Presque imperceptibles. Étrangers. Vibrants. Ils flottaient dans l’air comme un parfum ancien et inconnu. Nos pas ralentirent instinctivement. Puis à la lumière tremblante d’un éclat magique, nous la vîmes.
Callista.
Debout devant la porte, seule, les bras légèrement écartés, elle récitait une incantation dans une langue oubliée du monde. Chaque mot quittait ses lèvres avec une précision grave, et pourtant souple, comme si elle entrait en communion avec quelque chose d’invisible. Son visage, baigné d’une concentration presque douloureuse, dégageait une intensité si rare que le silence en devenait oppressant. Une énergie subtile vibrait autour d’elle. Les murs frémissaient, la pierre respirait, réagissait, s’ajustait à son rythme.
De fines lignes lumineuses couraient dans les fissures de la porte, dessinant des symboles mouvants, comme si la magie cherchait un moyen de se libérer. Une lumière pâle, irréelle, s’échappait du battant entrouvert, projetant des ombres mouvantes sur les murs.
Scorpius et moi, figés à quelques pas, ne pouvions détacher nos yeux de la scène. L’air lui-même avait changé, plus lourd, chargé d’électricité. Nos regards se croisèrent. Aucun mot ne fut nécessaire. Ce que nous voyions dépassait tout ce que nous avions étudié. Une peur sourde nous nouait le ventre. Pas seulement parce qu’elle pratiquait une magie inconnue. Mais parce qu’elle la contrôlait. Et qu’elle ne devait pas le pouvoir.
À cet instant précis, nous sûmes que nous n’étions plus simplement des témoins curieux. Nous étions les témoins d’un secret plus ancien que nous. Et peut-être aussi ses prochaines cibles.
— Tu crois qu’elle essaie d’ouvrir un passage ? Murmura Scorpius.
— Ou de cacher quelque chose, rétorquai-je.
Avant même que nous puissions réagir, Callista se tourna brusquement vers nous, ses mouvements rapides comme un éclair. Ses yeux, d’une acuité glaciale, se plantèrent dans les nôtres avec une précision qui ne laissait place à aucune échappatoire. Elle nous avait repérés, et cela ne faisait aucun doute. Son visage, impassible et figé dans une expression distante, n’offrait aucun indice sur ses pensées, mais ses yeux… Ses yeux, d’un éclat perçant presque surnaturel, brillaient d’une intensité qui transperçait l’air autour d’elle. C’était comme si une lueur froide émanait d’eux, un éclat menaçant et pourtant profondément sage, comme s’ils avaient vu au-delà de l’horizon du temps, témoins d’événements et de vérités enfouies depuis des siècles.
Un silence lourd se déploya, dense et suffocant. L’atmosphère se comprimait autour de nous, chaque seconde s’étirant de manière insoutenable. Je pouvais presque entendre le battement irrégulier de mon coeur dans ma poitrine, s’emballant sous l’effet de cette tension oppressante. Scorpius et moi échangeâmes un regard, un échange furtif mais chargé de mille significations. Nos esprits s’entrechoquaient dans un tourbillon d’émotions contracdictoires – la peur mêlée à une irrésistible curiosité. Quelque chose d’inédit, d’important, se jouait ici. Nous n’avions pas besoin de mots pour le comprendre : cet instant marquait un tournant, un moment où tout pouvait basculer. L’air autour de nous était plus dense, presque palpable, comme une promesse d’événements à venir, des événements qui nous échappaient déjà mais qui nous happeraient malgré tout.
— Vous n’auriez pas dû venir ici, dit-elle, sa voix calme, tranchante comme un couteau.
Je serrai les poings, essayant de garder une contenance.
— Qu’est-ce que tu fais ici, Callista ? Demandai-je, essayant de contenir ma méfiance.
Elle s’approcha lentement, son expression détendue, presque amusée.
— Je pourrais vous poser la même question, dit-elle en s’arrêtant à quelques pas de nous. Ce château renferme des secrets qui ne devraient pas être réveillés. Vous ne comprenez pas à quoi vous jouez.
— Et toi, tu crois savoir ? Répliqua Scorpius, défiant.
Elle le fixa longuement avant de répondre.
— Je ne fais que ce que mon héritage m’ordonne de faire. Vous ne devriez pas interférer.
Avant même que nous puissions répondre, Calliste leva la main dans un mouvement rapide et précis, et la porte de la Salle sur Demande se referma brusquement avec un bruit sec et résonnant. L’éclat mystique qui s’échappait des fentes se dissipa en un instant, engloutissant la pièce dans une obscurité oppressante. L’atmosphère, auparavant chargée d’une énergie palpable, s’était vidée d’un seul coup. L’air, si léger et vibrant de magie quelques instants plus tôt, était désormais glacé et immobile. Un frisson involontaire me parcourut l’échine, comme si la chaleur même du lieu s’était évaporée dans la brume d’un sort oublié.
Callista s’éloigna sans un mot, ses pas feutrés s’effaçant rapidement dans le silence, telle une ombre glissant dans la pénombre du couloir. Son départ laissa derrière lui un vide étrange, presque palpable, et une tension lourde dans l’air. L’incompréhension s’installa, envahissant nos pensées. Le regard fixé sur l’endroit où elle avait disparu, nous restions là, immobiles, une étrange appréhension nous nouant l’estomac. Le bruit de ses pas, puis de son absence, se perdit dans le silence, mais dans nos esprits, il persistait, lancinant, comme une question sans réponse. Que dissimulait-elle réellement derrière ce masque de froideur et de mystère ?
— C’est officiel, cette fille est louche, lâcha Scorpius, les bras croisés.
— Ce n’est pas juste louche, dis-je, la gorge sèche. Elle est dangereuse.
Je ne svaais pas exactement ce que Callista cherchait, ni jusqu’où elle était prête à aller pour y parvenir. Mais une chose m’était de plus de plus claire : son histoire n’était pas un simple tissu de rumeurs. Son nom, lié à celui des Gaunt, portait le poids d’un héritage sombre, chargé d’un pouvoir que peu osait seulement évoquer. Ce n’était pas un hasard si elle connaissait autant de choses sur les Reliques de la Mort. Elle en parlait avec cette assurance glacée de ceux qui ont vu de près ce que les autres préfèrent ignorer.
À mesure que nous avancions dans cette quête de réponses, je réalisais que nous franchissions les limites de ce que nous pouvions contrôler. Ce n’était plus un jeu d’indices ou une énigme cachée dans un vieux journal. C’était une vérité enfouie, trop longtemps ignorée, et prête à resurgir. Un monde souterrain se dessinait sous nos pieds, tissé de souvenirs oubliés, de malédictions anciennes et de secrets trop dangereux pour rester à découvert.
Chaque pensée me ramenait à cette évidence troublante : le journal, la prophétie, Callista… Tout était lié. Comme si un fil invisible nous attirait vers un point de rupture que nous ne pouvions encore nommer. L’atmosphère du château, si familière en apparence, s’était métamorphosée en un décor silencieux, tendu comme un souffle retenu trop longtemps. Les couloirs, autrefois rassurants, paraissaient dissimuler une présence qui attendait dans l’ombre. Quelque chose rôdait. Quelque chose de très ancien.
Je sentais le poids de cette révélation se poser sur mes épaules, lentement, jusqu’à m’écraser presque. Callista n’avait pas simplement découvert une vérité enfouie. Elle avait ouvert une porte, et derrière cette porte, il y avait un monde que nous n’étions pas prêts à affronter. L’équilibre dans lequel nous vivions – cette routine paisible faite de cours, de rires et de querelles d’adolescents – n’était qu’un leurre fragile. Il suffisait d’un souffle, d’un mot, pour que tout s’écroule.
Dans cette ourse contre l’inconnu, chaque pas nous emmenait un peu plus loin dans les profondeurs de la magie et de ses dangers. Mon coeur battait à un rythme nouveau, partagé entre l’angoisse et une curiosité presque douloureuse. Un frisson me traversa, glacial, chargé d’anticipation. Une voix muette en moi, douce mais insistante, me poussait à continuer. Elle chuchotait que la vérité valait la peine d’être dévoilée, même si cela signifiait s’aventurer dans un territoire où la lumière se fait rare. Même si cela signifiait ne plus jamais revenir en arrière.