C'est officiel ! J'ai terminé mon secondaire. J'ai appris que j'avais réussi tous mes examens. Je ne suis pas spécialement une bonne élève, alors j'ai dû travailler dur pour y arriver. Je suis heureuse que mes efforts aient porté ses fruits.
Vêtue de ma robe émeraude, je me place devant le miroir. Ses manches tombent en bas de mes épaules. Je constate qu'elle est plutôt décolletée. Je grimace. C'est Raphaëlle qui a insisté pour que je la prenne au magasin. Elle a eu raison de le faire puisqu'elle me va bien. Cependant, ce n'est pas mon style. Mes habits noirs me manquent déjà.
Je place mes cheveux blonds correctement. Pour l'occasion, je les ai bouclés. Je vais ensuite m'asseoir sur ma chaise de bureau pour enfiler mes talons hauts argentés. La sonnette retentit.
— Samuel est arrivé ! Viens lui ouvrir, s'il te plaît. Je suis à la toilette, crie ma mère.
Je me lève en vitesse. Je fais quelques pas puis ma cheville me lâche. Je tombe. Mon front se cogne sur la poignée. Je gémis.
Lorsque je suis sur mes pieds, je marche plus tranquillement afin que cela ne se reproduise pas. J'accueille Samuel. Je remarque qu'il a un nœud papillon de la même teinte que ma robe. Un sourire crispé se dessine sur mon visage. Nous avons l'air d'un couple.
— Salut, Charlotte. Tu es vraiment... sublime.
Il pose ses yeux sur ma poitrine, ce qui me gêne. Je l'invite dans ma demeure. C'est la première fois qu'il vient. Ses joues deviennent rouges. Il a un petit paquet cadeau dans les mains.
— Comment as-tu su pour la couleur ?
— J'ai deviné, répond-il en tirant la langue.
Je fronce les sourcils, pas convaincu par son propos.
— Bon, d'accord... C'est Raphaëlle, qui l'a dit à Charles, qui me l'a dit.
— C'est mieux.
— Tu n'es pas contente qu'on soit agencés ?
— Oui, c'est mignon, mens-je. Bon, je dois terminer de me préparer. Tu peux m'accompagner, si tu veux. Je n'en ai pas pour longtemps.
En se dirigeant vers ma chambre, nous croisons ma génitrice. Les deux commencent à discuter. Elle lui pose plusieurs questions. Ses réponses sont extrêmement respectueuses et polies. Un peu trop à mon goût. Elle me fait un clin d'œil. Je lui lance un regard meurtrier.
Je lui ai parlé de mes amis à multiples reprises, alors elle les connaît bien. Elle apprécie particulièrement Samuel. Elle est d'avis que c'est un bon p'tit gars, comme elle le mentionne si bien. Lorsqu'elle a appris que je comptais aller au bal avec lui, elle a répliqué que pour une fois, je prenais une bonne décision. Je me suis abstenue de lui dire que son commentaire n'était pas pertinent. Je n'avais pas envie de m'embrouiller avec elle. Depuis, elle espère qu'on va se mettre ensemble.
Je me dépêche de ranger mes sous-vêtements qui traînent par terre avant de faire entrer le garçon dans mon refuge.
Il ouvre la mâchoire en voyant mes œuvres qui sont accrochées sur le mur.
— Je ne me lasse pas de regarder tes dessins. Ils sont vraiment incroyables !
— S'ils étaient si incroyables que ça, madame Beaulieu ne m'aurait jamais envoyé au Transit !
Un jour, pendant la période d'arts plastiques, j'avais essayé d'illustrer Pearl Krabs dans Bob l'éponge. Quand la prof l'a vue, elle s'est offusquée parce qu'elle pensait que je l'avais dessinée en version baleine. J'avais tenté de lui expliquer que ce n'était pas le cas, mais elle ne voulait rien entendre. Elle m'avait envoyé faire le reste du cours au local de retrait.
Les commissures de sa bouche s'étirent pour former un rictus. Il semble se rappeler aussi bien que moi de ce souvenir.
— Ce n'est pas ta faute si elle est un peu parano et qu'elle n'a pas confiance en elle. Tu ne dois pas te rabaisser pour ça.
En vérité, je ne trouve pas que mes croquis sont beaux. Cependant, je ne les trouve pas laids non plus. Je les trouve juste corrects.
Il saisit une feuille sur mon bureau. J'ai créé cette illustration, récemment. Cela faisait un méchant bout que je n'avais pas taché mes doigts à cause du manque d'inspiration. Il faut dire que pour celle-ci, j'en avais. Il s'agit d'un paysage d'été. Il y a une minivan qui roule sur une route et en arrière-plan, il y a des montagnes avec un coucher de soleil.
Je crois que j'ai envie de suivre le chemin de Charles et de vivre de nouvelles expériences, afin de savoir ce que je veux faire, maintenant qu'une grande étape a été franchie. J'ai l'impression qu'un voyage ne me causerait pas de tort.
— Tu devrais t'inscrire dans une école d'art.
— Pourquoi faire ?
— Bah pour travailler dans ce domaine !
— Non merci ! Souvent, les métiers là-dedans n'ont pas de bonnes conditions et sont sous-payés. Je n'ai pas envie de collectionner les coupons rabais et me nourrir de pâtes. Le mieux, c'est de faire de l'entrepreneuriat. Pour ça, il faut que tu sois capable de vendre tes œuvres et que tu crées des contacts. Vu mes compétences sociales, je ne risque pas d'aller très loin.
— Tu sais, tu n'avais pas besoin de me faire un discours.
— Je voulais être sûre que tu comprennes ma perspective.
Je vais devant ma coiffeuse. Je me trace une ligne d'eyeliner. Je sens un truc me chatouiller la hanche. Je sursaute. Samuel tient un de mes pinceaux à cosmétique.
— J'ai failli rater mon maquillage à cause de toi ! râlé-je en le frappant légèrement avec mon coude.
Il rit, satisfait de sa blague. Il va s'installer sur mon lit. Je l'observe à travers la glace. Il s'est mis sur son trente-et-un. Il a placé ses cheveux en arrière avec du gel et son costume est élégant. Je continue de donner des coups de crayon sur ma peau.
— À part travailler à l'épicerie, as-tu d'autres projets pour cet été ? lui demandé-je.
— Non, pas vraiment. J'espère qu'on fera des activités avec la gang ! Et toi, comment s'est passée ton entrevue au dépanneur ?
Je lâche un soupir.
— Ils ne m'ont pas pris. J'en ai marre ! Ils sont ridicules les recruteurs. Ce n'est pas parce que je bégaye que je ne suis pas capable de travailler ! Ils passent leur temps à refuser des gens parce qu'ils veulent un employé parfait et après ça, ils se plaignent qu'ils n'ont personne.
— Ne t'inquiète pas, tu vas finir par dénicher un emploi.
— J'espère. Je n'ai pas envie de retourner à la ferme, déclaré-je en faisant la moue.
Mes compères bossent tous dans des secteurs différents et chacun d'eux m'a suggéré de postuler dans leur entreprise. Néanmoins, je crois que c'étaient surtout des paroles en l'air, parce que le sujet n'est jamais revenu. J'ai peur de leur en parler de nouveau et de paraître pour une profiteuse. De plus, il est possible qu'ils n'aient pas envie de travailler avec moi.
J'inspecte mon visage. Il n'y a rien à signaler. Les traits noirs font ressortir mes iris bleus. Je me tourne vers Samuel.
— Je suis prête ! affirmé-je.
— Il manque un truc...
Je le questionne du regard.
Il récupère le cadeau qu'il avait laissé de côté. Il l'ouvre. C'est un bracelet avec une pierre de jade.
— Il est vraiment beau. Tu n'aurais pas dû !
Il me fait un câlin. Par la suite, il m'aide à l'enfiler. Ses prunelles brillent tellement qu'on dirait qu'elles vont brûler. Mon cœur se serre. Ce n'était peut-être pas une bonne idée de l'accompagner. Il doit penser qu'il va se passer quelque chose entre nous deux.
— Maintenant, tu es parfaite.
Je saisis ma sacoche et tire mon ami par le bras. On doit se dépêcher. Il ne faut pas que ma mère nous voit. Elle veut nous prendre en photo. Lorsqu'on s'apprête à pénétrer à l'extérieur, un flash nous interrompt. Elle est là, son appareil dans les mains.
— Ne soyez pas timides ! s'exclame-t-elle.
Nous prenons plusieurs clichés dans différentes pièces de la maison. Nous allons ensuite dans la cour. Il y a une clôture qui délimite la forêt. Des fleurs ont emmêlé leurs tiges dans le métal. On se place devant. L'endroit est très photogénique.
— Charlotte, ça ne te tente pas de sourire un peu ? Tu fais une face d'enterrement sur littéralement toutes mes photos.
J'ai envie de répliquer que mes lèvres n'ont aucune raison de former un rictus actuellement. Néanmoins, je me retiens. La connaissant, elle me dirait que je suis rabat-joie. Je me contente de faire un sourire forcé. Ma génitrice nous libère enfin.
— Passez une bonne soirée, les tourtereaux ! hurle-t-elle, pendant qu'on se dirige vers le stationnement.
Un frisson désagréable parcourt ma colonne vertébrale.
— Je suis désolée pour le comportement de ma mère.
— Ne t'inquiète pas, au contraire, elle est sympathique.
Visiblement, nous n'avons pas la même définition de sympathique.
Nous montons dans sa voiture. Il met la clef dans le contact puis nous quittons ma propriété. Direction le bal ! Je n'arrive pas à croire que ce jour est finalement arrivé. Cela faisait depuis la rentrée que j'attendais ce moment. J'ai hâte de passer du bon temps avec les personnes que j'aime et discuter des événements marquants que nous avons vécus au sein de l'établissement.
À travers mon excitation, je ressens un début de nostalgie. L'école, je pensais que c'était chiant. Cependant, je sais qu'au fond de moi, cela va me manquer de ne plus avoir ma petite routine, de toujours croiser les mêmes individus.
Ce qui me perturbe par-dessus tout, c'est que je n'ai pas de plans. Auparavant, je n'avais pas besoin d'y réfléchir, étant donné que j'étais scolarisée. C'est la première fois qu'un aspect de mon existence n'est pas planifié. Je ne sais pas si à la fin de l'été, je serai à l'école, au travail ou si j'habiterais encore dans cette ville. C'est le néant dans mon esprit et cela me terrifie.