Qu’est-ce qu’il voulait ? Il ne pouvait pas être énervé contre moi, je n’avais pas été contrariante. Mais alors quoi ?
— Madame, vous m’entendez ?
Les yeux inquiets de la fleuriste ramenèrent aussitôt Adèle sur pieds. En voyant l’air interrogateur de la professionnelle, la jeune fiancée comprit qu’elle attendait une réponse. Désorientée, elle chercha la question sur le catalogue face à elle, en vain.
— Pouvez-vous répéter?, bredouilla-t-elle.
La fleuriste hocha la tête avec un sourire compréhensif puis répéta sa question d’une voix douce. Il était question de choisir des fleurs pour son bouquet de mariée. Petite, elle avait rêvé de ce moment, mais maintenant qu’elle le vivait, cela n’avait plus rien d'enchanteur.
Elle se rappelait d’une des rares fois où on lui avait offert des fleurs. Son souvenir semblait si lointain...
...
— Tu peux ouvrir les yeux, murmura-t-il.
Adèle retira ses propres mains qui lui cachaient la vue avec hâte et leva la tête vers son copain. Un frisson parcourut sa nuque en voyant le bouquet de fleurs qui se tenait face à elle.
La tête de Ben se dégagea de derrière le bouquet et observa sa compagne rayonner sous le soleil d’hiver. Les six degrés ambiants ne rivalisaient aucunement face à la chaleur qui se propageait au sein du couple.
— Elles te plaisent?
Seul le sourire de la jeune femme aurait suffit à répondre, mais exprima sa gratitude autrement. Avant qu’il ne s’en rende compte, les bras de sa bien-aimée étaient enroulés autour de son cou. La chaleur qui se dégageait de leur étreinte les confortait. Ils étaient bien tous les deux là, à s’enlacer et à s’aimer.
La jeune femme soupira de bien être dans le creux du cou de son partenaire avant de s’adresser à lui d’un volume sonore faible.
— Merci, chuchota-t-elle. Elles sont magnifiques.
Ben se dégagea légèrement de l’emprise d’Adèle pour la regarder dans les yeux. Qu’est-ce qu’il aimait ces yeux dans lesquels il pouvait lire tout l’amour qu’elle lui portait ! D’ici, il pouvait encore sentir le doux parfum de la jeune femme lui caresser le bout du nez.
— Si tu veux me remercier, déjeune avec moi !
Adèle hocha vivement la tête et prit sa main d’une délicatesse propre à elle. Aussitôt, le jeune couple se mit à la recherche d’un lieu agréable pour déjeuner.
Sur le chemin, Ben brisa le silence.
— Connais-tu la signification de ces fleurs ?, interrogea-t-il.
Adèle secoua la tête en signe de négation et un sourire satisfait se forma sur le visage de Ben.
— Ce sont des hellébores blanches, commença t-il. Elles signifient l’espérance d'une réponse favorable à une demande en mariage.
Comme il s’y attendait, les yeux de sa compagne s’écarquillèrent. Il pouvait lire ses pensées sur son front tellement elles étaient visibles.
— Non, ne me regarde pas comme ça ! C’est toi qui voulais ces fleurs en particulier. Et si j’avais voulu te demander en mariage, des fleurs ne suffiraient pas.
Adèle arbora une mine faussement triste, mais celle-ci disparut quand Ben embrassa le dessus de sa tête avec tendresse.
— Aller, ne boude plus, on y est.
...
— Une idée, madame ?, insista la fleuriste.
Adèle sortit de ses rêveries et se racla la gorge. Puis elle s’excusa avant de se retirer. Elle appela Ben pour demander confirmation. La réponse qu’il lui donna était attendue.
« Choisis celles que tu veux, ça m’importe peu honnêtement.»
Une fois de retour vers sa fleuriste, Adèle lui fit part de sa décision. Le visage de la professionnelle s’illumina.
— Très bon choix!, s'exclama-t-elle. Les hellébores blanches ont une belle signification et sont parfaites pour l’hiver.
La jeune fiancée hocha la tête, n’ayant pas la force d’acquiescer oralement. Son interlocutrice ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt en voyant le regard réprobateur de son employeuse.
Le tissu de la robe frottait contre ses côtes, mais le pire était probablement la main rugueuse de Ben sur sa jambe dévêtue. Elle regrettait soudainement cette satanée fente autant que l’ouverture dans son dos. Cette robe la démangeait. Ou peut-être était-ce l’idée de supporter un paquet d’hommes d’affaires pendant une soirée ? Peu importait, Adèle voulait faire demi-tour.
Mais quand elle entendit les flashs des caméras de l’autre côté des vitres de la limousine, elle savait qu’il était trop tard. Alors Adèle agrippa comme elle le pouvait le siège en dessous d’elle. C’était comme agripper la seule corde qui empêchait de sombrer dans les ténèbres. Ses phalanges en devinrent blanches à mesure que son cœur s’emballait. Inspire, expire. Inspire, expire.
Quand la portière s’ouvrit, elle inspira un bon coup avant de finalement sortir du véhicule.
Là, les perversités du monde extérieur éclatèrent la bulle dans laquelle elle avait tenté de s’envelopper. Chaque flash sonnait comme un coup de tonnerre et les hurlements incessants n'arrangeaient rien au brouhaha constant. Ses sens lui faisaient défaut: les sons étaient sourds, les lumières aveuglantes, l’air étouffant... Adèle n’avait jamais aimé les journalistes.
— Eh beauté ! Un petit tour sur toi-même ?
Ni les photographes. Toute cette situation était si humiliante, que si ses jambes ne menaçaient pas de la lâcher à chaque instant, la jeune femme fuirait.
Malgré tout, Adèle se força à sourire aux quelques personnes qui restaient professionnelles. Tête basse, elle reprit place aux côtés de Ben qui avançait à grandes enjambées vers la porte d’entrée. Plus concentrée sur sa respiration, la jeune femme n’entendit pas son conjoint lui parler. Mais elle n’eut d’autre choix quand il la saisit par la taille et murmura à son oreille.
— Vire moi ce vilain visage, veux-tu ? Tout ce que tu as à faire est sourire et hocher poliment la tête. Tu peux bien faire ça.
Il ne remarquait même pas qu’Adèle respirait à peine dans cette robe.
— Ou peut-être que tu as besoin d’une motivation ?
L’étincelle dans ses yeux n’inspirait rien de bon à la jeune femme. Pourtant, elle était pétrifiée dans ses bras. Au milieu de tous, elle n’avait aucune issue de secours.
Elle l’observa se pencher sur elle avant de s'arrêter devant ses clavicules découvertes. Il y déposa un baiser tendre, mais aux effets de fer rouge.
Les caméras autour d’eux n’en perdirent pas une miette. Et peu importait à quel point son corps rejetait cet échange, la satisfaction de Ben primait. Et elle primerait toujours.
Une fois arrivés dans la voluptueuse salle de réception, le couple est dirigé vers une scène sur laquelle ils accueilleront les invités par un discours. L’idée de parler devant autant de personnes retournait l’estomac de la jeune fiancée. Elle avait beau réciter son texte mille fois pour tenter de se rassurer, rien n’y faisait. En fait, son état empirait.
La fin, qu’est-ce que je dis déjà ? Plus elle tentait de les réunir, plus les lettres de son discours s’éparpillaient.
Sentant la panique monter, Adèle ferma les yeux et inspira. Le tissu pourpre dans lequel elle était enveloppée la démangeait à nouveau. Le sol sous se dérobait sous ses pieds sans qu’elle puisse faire quoi que ce soit. Soudain ses cheveux pourtant attachés la gênaient, son sac était trop lourd et la salle suffocante. Et la voix de Ben résonnait dans l’air et cognait dans sa tête.
Inspire, expire. Inspire, expire. Inspi-
— ... à ma sublime compagne qui me supporte dans tous mes projets.
Ben lui adressa un sourire d’une douceur qui lui était rare.
— Approche chérie, n’aie pas peur.
Adèle ne pouvait qu’apprécier ce sourire dont elle était tombée amoureuse. Il était rassurant, alors elle avança, les yeux rivés sur lui. Ben lui tendit le micro et l’incita à s’adresser à la foule.
La jeune femme le saisit et se tourna vers son auditoire.
— Bonsoir à tous. Mon nom est Adèle Kéral, fille héritière de la filière Kéral.
Les premiers mots étaient les plus durs. Tout va bien. Elle continua.
— C’est un honneur pour moi de me présenter devant vous ce soir auprès de Ben Rohan ici présent. J’aimerais vous remercier pour la confiance que vous lui accordez. Je veillerai à ce qu’il remplisse son rôle de directeur avec brio. Merci pour votre écoute.
Adèle aurait pu choisir de faire la sourde d’oreille et de n’entendre que les applaudissements à sa sortie de scène. Mais elle ne pouvait s’empêcher d’entendre les «Regarde-moi cette robe!», «Quelle allumeuse» et autres commentaires du même registre.
Quelle bande d’hypocrites.
Ben quitta à son tour la scène tête haute. Il invita Adèle à le rejoindre, ce qu’elle fit. Ses sourcils froncés trahirent son état d’âme, ce qui n’échappa pas à l’homme d’affaire en face d’elle. D’un regard, il l’invita à parler.
— N’étais-tu pas supposé annoncer nos fiançailles ?
Le visage de Ben se crispa.
— Le moment est mal choisi, dit-il. Il y aura d’autres occasions.
Leur conversation fut interrompue par un grand barbu dont l'âge approchait de la soixantaine. Il salua Ben et posa son regard sur Adèle. Celle-ci fit de son mieux pour ignorer le chemin que traçait les yeux de cet homme sur son corps. Les poils de sa nuque se hissèrent davantage en sentant la main de son fiancé glisser au creux de ses reins.
Puis sans crier garde, l’homme saisit la main de la jeune femme et la baisa.
— Une vraie beauté, souffla-t-il.
Adèle se contenta de sourire comme Ben lui avait dit de faire et retira sa main de l’emprise de cet homme. Comme si rien ne s’était passé, la discussion entre les deux hommes continua.
Répugnant.
Quelques heures plus tard, l’alcool affluait de tous les côtés et des rires gras résonnaient dans la pièce. Adèle ne comptait plus les fois où elle avait fait semblant de ne pas comprendre les avances de ces hommes à moitié conscients. Ils balbutiaient tous comme des nouveaux-nés qui chercheraient à parler. Il était temps pour eux de rentrer. Un taxi les attendait déjà dehors.
Le couple s'en alla et prit place dans le taxi.
Ben indiqua l’adresse de sa maison à la grande surprise de sa fiancée. Il le sentit et secoua sa tête comme pour dire « Pas de commentaires ».
L’adrénaline de la soirée était retombée. Le trajet se fit en silence. Dans leur intimité, Ben et Adèle n’avaient rien à voir avec le couple qu’ils prétendaient être. Tous les jours, Adèle espérait que ces mises en scènes deviennent, ne serait-ce qu’en partie, réalité.
— Ben, est-ce tu m’aimes ?
Le concerné se stoppa net et le cœur d’Adèle en fit autant.
— Pourquoi en doutes-tu ?
Tu ne me le dis jamais. Il y avait une infinité de raisons, mais même peintes en lettres rouges, il serait incapable de les décrypter. Tu ne me le montres jamais.
Ben passa une main sur son visage.
— J’ai un mal de crâne terrible. N’en rajoute pas Adèle.
Elle devait savoir. Elle avait besoin d’une réponse. Leur relation n’était plus comme au début, et il n’y avait rien de mal à cela. Adèle savait que l’amour n’était pas fait pour durer éternellement. Seulement, le leur ne pouvait pas être déjà éteint. Elle ne voulait pas y croire. Elle n’y croyait pas.
— Adèle, soupira-t-il, bien sûr que tu comptes pour moi.
Ces simples mots suffirent à apaiser la tension qui agrippait doucement sa nuque. Ben savait toujours quoi dire pour soulager ses questionnements. Il lui fit ensuite signe de s’allonger près de son torse nu.
Adèle replaça un mèche de ses cheveux bruns avant d’avancer à tâtons vers le lit. L’expérience lui avait prouvé que partager un lit avec un Ben ayant bu n’était pas une bonne idée. En tout cas, elle en gardait un souvenir amer.
— Dépêche-toi, il râla.
Elle ne dit rien, mais se laissa glisser dans les bras de son conjoint. Cependant, Adèle osait à peine respirer et combien de fois bouger. Incapable de d’estimer une heure, elle n’était pas sûre des minutes ou des heures qui s’écoulaient. Elle manquait d’une chose: de l’air. Ben était près, beaucoup trop près.
Dans une première tentative, elle roula vers l’extérieur du lit mais se fit vite rattraper par les bras de son fiancé. Pendant un instant, elle abandonna l’idée de partir, mais elle devait écrire.
Après avoir rassemblé assez de force, elle se leva et attrapa son sac dans lequel se trouvait son carnet. Il était toujours avec elle. Si elle ne devenait pas folle, c’était en grande partie grâce à lui. Adèle se précipita vers le salon pour avoir de la lumière.
Comme à chaque fois qu’elle écrivait, Adèle exprimait ce qu’elle avait sur le cœur. Elle avait déjà pensé en parler à quelqu’un. Mais qui ? Sûrement pas ses parents, encore moins Ben. Elle savait au fond d’elle que tout cela n’était pas «normal», Bethany lui répétait sans cesse.
Seulement voilà, elle s’y était faite. Adèle pourrait partir, mais pour aller où ? Ben était tout ce qu’elle avait toujours connu, celui qu’elle avait toujours aimé. C’était comme choisir entre danser un nouveau style de danse sans expérience, quitte à tout rater ou rester dans un lit douillet avec un mal de tête intense. Dans les deux cas, elle aurait mal d’une manière ou d’une autre.
Et puis, que dirait son entourage ? Ils ne comprendraient pas. Ben était un homme formidable. Adèle ne pouvait pas lui tourner le dos après toutes ces années. Ce serait égoïste.
Mais elle ne voulait plus faire semblant. Jour après jour, la vie perdait de ses couleurs, la nourriture de sa saveur et Adèle de son bonheur.
Sa gorge se serra et le cœur de la jeune femme devint lourd en pensant à sa sœur cadette. Elles ne s’étaient pas adressé la parole depuis seulement une semaine, mais elle n’avait jamais autant ressentie son absence.
Une dernière larme glissa le long de sa joue et elle reprit place auprès de Ben, là où elle l’avait laissé. A moitié endormie, celui-ci grommela.
— Où étais-tu ?
Une excuse pré-conçue sortie de sa bouche.
— Dans la cuisine, j’avais besoin d’un verre d’eau.
Sans plus de question, il se rendormit, laissant Adèle seule avec ses pensées.
Vendredi, dix-huit heures. Il n’était pas là. Oui, elle en était sûre. Il n’était pas là. Pourquoi n’était-il pas là ? Stop. Aucune importance.
Quand le feu fut vert, Adèle traversa et se hâta jusqu’à la bibliothèque. Comme à son habitude, elle s’installa à une table reculée et sortit son ordinateur ainsi que son carnet. Elle se sentait trop faible pour aller à la danse, alors elle avait opté pour ce qu’elle faisait de mieux: écrire.
La jeune femme avait beau se creuser la tête, aucun mot ne venait à elle. Non pas qu’ils étaient loin, non. Mais elle ne parvenait pas à les atteindre. Elle finit par abandonner et prit son carnet entre ses mains. Aussitôt, ses pensées dérivèrent vers ce jeune homme.
Avait-il lui aussi remarqué leurs échanges silencieux. Ou alors la trouvait-il étrange. Peut-être était-ce pour cela qu’il n’était pas présent aujourd’hui. Il avait dû prendre une autre route pour l’éviter. Ou alors il lui était arrivé quelque chose. Mais peu importe la question qu’elle se posait, Adèle ne trouvait pas de réponse.
En tout cas, penser à lui lui avait donné de l’inspiration. La jeune femme nota dans son carnet de nombreux éléments au milieu desquels elle écrit un mot: «Lux». Toutes ces années de latin pour n’utiliser que le mot «lumière». Quel gâchis.
Mais c’était comme cela qu’elle le voyait. Il avait vraiment une lumière dans les yeux. Adèle était attirée par cette lumière. Quand elle la voyait, elle oubliait un instant l’obscurité de son quotidien. Mais cette source lumineuse la terrifiait autant qu’elle la fascinait.
Avec ses piètres compétences en dessin, Adèle tenta de le dessiner. C’était sans compter son crayon gris avec lequel il était impossible de reproduire sa peau sombre. Mais du mieux qu’elle le put, elle recréa les nets contours de ses cheveux rasés en passant par ses sourcils droits sans oublier ses lèvres pleines au teint rosé. Et il y avait ses yeux. Ces yeux d’un noir intense pourtant paradoxalement baignés de lumière la déstabilisaient.
Cependant, Adèle était soudain gênée de l’attention qu'elle portait à cet inconnu. Elle souffla, rangea ses affaires et sortit de la bibliothèque.
Une fois dehors, elle réalisa que la lune avait fait son apparition, laissant les rues désertes. En direction de son appartement, la jeune femme repensa à sa sœur. Adèle sortit son téléphone et cliqua sur le contact de Bethany. Les dénotations du téléphone étaient interminables. Aller, réponds...
— Allô ?
Oui ! Bethany était toujours mécontente, le ton dans sa voix ne mentait pas. Adèle ne savait pas trop comment aborder le sujet, donc elle joua la carte de l’ignorance.
— Tu réponds enfin, rit-elle, j’essaie de te joindre depuis deux jours.
Le rire ne fut pas communicatif. Le seul son audible était celui du vent à travers le micro. L’aînée prit les choses en main.
— Je serai concise, ne t’en fais pas.
Adèle inspira l’air frais de novembre et expira.
— J’ai été dure avec toi, je l’admets. Je voudrais qu’on se voit demain. Une après-midi entre filles. Rien que toi et moi.
Silence.
— Je paye tout, ajouta l’aînée.
A nouveau, silence.
— Okay !
Les deux sœurs rirent chacune de l’autre avant d’entamer une conversation centrée sur la vie lycéenne de la cadette. Adèle rit en écoutant la conversation que sa sœur a eu avec sa professeur de philosophie.
— Te moque pas ! J’avais vraiment pas compris l’analogie...
Adèle s’arrêta devant le passage piéton et profita du feu rouge pour sortir ses clés de son sac. Elle baissa la tête vers son sac qui était dans un désordre monumental.
— Je ne me moque pas, je pense juste que..
Son souffle se coupe quand elle releva la tête. Elle n’en croyait pas ses yeux. Il était là, sur le trottoir d’en face à la regarder bouche-bée.
A l’autre bout du fil, Bethany s’impatientait.
— Je te rappellerai Beth.
Comme s’ils avaient face à eux un miroir, chacun décolla son téléphone de son oreille et laissa glisser son bras le long du corps. Le regard d’Adèle était aimanté à celui du jeune homme dont les yeux semblaient briller dans la pénombre. Le faible éclairage du réverbère rebondissait sur ses pommettes saillantes. Wow.
Le feu changea de couleur et le jeune homme fut le premier à avancer. L’espace entre eux se réduisait, mais leur échange visuel, lui, se prolongeait un maximum.
Quand ils furent à la même hauteur, l’inconnu ferma les yeux et respira la douce odeur de jasmin qui s’émanait de la jeune femme. Les lèvres d’Adèle brûlaient d’envie d’échanger ne serait-ce que quelques mots. Un «Bonsoir» suffirait à assouvir sa soif d’entendre le son de sa voix. Le temps d’un instant, ils oublièrent qui ils étaient et où ils allaient. La Terre semblait avoir arrêté de tourner pour les laisser profiter de ces quelques secondes privilégiées.
Mais bien trop tôt, les nuages sur lesquels ils se déplaçaient s’évaporèrent. Tous deux dos à l’autre, ils se questionnaient sur ce qu’il venait de se produire. De l’extérieur, rien n'avait changé, tout était banal. Alors pourquoi leur système nerveux sonnait-il l’alerte ? Leurs cœurs pourtant loin de l’autre battaient à l’unisson.
Les températures glaciales d’hiver n’avaient aucun effet face au jeune homme désormais fiévreux. Il se retourna seulement pour voir la source de sa chaleur s’éloigner sans se retourner.
Le jeune homme souhaitait courir après elle, lui dire ce qu’il avait dans la tête depuis plus d’un mois déjà, mais il n’en fit rien. Le cœur lourd, il souffla dans une tentative de se débarrasser de toutes ses émotions conflictuelles, en vain. Tête basse, il fit demi-tour.
J’irai lui parler vendredi prochain, quand je la verrai.
T’es sûr de ça ? Tu dis ça chaque semaine.
Certain.
Et si tu as un imprévu, comme aujourd’hui ? T’as un plan B ?
Est-ce que tu veux ma perte ?
Moi ? Bien sûr que non enfin, tu me connais !
Justement.
Tu fais bien ton malin pour quelqu’un qui a peur de parler à une fille.
Il ne s’agit pas de n’importe qui.
Oui, oui, j’en doute pas. Ça change en rien le fait que tu sois un vrai trouillard.
Ce n'est pas aussi simple.
Plus sérieusement, tu ne la connais même pas, tu ne sais même pas si elle a quelqu’un.
...
Erik ?
Désolé Jerem, je dois te laisser.
Tout va bien ?
Elle est juste là.