Il me suffit de pousser la porte pour que le bois cède. Le premier pied que je pose à l'intérieur me redonne l'oxygène dont j'ai besoin puis me le reprend sans attendre lorsque mes yeux se posent sur les cadres brisés. Les banderoles jaune marquent encore chaque pièce de la maison. Le canapé est toujours tâché par le sang, de même que la traînée qui jonche le sol, créant un chemin d'horreur à travers le salon.
Mes yeux parcourent lentement chaque détail de la dernière nuit que j'ai passé ici. Tous les bon souvenir que j'ai pu avoir, m'ont été arrachés par les monstruosité auxquelles mes yeux d'enfant ont été confrontés.
J'ai toujours admiré les monstres qui habitaient sous nos lits, jusqu'à ce qu'ils en sortent. Lorsque je venais d'arriver à l'orphelinat, j'étais seule.
Complètement seule.
Les enfants me regardaient de travers car je passais mon temps à la bibliothèque, au lieu de sortir m'amuser.
Je n'en avais pas le droit. Ariane me l'aurait fait payer.
J'ai développé cette fascination pour les âmes de la nuit, les monstres dans le coin sombre de la chambre. Ils étaient les seuls qui ne portait ni masque, ni belles paroles. Ils étaient terrifiants certes, mais ils étaient présents.
Quand Ariane faisait des coups en douce, que par derrière elle me malmenait, moi et seulement moi, je me disais qu'au moins, eux voyaient son vrai visage. J'essayais de me rassurer comme possible… J'étais une petite fille terrifiée, sous l'emprise du diable et aucun amour n'était porté de main.
Je me suis raccroché à tout ce que j'ai pu trouver.
Même la violence sur mon corps est devenue agréable tant je l'ai accueillie à bras ouvert.
Puis Elizabeth Margot Bailey, la blonde qui avait perdu ses parents dans un tragique accident de voiture a passé les portes de Hell
Un bruit sourd me fait sursauter, je me retourne d'une vitesse qui me fait chavirer, le rythme cardiaque dépassant le quota habituel. Je cherche la moindre trace d'individu, terrifié d'être seul dans cette maison du chaos.
Les rideaux qui volent me confirment que ce n'est que le bruit des volets qui claque contre l'extérieur, sous la force du vent qui commence à se lever.
Mes pieds claquent contre les escaliers, le bois sur le point de rendre l'âme. Chaque marche qui grince sous mon poid décuple mon appréhension.
Je me tiens immobile devant cette porte, le cœur battant à s'en décrocher. Mes mains deviennent moites, ma gorge s'assèche. Je ferme les yeux, respire, une, deux, trois fois. Mes doigts se posent délicatement sur la poignée prete a l'ouvrir.
Allez, ok, un, deux, tr…
Stop!
Je n'ose plus bouger, le corps paralyser par la peur. Es-ce possible d'appréhender d'entrer dans sa propre chambre? Mes doigts tremblent sur le métal. Je déglutie, les yeux toujours clos.
Dans un élan de courage, j'ouvre la porte, donnant accès à l'entrée de mon passé.
Chaque morceau de la petite fille qui m'habitait auparavant se trouve dans cette pièce.
Mes jambes se dirigent instinctivement vers mon lit. Les draps sont poussiéreux, mais toujours aussi agréables. Un point au fond de ma poitrine se réchauffe lorsque la fourrure de mon doudou vient chatouiller ma joue. J'attrape le bout de tissu qui ne ressemble plus à rien, et le sert si fort contre moi que je doute qu'il en ressorte intact. Les larmes coulent, je ne peux les retenir. Tous les pleurs qui ne sont pas sorties il y a neuf ans lors du massacre, se déchaînent. Toute la rage, la tristesse et le désespoir que j'ai refoulé, explose. Mes mains sont destructrices, elles arrachent chaque photo qui décorent le mur. Ma bibliothèque finit au sol dans un éclat de colère. La petite fille qui a vu sa vie réduite en poussière sort enfin de sa cachette et réduit à néant tout ce qui lui rappelle qu'elle a tout perdu.
Tout.
Mes pas sont vif et maladroits, tout objet passe sous mes doigts colériques.
–Fais chier! Hurlé-je, la voix cassée et le goût du sang montant dans ma gorge.
Mes pleurs se mélangent aux hurlements de rage quand j'envoie valser tout ce qui a le malheur d'être un tant soit peu indemne. Mes doigts tirent dans un geste nerveux la racine de mes cheveux. J'arrache avec rage chaque poster, chaque photo, chaque …
–Non, non ,non, non… Agonis-je, mes jambes entrant en contact avec le sol. Essayant dans un geste désespéré d'effacer les dégâts de ma douleur.
Je ramasse avec peine, mes larmes dévalent mes joues, les morceaux de verre qui jonchent le sol. Je reconstitue comme je peux la petite figurine en porcelaine. Mes mains tremblent, me compliquant la tâche.
Je laisse tomber les derniers morceaux de mon cœur et me lève sans ménagement. Déterminé à partir de cette maison de malheur, je me mets à chercher ce pour quoi je suis venue. J'attrape la petite boîte sous mon lit, l’ouvre sans attendre et en sort une liasse de billets ainsi qu'une boîte de xanax. Mes yeux détaillent l'épaisseur tandis que je suis déjà en direction de la sortie.
Ma mère était très, très, préventive . Comment vous dire qu'elle anticipait chaque imprévu qui aurait pu arriver.
Heureusement pour moi, j'avais les yeux et les oreilles partout.
Avant de passer le seuil de la porte, mon regard se pose sur une photo de famille encore indemne. Mon petit corps menu, positionné sur les épaules de mon père, ma mère lui tenant la main. Mon père adorait cette photo, il disait que mes yeux bleu cristal lui transperçaient l'âme a chaque fois qu'il posait son regard sur le cliché.
J'aimais mes yeux bleu avant, puis Ariane m'a dit qu'elle les trouvait trop clair, trop pur alors elle les a noircis. Entachant mon âme innocente par la même occasion.
Ce jour-là, au parc, ma mère avait sorti un truc du genre “ L'amour que tu portes à tes proches restera intact, tant qu’ils persistent à habiter ton coeur”. Je me rappelle l'avoir regardé avec affection, certaine que j'aimais mon amour pour eux s'estomperait.
–Regarde où ça nous a mené…Murmuré-je pour moi même.
J'aimais mes parents, simplement c'était plus facile de transformer cet amour en colère, de leur rejeter la faute. Et sans m'en rendre compte, je n'ai plus su faire la différence.
Penser a mes parents n'est qu'à présent synonyme de douleur, de sang et d'abandon. Je m'y résigne donc.