Quartier Bellevue, Résidence « Les Palmiers » Kinshasa, 6h30
Un fin brouillard accrochait encore les grilles du parc de la résidence « Les Palmiers », un complexe chic habituellement paisible.
Le silence tendre et doux du matin fut brisé par une domestique qui venait de déverrouiller la porte du jardin arrière.
Le corps d’une femme venait d’y être découvert.
Résidence « Les Palmiers », Kinshasa 7h54
- Inspectrice ! Venez voir, il y a vraiment quelque chose qui cloche avec ce corps…
- La journée commence bien… dit-elle, frustrée, n’ayant pas dormi correctement. Se lever d’aussi bon matin pour avoir comme premier aperçu de la journée un cadavre rendrait ronchon n’importe qui.
Elle s’approcha lentement de la scène du crime, l’inspectant rigoureusement. D’un œil avisé, elle scruta les lieux à la recherche du moindre indice susceptible de l’éclairer sur ce qui aurait pu conduire à une telle tragédie.
Le corps de la femme gisait à moitié affalé contre la haie, les bras écartés, sa robe blanche maculée de sang séché. Son visage était figé dans une expression… déconcertante. En effet, elle affichait un large sourire, comme si, avant sa mort, elle avait été dans un état d’euphorie. Ses yeux étaient exorbités, fixant le ciel voilé. Mais ce n’était pas tout. Sur sa cuisse gauche, la femme portait une marque, semblable à un tatouage fait à la va-vite : un symbole, un œil barré d’un trait.
Impossible, se dit l’inspectrice.
Ce modus operandi correspondait à un ancien tueur que tout le monde croyait mort… Le Chuchoteur.
Autour du corps, le sol était piétiné. On remarquait l’empreinte fraîche d’une semelle masculine dans la terre humide. Aucun téléphone, aucune trousse, aucune pièce d’identité. Seulement une montre cassée à son poignet droit, figée sur 3h12.
L’équipe médico-légale arriva peu après, enfilant gants et combinaisons, tandis que les policiers isolaient la scène du crime. Naela observa en silence, son regard s’attardant sur une éclaboussure de sang plus loin sur le tronc d’un palmier.
Quelque chose clochait : la femme avait été tuée ici, mais l’agencement de la scène semblait trop… propre. Presque comme une mise en scène.
- Inspectrice ! Venez par ici, s’il vous plaît, on a besoin de vous.
- J’arrive, dit-elle d’un ton froid.
- Mademoiselle Naela… dit le chef des brigadiers d’un ton condescendant.
C’était un homme de petite taille, trapu, avec un ventre proéminent qui tirait sur sa chemise mal repassée. Sa calvitie naissante accentuait son front brillant, et son visage, large et rond comme un beignet, lui donnait un air faussement naïf. Mais sa barbe taillée au millimètre, sa moustache rigide et sa voix grave trahissaient un tempérament autoritaire, presque hostile. Il semblait incarner la caricature même de ces hommes complexés par leur taille, compensant leur manque de prestance par une rigidité mal placée.
- C’est inspectrice Naela Moyembe pour vous. Qu’est-ce que vous avez trouvé d’intéressant ? Des empreintes ? Des témoins ? Ou peut-être l’arme du crime ?
- Eh bien justement, j’allais y venir. Nous n’avons… rien trouvé.
- Comment ça ? dit-elle, stupéfaite. Et vous n’avez interrogé aucun résident ? Les vigiles, alors ? Vous allez me dire qu’ils n’ont rien vu, rien entendu ?
- C’est bien ça, le problème. Cette nuit, il n’y avait personne à la résidence.
- Ne me faites pas rire.
- J’ai l’air de plaisanter ? Au cas où vous ne seriez pas au courant, il y a des rénovations en cours.
La tension montait.
- Et celle qui a découvert le corps ?
- Cette jeune femme est traumatisée. Impossible de l’interroger. Nous l’avons laissée partir.
- Vous vous foutez de moi ?! s’exclama-t-elle, exaspérée.
- Baissez d’un ton, Mademoiselle Machin-Chose. Vous vous croyez où ?! Voilà ce que ça donne, les femmes dans de grands postes !
Naela était sur le point de lui répondre vertement quand son téléphone vibra. Un appel de son supérieur.
- Allô ?
- Oui, inspectrice Naela. Vous pouvez rentrer. J’envoie une autre équipe pour finaliser les choses. J’attends votre rapport d’ici demain pour faire le point.
- Mais chef… Il y a tellement de zones d’ombre. Je ne sais même pas comment je pourrai rédiger ce rapport ! Et si moi, qui suis sur le terrain, je n’y arrive pas à cause de l’incompétence de certains, dit-elle en lançant un regard noir au chef des brigadiers, comment l’équipe qui arrive va-t-elle s’en sortir ?
- Ils sont expérimentés, ne vous en faites pas. Et puis, je vous fais confiance. Vous n’avez rien à ajouter ?
Elle hésita un moment, puis dit :
- Chef… Je crois qu’il est de retour. Vous savez… le Chuchoteur.
- Plus un mot. J’attends votre rapport demain.
Puis il raccrocha.
Naela lâcha un soupire d’exaspération et en forçant un sourire se retourna pour parler à la demi-portion masculine qui était derrière tout juste derrière elle.
- Bon, je vous laisse gérer, dit Naela.
- C’est bien, écoutez les hommes quand ils décident.
Sans dire un mot, Naela tourna les talons pour se diriger vers la sortie. Une fois à l’extérieur, elle put souffler.
Imagine que ce soit vraiment lui…, se dit-elle tout bas.
Non ! C’est peut-être juste un imitateur, ou je ne sais quoi. Il est mort… Ils me l’ont tous affirmé.
Elle commanda un taxi et rentra chez elle pour rédiger ce foutu rapport, et peut-être récupérer ses heures de sommeil. Son taxi arriva très vite, ce qui était une première, elle se dit que c’était sûrement parce que c’était le matin
- Bonjour madame, la course fera 65 000fc
- Non mais c’est du vol ! Pourtant sur l’application nous nous sommes mis d’accord pour 35 000fc
- Ça c’était avant de constater les embouteillages qu’il y a au croisement du grand boulevard
Fatiguée et déjà grincheuse dû à toute cette aventure du matin, elle acquiesça et ils purent prendre la route
Installée sur la banquette arrière du taxi, le chauffeur lança la clim et démarra
Naela se sentit agacé car il faisait déjà assez froid comme ça mais étant déjà fatiguée elle laissait sa tête reposer contre la vitre. Ses yeux fatigués suivaient distraitement les images qui défilaient au rythme hésitant du trafic matinal de Kinshasa. À travers la vitre, le monde paraissait flou, presque irréel.
Le taxi passa devant des marchés improvisés aux abords des grandes artères : des étals bancals regorgeant de bananes, de poissons séchés, de tissus en tout genre : pagne, boubou, satin…
Des enfants pieds nus couraient entre les voitures, mendiant ou vendant des biscuits dans la poussière. Les klaxons s’entremêlaient aux cris des vendeurs, et une odeur âcre d’essence flottait dans l’air, mêlée aux relents d’égouts mal fermés. Des flaques d’eau stagnantes luisaient au soleil comme des pièges d’huile.
Mais plus le véhicule s’approchait du quartier Gombe, plus le décor changeait.
Les nids-de-poule laissaient place à une chaussée plus lisse. Les trottoirs, auparavant envahis de détritus et de sacs plastiques, devenaient soudainement moins sales. Les immeubles modernes se dressaient, orgueilleux, aux côtés des villas clôturées par de hauts murs blancs et des haies taillées au millimètre.
Naela reconnut un café huppé au coin d’une avenue, là où les expatriés se retrouvaient autour de cappuccinos hors de prix, puis une boutique de luxe aux vitrines brillantes et impersonnelles.
Enfin, le taxi s’engagea sur l’avenue Bate. Ici, les palmiers bien alignés bordaient la route comme une promesse de calme. La ville semblait s’être habillée d’un vernis chic et artificiel. Les immeubles de bureaux y côtoyaient les résidences de diplomates, les hôtels cinq étoiles et les restaurants branchés, protégés par des vigiles en uniformes sombres.
Mais même là, derrière les portails coulissants, les gardiens somnolaient, et dans les recoins, les balayeuses balançaient les ordures du trottoir dans les caniveaux.
Kinshasa… pensa-t-elle.
À la fois rugueuse et majestueuse, la ville brillait de mille feux en surface, mais portait toujours ses plaies sous le maquillage.
- Madame vous n’avez pas mis votre adresse dans son entièreté sur l’application
- Résidence Bate heights, n°1427, avenue Bate, Gombe
- Ah d’accord dans ce cas nous arrivons dans moins de cinq minutes, vous savez mon oncle habitait ici avant je me rappelle-
Les chauffeurs… toujours là à nous raconter leurs vies, si je n’étais de mauvaise humeur j’aurai pu faire semblant d’écouter mais là franchement je ne peux pas se dit intérieurement Naela.
Après ce qui lui parut être une éternité, Ils arrivèrent enfin devant la résidence. Elle sortit du taxi, régla la course et tourna les talons.
Elle passa par la seconde entrée, celle réservée au personnel, une entrée discrète et le plus souvent utilisée lorsqu’on ne sortait pas avec sa voiture ou son scooter. Elle dit bonjour aux gardes présents pour le service de jour, À peine passée le service de sécurité, elle accéda à une allée pavée bordée de palmiers et de fleurs tropicales soigneusement entretenues.
Des lampadaires en fer forgé diffusaient une lumière douce, même en plein jour, donnant au lieu une allure de sanctuaire urbain très moderne.
Elle arriva dans le hall de la résidence, spacieux et climatisé, il accueillait les résidents avec un marbre ivoire veiné de gris. Au centre, un large tapis beige cerclé de noir surmontait un mobilier raffiné : fauteuils en velours, tables basses en bois d’ébène, et un bouquet d’oiseaux de paradis dans un vase cristallin. Naela prit l’un des ascenseurs, situés un peu vers le fond à gauche du hall, elle appuya sur l’un des boutons faisant s’ouvrir les portes, monta et appuya de nouveau faisant cette se fermer les portes.
Je n’ ai croisé personne dans le hall aujourd’hui , pourtant il est déjà 9h se dit elle.
Situé au troisième étage avec vue sur l’avenue, son appartement baignait dans une lumière dorée au lever du jour. Le salon, décoré avec sobriété, mélangeait design contemporain et touches africaines : masques luba* accrochés au mur, coussins à motifs géométriques, une bibliothèque chargée de romans et de rapports de police.
Elle se déchaussa, et laissa son manteau en cuire brun sur le porte manteau à l’entrée -un peu cliché, l’inspectrice au long manteau mais que voulez-vous, c’est la saison sèche et il fait froid-
La cuisine ouverte brillait de propreté, avec son bar en granit noir et ses luminaires suspendus en laiton.
Il y avait un couloir assez court qui séparait la chambre des autres pièces.
La chambre, quant à elle, était un cocon paisible : rideaux en lin beige, lit king size aux draps blancs immaculés, et une terrasse privative où l’on pouvait entendre, le soir venu, le lointain murmure de la ville mêlé au bruissement des palmes.
Ici, Naela pouvait souffler, loin du chaos de Kinshasa. Mais même dans ce luxe discret, une ombre persistait. Quelque chose en elle savait que la tranquillité était un luxe éphémère. Elle balança son sac d’un côté et déposa son téléphone sur la table de nuit à sa droite avant de se jeter sur son lit, froissant ses draps au passage. Ils sentaient la cannelle, une odeur qui apaisait Naela très souvent.
Je n’arrive pas à l’oublier… Est-il réellement mort cette fois ? Non, impossible. Ils ne m’auraient jamais menti sur quelque chose d’aussi grave, se répéta-t-elle, le cœur serré. Faut vraiment que je sorte cette idée de ma tête.
Soudainement, la sonnerie de son téléphone sonna. Elle râla avant d’attraper son téléphone et de le portait à son oreille.
- Allô.
- Allô, oui bonjour vous êtes bien Madame MOYEMBE ?
- À qui ai-je l’honneur ?
- C’est le service de livraison de chez Take and eat hot, votre commande est là
- Ah merci, je viens ouvrir
- Merci madame.
J’avais complètement oublier que j’avais commandé à manger dans l’ascenseur, qu’elle étourdie. S’exclama t’elle en se levant du lit.
Elle coupa l’appel et s’en pressa d’aller ouvrir le livreur, une fois on paquet récupérer et déposer dans la cuisine, elle se dirigea vers sa salle de bain.
La salle de bain était de style moderne, aux murs recouverts d’un carrelage gris anthracite. À gauche de la porte, sur l’un de ces murs, se trouvait un miroir ovale sans cadre. Une fois la porte franchie, une douche à l’italienne aux parois vitrées occupait le fond de la pièce. Près d’elle, une étagère en bois verni dans laquelle tout était soigneusement rangé : flacons de parfum alignés, serviettes pliées, lotions et crèmes pour le visage et le corps.
L’ambiance était sobre, empreinte d’une légère odeur d’amande et de karité, sans doute liée à son savon de karité pur. Si ce savon pouvait être résumé en quelques mots, ce serait : chaud, boisé, doux, légèrement fumé, apaisant. Ce lieu respirait le calme, le soin, presque comme un jardin secret.
Une fois sa douche terminée, elle noua une serviette autour de son corps, dessinant ainsi ses formes. Elle s’approcha du miroir et contempla son reflet. Elle glissa ses doigts entre ses cheveux, bouclés serrés en « Z », qui retombaient sur ses épaules. Mouillés, ils étaient souples et doux. Elle divisa sa chevelure en plusieurs sections avant de les tresser en vanilles*. Puis, elle se dirigea vers l’étagère, prit un pot de crème, et, revenue devant le miroir, appliqua une petite quantité sur son visage.
Elle sortit de la salle de bain en prenant soin d’essuyer ses pieds sur le tapis, juste devant la porte.
Elle ouvrit sa garde-robe et en sortit un short en jean ainsi qu’un débardeur blanc qu’elle enfila tranquillement. Une fois ses chaussons aux pieds, elle se dirigea vers la cuisine. Là, elle glissa son paquet désormais déballé dans le micro-ondes. Deux minutes trente plus tard, une odeur chaude commença à se répandre dans la pièce : celle du pondu*, végétale et légèrement fumée.
L’huile de palme libérait un parfum sucré-grillé, tandis que le poisson fumé apportait une touche salée et profonde.
Elle répartit les mets dans deux assiettes : le pondu et le poisson d’un côté, le riz de l’autre.
Assise à table, elle mangea en silence, son esprit déjà occupé à réfléchir à la meilleure façon de rédiger son rapport.
Une fois terminé elle fit sa petite vaisselle puis se mit devant la télé pour regarder les nouvelles… aucunes mentions de l’accident de tout à l’heure
Bizarre… peut être que j’ai raté l’info Se rassura t-elle.
Encore quelques heures avant la conférence de cet aprèm. Naela ignorait encore à quel point cet événement allait bouleverser la suite de l’enquête
Luba : Grand peuple du centre de la RDC, avec une langue -Tshiluba- et une culture riche.
Vanilles : Tresses africaines épaisses et torsadées, protectrices et stylées.
Pondu : Plat congolais à base de feuilles de manioc pilées, souvent cuites avec de l’huile de palme et du poisson.