Mon étoile,
Je sais que je ne devrais pas t’écrire mais, ces derniers temps, je n’arrête pas de penser à nous, à notre histoire, à tout ce que l’on a vécu. Je me souviens de tout comme si c’était hier. Et plus j’y pense, plus je me dis que j’ai eu de la chance que le ciel te mette sur ma route. Ou bien était-ce moi qui me trouvais sur la tienne ?
En tout cas, je ne suis pas près d’oublier cette collision qui a chamboulé nos vies. Rien que de l’écrire, j’ai l’impression de revoir la scène : Los Angeles, ses grandes avenues, ses palmiers et ses grands hôtels…
Il faisait particulièrement chaud cet été-là et, même après dix ans de vie à Sacramento, mes gènes écossais n’étaient toujours pas habitués à ce genre de température. D’autant plus que, quand Russell avait annoncé au groupe qu’il nous avait inscrit à un tremplin musical, il avait oublié de mentionner que nous allions devoir nous trimballer tous nos instruments jusqu’à L.A. Évidemment, c’était facile pour lui avec seulement son sac à porter. Jamaal et Kris ne s’en sortaient pas trop mal non plus avec leur basse et guitare sur le dos. Mais moi, j’avais eu la bonne idée l’année de mes quinze ans d’apprendre à faire de la batterie.
Toi qui m’as côtoyé pendant tant d’années, tu sais combien il est rare de me voir en colère. Pourtant, ça m’arrive parfois et je me souviens avoir été d’humeur particulièrement massacrante ce jour-là. Avec le recul, ce n’était pourtant pas si horrible. Certes le hall de l’hôtel était grand, mais l’ascenseur n’était pas si loin et les autres m’ont bien évidemment aidé à tout transporter jusqu’à notre chambre. En deux allers-retours, c’était plié.
N’empêche qu’après tous ces efforts et avoir passé plus de cinq heures dans la même voiture que mes camarades, je n’avais qu’une envie : trouver quelque chose à grignoter, m’assoir et ne plus bouger. C’est dans ce but que j’étais descendu dans le lounge de l’hôtel. Malheureusement, mon répit fut de courte durée car Jamaal et Russell ne tardèrent pas à débarquer à leur tour. Tu ne seras pas surprise d’apprendre qu’ils se firent remarquer dès leur entrée dans la pièce.
Mes années d’amitié avec Jamaal m’ont appris à ne pas trop me soucier des regards qui se tournent sur son chemin. D’aussi loin que je me souvienne, son allure androgyne et son style vestimentaire unique ont toujours intrigué et dérangé. J’imagine qu’il y a des choses qui ne changent pas !
À côté de lui, on peut dire que Russell paraissait petit mais cela n’enlevait rien à son charme. Ses cheveux ébouriffés avec soin et ses fossettes inimitables lui donnaient cette impression de mec cool et abordable. Le genre qui met l’ambiance et que tout le monde adore en soirée. Tout le contraire de moi quoi. Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi un type aussi populaire s’est soudain intéressé à des reclus comme nous. Quand il est venu vers nous avec cette idée folle de monter un groupe pour participer à un tremplin, j’étais tellement réticent. Je te l’ai déjà raconté, non ?
Dire que toute cette aventure, ma présence-même dans cet hôtel, n’aurait jamais été possible sans l’initiative de Russell et les arguments de Jamaal pour me faire changer d’avis ! Jamaal a toujours eu ce don avec les mots et, aujourd’hui encore, j’en suis terriblement jaloux. Parfois je me dis que notre histoire aurait fini différemment si j’avais su trouver les bons mots, moi aussi. C’est stupide, je sais. Je t’entends presque m’affirmer que ça n’aurait rien changé et que je réfléchis trop !
Bref, je divague. Pour en revenir à ce fameux début d’après-midi : Jamaal et Russell, non contents d’attirer déjà les regards, vinrent interrompre mon moment de répit sans aucune gêne. Ils étaient tous les deux excités comme des puces à l’idée de parcourir les rues de la cité des anges et faire de nouvelles rencontres. Aucun d’entre nous ne s’attendait à la rencontre qui allait suivre.
Nous avions les bras chargés de casse-croûtes en tout genre quand Russell et moi avons quitté le lounge pour remonter à notre chambre. Jamaal m’a avoué plus tard qu’il maudit encore à ce jour la cigarette qui l’a empêché d’être avec nous à ce moment précis. C’est bien dommage que ça ne lui ait pas suffi à arrêter de fumer ces saletés mais bon… Toujours est-il qu’il n’était pas là pour assister à ta brillante entrée en matière !
Je ne me souviens pas vraiment de quoi Russell me parlait. J’ose supposer que c’est lui qui menait la conversation comme c’est souvent le cas. Tout ce que je sais c’est que, une seconde, je marchais tranquillement avec lui dans le couloir désert et, la seconde suivante, une ombre sortie de nulle part manqua de me renverser.
Puis j’ai tourné la tête et je t’ai vue.