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CHAPITRE 1.

RETOUR DÉSTABILISANT

Eula.

« Si quelqu'un est prêt à prendre ma liberté, je n'hésiterai pas à arracher la sienne. »

8 heures 14. Whispering-Pines. États-Unis

Mon dernier bagage était enfin prêt. Il ne me restait plus que la cage de mon chat - et mon chat - et je pourrai enfin partir de cet enfer.

Or, Juno se faisait désirer, comme s'il avait décidé de jouer à cache-cache aujourd'hui, et maintenant…

Enfin, tu devrais savoir que les chats détestent les voyages en voiture.

Il a dû sentir qu'il ferait partie du voyage…

Je soupirai. Juno n'avait que quatre mois mais était incroyablement doué pour se faufiler dans des endroits qui nous étaient inaccessibles, nous les humains. En quelques semaines, il avait visité les moindres recoins dans lesquels se cacher. 

J'allais devoir appliquer la technique du sac à croquettes : il était encore jeune, il se faisait avoir à chaque fois.

— Eula !

Un sursaut me prit lorsque le hurlement de ma mère me parvint depuis le rez-de-chaussée. N'ayant pas plus de temps à perdre, et n'ayant aucune envie de recevoir une gifle de ma mère, je reléguai la tâche de trouver Juno à la domestique de mes parents. Elle acquiesça poliment puis partit dans la cuisine.

Je tirai la dernière valise en dehors de ma chambre lorsque je remarquai l'absence de mon collier en passant devant mon miroir. Je l'avais enlevé la veille. Mes parents avaient organisé un repas diplomatique, et ma mère trouvait que ce collier, pour une occasion sérieuse comme celle-ci, faisait tâche à côté de ma croix.

Je l'avais donc caché dans la commode du couloir.

Je pouvais évidemment le ranger dans ma chambre, mais l'employée pouvait s'en débarrasser si ma mère le décidait.

J'ouvris le tiroir et en fouillai attentivement son contenu à la recherche de mon bijou, lorsqu'une enveloppe glissa sous mes doigts, éveillant mon attention.

Qu'est-ce qu'elle fait là ?

Les courriers qui nous parvenaient étaient immédiatement classés dans le bureau de ma mère… Cette enveloppe n'avait rien à faire là.

Curieuse, je la saisis.

J'en observai le dessin enjolivant la face avant : un phénix des plus majestueux, dont les ailes étaient déployées dans un éclatant mélange pourpré de couleurs froides. Son bec pointait vers le sceau azuré, dans lequel étaient gravées les initiales E et L.

C'est une personne ?

Ou une entreprise ?

Je retournai l'enveloppe, de plus en plus intriguée par son origine. Au dos, je pus voir mon nom et celui de ma mère y figurer…

Donc ce « E.L. » me connaît assez pour me citer dans la lettre…

— EULA !!

Mes doigts se crispèrent sur la lettre, la froissant dans son coin. Mon souffle se coupa en remarquant ma connerie que je tentais malgré tout de rattraper en aplatissant ma main sur le papier.

Je l'avais totalement oubliée…

Je refermai le tiroir dans le silence le plus total et répondis à ma mère que j'arrivais. 

Ils ont sûrement laissé ça là sans faire exprès…

C'était peu probable, mais c'était également ce qui me paraissait le plus réaliste. De toute manière, je n'avais pas à fouiller dans leurs affaires, les conséquences seraient inhumaines si ma mère me surprenait.

Je glissai mon collier dans la poche de mon pantalon nacré Dior puis rejoignis mes parents à l'extérieur du manoir.

Cependant, à l'instant même où je franchis le pas de la porte afin de rejoindre Atlas, ma mère me barra le passage, m'empêchant de sortir. Elle me força à rentrer à l'intérieur, puis, avec un regard faussement tendre, ajusta méticuleusement mon crop top Chloé sombre. 

Son regard s'arrêta momentanément sur mon pendentif.

Pourquoi elle le regarde comme ça ?

Sa proximité et son comportement étranges me mettaient mal à l'aise. Mon corps se tendit, raide comme une statue de glace, craignant qu'elle ne me frappe à nouveau dans une crise incontrôlée, à cause de mes vêtements. Pourtant, elle ne semblait pas prêter attention à mon malaise évident, agissant comme si rien de grave ne s'était passé la veille. Elle dépoussiéra mes épaules et tira les pans de mon pantalon, cherchant à ce que tout soit parfaitement en ordre.

Ma mère a toujours été très méticuleuse dans ses gestes, obsédée par la quête de perfection. Et elle m'avait choisie comme l'incarnation de cet idéal.

Je n'ai droit à aucune erreur.

Une fois satisfaite de son travail, que je trouvais d'ailleurs invisible, elle me laissa enfin sortir, posant sa paume sur mon épaule pour me pousser doucement en avant. Je me mordis la muqueuse de ma joue lorsqu'une décharge électrique traversa mon épaule. 

Sous mon fond de teint, je camouflais un hématome de sa part. 

Le sourire que je lui adressai tremblait sous la douleur, mais je ne perdis pas plus de temps et rejoignis mon père devant la Mercedes

Mon père, bien plus affectif, me fit un grand sourire en m'ouvrant ses bras, m'invitant dans une accolade paternelle. 

— Prends soin de toi cette année, ma princesse, me conseilla-t-il alors que je hochai la tête. Pas de bêtise. Fais bien attention à toi, d'accord ? Et surtout, ne parle pas aux inconnus.

Son insistance résonna en moi, attisant ma méfiance. Pourquoi insistait-il à ce point ? Était-ce parce que je suis devenue adulte ?

Il fait donc allusion à l'alcool au volant.

Je secouai légèrement la tête, chassant ces pensées de mon esprit. C'étaient juste des aurevoirs, les premiers depuis mon passage à l'âge adulte. Il n'y avait aucune raison de s'inquiéter.

— Au revoir, ma princesse.

— Au revoir, papa, lui souris-je en retour en ouvrant la portière.

Ma mère s'approcha de la fenêtre d'Atlas, ce dernier l'abaissant afin qu'elle puisse lui adresser la parole :

— Prends bien la route que je t'ai indiqué sur le GPS, lui intima-t-elle.

— Bien, madame Ayling.

Sur la banquette arrière, je fronçai les sourcils. Pourquoi insistait-elle sur ce point ? Atlas connaissait parfaitement la route pour me conduire en Pennsylvanie… Je jetai un regard à ma mère, cherchant à comprendre les raisons de son insistance. 

T'es trop sur les nerfs, ma pauvre. Tu suspectes tout et n'importe quoi.

 Mes paupières s'abaissèrent, une grande inspiration gonfla mes poumons. Juno, dans sa cage, miaula pour attirer mon attention.

Le moteur rugit enfin et la maison s'éloigna. Je me tournai vers le manoir, un sentiment d'inachevé m'étripant. Mes pensées ne voulaient dériver de cette enveloppe.

Qu'est-ce qu'elle peut cacher…?

Tu aurais dû la prendre avec toi.

Le silence dans l'habitacle était seulement interrompu par le ronronnement lointain du moteur et les miaulements occasionnels de Juno réclamant ses morceaux de jambon sec. Je fixais la route qui défilait à travers la fenêtre, les paysages du Maryland s'effaçant peu à peu au profit de longs tronçons d'autoroute.

J'effleurai machinalement mon collier, que j'avais finalement sorti de ma poche, puis soupirai. M'inquiéter pour un simple courrier, c'était ridicule. Je devais me concentrer sur l'avenir. Mon avenir.

Soudain, un détail attira mon attention.

La route.

Les panneaux sur le bas-côté n'étaient pas ceux que je m'attendais à voir. Pour la Pennsylvanie, il y avait un itinéraire bien défini, que j'avais déjà emprunté plusieurs fois avec Atlas. Mais cette route-ci… je ne la connaissais pas.

C'est donc l'itinéraire évoqué par ma mère.

Un frisson imperceptible parcourut mon dos.

Je jetai un regard vers notre chauffeur-majordome. Son expression était aussi neutre qu'à son habitude, son attention entièrement portée sur la route. 

— Atlas ? lançai-je, tentant de masquer mon malaise.

— Oui, mademoiselle ? leva-t-il lentement ses yeux à travers le rétroviseur interne.

— Pourquoi on ne prend pas le chemin habituel ?

Il y eut une légère pause avant qu'il ne réponde, avec ce ton professionnel qu'il adoptait toujours :

— Votre mère m'a indiqué cette route comme étant plus sûre. L'itinéraire habituel est actuellement perturbé.

Je fronçai légèrement les sourcils.

— Perturbé ? répétai-je.

— Exactement, acquiesça-t-il calmement. Des ralentissements, des travaux, je ne sais pas exactement. Elle a insisté pour que je prenne ce trajet à la place.

Ma mâchoire se serra.

Pourquoi ça sonne… faux ?

Juno se mit à remuer dans sa cage, agité, comme s'il ressentait mon propre trouble.

Je me laissai retomber dans mon siège, fixant la route devant nous. Perturbée. C'était plausible… mais pourquoi ma mère ne m'en avait-elle pas parlé directement ? Elle ne s'était jamais souciée de mes trajets avant.

Même en cas de travaux, je prenais l'autre route…

Une mauvaise impression s'installa en moi.

Je déglutis et essayai de me convaincre que je me faisais des idées.

Ce n'était qu'une route. Juste une route différente.

Rien de plus.

N'est-ce pas ?

oOo

12 heures 34. McDonald's. Pennsylvanie. États-Unis.

Le logo de l'enseigne surplombait largement la porte vitrée par laquelle nous entrions. Les semelles de nos chaussures claquaient contre le carrelage sale de graisse, tandis que nous cherchions une table encore libre en cette heure de pointe.

Iris posa son Hermès Birkin noir sur la table, un achat impulsif des grandes vacances, qui lui avait coûté relativement cher. Je m'assis en face d'elle, gardant mon Loulou small sur mes cuisses, et nous passâmes commande via la table au centre de la table.

D'un geste rapide, je sélectionnai mon menu habituel pour une pincée de dollars, tandis qu'Iris prenait le sien. Je réglai l'addition en passant ma carte bancaire sur l'écran, puis nous attendîmes nos commandes en discutant des dernières nouvelles de la fac.

Les rumeurs se proliféraient rapidement à Everning academy. Il était pratiquement impossible de les arrêter, seul le temps en était capable.

Au fil des semaines, les étudiants finissaient par passer à autre chose et comméraient sur une nouvelle victime. Les « on a dit… » étaient la première source d'information dans l'académie. 

— Apparemment, Leeloo a laissé tomber Mary juste parce que Mary est retournée avec son ex, lut Iris en découvrant la story de la concernée. Franchement, faudrait vraiment être une pétasse pour abandonner sa meilleure amie quand elle a besoin de toi, non ?

— C'est clair.

Malgré l'heure de pointe et la file d'attente interminable devant le comptoir, il ne nous a fallu que quelques minutes d'attente pour que nos plateaux soient servis par une employée.

— Bon appétit les filles.

— Merci, lui répondions-nous d'une même voix.

Je pinçai un nugget entre mes doigts, le portant à ma bouche. 

— Oh ! Faut que je te montre un truc ! se rappela Iris si soudainement que je manquais de m'étouffer avec ma nourriture.

Iris et moi n'étions pas si différentes des autres filles d'Everning. Nous aussi, l'un de nos passe-temps favoris était de se raconter les derniers ragots croustillants qu'on avait appris sur les autres élèves.

Elle ralluma son téléphone et ouvrit son carnet de notes, dans lequel elle conservait toutes ses informations. Ses ongles fraîchement vernis claquaient contre l'écran tandis que, de l'autre main, elle picorait ses frites.

Je relevai les yeux de mes nuggets lorsqu'elle me tendit fièrement son portable pour me trouver sa dernière trouvaille.

Mon cœur loupa un battement lorsque mon cerveau comprit que ce que je regardais, c'était un meurtre. Un couteau était enveloppé dans la main du tueur. Ce dernier la leva, la lame brillant sous la lumière du lampadaire, puis abattit la cime de l'arme dans le ventre de la victime.

Au fur et à mesure que la vidéo défilait, mon visage se tordit de dégoût. Iris avait un sérieux problème de curiosité morbide, je préférais ne pas savoir où elle avait trouvé ça.

Je relevai mon regard vers elle, gardant mon expression de dégoût, lorsque mon attention fut attirée par un homme, en arrière-plan, dont le casque sous le bras révélait qu'il était motard.

Il me dévisagea longuement, détailla mes cheveux, mes vêtements et même ma couleur de peau, avant d'ancrer son regard sur son téléphone et de s'asseoir à une table.

Bizarre, lui.

— Eula ?

Iris attira mon attention, agitant sa main munie de nourriture grasse devant mes yeux.

— J'aurais dû réfléchir avant de te montrer ça… Désolée-

— C'est clair, t'as un vrai problème, renchéris-je en lui adressant un sourire moqueur. Je pense pas que Seth ait un faible pour les psychopathes.

Seth Maneesawat. Un nippo-thaïlandais sur lequel Iris a flashé depuis plusieurs mois désormais. Elle haussa les épaules, aucunement affectée par mes paroles. 

— Tu te rends pas compte ? Ça doit être super stylé un mercenaire.

Je fronçai du nez tant l'idée me paraissait tirée par les cheveux. Un homme qui enlève des vies contre de l'argent ? Non, très peu pour moi.

— Hum… Si tu le dis, nuançai-je en sa faveur. Il a quand même tué quelqu'un de sang froid…

Elle leva les yeux au ciel : 

— La victime n'est pas mieux, c'était un proxénète.

Mais avant que je ne puisse rétorquer, elle enchaîna : 

— Apparemment, il dirigeait une branche inférieure des Fallen Death sans l'autorisation des supérieurs. C'est pour ça qu'il s'est fait descendre.

J'abandonnais mon argumentation : sur certains points, Iris était beaucoup plus tenace que moi. Je perdrais mon temps à vouloir la raisonner. 

Soudain, le motard attira de nouveau mon attention. Je le regardai saisir son téléphone. L'écran était éteint et me renvoyait son reflet. Ses mèches noires et légèrement ondulées encadraient son regard, ses sourcils épais intensifiaient ses iris de couleur basanée. Il me regarda. Même lorsque je me déplaçai pour être parfaitement face à Iris, son regard me suivait fidèlement.

C'est qui ce type ? Il me connaît ? Ou il m'a vue quelque part, alors ?

Mais même si c'était le cas, on ne regardait pas quelqu'un aussi longtemps… Ça devenait particulièrement malaisant.

Le mauvais pressentiment de ce matin revint au creux de mon ventre.

oOo

22 heures 26. Everning academy. États-Unis.

Je bouclai ma ceinture autour de mon pantalon aux couleurs marines ; ma chemise blanche y était glissée à l'intérieur. J'ajustais ma croix afin qu'elle repose parfaitement entre mes clavicules. 

Je fermai mon sac, jetai un coup d'œil à mon reflet dans le miroir de ma colocataire, et arrangeai mes cheveux, déjà secs après leur lavage, avec soin. La voix étouffée d'Iris se fit entendre à travers la porte. Elle frappa deux fois avant d'entrer dans notre chambre.

— On peut y aller.

J'éteignis les lumières de la chambre, je m'assurai que Juno reste bien dans le dortoir puis, une fois la porte verrouillée, suivis Iris dans les escaliers de l'Athena Hall.

Très vite, la principale nous approcha et posa ses mains sur nos épaules, un sourire étirant ses lèvres maquillées d'un rouge à lèvres pétant. Son regard s'attarda sur la tenue d'Iris.

— Mademoiselle Hesperia, mademoiselle Ayling, je vous souhaite la bienvenue.

— Merci madame Delancy.

Elle nous laissa entrer dans la grande salle. Iris se pencha vers moi : 

— C'est ma tenue qu'elle a regardée comme ça ?

Iris portrait une courte robe noire qui collait son corps, jusqu'au début de ses cuisses. Ses Givenchy boots à talons argentées et pailletées montaient jusqu'aux genoux et, ses faux ongles argentés, accordés aux bottes, scintillaient sous la lumière.

Je hochai la tête, oui, c'était bien ce que regardait Delancy.

— Heureusement qu'elle a rien dit. Vu le prix que m'a coûté ces bottes…

Sa remarque me fit sourire.

L'intérieur de la salle était magnifique. Les lumières filtrées, rouges et bleues, baignaient l'espace d'une lueur violette, tandis que les bars étaient les seuls points vraiment éclairés.

La musique résonnait contre les murs centenaires, étouffant les rires et les conversations des étudiants dans une ambiance festive. 

Mais, contrairement à moi, Iris ne prêtait absolument aucune attention à la décoration. Elle scrutait la foule, puis soudain, elle m'agrippa le bras, ses faux ongles s'enfonçant dans ma peau.

L'homme qu'elle convoitait depuis près de sept ans venait d'entrer.

— Seth !

Il se retourna à l'entente de la voix d'Iris, cherchant sa provenance et, lorsqu'il nous vit, nous salua en se joignant à nous.

Taiyō, lui sourit-il en utilisant sa langue natale. 

— Eula, ça te dérange si… ?

— Non, vas-y, la rassurai-je d'un sourire.

Si cela permettait de faire avancer leur relation, je n'allais pas m'interposer. Pourtant, malgré ma réponse, elle était tout de même réticente à l'idée de me laisser seule. 

C'était bien connu, j'étais certes à l'aise en public, de nous deux, j'étais de loin la plus introvertie.

Elle m'adressa un regard désolé : désolée de « m'abandonner à mon sort ». Mais j'insistais pour qu'elle parte avec Seth. Finalement, elle lui prit la main avant de s'éloigner avec lui, sans me quitter du regard, me laissant seule au milieu de la foule.

Ok, j'ai cinq minutes pour partir.

— Oh, Eula ? T'es toute seule ?

Je reconnaissais clairement cette voix. Adagio Kawalski. Comme je m'y attendais, je la vis, assise sur l'un des nombreux canapés en laine améthyste, en compagnie de celui que je devinais être son nouveau copain. D'un geste enjoué de la main, elle m'invita à les rejoindre.

Il est pas inscrit ici, comment il a pu rentrer ?

— Joyeux anniversaire, Eula, me souhaita-t-elle, et bon retour à Everning.

En réalité, j'ai fêté mes 18 ans en fin juin, mais Adagio avait particulièrement insisté pour me le souhaiter lorsque l'on se verra.

Car, contrairement à la majorité d'entre nous, Adagio n'était pas rentrée chez elle pour les vacances d'été. Je n'ai jamais osé lui en demander la raison, surtout que cela faisait maintenant deux ans qu'elle n'avait pas remis les pieds en Californie. 

Mais c'étaient des raisons personnelles : elles ne me concernaient pas. Malgré tout, j'étais tentée de croire que toutes ces raisons concernaient principalement son père.

— Merci, Adagio, la gratifiai-je d'une accolade. 

Après un court instant, je me redressai de notre étreinte, portant finalement mon regard sur l'homme à côté d'elle.

— Jackson, je te présente Eula Ayling, l'amie dont je te parlais. Eula, je te présente Jackson Hoover, mon petit-ami, nous présenta-t-elle l'un à l'autre, ses joues empourprées.

Sans réellement m'en rendre compte, mon regard quitta le sourire radieux d'Adagio lorsque je remarquai un mouvement de la part de Jackson. Son avant-bras était désormais exposé sous la lumière mauvée. Un tatouage. Il arborait un tatouage de phénix, dont les ailes s'enroulaient autour de son muscle. Le bec acéré de l'oiseau de feu pointait vers le creux de coude. 

Encore un phénix ?

Jackson remarqua mon regard attardé sur sa gravure cutanée et redescendit la manche de sa chemise sans me lâcher des yeux. Un regard froid qui m'intimidait et m'ordonnait silencieusement de ne pas mettre les pieds là où je ne devrais pas.

Ce qui a le don de me donner envie de faire tout le contraire.

— Ravi d'enfin rencontrer la fameuse Eula Ayling.

La fameuse ? 

C'est-à-dire ? 

— On m'a beaucoup parlé de toi, admit-il d'un rictus moqueur.

Les joues d'Adagio s'empourprèrent de nouveau, me permettant de comprendre l'insinuation de Jackson. Pourtant, une partie de ma conscience savait qu'Adagio n'était pas la seule personne à m'avoir mentionnée…

— Vous êtes ensemble depuis longtemps ?

— Oui. Ça fera deux mois dans trois jours ! 

Je claquai ma paume avec celle d'Adagio, les félicitant pour leur couple. Malgré tout, c'était plus fort que moi, j'étais curieuse.

Curieuse, mais aussi inquiète pour Adagio.

— Vous vous êtes rencontrés où ? m'intéressai-je en m'asseyant sur le canapé face à eux, abandonnant ainsi ma quête de rejoindre l'Athena Hall.

La main de Jackson se resserra autour de son verre d'alcool, faisant ressortir ses veines, et le mutisme d'Adagio me fit réaliser le terrain glissant sur lequel je m'engageais.

Mais je voulais absolument savoir ; j'étais vraiment contente pour Adagio, aucun doute là-dessus. Néanmoins… ce mec était trop bizarre. Sans parler de ce tatouage que j'étais persuadée d'avoir déjà vu quelque part, sur quelqu'un d'autre.

— Elle était seule dans un club, et je l'ai abordée, me répondit sèchement Jackson.

Un club. Ce club ?

Intéressant.

Le terrain n'était même plus glissant, à ce stade, il était épineux.

— Quel club ?

— Un club où les filles comme toi sont les bienvenues, m'interrompit-il presque.

Les filles comme moi ? Qu'est-ce qu'il veut dire ?

— Pour rencontrer des types comme toi ? Non, ça ira.

C'est pas contre toi, Adagio.

— Quel dommage, ironisa-t-il après avoir bu la fin de son whisky-coca. Ta présence est le point central de ce club. Ouvre les yeux et tu comprendras ce que je veux dire, si tu comptes t'y rendre ?

Le point central de ce club ?

Adagio nous observait tour à tour, sentant une tension rivale s'installer entre nous. Elle se leva soudainement, face à Jackson.

— Jackson, ça te dérange si je reste avec Eula ?

Sa voix sembla le ramener sur terre. 

— Non, t'inquiète pas, amuse-toi, lui sourit-il. 

Cependant, avant qu'elle ne me suive, il lui fit signe de se rapprocher. Elle se pencha vers lui, permettant à Jackson de lui murmurer quelque chose à l'oreille, ce qui la fit déglutir. Sa réaction éveilla ma méfiance.

Elle se redressa devant son petit-ami et se tourna vers moi. Maintenant qu'elle était debout, je pouvais mieux voir sa tenue de soirée, que je trouvais, honnêtement, magnifique. Elle tira sur le bas de sa robe pour couvrir le plus de peau possible et se drapa dans sa veste Ferrari

Bien qu'elle ne paraissait pas à l'aise dans cette tenue, elle était tellement jolie.

Ses talons à plateforme écarlates claquaient légèrement contre le sol alors qu'elle me rejoignait. 

Ses cheveux, roux et bouclés, étaient détachés, ce qui était plutôt rare pour elle, et volaient selon ses mouvements. L'année dernière, et même celles précédentes, elle se lissait les cheveux et les attachait en un chignon bien serré. Avec cette coiffure, aussi simple soit-elle, elle était encore plus belle que d'habitude.

Ce serait grâce à Jackson qu'elle essaye de s'affirmer ?

Elle m'indiqua de la suivre à travers la foule d'étudiants, laissant Jackson seul sur le canapé, avec son verre vide. Je le regardai une dernière fois avant d'emboîter le bas d'Adagio.

Est-ce que Delancy sait sa présence ici ?

Certains adolescents nous poussaient, mais il avaient beaucoup trop d'alcool dans le sang pour que je puisse rétorquer quoi que ce soit. J'allais simplement gaspiller mon débit de parole pour la soirée, et mon esprit était bien trop occupé par ce phénix.

Où est-ce que je l'ai vu, ce tatouage ?

Je l'avais déjà vu, je le savais.

J'avais bien évidemment pensé à l'enveloppe du manoir, mais les phénix ne concordaient pas. Ce n'était donc pas une sorte de logo d'une entreprise, ou quelque chose qui s'en rapprochait.

— Du coup, me lança Adagio, tes vacances se sont bien passées ?

Elle change de sujet ? 

Qu'est-ce qu'il avait bien pu lui dire pour qu'elle veuille cacher la vérité ? Si insignifiante, qui plus est. Elle, qui se confiait si facilement d'habitude, avait du mal à aborder le sujet banal d'une rencontre.

— Elles se sont super bien passées, je suis allée en Europe avec mes parents. On a pu visiter le Louvre et la Sagrada Familia, résumai-je brièvement les nombreux sites que j'ai vu. Et toi ?

— Je suis allée chez mes cousins, Jackson est leur voisin.

Si elle est allée chez eux, elle n'a donc pas quitté Lakeswood de toutes les vacances… Ses cousins étaient deux polonais incroyablement gentils qui jouaient au basket à un niveau professionnel. Le plus âgé des deux avait même attiré l'œil de la NBA l'année dernière.

— Mais… tentai-je une nouvelle fois, vous vous êtes pas rencontrés dans un club ?

— Si ! Si ! Mais il est aussi leur voisin…

Pourquoi elle est si agitée ? Sa première réponse suffisait, alors pourquoi ajouter un détail supplémentaire…?

De toute façon, tu finiras par trouver ce qu'elle cache. 

Tu trouves toujours les bonnes solutions pour obtenir ce que tu veux.

Même si Adagio et moi n'étions pas aussi proches qu'Iris et moi, elle me confiait une grande partie de sa vie. Mais là, son attitude me déconcertait.

J'espère que la cause n'est pas Jackson…

Un étudiant me bouscula brusquement, et cette fois-ci, je savais que c'était intentionnel. La force déployée n'avait rien d'accidentel.

Un instant de flottement.

Lorsque je me retournai, mon regard se posa sur une silhouette déjà tournée, s'éloignant de moi. Il était là, à contre-jour, et l'éclairage du couloir accentuait la netteté de son dos droit, l'ombre projetée de ses cheveux sombres.

Je restai figée, la surprise me clouant sur place. Pourquoi avais-je cette impression étrange ? Ce pressentiment fugace qui me faisait croire que ce n'était pas une simple bousculade, mais quelque chose de plus… calculé.

Puis, lentement, l'inconnu tourna légèrement la tête vers moi. 

Un instant, la lumière effleura son visage, révélant des traits fins et une expression… amusée ?

Puis il sourit. Un sourire subtil, presque moqueur, comme s'il savait quelque chose que j'ignorais.

Mon cœur rata un battement.

Et sans un mot, il continua son chemin, disparaissant dans la foule.

Je jurerais l'avoir vu auparavant.

Au McDonald's.

Non… Il lui ressemble, mais c'est pas lui.

— C'est un ami de Jackson, m'informa Adagio.

Je la suivis jusqu'au coin de la grande salle, mais mon regard ne quittait pas le nouvel élève. Plus il s'éloignait de nous, plus la lumière éclairait sa silhouette.

Est-ce qu'il a ce tatouage de phénix, lui aussi ?

— D'ailleurs, pourquoi t'es pas avec Iris ? poursuit-elle le sujet.

— On a croisé Seth.

Son regard changea, et elle hocha la tête. Adagio était loin d'ignorer l'attrait qu'il y avait entre Iris et Seth.

Un silence plana pendant une dizaine de secondes pendant lesquelles je contemplai son regard ; elle était véritablement amoureuse de Jackson. Elle a le même regard qu'Iris. J'espérais pour elle que, cette fois-ci, il ne se servirait pas de son corps.

Adagio était en quête de la personne parfaite pour elle, or, il s'avérait qu'elle ne tombait que sur les mauvaises personnes. Ses relations duraient plus ou moins longtemps, mais dès qu'ils franchissaient le cap, ils la jetaient comme si elle ne valait rien.

Ça lui était arrivé deux fois, les trois autres fois, ils l'avaient quittée parce qu'elle refusait de passer à l'acte.

— D'ailleurs, vous m'avez pas dit dans quel club vous vous êtes rencontrés ?

— Le V&B ! me sortit-elle sans hésitation.

Vivid & Bliss. Ce night club était réputé dans Lakeswood, son entrée se trouvait à la 23rd Street. Y accéder était compliqué : ceux qui étaient considérés comme trop indiscrets étaient de suite recalés avec impossibilité d'entrer.

J'aimais bien me rendre à ce club, je m'y étais déjà invitée avec Iris, à plusieurs reprises. Elle, elle y était allée pour la première fois pour fêter ses seize ans avec Seth. 

L'ambiance de ce club était originale, la façon dont les soirées se terminaient était toujours aussi violente et sanglante.

C'est drôle.

T'as un vrai problème, sale folle.

— Ce sont mes cousins qui m'ont accompagnée, poursuit-elle, et je l'ai vu.

— Et tu sais ce qu'il a sur son avant-bras ?

— Un tatouage ?

— Oui, répondis-je en souriant légèrement de ma question idiote, mais, est-ce que tu sais si ce tatouage a une signification ?

— Non, tritura-t-elle ses doigts.

Joue avec ses doigts, lèvres pincées.

Elle ment.

One, two, make you wanna, uh !

Mon oreille se tendit à la seconde même où cette mélodie percuta mon tympan. Bruno Mars résonnait dans les haut-parleurs, et je sentis mon cœur rater un battement. Fly as me.

— Oh, mais c'est ta préférée ! reconnut Adagio presque plus rapidement que moi.

Je n'étais pas idiote. Elle venait de détourner la conversation avec une agilité presque calculée, saisissant la moindre occasion pour éviter mon regard. Elle mentait. Je le savais. Mais… Est-ce que ce soir, j'avais vraiment envie de jouer aux interrogatoires ?

Peut-être que non. Peut-être que j'avais juste envie de me laisser emporter par le son.

Alors je lui rendis son sourire, et d'une voix chantante, je répondis aux paroles de la chanson :

Now have you ever been with a player ?

Adagio tournait sur elle-même, chantant à pleins poumons, et je la rigolai dans sa folie, n'ayant pas atteint son aise pour la rejoindre dans sa gestuelle.

Jusqu'à ce que je croise à nouveau son regard.

Celui d'un inconnu, planté un peu plus loin, l'ombre de son sourire enjoué sous les lumières néon.

Jackson était revenu. Et avec lui… son ami.

Grand, moins imposant, un peu effacé derrière Jackson, mais… quelque chose en lui me sauta immédiatement aux yeux.

Les siens.

Vairons.

Un émeraude, presque glacial, contrastant avec un topaze doré, sombre et perçant.

Adagio se figea à la seconde où Jackson et son ami s'approchèrent. Son excitation disparut aussitôt, comme soufflée par une présence oppressante. Son sourire tomba et, sans un mot, elle se laissa tomber sur la banquette, les jambes croisées, le regard baissé.

Ma mâchoire se serra.

Elle ne réagissait jamais ainsi en ma présence, encore moins en plein milieu d'une chanson qu'elle appréciait.

Jackson s'installa à côté d'elle, un bras nonchalamment posé sur le dossier, comme s'il marquait son territoire. Son sourire satisfait m'envoya un frisson.

Il est bien ou pas, finalement ce type ??

Quant à son ami, il resta debout, face à nous. Ses yeux vairons, eux, ne me quittaient pas. 

Il portait un sweat vert décontracté, associé à un jean Levi's large et des Vans usées, témoignant d'un style à la fois simple et soigné. Un détail attira particulièrement mon attention : un élastique fin, noir, autour de son poignet gauche, signe d'une relation amoureuse.

Donc, il est en couple.

Je soutins son regard, mes bras croisés sur ma poitrine. Il n'y avait aucune hostilité dans ses traits, aucun défi. Plutôt une curiosité silencieuse.

— Tu danses plus ? lança Jackson à Adagio, sa voix chargée d'un amusement qui la fit sourire faiblement.

Elle secoua la tête sans répondre, tritura les plis de sa robe entre ses doigts.

Donc le problème n'est pas Jackson, mais ce type.

Jackson rit doucement avant de reporter son attention sur moi.

— Tu dansais pas, Eula ?

— Je vérifiais que personne ne mette ses yeux là où il faut pas.

Un sourire en coin s'étira sur ses lèvres, mais il n'insista pas.

Un silence flotta quelques secondes, seulement troublé par la musique toujours omniprésente. Puis, celui aux yeux vairons prit la parole.

Sa voix était plus douce que je ne l'avais imaginée, presque paresseuse :

—Tu ressembles pas à ce que je pensais.

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