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Chapitre 1

Le froid me mordait la peau alors que je poussais les portes du lycée de Edwin pour la première fois depuis ce fameux samedi soir.

Tout semblait identique. Le même hall aux murs ternes, le même va-et-vient incessant d’élèves, le même grésillement paresseux de tous les matins. Pourtant, quelque chose avait changé.

Pas dans les murs. Pas dans les couloirs.

En moi.

J’avançai d’un pas hésitant, serrant les lanières de mon sac à en blanchir les jointures. Mon cœur battait trop vite. Trop fort. Comme s'il anticipait ce que mon cerveau refusait encore de comprendre.

Un groupe de filles passa devant moi. Des filles que je connaissais. Kayla, Amber, Elise.

Avant, elles se seraient arrêtées. M'auraient tirée par la main. M'auraient bombardée de leurs dernières rumeurs croustillantes.

Aujourd'hui ?

Pas un regard.

Pas un mot.

Kayla éclata de rire à quelque chose qu’Amber venait de murmurer. Un rire haut perché, faux, qui résonna étrangement dans ma tête.

Comme une gifle.

Je ralentis, le souffle coupé. Peut-être qu'elles ne m'avaient pas vue ? Peut-être que-

Mais non. Elise avait tourné légèrement la tête vers moi. Ses yeux avaient croisé les miens. Une seconde. Pas plus.

Puis elle avait détourné le regard, comme si j’étais invisible. Pire encore : comme si je n’avais jamais existé.

Un trou s’ouvrit sous mes pieds.

Je me senti presque paralysé, rattrapée de justesse par mon instinct de survie.

Ne pas montrer que ça fait mal.

Ne pas craquer ici.

Pas devant eux.

J’inspirai profondément et continuai d’avancer, chaque pas résonnant dans mon crâne comme le glas de quelque chose que je ne pourrais plus récupérer.

En passant devant mon casier, j’aperçus Mason, appuyé contre un mur, entouré de ses amis.

Mason.

Le garçon qui, deux semaines auparavant encore, m’envoyait des textos à minuit. Qui m’appelait "princesse" en riant doucement, en me tirant contre lui dans les fêtes.

Il leva les yeux. Son regard croisa le mien.

Je sentis mon cœur se serrer d’espoir.

Peut-être lui...

Peut-être qu’il allait sourire, dire quelque chose, tout réparer d’un clin d’œil...

Mais non.

Son visage resta parfaitement neutre.

Il se détourna lentement.

Comme si je n’étais rien.

Comme si je n'avais jamais été quelqu'un.

Je m'arrêtai devant mon casier, les doigts tremblants. L’étiquette "Aria O'Neal" que j’avais décorée de petits papillons bleus était toujours là.

Ironique.

Même mon nom semblait sonner faux maintenant.

Je m’empressa de faire la combinaison du cadenas, mais mes mains glissaient.

Ridicule

Ridicule

Ridicule

Je n’arrivais même plus à ouvrir mon propre casier.

Respire.

Fais comme si de rien n'était.

Un groupe d’élèves ria à quelques mètres de moi.

Un éclat de voix — trop fort pour être innocent atteignit mes oreilles.

-T’as vu l’autre là-bas ? 

- Tellement pathétique... 

Mon ventre se noua.

Ils parlaient de moi.

Je n’avais pas besoin de vérifier.

Je ravalai ma honte et finis par ouvrir le casier d’un geste brusque. À l’intérieur, un petit mot plié m’attendait.

Mon estomac se retourna.

Peut-être que quelqu’un…

Peut-être que-

Je saisis le papier et le dépliai fébrilement.

Deux mots, écrits à la va-vite, au marqueur noir :

"Dégage, fantôme."

Le sang quitta mon visage.

Je froissai la feuille aussi vite que possible, la planquai dans ma poche, jetant des regards nerveux autour de moi.

Personne ne me regardait.

Et pourtant, je sentais leurs rires me percer la peau, leurs regards invisibles me décortiquer.

J’avais froid.

Si froid.

Je refermai mon casier d’un claquement sec et pris la direction de ma première classe, chaque pas plus lourd que le précédent.

La salle de littérature était déjà presque pleine quand j’entrai.

Les bavardages s’arrêtaient brièvement chaque fois que quelqu’un franchissait la porte, avant de reprendre, étouffés, moqueurs.

Je marchai jusqu’à ma place habituelle, au troisième rang, contre la fenêtre.

Ou plutôt... mon ancienne place.

Quelqu’un d’autre s'y était assis.

Kayla.

Mes jambes se figèrent. Mon sac glissa presque de mon épaule.

Kayla me vit. Bien sûr qu’elle me vit.

Son sourire s’étira, froid, victorieux, et elle se pencha pour chuchoter quelque chose à Elise, assise à côté d’elle.

Elles gloussèrent.

Je restai plantée là, ridicule, sans savoir quoi faire.

Le professeur entra, en tapotant son bureau pour obtenir le silence.

-Installez-vous rapidement, s’il vous plaît. 

Son regard effleura la classe... me traversa sans me voir.

Pas un mot pour m’aider. Pas un geste.

Comme si c'était normal que je sois debout, sans siège, comme un intrus.

La chaleur monta à mes joues.

Je détestais pleurer. Je me l’étais interdit depuis longtemps.

Mais là, c’était différent.

C’était une honte sourde, collante, impossible à chasser.

Je repérai une place vide au fond de la salle.

À côté de l’aération qui bourdonnait bruyamment.

La place que personne ne voulait.

Je marchai jusqu’à elle, le regard fixé sur mes pieds, sentant les yeux et pire, les chuchotements me suivre tout du long.

Le cours se déroula dans un brouillard.

Les mots du professeur rebondissaient contre les murs sans atteindre mon cerveau.

Tout ce que je pouvais entendre, c’était mon propre cœur battant dans mes tempes, et parfois, des rires étouffés, comme des aiguilles contre ma peau.

Je sortis machinalement mon cahier, pris des notes sans regarder ce que j’écrivais.

Ne pas pleurer.

Pas ici.

Jamais devant eux.

Chaque minute était une épreuve. Chaque respiration me coûtait.

Quand enfin la cloche sonna, je mis un temps fou à ranger mes affaires, espérant que la salle se vide avant que je me lève.

Mais quand je relevai la tête, il était là.

Zale Dawson.

Adossé contre l'encadrement de la porte, les bras croisés.

Son regard planté dans le mien.

Il ne disait rien. Ne bougeait pas.

Un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale.

Pourquoi ?

Pourquoi lui ?

Pourquoi maintenant ?

Je détournai les yeux, rassemblai mes affaires et me précipitai hors de la salle sans me retourner.

Je traversai les couloirs bondés comme un fantôme en fuite.

La cafétéria était pire.

Avant, c'était mon royaume.

Chaque table était un territoire connu.

Chaque sourire, un hommage silencieux.

Aujourd'hui...

Je pris mon plateau, parcourant la pièce des yeux.

Tous les visages m'étaient familiers. Aucun ne m'invitait.

Kayla occupait notre ancienne table, entourée d’une armée de visages rieurs.

Elle me vit. Me fixa un instant. Puis, théâtralement, elle tourna la tête et éclata de rire avec Amber, comme si je n’existais pas.

Je m’approchai malgré moi.

Un instinct stupide, désespéré.

Avant même que j’atteigne la table, Kayla posa son sac sur la chaise vide à côté d’elle.

Un geste clair.

Un geste cruel.

Pas de place pour toi ici.

Un rire étouffé éclata quelque part derrière moi.

Je fis volte-face, à moitié aveuglée par les larmes que je m’interdisais.

Je repérai une table vide dans un coin, près des bennes à ordures.

Parfait.

Parfait pour un fantôme.

Je m’y assis, sans toucher à mon plateau. Mon appétit s'était envolé depuis longtemps.

J’aurais voulu disparaître.

Me fondre dans les murs.

Ne plus ressentir.

La solitude était un poison lent. Chaque minute passée seule à cette table me détruisait un peu plus.

Autour de moi, la vie continuait.

Rires, chuchotements, regards appuyés.

Ils faisaient semblant que je n’étais pas là.

Et quelque part, c’était pire que des insultes ouvertes.

C’était l’effacement.

Le bannissement silencieux.

Comme si j’étais morte et que personne n’avait pris la peine de me prévenir.

Après la pause déjeuner, je traînai les pieds jusqu’à mon prochain cours.

Chimie.

En entrant dans la salle, je sentis immédiatement que quelque chose clochait.

Des regards se tournèrent furtivement vers moi.

Des sourires mauvais.

Je pris place au fond, comme d’habitude.

Quelques minutes plus tard, Mrs. Baker distribua les nouvelles fiches de binômes pour les projets de fin d’année.

Une tradition du lycée : travailler en duo sur un projet noté.

J’avais toujours été en binôme avec Kayla.

Mais cette fois... mon nom était seul.

Pas de binôme.

Seule.

Mrs. Baker hésita une seconde en me regardant, comme gênée.

Puis elle détourna les yeux, et continua son explication.

Je restai figée, la fiche tremblante dans les mains.

Un chuchotement me parvint du premier rang :

-Elle est même pas fichue de trouver quelqu’un... 

Un éclat de rire suivit.

Pas un grand rire sonore.

Non.

Un petit rire étouffé, méchant.

Le genre de rire qui fait plus mal qu’une gifle.

Je rangeai la fiche, incapable de retenir le tremblement de mes doigts.

La journée continua ainsi, interminable procession de silences assassins, de regards fuyants, de rires étouffés.

À la fin des cours, je sortis dans la cour arrière, cherchant un peu d’air.

Le ciel était d'un gris métallique, bas et oppressant.

Je m'assis sur un banc vide, posai mon sac à côté de moi, et laissai enfin les larmes couler, discrètes, invisibles.

Personne ne viendrait ici.

Personne ne me verrait.

Personne ne viendrait me sauver.

Sauf que...

Quand je relevai la tête, je le vis.

Encore lui.

Zale Dawson.

Appuyé contre un arbre, à quelques mètres de moi.

Toujours ce regard calme. Inébranlable. Intraduisible.

Il ne souriait pas.

Il ne parlait pas.

Il était juste là.

À m'observer.

Et pour une raison que je ne comprenais pas encore, sa présence n’était pas un poids de plus sur ma poitrine.

C'était... différent.

Perturbant.

Presque rassurant.

Presque.

À cet instant précis, je compris quelque chose :

Je ne savais pas encore ce qui m’était arrivé.

Je ne savais pas pourquoi tout avait basculé.

Mais ce n’était pas un hasard.

Quelqu'un avait orchestré ma chute.

Et Zale Dawson, d'une manière ou d'une autre, connaissait la vérité.

Je le sentais.

Au fond de moi.

Comme un pressentiment.

Comme un avertissement 

     

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