Alex
Les premiers tours de piste, c’est là que tout commence vraiment. Je me tiens près du garage, casque en main, le cœur battant au rythme sourd des moteurs qui s’échauffent dans la fraîcheur matinale. Les essais hivernaux ont une ambiance particulière, presque solennelle. Pas de spectateurs, pas de podiums. Juste le froid mordant, le bruit des outils et le parfum de l’asphalte neuf.
C’est un mélange d’excitation et d’appréhension, une étrange danse entre les données, les réglages, et ce qu’on ne peut jamais vraiment prévoir. Le comportement de la voiture une fois lancée à pleine vitesse. J’ai passé des mois à aider les personnes à l’usine pour confectionner chaque détail, du châssis au moindre écrou, et pourtant, c’est ici, aujourd’hui, que la vérité se révèle.
Quand on me donne le feu vert pour les premiers essais, je m’installe dans le cockpit, essayant de calmer ma respiration. Tout semble parfait. La position, la visibilité, la prise en main. Mais je sais qu’il y aura des surprises. Il y en a toujours.
Le bruit du moteur qui rugit derrière moi est une promesse. Une promesse de vitesse, de défis et, peut-être, de victoires.
Je sors du garage dès que le mécano m’autorise à y sortir pour effectuer mon premier tour de piste. Leo m’indique les réglages à mettre au volant avant de pouvoir faire mon tour rapide. Je continue à enchaîner les tours, cherchant à optimiser chaque trajectoire et à peaufiner mon feeling avec la voiture. La concentration est totale.
Mes yeux balayent la piste devant moi, mes mains ajustent le volant au millimètre, et mes pieds alternent avec précision entre frein et accélérateur. À chaque virage, je ressens la voiture qui se cale sur ses appuis, répondant avec une précision presque chirurgicale à mes commandes. Leo, toujours à la radio, m’envoie des retours sur mes secteurs, m’encourageant à freiner plus tard ici, à accélérer plus tôt là. Les secondes défilent, mais je suis dans une bulle, uniquement focalisé sur l’équilibre parfait entre vitesse et contrôle.
— Fais gaffe au deuxième secteur, tu es le plus lent, me dit-il.
— À quel virage ?
— Aux virages sept et huit. Essaye de freiner plus tard et de prendre correctement le virage.
Ses conseils sont précieux à la radio parce qu’ils nous permettent, en tant que pilote, à nous améliorer sur notre temps et notre performance en piste.
Je finis mon tour rapide et décide de rentrer aux stands pour que les techniciens ajustent certains réglages sur la voiture. En sortant du cockpit de la monoplace, j’enlève mon casque et ma cagoule, que je dépose sur le comptoir avec le reste de mes affaires. Pendant que les techniciens règlent la voiture, je me dirige vers Leo pour discuter de mes temps. En tournant ma tête vers l’autre côté du garage, mon regard croise celui d’Éva. Elle est appuyée contre le comptoir, sa combinaison nouée autour de la taille, un téléphone à la main. Son regard est froid et agressif contrairement à sa posture qui est décontractée et inoffensive. Je sais qu’elle m’en veut toujours pour ce qu’il s’est passé à l’époque, mais je n’ai rien à me reprocher. Je l’ai doublé et j’ai gagné la course. Elle s’est plantée toute seule, elle ne doit s’en prendre qu’à elle seule. Je détourne le regard et me dirige vers Leo. Ce dernier me tend un casque de radio pour mieux entendre nos voix parmi le vacarme qui nous entoure.
— Bon Alex, tes temps sont moins bons que ceux d’Éva. Elle te met quatre dixièmes à chaque tour, m’annonce-t-il.
Je soupire face à sa remarque avant de lui répondre.
— OK, mais dans le classement, elle est où ? Parce que c’est bien beau de me comparer à ses données.
— Elle est devant toi, ce n’est pas pour rien qu’on la considère comme premier pilote de l’écurie.
— Parce que c’est la fille du patron surtout. Et ce n’est rien que les essais hivernaux. On verra si Éva est toujours devant moi pour les prochains Grand Prix, soufflé-je.
— Arrête de te chercher des excuses, lâche-t-il en croisant les bras. Elle est rapide, point final. Tu devrais te concentrer sur tes résultats à toi au lieu de trouver des prétextes.
Je serre les dents, agacé par son ton, mais surtout par la vérité qu’il pointe du doigt.
— Facile à dire, répliqué-je sèchement. On dirait que tout est fait pour qu’elle brille, alors que moi, je dois prouver ma valeur à chaque tour.
Il hausse les épaules, un sourire moqueur au coin des lèvres.
— Bienvenue dans le monde de la compétition. Si tu es vraiment aussi bon que tu le dis, tu n’auras aucun problème à la rattraper, pas vrai ?
Sa remarque pique, mais je garde le silence, fixant un point invisible devant moi. Les essais hivernaux, ce ne sont que des chiffres. Les vrais résultats viendront sur la piste. Et cette fois, je compte bien leur montrer de quoi je suis capable et combien je mérite ma place en Formule 1.