Éva
Neuf ans plus tard…
J’ajuste ma combinaison une dernière fois dans les coulisses avant que je ne sois appelée pour monter sur scène. Ce soir étant la cérémonie de présentation de la livrée pour la saison, je dois être plus que présentable pour ne pas gâcher l’image de l’écurie. Papa m’en voudrait fortement si pour notre deuxième saison en Formule 1, l’écurie se tapait une honte sur les réseaux sociaux.
Le technicien accroche le boîtier émetteur du micro sur ma taille et règle le micro-serre-tête pour que le son soit parfait. Encore une dernière retouche de maquillage et on est bon.
Le signal est donné, je monte enfin sur scène rejoindre mon père et la journaliste avec mon casque à la main. Les spectateurs applaudissent, les lumières s’illuminent afin de donner une ambiance chaleureuse pour mon arrivée et celle de mon coéquipier.
Mon père m’adresse un sourire montrant une fierté inébranlable, sourire que je lui retourne gentiment. Je me place à sa droite et mon coéquipier de l’autre côté. Nous avions répété quelques jours avant pour qu’il n’y ait pas d’aléa en direct le jour J. C’est important que la cérémonie soit parfaite et sans défauts puisque des millions de fans de Formule 1, supportant toutes écuries confondues, regardent le direct sur différentes plateformes de streaming ainsi que sur les réseaux.
La journaliste continue son discours avant de se diriger vers moi.
— Comment vous sentez-vous pour cette saison ?
— Un peu stressée comme chaque pilote, je vais vous dire, mais je pense que nous pouvons atteindre notre objectif.
— Quel objectif ? Me demande-t-elle d’une voix claire.
Mes yeux croisent ceux de mon père donnant un regard complice avant de regarder de nouveau la journaliste et les spectateurs.
— Se qualifier parmi les top-teams. C’est notre deuxième saison et l’année dernière, nous avons fini sixièmes. Je pense que c’est un bon début si nous voulons concurrencer Ferrari ou McLaren.
Depuis notre arrivée en tant que onzième écurie, Perrin Motorsport s’est fait un petit nom dans les paddocks tout comme mon père qui est considéré comme un véritable visionnaire, ayant bâti sa réputation grâce à son génie technique et son dévouement sans faille à la compétition.
Il était aussi pilote de Formule 1 pendant mon enfance et travaillait beaucoup avec les techniciens et ingénieurs pour pouvoir améliorer la monoplace. Aujourd’hui, il est fondateur et directeur de l’écurie, et veut prouver qu’elle mérite d’être en Formule 1.
La journaliste me remercie d’avoir répondu à ses questions et se dirige vers mon coéquipier. Je ne bouge pas mon regard vers les caméras et les spectateurs, voulant éviter tout contact visuel avec lui.
— Alex Lefebvre, tout juste champion de Formule 2 et vous voici ici pour votre première saison en Formule 1. Quels sont vos ressentis ?
— Je ne peux qu’être reconnaissant auprès de Raphaël, je pense que sans lui, je ne pourrais pas accomplir mon rêve d’être en Formule 1.
Sa voix résonne comme une craie sur un tableau noir. Je ne supporte pas de le voir ni de l’entendre. Depuis ce qu’il s’est passé il y a neuf ans, je lui en veux toujours et ce ne sera pas en Formule 1 qu’il va espérer passer devant moi.
— C’est une grande opportunité pour moi et j’espère pouvoir aider Perrin Motorsport à obtenir son objectif, déclare-t-il avec audace.
— Et nous sommes tout cœur avec vous Alex, conclue la journaliste.
Ma gorge devient sèche à l’emploi de son prénom, me rappelant amèrement sa présence dans l’écurie. Je mentirais si je disais que je n’en veux pas à mon père de l’avoir signé au sein de l’équipe, mais il ne restait plus qu’un seul baquet sur la grille, et les bruits couraient dans les paddocks que c’était son frère qui avait incité mon père à lui proposer un contrat de deux ans.
La journaliste se tourne vers les spectateurs et annonce la découverte de la livrée. Ce moment où les couleurs de la monoplace vont enfin voir le jour. Seules les personnes qui ont travaillé sur la voiture en connaissent déjà l’apparence. Les pilotes se gardent la surprise pour le jour J.
— Mesdames et Messieurs, l’heure est venue de vous présenter celle qui forgera les couleurs de Perrin Motorsport, celle qui montrera la fierté cent pour cent Française du sport automobile, annonce la journaliste en tendant son bras vers la voiture drapée.
Les lumières principales s’éteignent laissant les projecteurs de couleur bleue et violette illuminer le dessous de la voiture. Au lever du drap noir, des applaudissements se font entendre dans la salle ainsi que des sifflements. Mes yeux ne quittent pas du regard la monoplace aux mêmes couleurs que les projecteurs, séparées par une ligne blanche sur les côtés pour ne pas tasser les deux teintes.
Un sentiment de fierté vient se créer en moi en pensant au travail fait par les employés de l’usine qui ont travaillé dur la saison dernière. Mon père se penche vers moi tout en applaudissant avant de me chuchoter quelque chose.
—Tu as intérêt à ramener cette voiture sur le podium parce qu’elle le mérite.
— Ce serait une fierté pour la famille, pour maman, je réponds d’un ton complice.
Maman rêvait de bâtir l’écurie aux côtés de papa depuis qu’il était pilote de Formule 1. Elle a toujours voulu que le monde entier connaisse le nom de famille qui la rendait fière de porter. Seulement, elle est tombée malade quand je suis arrivée en Formule 2 et n’a pas pu combattre la maladie comme elle souhaitait se battre. Mon père s’est alors battu pour elle, pour construire l’écurie et la faire parvenir dans la cour des grands.
L’histoire derrière notre équipe est si précieuse à mes yeux que je rêverais de pouvoir monter sur le podium et rendre fière ma mère qui me regarde de là-haut.