AVRIL 2017
Mercredi 12 avril
À travers la fenêtre de l'habitacle, une clinique se dessina devant moi, elle paraissait grande.
Sa simple vision provoqua une vague s'échouant en moi, désagréable sensation qui m'occasionna des frissons dans l'intégralité de mon être.
Ma respiration silencieuse, habituée à ce qu'elle ne fasse aucun bruit, demeurait anormalement bruyante. Détail subtil que remarqua mon père, le visage concentré sur le parking sur lequel la voiture venait de s'engager. Ses lèvres formèrent des mouvements, traduisant des mots, je ne les entendis pas. Mes oreilles avaient eu pour habitude de se fermer.
Grâce à elle, je pouvais me couper du monde.
Sur les paroles rassurantes de mon père, qui frotta sa main dans mon dos, nous marchâmes vers le bâtiment. Mes pas se voulaient lents, mon corps traîné jusqu'à l'accueil de la clinique où pour la première fois, j'allais passer une radio. Cet examen qu'avait évoqué cette docteure.
Les lumières artificielles enfermées dans des néons abîmèrent mes yeux secs, les larmes de la nuit dernière avaient eu le temps de sécher.
La fatigue fut mon excuse quand une infirmière me questionna sur mon teint pâle.
La salle d'attente était plus loin, de nombreux couloirs nous séparaient de l'accueil où une plante verte était disposée dans un coin. Nombreuses furent les chaises qui accueillaient des gens ordinaires devenus patients au moment où ils avaient franchi les portes coulissantes de la clinique.
Les noms défilèrent dans l'air, des personnes se levaient, partaient avec une infirmière et revenaient jusqu'à ce qu'on leur délivre une enveloppe qui les faisait redevenir des gens ordinaires.
Mon tour arriva, comme les autres, j'empruntai un chemin avec une infirmière et—
Je n'eus aucun souvenir de cette radio. Le temps passé sur cette chaise dans l'intention de recevoir une enveloppe fut le seul à être resté dans ma mémoire.
La matinée s'était écoulée lorsque nous revînmes des gens ordinaires, mon père assis derrière le volant et moi tenant cette grande enveloppe blanche.
Je la regardai avec attention tenue entre mes petites mains, la tête baissée où mes lunettes pilotes tombaient sur la petite bosse de mon nez.
À force de tenir le papier, mes mains devinrent moites.
De nouveaux frissons se répandirent au moment où mes doigts décachetèrent avec maladresse le haut de l'enveloppe pour en sortir le contenu. Deux documents étaient posés sur la face de l'enveloppe. Je reconnus aisément celui qui abordait la radio. L'autre était une feuille A4 titré « Compte rendu de l'examen ». Je ne voulus pas le lire, mes yeux ne restèrent attirés que par cette radio affichant mon corps sous rayon X.
Délicatement, je la récupérai et l'observai.
Il s'écoula plusieurs secondes semblable à des minutes avant que mes yeux ne révèlent l'horreur, se trouvant face à ma vision impuissante et submergée par le choc.
Mon corps était à nouveau sans vie, l'âme s'était enfuie, loin. Mes lèvres s'ouvrirent avant que l'humidité ne chatouille mes iris.
Elle était là, présente, devant moi.
Je la distinguais parfaitement.
Ce S que formait ma colonne vertébrale, un début de S illustrant l'hypothèse de cette docteure.
Sur cette radio, ma scoliose apparaissait.
La vision floue, des pleurs qui ne s'écoulèrent pas m'empêcha quelques instants de la distinguer nettement. Pas de larme en public, c'était la règle.
Deux nombres, complétèrent la radio, deux degrés placés à chaque extrémité de ma colonne « 25 degrés lombaires et vertèbre 17 degrés ».
Sans lâcher mon regard de la radio, j'implorai mon esprit de se rappeler, trouver dans ma mémoire un élément qui pourrait expliquer cette soudaine anomalie, comme je l'avais lu précédemment. Rien.
Rien ne me revint. Comment pouvait-il s'expliquer qu'une scoliose était apparue dans mon corps ?
Jamais, auparavant, je n'avais ressenti une quelconque douleur. Pourtant, elle était bien là, présente en moi, dans mon squelette.
"— Doctorina ?
— Oui ?
— Pouvez-vous m'éclairer sur les circonstances de sa scoliose, s'il vous plaît ?
— Il s'agit d'une interrogation sans réponse, même moi je n'ai pas l'explication. En effet, la plus part des personnes ayant une scoliose ne savent pas comment celle-ci est arrivée."
La route qui défilait attira mon attention.
Sans tarder je rangeai cette découverte dans l'enveloppe et ma tête se posa sur la vitre. Les larmes s'étaient accumulées et pour la première fois depuis l'instauration de cette règle, elles coulèrent sur mon visage alors qu'un tiers demeurait à côté.
Mon père, bercé par la musique, ses mains tenant le volant, ne remarqua pas mon état. De la manche de mon sweat, j'essayai de cacher ce torrent qui se déchaînait à vive allure sur mon visage.
Le masque, que j'avais enfilé ce matin-là, venait de se briser. Les morceaux côtoyaient mon chagrin pour s'échouer sur le tapis de la voiture à mes pieds.
Il fallait que je les cache, les étouffe pour ne pas inquiéter mon père qui conduisait. Lui aussi avait ses problèmes, il n'avait pas besoin d'avoir sa fille pleurnicharde sur le dos. Sa fille qui se plaignait pour un rien.
« Allez Rose, il y a pire que toi quand même, t'es pathétique là, tu l'as mérité. Tout ce qui t'arrive est de ta faute. »
Mes camarades me répétaient cette phrase à longueur de temps. J'étais la responsable de tout et en l'occurrence ici, cette scoliose devait sûrement être de ma faute aussi.
— Tout va bien, ma chérie ?
La tête toujours tournée vers la fenêtre, mon coude la soutenait. La voix de mon père résonna, mes lèvres restèrent scellées.
Sans réponse, il se répéta. Je n'avais pas envie de parler, je savais pertinemment que si un seul mot sortait de ma bouche, mon père allait vouloir comprendre.
Et je n'étais pas prête à lui fournir la moindre explication.
J'en étais tout simplement incapable.
— Ça va, réussis-je à souffler avant de fermer les yeux en simulant une somnolence.
Il n'insista pas, se contentant de cette réponse, et au fond, je l'en remerciai.
13h42 – cour de la maison
Le moteur s'arrêta, le contact des roues sur le goudron ne me berça plus. Des picotements dans mes yeux se créèrent quand ils s'ouvrirent. La façade de la maison leur fit face.
Sans un mot, je laissai l'enveloppe sur le siège, mon père allait la récupérer et je me précipitai dans ma chambre. La seule pièce où je ne pouvais pas craindre que quelqu'un découvre la vérité sur mon quotidien.
Je la contemplai assise sur mon lit, cette pièce que j'avais tant aimée et qui m'avait offert l'occasion d'être moi-même, de m'apporter ce sentiment de sécurité que je perdais à chaque fois que la porte se rouvrait.
Pourtant, à ce moment, ce cocon ne s'y apparentait plus. Elle ressemblait à la définition de ma vie actuelle.
Les cahiers, les feuilles ou encore les stylos éparpillés sur la surface du bureau ne permettaient plus de distinguer un quelconque espace de travail. Le reste du mobilier n'était pas épargné. Ma chaise sous le tiroir de ce bureau se retrouvait ensevelie sous une pile de vêtements où le sale et le propre cohabitaient. Je ne me préoccupai plus réellement de la façon dont je m'habillais. Cette tâche était devenue secondaire. En général, je prenais deux pièces sans réellement d'effort et les assemblais. Peu importe le résultat final, cela faisait longtemps que je n'avais pas côtoyé mon reflet. En ce qui concernait mon lit, il se retrouvait déshabillé de ses couvertures qui jonchaient le parquet, seul le matelas restait encore à sa place initiale.
15h23
Comme chaque mercredi après-midi, que la météo soit clémente ou non, je restai enfermée à pleurer toute l'eau de mon corps.
Je me disais que si je déversais toutes mes larmes à l'abri des regards, il n'y en aurait pas une seule en public.
Ce jour-ci n'en fut pas exception.
Un peu plus tard, une fois que je compris que je n'arriverai plus à pleurer, mon sac à dos alerta mon attention, les devoirs. Différents professeurs m'en avaient donné.
Impossible de les faire.
J'étais fainéante ? Non, juste en dépression.
J'avais essayé pourtant.
Mon bureau n'étant plus une option, je m'étais directement installée sur le parquet. Ma couette retrouvée en boule à côté m'avait protégé.
Chaque nuit, elle devenait mon bouclier.
Une feuille volante placée face à moi, à même le sol, un cahier d'exercices grand ouvert, un stylo dans ma main droite et j'avais commencé à lire mon exercice de mathématiques.
En vint.
Peu importe le nombre de fois où je le relisais, les nombres devenaient flous et brouillaient mon esprit.
Mes yeux ne coopéraient plus, ils devaient sûrement être rougis à force d'avoir déversé mon chagrin. Je laissai les maths, j'inventerai une excuse ou je le ferai plus tard.
L'anglais était ma prochaine matière, un contrôle sur les verbes irréguliers m'attendait.
J'en connaissais déjà un bon nombre.
Avec un peu de chance, j'obtiendrai la moyenne.
18h19– toujours dans la même pièce
Après plusieurs heures, je m'étais assoupie. Mon père était venu me réveiller, pensant certainement que j'avais trop travaillé, provoquant cette soudaine fatigue.
Comment pouvait-il imaginer une seconde que chaque jour mon corps puisait dans ses dernières réserves pour me permettre de tenir debout.
— Rosinette, tu te réveilles ma chérie. Ça va bientôt être l'heure de ton cours de danse. Me rappela-t-il d'une voix calme en me secouant légèrement.
Sans comprendre comment, je hochai de la tête et n'ouvris les yeux que lorsque je fus certaine qu'il était parti. Mes lunettes de vue à nouveau sur mon nez cachant partiellement mon état. Je préparai mes affaires, n'oubliant pas de prendre un nouveau masque.
Le studio de danse demeurait pour moi un refuge, oubliant tous mes problèmes. La musique démarrait et mon corps et mon esprit se libéraient.
Jeudi 13 avril
Le lendemain et comme les jours qui suivirent, le silence fut roi. Aucune de mes amies, enfin, plutôt les deux personnes qui se souciaient encore de moi en dehors de ma famille, ne savait ce qui se passait depuis cette fameuse annonce.
Ressentant ma préoccupation, chacune d'entre elles étaient venue me voir pour me questionner sur le sujet.
— Rose, est-ce que tout va bien ?
Victoria, adossée à mes côtés au mur d'une des cours de récréations de notre collège, s'inquiétait. Je le perçus dans sa voix malgré son sourire se voulant réconfortant.
Victoria Ojeda, fut ma toute première amie quand je suis arrivée au collège en 6ᵉ.
Je réfléchis quelques instants sans croiser son regard. Mon masque était bien positionné, il n'y avait pas de raison qu'il se brise. Il me suffisait juste de lui mentir, un petit mensonge n'avait jamais tué personne.
Je hochai la tête, un faux grand sourire se dessina sur le bas de mon visage. Mes lèvres ne s'ouvrirent pas.
Elles étaient scellées, vous vous rappelez ?
— Tu es sûr ?
Les sourcils de mon amie se froncèrent, elle s'était légèrement rapprochée de moi, sa veste en jean se calant à côté de mon sweat noir.
Il fallait que je parle, pour ne pas éveiller les soupçons.
— Oui, j'ai juste une évaluation d'anglais dans une heure et je révisais dans ma tête les verbes.
Mes paroles et ma voix sonnèrent aussi fausses que celles que je qualifiai il y a encore quelques mois comme mes amies. J'avais pris l'habitude de lui mentir dès qu'elle me posait des questions sur ma vie, mon ressenti. J'étais égoïste, voulant garder cette peine et mes démons pour moi toute seule.
— Ah d'accord, acquiesça-t-elle néanmoins sceptique, ne t'en fais pas, je suis sûre que tout va bien se passer.
Sa main frotta mon épaule, sa veste entra plusieurs fois en contact avec mon bras, de vives douleurs y naissèrent. Je ne cillai pas pour autant.
Une fois qu'elle eut disparu de mon champ de vision, mon sourire se fana, la petite chaleur dans ma poitrine lorsqu'elle était présente avait, elle aussi, disparu.
L'ignorance dans laquelle baignait mon amie me détruisait, même s'il n'y avait plus grand-chose à détruire. Cassée en mille morceaux, je me questionnais encore sur ma capacité à tenir debout.
Je ne comptais même plus le nombre de fois où la vérité sur mon quotidien avait failli lui être révélée.
Mes démons séjournaient de nouveau dans mon esprit. Les pensées, aussi sombres qu'eux, se baladaient dans ma tête.
J'étais encore repartie loin.
Mon corps, quant à lui, demeurait toujours adossé à ce mur de la cour de récré. Où le brouhaha se voulait audible. Mais mes oreilles étaient fermées, vous vous en souvenez ?
J'étais une marionnette avec qui on s'amusait. Mes extrémités attachées à des ficelles.
La voix de mon amie Alexianne me délivra de cette souffrance permanente, le temps d'un court instant.
— Rose ? Tu attends quoi là, qu'il neige ?
Elle rigola de plus belle, montrant ses grandes dents.
Rire, c'était quelque chose que je ne faisais plus. Parfois, j'avais le sentiment que je ne pourrais plus le faire.
Les bras de mon amie m'entourèrent, faisaient renaître cette petite chaleur, ce crépitement agréable. Sa prise était douce, son visage se positionna face au mien. Nos yeux plongés dans ceux de l'autre. Pendant que ses cheveux roux bouclés avec le vent chatouillèrent mes joues.
— Est-ce que tout va bien, ta mine est toute triste ?
Ses mains trouvèrent refuge sur mes joues. Elle aimait les pincer doucement sans me faire mal. Son regard azur, dans le mien, dévoila de l'inquiétude. Je le voyais. Mes yeux ne reflétaient que du vide, j'imaginais que c'était ça.
Je bénissais les moments que je passais avec mes deux amies. Elles étaient comme de vraies bouées de sauvetage que j'attrapais pour sortir du torrent où je me noyais chaque jour.
Ce torrent, justement, où la source était ma classe, en particulier les personnes qui la constituaient. Je n'existais qu'à leurs yeux afin de nourrir cette soif de méchanceté.
La plupart de mes camarades ne m'adressaient la parole uniquement pour me sortir des injures et des commentaires plus méchants chaque jour.
Une des seules personnes qui me parlait avec le minimum de respect que l'on peut attendre d'un adolescent fut un garçon de mon âge, Sacha.
Il s'était trouvé dans la même classe que moi. Un garçon plutôt timide, s'enfermant dans son monde par choix. Contrairement à moi qui m'y retrouvais capturée par force.
Nous ne discutions que très rarement, certaines fois à l'attente d'un prochain cours ou encore l'un assit à côté de l'autre dans le bus pour rentrer chez nous, habitant seulement à dix minutes l'un de l'autre.
Mercredi 3 mai
12h20 – arrêt de bus presque vide
Le bus arrivait enfin. Peu de monde était présent. Deux bus passés à vingt minutes d'intervalles chacun et mes camarades préféraient nettement prendre le premier pour retrouver leur foyer rapidement et vaquer à leurs occupations.
Patienter n'était pas un problème. Rien ne m'attendait. Ma maison était juste devenue une cachette pour pleurer et me réfugier. Les devoirs qui m'y attendaient ne me motivaient pas vraiment à rentrer.
Je ne savais pas pourquoi chaque mercredi Alexianne attendait toujours avec moi.
Elle était toujours assise contre le rempart de l'arrêt de bus.
Souvent, le premier bus passait devant elle. Pas une seule fois, elle ne l'a pris, elle m'attendait. Nous ne nous connaissions pas depuis si longtemps, un ou deux mois tout au plus. Pourtant, elle restait à mes côtés.
Le bus ne regorgeait pas de monde, quelques adultes, Sacha à une rangée de nous et notre duo sur la rangée de gauche. Alexianne avait proposé à mon camarade de se joindre à nous, celui-ci avait décliné très poliment, préférant terminer le croquis qu'il avait entamé.
Toutes les deux installées, assises l'une à côté de l'autre, je lui avais laissé la place de fenêtre. La tête baissée, mes doigts jouaient avec la fermeture de la petite poche de devant de mon sac à dos rose. Il contenait beaucoup de cahiers, cela le rendait lourd. Un poids conséquent qui reflétait celui de mon quotidien au collège que je devais supporter tous les jours.
Mon esprit s'amusait aussi, les brimades de mes camarades revenaient dans ma mémoire, leurs voix parvenaient à être distinctes. Je restai neutre, le regard impassible à juste attendre que le flux de souvenirs passent.
Un flash.
Ce flash de la clinique, l'enveloppe sur mes genoux.
La scoliose.
Elle m'était revenue en mémoire, alimentant cette étrange boule qui se développait dans mon ventre. Elle grossissait quand mes pensées me rappelaient le collège, ma moyenne plus que catastrophique ou encore l'apparition de cette scoliose dans mon squelette.
Cela faisait lourd à porter, la boule dans mon ventre ne pouvait pas soutenir autant de poids. Je ressentis ce besoin de me confier, il naquit petit à petit dans mon esprit jusque dans mon coeur. Sans réaliser, mes lèvres, normalement collées entre elles, s'ouvrirent de quelques millimètres. Alexianne, sa tête baissée sur son portable, un sourire orné son visage en V, n'y prêta pas attention. Le paysage que j'admirai à sa place défila à vive allure sous mes yeux fatigués et rougis. La boutique de fleurs dans cette rue commerçante passa, signe que mon arrêt approchait.
Il fallait que je parle.
— Alexianne, l'interpellai-je d'une voix calme malgré le léger brouhaha qui nous entourait par la venue d'un groupe d'ado.
À l'entente de son prénom, elle releva ses yeux bleus dans les miens.
— Je peux te parler de quelque chose ?
Mes yeux restèrent fixés sur mon sac. Je les relevai quand j'aperçus de ma vision périphérique un grand sourire de sa part. Traduisant d'une invitation indirecte à parler.
Plusieurs secondes s'écoulèrent avant que mes lèvres ne se détachent suffisamment pour que les mots parviennent aux oreilles de ma voisine.
Parler, une action que je ne faisais plus vraiment. Le scotch qui avait été déposé sur mes lèvres s'était légèrement décollé pour que j'eusse avoir la possibilité de redécouvrir cette sensation. À chaque mot prononcé, le poids de cette boule se réduisit. Le flux de paroles fut conséquent, le tout dans des murmures. Je passai du rendez-vous médical à la découverte de ma scoliose en passant par ce sentiment d'impuissance face à cette situation.
Ses bras ne mirent que peu de temps à m'entourer. Son contact bien qu'inattendu diminua la boule dans mon ventre et développa pendant une fraction de seconde cette chaleur dans ma poitrine. Ses mots n'atteignirent pas mes oreilles, pourtant elle parlait. Ses lèvres se décollaient pour se recoller et recommencer. Je ne souhaitai pas de mot, ni de consolation, je ne les méritais pas. Je ne devais pas ressentir quoi que ce soit. Alors mes oreilles se fermèrent à tout son réconfort.
Dans un geste mécanique, je me levai pour appuyer sur la sonnette dans le but d'informer le chauffeur que j'allais descendre. Mes mains entourèrent les anses de mon sac à dos et, sans un regard à Alexianne je descendis les marches du bus qui ne mit que quelques secondes à redémarrer. Laissant entre ses vitres, mes confidences et mon amie à qui je venais d'accorder ma confiance.
Pour la première fois depuis longtemps, j'allais rentrer chez moi, sereine.
Sur le trottoir que j'empruntais chaque jour pour rentrer chez moi, mes pas se stoppèrent pour contempler le ciel. Des gouttes s'échouèrent sur mon visage, mes verres de lunettes en furent vite recouverts. À cet instant, je me sentais vivante, j'arrivais à ressentir le froid et l'inconfort dans mes vêtements. L'eau coula, entrant en contact direct avec l'épiderme, caché par cette tenue qui finissa dans le même état. Mes larmes amères se mélangèrent à la froideur de cette intempérie, je me noyais de manière fictive. Et, pourtant, cela me parut agréable. Agréable de ressentir quelque chose. Depuis que les insultes avaient commencé, j'avais eu l'impression que je ne pourrais plus jamais éprouver quoi que ce soit en excluant la tristesse et cette chaleur. Je ne ressentais même plus l'eau bouillante lorsque je prenais ma douche.
Je n'étais peut-être pas simplement une âme sans vie, y avait-il encore un espoir que je survive ?
Le temps de quelques secondes, je lâchai prise. La notion de temps n'était plus que surfaite.
C'est seulement lorsque je réalisai que le pas de la porte me faisait face, totalement trempée et frigorifiée, que les souvenirs me revinrent. Mon corps m'avait conduit à l'abri, il m'avait protégé pendant que moi, je le punissais. La culpabilité me rongea, il m'offrait l'opportunité de vivre et je lui faisais subir de nombreuses atrocités chaque soir.
En réalisant, les gouttes s'écoulaient de mes cheveux, je traversai l'entrée dans laquelle je venais de pénétrer après avoir refermé la porte. Les marches qui composaient l'escalier me demandèrent un effort supplémentaire, mon corps était devenu lourd avec le poids de l'eau.
Mon frère était déjà rentré, ses cris de frustration se voulaient audibles au travers de sa porte. Il devait sûrement être en train de jouer avec ses amis sur un jeu en ligne.
Ma main flotta à quelques millimètres de sa poignée de chambre. Hésitante, je la lâchai et partis me réfugier sous mon lit.
Mon corps méritait du repos.
C'était épuisant au quotidien de cacher la vérité dans de jolis mensonges. Pourtant, aujourd'hui, une vérité avait su être exposée à la place des moqueries.
Et c'était une étreinte qui l'avait accueilli.