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Chiara
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16. Le deuil

Je ne sus jamais comment la discussion entre ma cousine et mon père se déroula. Je ne pus que présumer que cela se passa mal. Et je ne suis pas la seule, d’autres bien plus tard en son arrivés à la même conclusion. À midi, mon père annonçait la mise à mort d’Antigone.

Hémon, dévasté par la nouvelle, s’était empressé de me rejoindre. Mon frère qui avait couru de femme en femme avant de tomber éperdument amoureux d’Antigone, semblait lui-même condamné à mort. Je n’avais jamais vu mon frère si vulnérable. Je le savais romantique. Je savais que son cœur le guidait plus que son esprit. Mais je ne me doutais pas que la perte de sa fiancée pourrait l’anéantir à ce point.

— Que vais-je devenir sans elle ?, gémit-il dans mes bras. J’ai essayé de lui parler, de le persuader de lui laisser la vie sauve, mais il ne veut rien entendre.

Les sanglots qu’il tentait tant bien que mal de retenir l’empêchaient de respirer. Le chagrin l’étouffait littéralement. Un sentiment d’impuissance m’accablait à nouveau. J’avais déjà plaidé la cause d’Antigone auprès de mon père. Que pouvais-je faire de plus ?

Alcide entra brusquement dans la pièce alors que mon frère se laissait envahir par le chagrin.

— Je suis désolé, dit-il à Hémon. J’ai tenté de raisonner Créon, mais il n’a rien voulu savoir. Il reste ferme sur ses positions. Je ne sais pas ce qu’a pu lui dire Antigone, mais je pense que cette fois elle est allée beaucoup trop loin.

Les pleurs d’Hémon redoublèrent. Je luttais moi-même pour ne pas me laisser submerger par le chagrin. Antigone était comme ma sœur. La perdre me déchirait de l’intérieur. La décision de mon père me révoltait au plus profond de moi. Si j’avais pu, j’aurais mis la cité à feu et à sang pour sauver la vie de ma cousine. Mais je ne le pouvais pas. Il fallait que je me montre forte. Il fallait que je soutienne mon frère dans cette épreuve. Je ne pouvais pas me permettre de sombrer. Si je le faisais, je risquais de couler pour toujours…

En milieu d’après-midi, la nouvelle de la condamnation d’Antigone avait fait le tour de la ville. Ma cousine serait emmurée vivante au coucher du soleil. Personne n’avait réussi à raisonner mon père. Les ouvriers s’attelaient déjà à mettre en place la structure où serait placée Antigone. Hémon n’était plus que l’ombre de lui-même. J’essayais de faire bonne figure, mais je savais que j’étais sur le fil. Cette semaine avait été éprouvante. La mort de mon frère rapidement suivie de celle de mes cousins, et maintenant Antigone. Tous mes proches mouraient les uns après les autres. Pourquoi s’acharner autant sur une même famille  et en si peu de temps ? C’est la question que je me posais en boucle. Le destin que les dieux prévoyaient pour nous était sombre. À quoi bon vivre si autour de nous tout s’écroulait ?

Mon père nous rassembla dans la salle du trône afin de faire une déclaration publique avant de sceller le sort de sa nièce à jamais.

— Les lois s’appliquent à tous, commença-t-il. J’avais expressément proscrit le droit de Polynice à recevoir une sépulture. Son âme devait être condamnée à errer sans trouver le repos.

La voix de mon père était ferme, cependant les traits de son visage trahissaient le duel que son cœur menait contre sa raison. Condamner Antigone le faisait souffrir autant que mon frère et moi.

— Ma nièce, Antigone, a désobéi à mes ordres, reprit-il plus fermement encore. Ses actes, couplés à son insubordination, justifient aujourd’hui sa condamnation à mort.

Quelques personnes présentes s’exclamèrent face à cette déclaration. La rumeur s’était répandue, on savait que quelqu’un avait été condamné, mais l’identité du coupable était restée secrète jusqu’à lors. Certains admiraient la fermeté et l’objectivité dont faisait preuve leur roi. D’autres, au contraire, s’indignaient de voir condamner la sœur du précédent souverain.

Le devin Tirésias s’avança parmi la foule. Le vieil homme s’était toujours montré sage. Sa perspicacité couplée à son don de voyance faisait de lui un précieux conseiller. Mon père le respectait et suivait presque toujours ses recommandations.

— Votre Majesté, l’interpella Tirésias, permettez-moi de prononcer quelques mots pour défendre la princesse.

Mon père sembla réfléchir à la requête du devin. Tout en lui indiquait qu’il ne souhaitait pas que le devin prenne la parole pour soutenir la cause d’Antigone. La décision que Créon avait prise était difficile, il ne souhaitait pas revenir dessus. Mais à la surprise générale, il permit au vieil homme de prendre la parole.

— Je t’écoute Tirésias, tu sais à quel point nous estimons tes paroles.

— Merci, Votre Majesté, dit le devin en s’inclinant respectueusement. Je crois que la jeune Antigone a agi de manière impulsive. La mort me semble une punition bien trop sévère. La jeune princesse n’est pas seulement votre nièce, elle est aussi la fiancée de votre fils, Votre Majesté. Certes, elle doit être punie pour avoir enfreint les lois de la cité, mais l’exil me semble être une punition plus adaptée. Trop de sang de la famille royale a déjà été versé ces derniers jours. Je suis certain que Sa Majesté partage mon avis.

Des membres de l’assemblée firent connaître leur approbation suite aux paroles du devin. Hémon reprit des couleurs en comprenant que la mort ne serait finalement pas l’issue. Quant à moi, mon cœur se remit à battre en même temps que l’espoir de revoir ma cousine en vie.

— L’exil ?, demanda mon père. Mais combien de temps exiler la princesse pour son crime ?

— Si Sa Majesté compte maintenir le mariage de son fils et de la princesse, alors je suppose que tant que vous serez en vie, Antigone ne devrait point reparaitre à Thèbes. Hémon étant votre successeur, Antigone ne devrait pas être autorisée à remettre un pied à Thèbes avant d’en être devenue la reine, déclara Tirésias.

Un silence tendu envahit la pièce. Tous étaient pendus aux lèvres de mon père. Hémon et moi plus que quiconque.

— Parfait, ainsi soit-il. Antigone vivra, mais elle vivra en exil tant que je serais de ce monde, annonça mon père. Hémon, dit-il en s’adressant à mon frère, va la retrouver pour l’informer de ma décision.

Sans attendre, mon frère se précipita vers la cellule d’Antigone. Ne voulant pas le laisser lui annoncer la nouvelle seul, je l’y suivis.

— Antigone ! Mon amour !, s’exclama-t-il en approchant des cachots. Tu ne vas pas en revenir ! Mon père a changé d’avis ! Nous allons pouvoir vivre ensemble ! Tu entends ça !

Malheureusement, aucune réponse ne nous parvint. À vrai dire, les cachots étaient étrangement silencieux.

Hémon tourna en direction de la cellule d’Antigone. Je le suivais de près, mais je ne voyais pas encore la pièce où était enfermée ma cousine. Un cri me parvint alors. C’était un hurlement de douleur à en déchirer la poitrine. Je m’arrêtais nette en voyant mon frère agenouillé face à la cellule exiguë. Quand je réalisais, ce qui venait de se passer, le temps s’arrêta. J’eus l’impression de faire un bond de sept ans en arrière.

L’image de ma tante Jocaste pendue dans sa chambre s’imposa à moi. Antigone ressemblait beaucoup à sa mère. Elles avaient la même corpulence. La ressemblance entre leurs deux corps sans vie pendus dans le vide était frappante. J’eus de nouveau l’impression d’avoir, non pas dix-neuf, mais douze ans.

La suite des évènements fut bien trop rapide. Hémon était en larme face au corps d’Antigone. La perte de sa fiancée le fit basculer dans une sorte de folie. Il s’empara de l’arme qu’il portait toujours à sa ceinture et se la planta dans la gorge. En retirant l’arme, un flot de sang jaillit de la plaie. Mon frère s’étouffa avec son sang. Toutefois, à aucun moment, son visage n’exprima la douleur. Au contraire. Ses larmes avaient séché. Son visage semblait apaisé.

— Je viens à toi, ma chérie, me sembla-t-il l’entendre expirer.

Un nouveau cri strident retentit. Il venait de moi cette fois-ci. Des goutes tombèrent sur mon visage. C’étaient mes larmes qui coulaient le long de mes joues sans que je m’en aperçoive. Mes genoux heurtèrent violemment le sol en pierre de la prison. Face à moi, le corps de ma cousine pendait, soutenu par une simple corde. À mes genoux gisait la dépouille de mon frère.

Des pas se firent entendre. Mon père, suivi de ses gardes, avait entendu les cris. Il s’était précipité pour voir ce qu’il se passait. Quand il arriva à proximité de la cellule, il me vit, entourée par les cadavres de mon frère et de ma cousine. À son tour, mon père s’effondra. Il venait de perdre son dernier fils.

Je dus perdre connaissance, car je ne sais pas ce qui se passa ensuite. Un instant, j’étais agenouillée devant cette cellule froide, entourée par les cadavres d’Hémon et d’Antigone, et l’instant d’après je me réveillais dans mon lit comme si rien ne s’était passé.

Le soleil brillait, les oiseaux chantaient, une légère brise entrait par la fenêtre. J’eus l’impression de me réveiller d’un long sommeil, troublé par d’horribles cauchemars. Quand j’ouvris les yeux, je vis Alcide assis sur l’un des fauteuils face au lit. À son regard inquiet et ses traits tirés, je sus que les évènements que je pensais être des cauchemars n’en étaient pas. Indépendamment de ma volonté, les larmes brouillèrent ma vision.

— Ils… ils… ils sont morts, n’est-pas ?, lui demandais-je en sanglotant.

Alcide s’était levé pour me rejoindre. Il ne prononça pas un mot. Il me prit tout simplement dans ses bras. Cela dura quelques minutes, ou bien plusieurs heures. Je n’avais plus aucune notion du temps. Alcide attendit le temps qu’il fallut pour que je me calme.

— Cela fait combien de temps ?, l’interrogeais-je.

— Une semaine, me répondit-il.

— Quoi ? Je suis restée endormie une semaine ?, m’exclamais-je.

— Non, tu n’as pas vraiment dormi. Tu te réveillais par moment, mais tu n’étais jamais lucide très longtemps, m’expliqua mon mari.

Il me fallut du temps pour comprendre. Le chagrin avait été si fort que j’avais totalement perdu le contrôle. La mort d’Antigone et celle de mon frère avaient été les dernières gouttes d’eau qui ont inévitablement fait déborder le vase.

— Et mon père ?, demandais-je, inquiète.

— Il va… Enfin, il fait de son mieux, souffla Alcide. Mais Még, reprit-il après un long silence, il faut que je te dise quelque chose.

Sa mine grave ne laissait aucun doute, quelque chose s’était passé. Mes premières inquiétudes se tournèrent vers les garçons. Leur étaient-ils arrivé quelque chose au cours de la semaine qui venait de s’écouler ? Jamais je n’aurais pu me le pardonner.

Alcide dut vite comprendre que je m’inquiétais pour nos enfants, car il chassa vite cette idée de mon esprit. Mais si les garçons allaient bien, que s’était-il passé ?

— Ismène a été retrouvée morte aux côtés de Théochyménos. On ne sait pas encore ce qu’il s’est passé. Ton père a ouvert une enquête.

C’était difficile à entendre. Je n’avais jamais été proche d’Ismène. Elle était plus âgée qu’Antigone et moi et les deux sœurs ne s’entendaient pas. Néanmoins, cela me fit quand même un pincement au cœur de savoir qu’elle n’était plus de ce monde. Théochyménos et elle étaient fiancés depuis quelque temps maintenant. Je savais qu’Ismène n’était pas d’une grande fidélité. Ce n’était un secret pour personne. Ma cousine aimait plaire. Elle se savait belle et elle n’hésitait jamais à user de ses charmes. Un amant jaloux leur avait-il ôté la vie à tous les deux ? Nous n’eûmes jamais la réponse.

Toutefois, Alcide n’en avait pas fini avec les mauvaises nouvelles.

— Il y a encore autre chose Még, dit-il d’un ton hésitant. Il s’agit de ta mère…, finit pas m’annoncer mon mari.

Je blêmis à vue d’œil à l’entente de cette nouvelle. Je fus soudain prise de nausée. Ma mère ! Mais que s’était-il passé ? Elle qui avait toujours été si douce et pleine de vie. Elle avait été le bras droit de mon père pendant des années. Son pilier. Elle avait su endurer tant d’épreuves et toujours en ressortir plus forte qu’avant. J’admirais cette femme qui m’avait donné la vie et élevée. À mes yeux, elle était immortelle. Apprendre que je ne reverrai plus jamais son regard plein d’amour, son sourire taquin, que je n’entendrais plus son rire plein de vie, apprendre cela finit de m’anéantir.

Je n’avais pas la force de poser les questions qui pourtant me brulaient les lèvres. Mon corps ne m’appartenait plus. J’étais bien trop faible pour cela. Mes yeux s’embuèrent quand je compris que de ma famille, il ne restait plus que mon père et moi. Les ténèbres reprirent le dessus et finirent par m’engloutir à nouveau.

Alcide resta auprès de moi encore plusieurs jours. J’étais déjà sur le fil depuis quelque temps, mais les récents évènements étaient trop pour moi. Je ne pouvais pas me lever sans être prise de vertiges. Manger m’était difficile. Je passais mon temps à dormir ou à pleurer. Parfois, la douleur du chagrin me refaisait tomber dans des périodes d’inconsciences. À d’autres moments, je pouvais être réveillée en apparence, mais j’avais le sentiment de n’être plus qu’une coquille vide. Je n’étais plus que l’ombre de moi-même. J’avais atteint le fond du gouffre et remonter la pente à cette époque me semblait impossible. À l’intérieur, j’étais tout aussi morte que le reste de ma famille.

J’appris bien plus tard les circonstances du décès de ma mère. Alcide n’était pas entré dans les détails à l’époque pour me préserver. La vérité est qu’en apprenant la mort d’Hémon, ma mère avait eu recours au poison pour mettre fin à ses jours. La perte consécutive de ses deux fils s’en était trop pour cette femme qui avait déjà beaucoup souffert. Elle avait donc fait le choix de nous abandonner mon père et moi, ne faisant qu’ajouter à notre malheur en échappant au sien. Elle s’était lentement éteinte dans son sommeil, sans bruit ni douleur.

Mon père, qui n’avait pas le luxe de pouvoir s’apitoyer sur son chagrin comme je le faisais moi-même, s’était enfermé dans son rôle de souverain. Il travaillait jour et nuit. Politique intérieure, commerce, alliances avec les cités voisines. Il ne dormait plus. Ne riait plus. Tout n’était plus que travail à ses yeux.

Lentement, et entourée de mon mari et de mes enfants, je remontais peu à peu la pente. Alors que mon père s’était laissé noyer par le travail pour oublier sa peine, je m’étais laissé petit à petit envahir par la vie. Voir mes deux garçons grandir jour après jour aux côtés d’Alcide. Les entendre rire tous les trois pendant des heures. Cela me sauva des ténèbres.

Ce n’est que lorsqu’Alcide dut repartir en mission pour son cousin Eurysthée que je ressentis vraiment le vide laissé par ceux qui nous avaient quittés. Je savais que ce jour arriverait. Eurysthée lui avait accordé quelques semaines de repos après qu’Alcide eut accompli trois travaux en moins d’une année. Par générosité et bonté d’âme ou bien parce que le roi de l’Argolide était en manque d’inspiration ? Personnellement, je penchais plus pour la seconde option. Le repos accordé par Eurysthée s’était vu prolongé par la guerre des sept chefs et le décès de mes cousins, puis par celui d’Antigone et de mon frère. Il était grand temps qu’Alcide reparte accomplir ses travaux. Il en avait fait plus de la moitié, mais les épreuves se compliquaient avec le temps.

Alors que je me renfermais dans mon rôle de mère, Alcide lui partait capturer les juments carnivores du roi Diomède de Thrace.

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