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June_Stephen
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Chapitre 15.2

Ce dîner est le premier où nous mangeons ensemble, le gang, Elie et moi. Et l'ambiance n'est pas au beau fixe. Mon pacte avec Ash contrarie beaucoup Ramos.

Il pose son verre sur la table et nous toise Rafael et moi avec l'expression d'un homme trahi.

— J'arrive pas à y croire.

— Arrête avec ta parano, Ramos, souffle Andres en mâchonnant un bout de viande recomposé. Le gamin devra se démerder seul une fois que Martinez sera parti, laisse-le faire ses plans.

— Il est censé être sous notre protection ! De quoi on a l'air ? On est pas assez impressionnant, c'est ça ?

— Ramos, on est plus que quatre, renchérit Da Silva. Si tu veux prendre personne de nouveau, ne t'étonnes pas que notre force s'essouffle.

Ces propos irritent Ramos. Qu'attend-t-il donc pour agrandir leur cercle ? Il passe une main nerveuse dans ses cheveux frisés.

— Mais notre accord tient toujours, hein, Pasquier ?

— Cumuler les contrats ne veut pas dire oublier le nôtre. Un avocat a plusieurs clients.

Il hoche la tête, visiblement soulagé.

— Ça te rendrait presque sexy, tout ça, plaisante-t-il.

— Pardon ?

— Je t'ai aperçu, dans la salle de cours. Assis sur le bureau avec tes petites lunettes sur le bout du nez... Il te manquerait plus qu'une chemise blanche et un gilet de costume trois pièces et tu serais fin prêt à corriger tout le monde à coups de règles !

Je le fixe, surpris, puis lâche un rire spontané. Ce portrait de moi serait presque réaliste. Il pose son menton dans le creux de sa main et me contemple avec malice.

— Pourrais-je me joindre à votre cours, professeur ?

— Ne m'appelle pas professeur, mais Maître.

— Oh oui, pardon, Maître... Mmmh, même sans le costume, ce titre est terriblement sexy. Maître Pasquier...

Je secoue la tête, amusé. Un peu de légèreté et d'humour ne sont pas de refus.

— Aurais-je l'honneur d'être corrigé, Maître ?

— Tu tiens à l'être ?

— Tant que c'est par vous... et que je peux vous rendre ensuite la pareille...

Rafael claque une paume sur la table.

— C'est bientôt fini ?

Ramos lève les mains avec un air innocent et se rassoit convenablement. Mon loup serait-il jaloux ? de son propre ami ?

— Salut, Pasquier, lance Ash en arrivant à ma hauteur avec son groupe.

Je lui réponds par un hochement de tête. Ramos se refroidit dans l'instant.

— Qu'est-ce que tu fous là, toi ?

— Je passais juste dire à Léo que je lui ai laissé une couverture sur son lit et quelques encas pour les jours à venir. Un cadeau de bienvenue.

— Depuis quand tu appelles les autres par leur prénom ? grince Ramos. Tout ça, c'est qu'un jeu pour toi...

— Je ne joue pas avec la liberté. Pourquoi vouloir t'approprier Pasquier ? Il ne t'appartient pas et ses services juridiques non plus.

Ramos se lève brusquement.

— Dit-il en tentant depuis un an de me voler mon fidèle bras droit...

— On ne vole un individu, Ramos. Les gens ne sont pas des objets. Mais ça ne m'étonne pas venant d'un gars qui ne respecte même pas ses amis proches.

La tension entre eux est électrique. J'ai l'impression que la veine temporale de Ramos va exploser. Devrais-je intervenir ? Je ne sais plus où me mettre... Sans pour autant s'arrêter de manger, Rafael réplique :

— Ash va faire transférer Léo dans notre dortoir.

— Et alors ?

— Et alors, arrête de penser qu'à ta gueule. S'il est avec nous, je pourrai veiller sur lui.

— Encore faudrait-il que t'y arrives, cette fois.

Rafael se fige sur place. Un silence de mort plombe soudain l'ambiance. Il plaque ses couverts sur la table, se lève dans un mouvement lent et part se planter à quelques centimètres de Ramos, les yeux brillants d'une lueur assassine.

— La seule raison pour laquelle tu es encore en vie, actuellement, c'est notre amitié.

Ramos n'ouvre plus la bouche. Vient-il d'évoquer la sœur décédée de Rafael ?! Ce dernier reprend avec une noirceur implacable :

— Il n'y aura pas de seconde fois, Luiz Ramos.

Un frisson remonte le long de mon échine. Le calme avec lequel il s'exprime met en relief la dangerosité de la menace. Ramos baisse les yeux et quitte la table avec son plateau vide, bousculant au passage quelques membres du clan rival.

Rafael se rassoit avec la même froideur. La haine dont il émane embrase l'air ambiant... Ash et son gang se retirent sans un mot. Je constate que le Loup Noir n'est pas seulement respecté, mais qu'il inspire aussi la crainte, même aux hommes les plus redoutés de cette prison. Son titre de prédateur n'a jamais été si éloquent. C'est dans ces moments que nos différences se creusent, et qu'il éveille en moi une étincelle d'angoisse.

Dans ce dortoir, je suis en territoire hostile. Peu importe où je regarde, je ne lis que la rancœur ou le mépris sur les visages. Un homme crache à mes pieds en me croisant dans une allée, un second me bouscule d'un coup d'épaule. Visiblement, tous les détenus ne convoitent pas mes talents. D'eux à moi, c'est tout ou rien. Soit on me déteste, soit on a besoin de moi, l'équilibre n'existe pas. Un peu comme dans ma vraie vie, au final.

Malgré les ondes négatives qui irradient autour de moi, je rejoins mon emplacement sans exprimer la moindre émotion. Après avoir caché sous le sommier ma trousse de toilette, mes vêtements et mes chaussures, j'imite les autres en me créant un rideau de fortune de chaque côté du lit à l'aide de ma serviette et de la couverture que m'a offerte Ash, puis je me couche sous la première. Ce soir, je garderai mon t-shirt et mon pantalon d'uniforme. Moi qui ai toujours été le lion, lors d'une audience, en ce moment, j'ai l'impression d'être un chaton dans une cage remplie de fauves... Arriver à passer la nuit sans être roué de coups serait un exploit.

Rafael me manque...

— Eh, Frenchie, me chuchote mon voisin de droite.

Je sursaute. Devrais-je répondre ? Exhiber ma peur est la dernière chose à faire... J'écarte mon rideau et me redresse sur un coude. Un Hispanique à la peau hâlée et au crâne rasé me salue depuis son lit. Une croix chrétienne repose sur son torse nu, assez imposante pour être visible même dans l'obscurité. Il me sourit.

— Je voulais juste te dire que je te trouve courageux.

— P-pardon ?

Ai-je bien entendu ? Il poursuit à voix basse :

— Ouais, c'est la merde ici pour les gars dans ton genre. J'aimerais bien te soutenir, mais bon, tu sais...

J'acquiesce, agréablement surpris.

— J'apprécie ton attention.

— Mon petit frère, il aimait les gars, lui aussi. Il s'est fait planter au coin d'une rue avec son mec en sortant d'un bar.

Mes yeux s'agrandissent. Sa gentillesse prend soudain tout son sens. Nous nous regardons un instant en silence, dans un lien d'empathie.

— À défaut de pouvoir t'être utile, je peux au moins t'offrir une clope ? Ou un Sprite ?

Je lui renvoie un léger sourire. Comment refuser une telle invitation lorsqu'on vit en pleine jungle ?

— Va pour le Sprite.

Il lève un pouce en ma direction.

— Au fait, moi c'est Tucker, ajoute-t-il avant de se repositionner dans son lit. Bonne nuit, Frenchie.

— Bonne nuit, Tucker.

Je me rallonge à mon tour et tire la couverture jusqu'à mon cou. Au cœur de la haine, ce simple échange me redonne du baume au cœur.

Les hommes s'agglutinent dans la salle de bain derrière moi, alors que je me brosse les dents d'une main molle. Entre les ronflements et le stress, la nuit a été courte. Certains me traiterait sans doute de petit bourgeois habitué au confort de son lit king size. Je grimace en inspirant une bouffée d'air chaud et humide. Toujours ces relents de cigarette froide, d'odeurs corporelles et de savon bon marché.

Un homme me bouscule, un autre trempe mes vêtements avec sa peau dégoulinante, le suivant crache dans le lavabo, près de moi. Je m'arrête un instant et ferme les yeux, agressé dès le réveil par tous ces stimuli désagréables. Ce brassage humain constant est étouffant.

La boule au ventre, je me dénude et examine les cabines, mais l'unique emplacement qui se libère est dans les douches communes. Je n'ai aucune envie d'y aller... Je reste paralysé, incapable de savoir quoi faire. J'ai l'impression de pouvoir me faire attaquer à tout moment, de n'importe quel côté. Où est Rafael ?

Lorsque je le vois entrer dans la salle d'eau, je ressens un profond soulagement. Je me dirige vers lui, un grand sourire aux lèvres.

— Rafael !

C'est à peine s'il me remarque. Apathique, il retire ses vêtements sans un mot et m'ignore complètement. Que lui arrive-t-il ?

— Ça ne va pas ?

Aucune réponse. Ma joie s'envole aussi vite qu'elle est arrivée. Malgré tout, je dois profiter de sa présence pour aller me laver. Je le suis jusqu'à la seule douche libre, et il s'immobilise devant elle, sur le carrelage mouillé. Attend-il que... j'y aille à sa place ? Je m'approche à pas timides.

— Et toi ?

Il jette un œil aux hommes encore sous l'eau, en attrape un par la nuque et le sort de force de la douche.

— Putain ! Tu t'es cru où, sale...

Lorsque le détenu découvre qui l'a tiré en arrière, il baisse la tête et obtempère dans la seconde. Voilà donc à quoi ressemble Rafael Martinez quand il est de mauvaise humeur... Inutile de lui parler ni d'attirer son attention, pour l'instant. Je n'ai pas envie de l'agacer davantage.

Tout en me frottant la peau avec mon gel parfumé, je repense à ce moment où je l'ai jugé et offensé au sujet de sa sœur. Pas une seule fois il n'a proféré de menace à mon encontre ou brutalisé. Au contraire, il a fini par m'enlacer pour exprimer son chagrin, moi qui ne suis rien d'autre qu'un boulet sur lequel il a choisi de veiller, malgré les risques encourus.

Pourtant, hier, devant leurs rivaux, il a menacé son ami le plus proche de l'envoyer à l'hôpital pour une simple allusion à sa sœur. Pourquoi me traite-t-il différemment ? Qui suis-je pour mériter un tel privilège ?

— Toi, dégage, tonne une voix grave dans mon dos.

Je me retourne sur une armoire à glace de deux mètres de muscles. Mon corps est encore savonneux, mais je suis contraint d'obéir. Je quitte l'eau sans attendre, l'oreille basse et la peau couverte de mousse. Des rires s'élèvent. Les moqueries ont plutôt tardé à arriver, aujourd'hui.

Puisque je n'ai aucune autre option, je pars me rincer les membres un par un dans un lavabo à l'aide d'un bout de ma serviette que j'ai transformé en gant. Quand un petit groupe d'hommes passe derrière moi, une main atterrit bruyamment sur mes fesses. Je sursaute, serre les dents et ferme les yeux un instant avant de poursuivre mes affaires. Je me sens minable de ne pas réagir, mais face à tout un groupe... De toute façon,Ash dit que je vais devoir m'y faire. Tant qu'ils ne vont pas plus loin...

Quelques secondes plus tard, je relève la tête et aperçois Rafael dans le miroir. Lorsque je me retourne vers lui, je le découvre, bouillonnant de haine. Il saisit un détenu du groupe en question par l'épaule, remonte son bras entre ses omoplates et le tord dans un craquement sonore. L'homme pousse un cri de douleur. Rafael lui murmure quelques mots à l'oreille tout en me fixant dans la glace, puis le type s'effondre par terre, les articulations du bras et du poignet disloquées. Je reste bouche bée.

— Léo.

— Oui ?

Ma voix ressemble à un miaulement. D'un mouvement de tête, il m'ordonne de le suivre sous la douche et fait volte-face. Les autres s'écartent sur son passage. Je lui emboîte le pas, le menton bas, et patiente près de lui le temps qu'il termine de se rincer. Puis il me prend par l'avant-bras et me positionne à sa place. Je le dévisage, à la fois confus et reconnaissant.

Sous ses yeux, je laisse l'eau pleuvoir sur mon corps, faire glisser la mousse sur ma peau. Je sens les bulles accrocher mes mamelons durcis, dévaler mes abdominaux et épouser les courbes de mes hanches et mes cuisses. Lui, me dévore du regard sans bouger d'un centimètre. Je vois ses doigts s'agiter, ses mains n'aspirent qu'à me toucher. Pourtant, il n'en fait rien.

Je réalise que son affection pour moi se transforme peu à peu en dévouement. Un dévouement aveugle qui n'offre aucune chance à ceux qui me veulent du mal, quitte à les réduire en cendres. Un sourire perle sur mes lèvres humides. Submergé par un profond bien-être, je m'abandonne à la tiédeur délicieuse de l'eau par pur plaisir et m'autorise même à fermer les yeux. Je sais qu'il resterait des heures à me veiller sans ciller, si je le désirais. Aussi implacable que loyal. C'est la première fois que la violence fait naître en moi un tel sentiment de sécurité.

Nous sortons de la douche sur injonction d'un surveillant qui ordonne aux détenus de vider les lieux.

— Vous deux, magnez-vous ! Et gardez vos distances ! nous hurle-t-il.

Nous nous écartons et je pars me sécher, l'esprit serein. La salle de bain, désertée en deux minutes, nous offre le luxe de nous retrouver tous les deux, au calme. Les mains de Rafael se posent sur ma taille alors qu'il se faufile derrière moi, mais il ne s'aventure pas plus bas que mes hanches.

Je souris tout en épongeant mes cheveux.

— Tu donnes un cours ce matin, c'est ça ?

— Comme tous les jours à partir d'aujourd'hui, de 9h à 10h30.

Si je suis confiant au sujet de mes cours de droit, je le suis en revanche beaucoup moins en ce qui concerne mes allées et venues. Plus le temps passe, plus la haine augmente autour de moi.

Je me retourne vers Rafael.

— Quand est-ce que tu penses sortir de mécanique ?

— Aux alentours de 11h.

— Je vois...

Je lui rends un rictus grimaçant et détourne le regard, nerveux.

— Y'aura pas de problème, je te le promets.

Ai-je d'autres choix que de le croire ? Après un instant d'hésitation, je décide de passer outre mes craintes et de m'en remettre à lui, comme convenu. S'il m'a juré que tout irait bien, alors tout ira bien...

— Je viendrais te chercher devant ta salle de cours, OK ?

— D'accord.

Il dépose un petit baiser dans mes cheveux, puis quitte la salle de bain dès que le gardien revient. Cette promesse me rassure, je me sens déjà plus léger.

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