Naylaé
J'ouvris les yeux, rĂ©veillĂ©e en sursaut par le bruit strident de mon rĂ©veil. Par rĂ©flexe, je tournai la tĂȘte vers l'horloge : 7h30. Je soufflai, soulagĂ©e. J'avais encore une heure avant de commencer ma journĂ©e. Enfin... "soulagĂ©e", c'est vite dit : dans une heure, je passais devant le juge pour dĂ©fendre mon client. Pas vraiment de quoi traĂźner au lit.
Je me levai et descendis les escaliers encore à moitié endormie. C'était vendredi. Le grand jour.
En arrivant dans la cuisine, j'ouvris un placard pour préparer mon petit-déjeuner. Je sortis un pot de confiture, du pain, une banane, et je pris du beurre dans le frigo. Un chocolat chaud s'imposait pour accompagner le tout ,rituel sacré.
Une fois mon chocolat prĂȘt, je m'installai dans le salon, dĂ©posai mon petit-dĂ©jeuner sur la table basse et allumai la tĂ©lĂ©. Je zappai rapidement jusqu'Ă tomber sur Foot 2 Rue ExtrĂȘme. Un sourire se dessina sur mon visage. J'adorais ce dessin animĂ© quand j'Ă©tais gamine. J'y restai une bonne trentaine de minutes, savourant mon repas devant la tĂ©lĂ©vision comme si c'Ă©tait un samedi matin sans responsabilitĂ©s.
Une fois mon bol vide et mon Ă©mission terminĂ©e, j'Ă©teignis la tĂ©lĂ© et mis la vaisselle dans l'Ă©vier. Direction la salle de bain. Je me dĂ©barbouillai, me brossai les dents, dĂ©mĂȘlai mes cheveux que je laissai dĂ©tachĂ©s , puis appliquai un peu de crĂšme sur mon visage. Un coup de mascara, un regard dans le miroir : pas trop mal.
Je pris mon téléphone pour vérifier l'heure : 8h10 pile. Parfait.
Je sortis de la salle de bain et filai vers ma penderie. J'enfilai un jean bleu large, un t-shirt noir, et un gros pull en laine noir tout aussi confortable que stylé. Mon pyjama rejoignit le panier à linge. J'enfilai mes bottines noires, attrapai mon manteau, puis pris les clés de la maison et de la voiture posées sur le meuble de l'entrée. Mon téléphone glissa dans ma poche.
Avant de sortir, j'Ă©teignis toutes les lumiĂšres. Un dernier coup d'Ćil, puis je franchis la porte. Je pris mes clĂ©s dans la poche gauche, verrouillai la porte, puis me dirigeai vers la voiture. En appuyant sur le bouton de la clĂ©, les portiĂšres se dĂ©verrouillĂšrent. Je montai cĂŽtĂ© conducteur, m'installai confortablement... et dĂ©marrai.
Je me garai dans un parking Ă quelques pas du tribunal.
La musique rĂ©sonnait encore doucement dans les enceintes, comme une bande-son apaisante avant la tempĂȘte. Je coupai le Bluetooth, puis Ă©teignis le moteur. Un bref instant de silence s'installa.
Je restai là quelques secondes, les mains sur le volant, à fixer le pare-brise sans vraiment le voir. J'inspirai profondément. Une derniÚre respiration avant d'entrer dans l'arÚne.
Aujourd'hui, je devais défendre mon client. Et je savais que la moindre erreur pourrait lui coûter cher.
Je pris mon sac sur le siÚge passager, vérifiai que mon dossier était complet, puis sortis de la voiture. Mes talons résonnÚrent sur le bitume froid. Direction le tribunal.
J'ouvris la porte d'entrée du tribunal et franchis le seuil d'un pas déterminé. En passant par l'accueil, je reconnus Maria et lui adressai un sourire.
Maria, une femme d'une cinquantaine d'annĂ©es, mesurant environ 1m55, avait la peau claire, les yeux bleus vifs et les cheveux chĂątains, dĂ©tachĂ©s et tombant jusqu'aux Ă©paules. Elle portait une longue robe rose qui s'arrĂȘtait juste au-dessus des genoux, et des sandales noires aux pieds. Toujours impeccable, toujours aimable, elle Ă©tait presque une institution Ă elle seule dans ce tribunal.
Maria s'est toujours montrĂ©e bienveillante. Avec elle, un simple bonjour ressemblait Ă une Ă©treinte. Ce matin encore, elle m'accueillit avec son sourire habituel, celui qui apaisait mĂȘme les avocats les plus stressĂ©s.
â Bonjour ma grande, prĂȘte Ă leur montrer de quoi tu es capable ? lança-t-elle avec un clin d'Ćil complice.
Je laissai échapper un petit rire nerveux.
â J'ai intĂ©rĂȘt, oui...
Je partis en direction de la salle d'attente quand quelqu'un me barra le chemin. Je levai les yeux et reconnus un jeune greffier, visiblement pressé.
â Oui, un problĂšme ? J'ai pas vraiment le temps, au cas oĂč vous ne l'auriez pas remarquĂ©, dis-je, un brin agacĂ©e.
â Je le crains, oui. Il y a un souci, rĂ©pondit-il, le visage grave.
Je me figeai quelques secondes, redoutant ce qu'il allait me dire.
â Il y a du nouveau dans votre dossier...
â Quoi donc ? demandai-je, impatiente, presque inquiĂšte.
â Le tĂ©moin principal... celui de la dĂ©fense... il ne viendra pas. Il a disparu. Injoignable depuis ce matin. Portable Ă©teint.
Je le fixai, essayant de garder mon sang-froid.
â Quoi ?! Mais il Ă©tait capital ! Sans lui, toute notre ligne de dĂ©fense s'Ă©croule...
Le greffier haussa les épaules, impuissant.
â Je sais. Mais... vous ĂȘtes attendue dans cinq minutes.
Avant mĂȘme que je puisse rĂ©pondre, une main se posa doucement sur mon bras. C'Ă©tait Maria.
â Au fait, je ne sais pas si tu es au courant... Le juge qui devait prĂ©sider ton audience a Ă©tĂ© remplacĂ© ce matin. C'est MaĂźtre Gautier qui prend la relĂšve.
Je clignai des yeux, abasourdie.
â Gautier ? Jean-Baptiste Gautier ?
Elle hocha lentement la tĂȘte, l'air de compatir.
â Oui. Celui avec qui tu t'Ă©tais embrouillĂ©e Ă cette fameuse confĂ©rence sur la rĂ©forme pĂ©nale...
Je repris mon calme, ou du moins j'essayai, et me dirigeai vers mon client. Je l'aperçus au loin : costume bleu Ă©lĂ©gant, cheveux plaquĂ©s en arriĂšre, l'air Ă©puisĂ© malgrĂ© tout. Mon estomac se noua. GĂ©nial. Non seulement je perdais mon tĂ©moin clĂ©, mais en plus je devais plaider devant un juge qui me tenait en grippe depuis un dĂ©bat houleux l'annĂ©e derniĂšre. L'audience s'annonçait... Ă©lectrique. Et ça me fit paniquer, mĂȘme si je n'en laissai rien paraĂźtre.dressai un sourire ; il me le rendit, lĂ©gĂšrement.
â Bonjour, Monsieur Benali, dis-je en arrivant Ă sa hauteur.
â Bonjour, Madame Mendoza-Khalil.
Sans un mot de plus, je me retournai et pris la direction de la salle d'audience. Monsieur Benali me suivit.
Je poussai les lourdes portes de la salle d'audience. Le claquement résonna dans la piÚce, attirant quelques regards. L'air y était plus froid, plus dense, presque figé dans le silence tendu d'avant le combat.
Je sentis le pas de mon client juste derriÚre moi. Il avançait sans dire un mot, droit, mais je pouvais percevoir son angoisse comme une ombre qui le collait à la peau. Moi aussi, j'étais nerveuse, mais j'avais appris à marcher comme si je tenais déjà la victoire entre mes mains.
Nous traversĂąmes l'allĂ©e centrale, sous les regards du public, des journalistes, du procureur dĂ©jĂ installĂ©, l'air sĂ»r de lui. Je le saluai d'un hochement de tĂȘte poli, sans sourire. C'Ă©tait la guerre, pas une rĂ©union de courtoisie.
Puis mon regard se posa sur le juge.
Gautier.
Il leva les yeux vers moi. Son expression était impassible, mais je captai ce petit éclat dans son regard : il me reconnaissait. Et il n'avait rien oublié.
Parfait. Moi non plus.
Je pris place à la table de la défense, sortis mes dossiers, les mains fermes. Si j'avais peur, personne ne devait le voir. Je pouvais douter. Je pouvais trembler. Mais pas ici. Pas maintenant.
C'était l'heure.
Mon client, à cÎté de moi, tremblait de peur.
â Ne vous inquiĂ©tĂ© pas, Monsieur Benali. Je ferai mon possible, dis-je en essayant de le rassurer.
Il me sourit, un faux sourire, sans doute arraché par la panique.
Maßtre Gautier se leva, ajusta légÚrement sa robe et prit la parole d'une voix ferme :
â Nous allons commencer.
Le silence tomba sur la salle, dense comme une chape de plomb.
Un frisson sembla parcourir la salle. Je jetai un coup d'Ćil Ă mon client. Il fixait droit devant lui, les poings serrĂ©s sur ses genoux. Il n'avait plus rien du garçon paniquĂ© de tout Ă l'heure. Maintenant, il ressemblait Ă une statue â raide, tendue, prĂȘt Ă encaisser le choc.
Le président du tribunal consulta rapidement le dossier posé devant lui.
â Azer Benali, nĂ© le 12 mars 2001. Vous ĂȘtes poursuivi pour le vol d'un vĂ©hicule de luxe â une Lamborghini Aventador appartenant Ă Monsieur Delaunay â dans la nuit du 18 au 19 fĂ©vrier dernier.
Il leva les yeux vers Monsieur Benali, perçant.
â Reconnaissez-vous les faits ?
Il déglutit. Je vis sa gorge bouger comme s'il avalait un clou rouillé.
â Non, monsieur le prĂ©sident. Je... je n'ai rien volĂ©. Je ne sais mĂȘme pas conduire une voiture comme ça.
Sa voix tremblait, mais pas de peur. D'injustice.
Le juge hocha Ă peine la tĂȘte, neutre comme une feuille blanche.
â TrĂšs bien. Nous allons Ă©couter les parties.
Il se tourna vers moi.
â MaĂźtre, vous avez la parole.
Je me levai, essayant de dompter ce fichu tremblement dans ma main gauche. La salle semblait me scruter, peser chacun de mes mots avant mĂȘme que je les prononce. Je pris une inspiration, puis je me lançai :
â Monsieur le prĂ©sident, messieurs et mesdames du tribunal. Mon client, Azer Benali, est ici aujourd'hui accusĂ© d'un vol dont il nie fermement ĂȘtre l'auteur. Et je vous le dis dĂšs maintenant : les preuves sont bien trop fragiles pour qu'on puisse le condamner sans doutes raisonnables.
Je posai les yeux sur Azer. Il avait baissĂ© la tĂȘte, mais ses doigts trituraient nerveusement la couture de son pantalon. Il n'Ă©tait pas coupable ou alors il mĂ©ritait un Oscar.
Je poursuivis, plus assurée :
â Il n'y a ni empreintes sur le volant, ni vidĂ©os de surveillance exploitables. Juste un tĂ©moignage vague d'un voisin, en pleine nuit, qui dit avoir vu "un jeune en capuche" monter dans la voiture. C'est mince. Trop mince.
Un léger murmure s'éleva dans le public. Le juge tapa de son petit marteau.
â Silence, je vous prie.
Le prĂ©sident hocha briĂšvement la tĂȘte.
â Monsieur le procureur, Ă vous.
Le procureur se leva lentement. Un homme sec, raide comme un balai, avec cette voix monocorde qui pouvait transformer un crime passionnel en plat fade. Mais sous ses phrases calmes, on sentait les crocs.
â Merci, monsieur le prĂ©sident.
Il feuilleta ses notes avec des gestes lents, presque théùtraux. Il aimait ça, le silence pesant entre ses mots. Puis il lança, d'un ton faussement neutre :
â Le 19 fĂ©vrier, Ă trois heures du matin, une Lamborghini Aventador a Ă©tĂ© volĂ©e dans une rĂ©sidence privĂ©e de Neuilly-sur-Seine. Le vĂ©hicule a Ă©tĂ© retrouvĂ©, deux heures plus tard, abandonnĂ© Ă Saint-Denis, moteur encore tiĂšde. Un tĂ©moin a vu un jeune homme en sweat Ă capuche s'enfuir Ă pied. Ce tĂ©moin, que nous entendrons tout Ă l'heure, affirme reconnaĂźtre le profil de Monsieur Benali.
Il s'arrĂȘta, planta ses yeux dans ceux d'Azer. Puis les posa sur moi, comme s'il attendait une rĂ©action. Je ne lui fis pas ce plaisir. Mais intĂ©rieurement ? Bouillonnement.
Un "profil" ? C'est ça leur preuve ? Un ado avec une capuche dans la nuit ? Si on commence à condamner sur silhouette et impressions, la moitié des jeunes de banlieue vont finir derriÚre les barreaux pour avoir marché au mauvais endroit, au mauvais moment.
Il reprit, imperturbable :
â Monsieur Benali est dĂ©jĂ connu de nos services pour des faits de dĂ©gradations et de rodĂ©os urbains. Ce n'est donc pas un ange tombĂ© du ciel. Nous avons lĂ un faisceau d'indices concordants. Ce n'est pas une preuve unique, c'est un puzzle qui s'assemble.
Un puzzle mal découpé, pensais-je. Et les piÚces sont floues.
â En consĂ©quence, le ministĂšre public requiert six mois de prison avec sursis et 200 heures de travaux d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Une peine juste, proportionnĂ©e, qui permet Ă Monsieur Benali de comprendre la gravitĂ© de ses actes â s'il les conteste aujourd'hui, peut-ĂȘtre les reconnaĂźtra-t-il demain.
Je sentis Azer sursauter légÚrement. Il m'envoya un regard : Je t'avais dit que j'étais innocent. Je le lui rendis : Je sais. Je suis là . Laisse-moi parler pour toi.
Le procureur conclut, l'air satisfait :
â Je vous remercie.
Je restai assise, droite, mais intĂ©rieurement, c'Ă©tait une tempĂȘte.
Six mois avec sursis. Pour un vol sans preuve directe, juste une silhouette dans la nuit. Et son passé, balancé comme un couteau de cuisine. C'est toujours comme ça : on parle du passé pour salir le présent. Mais les gens changent, bordel. Et parfois, ils n'ont jamais été coupables. Juste mal entourés, mal vus, mal jugés.
Je serrai mes notes. Mon moment viendrait. Et quand il viendrait, je ne raterais pas ma cible.
Je me levai. Mes jambes Ă©taient calmes, mais mon cĆur cognait comme s'il voulait se faire entendre avant moi.
Je regardai briÚvement Azer. Il ne disait rien, mais ses yeux criaient. Il n'espérait pas un miracle. Juste qu'on le croie.
Je me raclai doucement la gorge, puis je pris la parole.
â Monsieur le prĂ©sident, mesdames et messieurs du tribunal. Ce que vous venez d'entendre, c'est un beau rĂ©cit. Une reconstruction. Un puzzle, comme l'a dit le ministĂšre public. Mais un puzzle oĂč les piĂšces ont Ă©tĂ© forcĂ©es pour rentrer.
Je marquai une pause. J'avais leur attention. Pas les regards bienveillants, non. Les regards de ceux qui attendent qu'on prouve qu'on a quelque chose de plus que de la bonne volonté. Parfait.
â On parle ici d'un tĂ©moignage flou, d'une silhouette dans la nuit, d'un capuchĂ© qui court. Et puis, on dit "Azer Benali". Pourquoi ? Parce qu'il a eu des soucis dans le passĂ©. Parce qu'il ne vient pas d'un quartier oĂč on conduit des Lamborghini. Et ça suffit pour que le doute s'Ă©vapore ?
Je laissai ma voix se poser. Je voulais qu'ils sentent l'ironie, mais sans colÚre. La colÚre, on me la pardonnerait moins que l'éloquence.
â Mais le doute, justement, il est partout. Pas d'empreintes. Pas de vidĂ©os exploitables. Aucun tĂ©moin direct. Pas mĂȘme un mobile sĂ©rieux â Azer ne sait pas conduire ce genre de vĂ©hicule, et il ne s'est jamais vantĂ© d'un exploit pareil. Rien. Juste une silhouette et un nom.
Je me tournai vers le tribunal, plus doucement.
â Azer n'est pas un ange, non. Mais ce n'est pas un voleur. Pas cette fois. Et vous savez quoi ? Quand je l'ai rencontrĂ© pour prĂ©parer cette audience, il m'a dit une chose qui m'a marquĂ©e. Il m'a dit : "Madame, j'ai l'habitude qu'on me prenne pour un coupable. MĂȘme quand j'ai rien fait. C'est comme ça."
Je baissai les yeux un instant. Flash.
FLASHBACK â Quelques jours plus tĂŽt
Un bureau froid. Lui, assis en face de moi, les mains dans les poches, le regard sur la moquette.
Il n'essayait pas de me convaincre. Juste de me raconter.
Je me souviens avoir pensé : Ce gamin a 18 ans et déjà l'épuisement de quelqu'un qui a dû trop se défendre dans sa vie.
â Vous me croyez, vous ? avait-il demandĂ©.
Et moi, sans réfléchir :
â Je vais tout faire pour que vous soyez entendu. C'est dĂ©jĂ un dĂ©but, non ?
RETOUR AU PRĂSENT
Je relevai les yeux, de retour dans la salle d'audience.
â Monsieur le prĂ©sident, Mesdames, Messieurs... On ne peut pas condamner un jeune homme sur des impressions, des coĂŻncidences, et un passif. Pas en 2025. Pas si on prĂ©tend rendre une justice digne de ce nom.
Je me tus. Puis je conclus, sobrement :
â Je vous demande la relaxe. Parce que le doute n'est pas un dĂ©tail. C'est ce qui nous empĂȘche, aujourd'hui, de commettre une injustice.
Je m'assis sans attendre d'applaudissements. Ce n'était pas du théùtre. Juste un combat, silencieux, pour que la vérité ait une voix.
Le président referma le dossier d'un geste sec.
â Le tribunal va se retirer pour dĂ©libĂ©rer.
Il se leva, suivi des assesseurs. Les robes noires disparurent dans la piÚce attenante comme une nuée d'ombres. La porte se referma. Clac. Et le silence s'abattit.
Je restai lĂ , droite, mais tendue comme une corde de violon.
Azer se tourna vers moi.
â C'est foutu, hein ? murmura-t-il.
Je secouai la tĂȘte.
â Pas forcĂ©ment. Ils ont entendu. On verra s'ils ont Ă©coutĂ©.
Il hocha la tĂȘte, sans y croire. Ses jambes tremblaient. Moi, c'Ă©tait ma mĂąchoire que je sentais se crisper.
Dans la salle, un murmure flotta. Des familles, des avocats, des agents de sĂ©curitĂ©... Chacun replongĂ© dans ses pensĂ©es. Les murs du tribunal semblaient eux-mĂȘmes attendre. Le temps se dilatait.
Flash.
FLASHBACK â Le matin du procĂšs
Je l'avais trouvé devant le bùtiment, cigarette mal roulée, les mains enfoncées dans son sweat trop large.
â Vous avez l'air stressĂ©, lui avais-je dit.
â C'est pas le stress. C'est l'habitude.
Et puis, comme une confession inattendue :
â Si jamais je prends, mĂȘme pour rien... vous croyez que je vais tenir le coup ?
J'avais répondu, presque brutalement :
â Ce n'est pas le moment de penser à ça. Ce n'est pas terminĂ©. C'est pas encore fini tant que vous avez une voix ici. Et moi, je suis votre voix.
RETOUR AU PRĂSENT
Un agent se racla la gorge. Le silence avait durĂ© au moins quarante minutes. Peut-ĂȘtre plus. Je ne regardais plus l'horloge. J'Ă©coutais juste battre mon cĆur, comme un compte Ă rebours.
Puis enfin... Clac. La porte du fond s'ouvrit.
Les juges revinrent s'installer, sans un mot. Le président ajusta ses lunettes, rouvrit le dossier.
Je me redressai. Azer s'accrocha à la table comme à une rambarde de métro en virage.
Le président prit la parole :
â Le tribunal, aprĂšs en avoir dĂ©libĂ©rĂ©, vous dĂ©clare...
(Petit battement de cĆur.)
â ...non coupable.
Un souffle s'échappa de mes lÚvres sans que je m'en rende compte. Azer resta figé. Les mots semblaient ne pas avoir traversé jusqu'à lui.
â ...Au bĂ©nĂ©fice du doute. La procĂ©dure ne permet pas de confirmer formellement votre implication. Vous ĂȘtes donc relaxĂ©.
Il leva enfin les yeux vers moi. Une sorte de sourire, bancal, incrédule.
â C'est fini ? demanda-t-il, la voix rauque.
Je souris doucement, fatiguée mais soulagée.
â Non. C'est juste le dĂ©but. Mais au moins, celui-lĂ , tu l'as gagnĂ©.