Je me souviens de tout. Des détails que je voudrais effacer à jamais. Des bruits, des voix, des images qui défilent encore devant mes yeux, comme un film que je ne peux pas arrêter, comme un rêve que je n'arrive pas à fuir. La violence de mon père... sa rage, son emprise. Je ressens encore l'écho de ses mots, lourds comme des chaînes autour de ma gorge. Son regard, glacial et dur, est gravé dans ma mémoire, et même maintenant, dans ce silence que je m'efforce de maintenir, je le sens encore peser sur moi, comme une ombre omniprésente.
Mon père... il n'a jamais eu de pitié. Il disait que la vie ne nous devait rien, que nous devions tout prendre de force. Il n'y avait pas de place pour la douceur, pour l'amour. Seulement des règles strictes, des attentes impossibles, et des punitions quand je ne les atteignais pas. Mais ce n'était pas la violence qui m'a le plus marquée. Non, c'était la disparition. La fuite de ma mère et de mon frère.
Ils ont disparu un jour, sans prévenir. Sans un mot, sans un regard. Une absence qui a laissé un vide en moi, comme un trou béant qui ne cessera jamais de grandir. J'ai cru qu'ils m'avaient abandonnée. Que c'était moi, la cause de leur départ. Peut-être que je n'étais pas assez bonne, peut-être que je les avais déçus. Et c'est ce vide qui m'a rongée, chaque jour un peu plus, me laissant me débattre dans cette maison vide, froide et autoritaire. Mon père, bien que physiquement présent, semblait être une silhouette fantomatique, une présence constante mais absente dans ses attentions.
J'ai toujours pensé que les ombres ne pouvaient pas toucher les vivants, mais je me suis trompée. L'ombre de mon père plane toujours sur moi. Elle n'est pas simplement une présence physique, elle est tout ce qu'il représente : la peur, la douleur, la solitude. Je me suis accrochée à cette ombre comme un repère dans ce monde chaotique. Mais plus je me débattais pour échapper à son influence, plus elle me suivait, me collant à la peau.
Le pire, c'est que cette douleur, cette violence, ces souvenirs... ils sont devenus une partie de moi. Parfois, j'ai l'impression que mon âme elle-même est marquée, comme si chaque battement de mon cœur résonnait avec la violence de ces années passées. Et pourtant, je n'ai personne à qui en parler. Personne pour me tendre la main et m'aider à sortir de cette spirale infernale. Je suis seule. Toujours seule.
Je n'ai pas vu ma mère depuis des années. Elle est partie quand j'étais encore trop jeune pour comprendre, mais assez grande pour ressentir l'absence. Parfois, je me demande si elle pensait vraiment que tout serait mieux sans elle. Si elle croyait qu'en partant, elle m'épargnerait la douleur. Ou si elle pensait que je n'en souffrirais pas. Mais je me souviens encore du dernier regard qu'elle m'a lancé avant de disparaître... un regard vide, comme si elle savait que son départ allait laisser un vide bien plus grand que ce qu'elle pensait.
Et mon frère... je n'ai pas de souvenirs clairs de lui. Juste des bribes. Des éclats d'une époque où la famille était encore un concept, où les rires résonnaient dans la maison et où la chaleur humaine n'était pas une idée lointaine. Il a disparu avant moi, et ses disparitions n'ont fait qu'accentuer ma solitude. Je ne sais même pas ce qu'il est devenu. Peut-être qu'il est aussi perdu quelque part dans ce monde, tout comme moi.
Je me réveille chaque jour avec cette douleur profonde, invisible aux autres, mais palpable dans chaque respiration. Parfois, je voudrais oublier tout ça, oublier ce passé, oublier ce père, cette maison, cette ville. Mais c'est impossible. Comme si tout m'avait été enlevé. J'ai appris à vivre avec cette souffrance, à l'accepter comme une partie de moi, même si je ne comprends pas pourquoi elle est là. Pourquoi moi. Pourquoi avoir été laissée seule dans un tel tourment.
La violence de mon père, la disparition de ma famille, tout cela a forgé une personne différente en moi, une personne que je ne reconnais pas toujours. Parfois, je me regarde dans le miroir, et je ne vois plus qu'une silhouette vide, une âme abîmée, sans véritable but. Et je me demande si cette version de moi-même est celle que j'étais destinée à devenir, ou si c'est simplement la conséquence de ce passé lourd et impitoyable.
Je n'ai jamais voulu être la victime. Mais dans cette maison, j'ai toujours été piégée, sans échappatoire. La cruauté de mon père me pousse dans un coin à chaque instant, me rappelant que je ne suis rien d'autre qu'un jouet dans ses mains. Je suis une proie dans une cage, et même si je me débat, je ne peux pas m'en échapper. Il est l'ombre qui me surveille, la voix qui me dicte chaque mouvement. Et moi, je suis perdue dans ce tourbillon de douleur et de confusion, incapable de trouver la lumière.
Il y a des jours où je me sens tellement engloutie par le passé que chaque respiration devient un effort. Chaque battement de cœur me rappelle que je suis encore là, que je ne me suis pas effondrée, même si, au fond, je sens cette fragilité qui me ronge. Je marche dans une sorte de brouillard permanent, chaque étape me menant plus loin dans un labyrinthe de souffrance que je ne parviens pas à comprendre. Je me sens piégée dans un monde qui ne me voit pas, dans un foyer où je n'existe que comme une ombre, une ombre parmi d'autres.
Mais il y a aussi ces moments où, même au milieu de ce chaos intérieur, je cherche à m'accrocher à quelque chose. Un souvenir, une sensation, quelque chose qui pourrait me rappeler qu'il y a peut-être une lueur au bout de ce tunnel. Mais ces instants sont rares, presque inexistants. La vérité, c'est que je ne sais pas qui je suis. Parfois, je me sens juste une fille perdue, un être sans identité, comme une silhouette vacillante qui cherche désespérément à exister dans un monde où il n'y a plus de place pour elle.
Les murs de la maison sont devenus mes seules compagnes. Ils connaissent mes secrets, mes peurs, mes souffrances. Ils m'ont vue grandir dans la douleur, dans le silence, et ont observé mon âme se briser à chaque instant. Chaque fissure dans ces murs semble être une métaphore de ce qui se passe en moi. Ces murs ont vu mon père m'écraser sous son autorité, sa cruauté. Ils ont vu l'effondrement de la famille, l'absence de toute tendresse. Ils ont observé ma solitude, silencieuse et profonde. Ces murs m'ont vue me battre pour comprendre, pour exister, mais ils n'ont jamais répondu.
Et lui, mon père... il n'a jamais cessé d'être là, même quand il n'était pas physiquement présent. Son regard m'achève bien plus que tout ce qu'il aurait pu me faire de pire. C'est un regard glacé, dur, plein de jugement. Un regard qui me dit que je ne suis rien, que je ne serai jamais rien. Je l'ai vu, ce regard, trop de fois. Il m'a scrutée, analysée, détestée. Il m'a dit que j'étais faible, que j'étais comme ma mère, une erreur à corriger. Il n'y avait jamais de place pour moi dans ce monde qu'il avait construit. Il y avait juste lui, et tout le reste n'était que poussière.
Je n'ai jamais compris pourquoi il m'a traitée ainsi. Pourquoi me haïr à ce point ? Pourquoi cette colère ? Il n'a jamais été capable de me montrer de la tendresse, de l'amour, seulement des cris, des humiliations. La maison était un champ de bataille, et moi, j'étais la cible. Mais au fond de moi, je sais que tout ça n'était qu'un reflet de sa propre souffrance, de sa propre incapacité à être un père, à être humain. Peut-être qu'il m'en voulait de l'avoir forcé à l'être. Peut-être qu'il m'en voulait d'avoir survécu à tout ça. Parce que survivre à tout cela, c'était un défi pour lui. Je suis une survivante. Mais à quel prix ?
Les souvenirs se bousculent. Je me souviens des nuits sans sommeil, où je ne pouvais qu'entendre les bruits dans l'obscurité : des coups sur les murs, des cris étouffés, et cette sensation qu'un jour, tout allait finir par exploser. Ces nuits-là étaient devenues mon seul refuge, le seul endroit où je pouvais me perdre dans mes pensées sans craindre d'être vue. Mais même dans ces moments de silence, je n'étais jamais seule. L'ombre de mon père me suivait, me traquait, m'empêchait de trouver un peu de paix.
Je n'avais pas de mère pour me consoler, pas de frère pour me protéger. L'un était parti, l'autre... je ne sais même pas ce qu'il est devenu. La disparition de ma mère m'a brisée plus que je ne peux l'exprimer. Elle était la seule à me voir, la seule à comprendre mes peurs, mes faiblesses. Elle était ma lumière dans cette obscurité. Mais elle a disparu, comme si elle avait été effacée du monde, me laissant seule face à cet homme. Et le pire, c'est que je ne l'ai jamais retrouvée. J'ai cherché des signes, des traces, n'importe quoi, mais tout était vain. Elle s'était éteinte, et avec elle, une partie de moi aussi.
Mon frère... je l'ai perdu avant même d'avoir eu le temps de réellement le connaître. Je me souviens de ses yeux, de sa voix, de ses sourires. Mais ces souvenirs sont devenus flous avec le temps, comme des images qui s'effacent lentement d'un film que l'on n'a plus envie de regarder. Je me demande parfois s'il a survécu, s'il est quelque part, ou s'il a disparu dans l'indifférence du monde. Je ne le saurai jamais.
L'idée que j'étais seule, complètement seule, m'a longtemps rongée. C'est ce vide qui m'a poussée à me replier sur moi-même, à devenir une sorte d'écho, une silhouette sans consistance, flottant dans cet espace de souffrance. Parfois, je me demande si je ne suis pas en train de devenir cette ombre, moi aussi. Si la douleur ne m'a pas entièrement engloutie, m'effaçant peu à peu de ce monde. Je m'interroge sur ce que je suis devenue. Qui suis-je, à part une fille brisée par un passé trop lourd ?
Il n'y a pas de réponse. Il n'y a jamais eu de réponse. Tout ce que je sais, c'est que je vis dans un espace clos, un monde où je ne peux m'échapper. Et où, même si je ferme les yeux, l'ombre de mon père, et l'absence de ma famille, resteront à jamais inscrites dans ma chair.
J'ai souvent l'impression d'être un fantôme, flottant sans but dans un monde qui n'a plus de couleur. La douleur de l'abandon, de la perte, s'est ancrée dans chaque repli de mon âme. Il m'arrive de me demander si j'étais seulement une erreur, un accident dans la vie de mes parents. Peut-être que mon père m'a vue comme un poids, un fardeau supplémentaire qu'il n'avait pas demandé. Peut-être que ma mère, elle aussi, m'a vue de la même façon. Mais leur départ, leur silence, ne fait qu'accroître cette sensation de vide, cette certitude que je suis seule, que je n'aurai jamais personne pour m'aider à m'échapper de ce gouffre.
Il y a des jours où je me sens plus forte. Des jours où je me dis que je vais enfin trouver une échappatoire, une sortie. Mais ces jours-là sont rares, et je me sens souvent trahie par cette illusion d'espoir. Parce qu'après chaque effort, chaque tentative de m'en sortir, je retombe dans le même abîme. Je ne sais plus combien de fois j'ai cru m'en sortir, pour être ramenée, inexorablement, à la réalité de mon existence. La cruauté de ce monde, la froideur de mon père, les ténèbres dans lesquelles j'ai été plongée depuis trop d'années, semblent se refermer sur moi à chaque instant.
Quand je suis seule dans ma chambre, le silence devient oppressant. Je me sens écrasée par mes pensées. Le simple fait d'être dans cette maison me fait mal, et je cherche, désespérément, un moyen de m'évader, un moyen de m'échapper de cet endroit. Mais tout semble contre moi. Même les petites échappatoires que je me crée, comme lire ou dessiner, ne sont que des illusions temporaires. À la fin de chaque journée, je me retrouve toujours face à moi-même, face à mes démons intérieurs, sans aucune solution à portée de main.
L'ombre de mon père me poursuit. Elle est là, derrière moi, dans chaque recoin, chaque silence. Ses reproches, ses regards pleins de dégoût, me hantent à chaque instant. Je sais que je suis sa création, sa victime, celle qu'il a façonnée dans la douleur. Il m'a façonnée pour être son reflet, un reflet brisé, un reflet que lui-même ne pouvait accepter. Et c'est cette acceptation, cette soumission à sa volonté, qui me fait m'effondrer. Parce que, au fond, je n'ai jamais eu de choix. Il a toujours eu le pouvoir sur moi, il a toujours contrôlé mes mouvements, mes pensées. Et aujourd'hui, même s'il n'est plus là, son influence reste gravée dans ma chair.
L'absence de ma mère est une douleur silencieuse, mais omniprésente. Elle n'a pas seulement disparu physiquement, elle a laissé un vide que rien ne pourra jamais combler. Elle était la seule personne capable de me comprendre, de voir au-delà de la façade que j'avais construite pour me protéger. Mais un jour, elle est partie. Je ne sais même pas pourquoi. Je ne sais pas si elle m'a laissée volontairement, si elle pensait que je serais mieux sans elle, ou si elle a été poussée à partir, comme une ombre fuyant une lumière trop vive. Mais chaque jour sans elle me rappelle sa disparition, chaque jour sans elle renforce ce sentiment de rejet, de solitude.
Et puis il y a cette question qui me ronge : pourquoi mon frère est-il parti ? Il était là avant, un peu plus vieux, mais il est toujours resté distant, comme s'il savait quelque chose que moi, je n'avais pas saisi. Il y a des moments où je pense à lui, où je me demande s'il a trouvé la paix, ou si, lui aussi, est un prisonnier de ce passé. J'ai des souvenirs de lui, des éclats d'instants où nous étions encore une famille, unis par le sang, mais tout cela me semble si lointain, comme un autre monde, un autre temps. La douleur de son absence est là, mais elle se mélange à la confusion. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi il n'a pas cherché à me retrouver. Pourquoi il m'a laissée seule dans ce chaos.
Et là, dans le fond de cette maison, dans l'obscurité de ma chambre, je me rends compte que je n'ai jamais eu de réponses. Aucun mot, aucun geste pour expliquer ce vide. Peut-être que tout cela n'a jamais eu de sens. Peut-être que ma famille était une illusion, un mirage dans lequel je croyais aveuglément. Mais ce mirage a disparu, et il ne reste plus que l'ombre de ce qui fut autrefois.
Je cherche à comprendre, à rationaliser. Je me dis que peut-être, en mettant des mots sur cette douleur, je pourrais enfin la repousser, l'expulser. Mais chaque tentative de comprendre, chaque pensée sur ce passé, me ramène encore plus profondément dans cette abîme. J'essaie de me convaincre que la douleur fait partie de moi, qu'elle fait partie de mon existence. Mais au fond de moi, je sais que je suis en train de me perdre dans tout ça. Je suis en train de me perdre dans cette absence, dans cette souffrance qui m'étouffe.
Je ferme les yeux un instant, en essayant de me concentrer sur le présent, sur ce qui est devant moi. Mais les images du passé surgissent toujours, inévitables, comme des vagues qui m'engloutissent. Je ne peux pas fuir. Je ne peux pas les ignorer. Elles sont là, vivantes, permanentes, me rappelant sans cesse que je suis une victime de ce monde, une victime de cette histoire que je n'ai jamais choisie.
Je suis seule. Je l'ai toujours été. Et cette solitude est le seul refuge que je connaisse. Parce qu'au fond, je sais que personne ne pourra jamais comprendre ce que j'ai vécu, ce que je ressens. Personne ne pourra jamais effacer l'ombre de mon père, l'absence de ma mère, le vide de mon frère. Je suis condamnée à vivre avec cette douleur, à l'accepter comme une partie de moi, une partie que je ne peux pas changer.
Mais parfois, juste parfois, je ferme les yeux et je rêve d'un monde où les ombres n'ont pas de prise sur moi, où la lumière pourrait enfin percer ces ténèbres. Mais ce n'est qu'un rêve. Et les rêves, tout comme les illusions, finissent toujours par se briser.