Le calme de la vie en Sardaigne me permis de panser mes blessures. Mon quotidien était désormais peuplé de rire et de chants. Cela me rappelais les années insouciantes de mon enfance.
Iolaos s’était mis à la poterie et racontait la vie épique de son oncle au travers des ornements de ses vases. Nous menions une vie simple comme nous l’avions tant désiré.
Trois ans après notre arrivée, j’allais avoir trente ans. Enfin, je me sentais prête à refonder une famille. Du moins, je ressentais l’envie d’en reconstruire une autre même si mes craintes étaient encore présente au fond de moi.
— Tu en es sûre ?, me demanda Iolaos un soir quand je lui exprimait mon envie d’avoir un enfant.
— Quoi ? Tu n’en veux pas ? Je croyais pourtant que…
— Bien sûr que si je veux avoir un enfant avec toi Még ! C’est juste que depuis que nous sommes mariés tu as toujours éludé la question. Je ne m’attendais pas à ça ce soir. C’est un peu soudain.
Un silence agréable s’installa entre nous. Nous pouvions passer des heures en la compagnie l’un de l’autre sans échanger un mot. Ce n’était pas gênant. Ce silence était souvent complice. Il nous berçait et nous réconfortais. Avec le temps, nous arrivions à communiquer sans parole.
— Pourquoi avoir changé d’avis ?, me demanda mon mari.
— Je n’ai jamais dit que je ne voulais jamais ravoir d’enfant.
— Tu n’as jamais dit que tu en revoulais non plus ! Je sais que c’est un choix difficile pour toi. Je… Ce qu’il s’est passé avec mon oncle, c’est vraiment horrible.
— Il m’a fallut du temps pour faire mon deuil. Avoir d’autres enfants ne veut pas dire que j’oublie ou que je souhaite remplacer mes fils.
— Je ne veux pas que tu souffre Még.
— Je sais, mais je suis prête à avancer maintenant … Puis, je ne rajeunie pas non plus, bientôt je ne pourrais plus porter d’enfant, et je veux vraiment t’en offrir un.
Quelques mois plus tard, enfin, je tombais enceinte. Je ne le dis pas tout de suite à Iolaos par peur de le perdre. Cependant, mon corps changea rapidement. Il se douta vite de quelque chose. Quand je lui annonçais enfin la nouvelle, il ne fut pas surpris mais une joie immense envahit son visage.
— Je suis si heureux ! J’avais vu que quelque chose avait changé mais je n’osais pas y croire tant que tu ne confirmais pas mes soupçons.
Il s’agenouilla devant moi et posa sa tête sur mon ventre, comme s’il était déjà possible d’entendre ou de sentir quelque chose malgré le stade encore avancé de la grossesse.
— Tu penses que ce sera une fille ou un garçon ?, me demanda-t-il.
— Que voudrais-tu, toi ?, l’interrogeais-je en retour.
— Que vous soyez en bonne santé tous les deux. Mais tu n’as pas répondu à ma question…
Je pris quelques secondes pour y réfléchir avant de répondre.
— Je pense que ce sera une fille, dis-je alors.
— Comment le sais-tu ?, dit-il en relevant vivement la tête.
— C’est différent des autres fois. Je n’ai eu que des garçons mais là ce n’est pas pareil. Je suis persuadée que nous auront une fille.
— Alors nous auront notre petite princesse à nous !
Les jours qui suivirent, Iolaos ne pouvait défaire son visage su sourire béa qui s’était dessiné à l’annonce de ma grossesse. Il était aux anges. En moins de deux jours, toute l’ile savait que l’été prochain nous serions trois.
Les semaines passèrent et ce fut une grossesse très différente des précédentes. J’avais été seule et isolée quand j’étais enceinte des garçons. Là, Iolaos était toujours avec moi, nous partagions des moments privilégiés qu’Héraclès n’avait jamais connu. Les premiers coups donné par l’enfant. Les soirées à lui parler. Tous ces précieux instants illuminaient mon quotidien.
Plus les mois passaient et plus j’étais fatiguée. Iolaos ne me laissais plus rien faire à la maison. Cela m’exaspérait un peu car je n’avais même pas le droit de me verser un verre d’eau toute seule. En même temps, j’étais soulagée de le savoir à mes côtés.
L’été approchait à grands pas. Enfin, nous allions rencontrer ce petit être qui grandissait en moi depuis des mois. La sage-femme du village passait quotidiennement prendre des mes nouvelles.
Au beau milieu d’une nuit sans lune, la douleur me réveilla. Elle n’était pas encore très forte, mais je sentais que le moment approchait. Iolaos dormait comme une souche à côté de moi. Ne voulant pas le réveiller alors que je savais que ça pouvait encore prendre des heures, je pris mon mal en patience et j’attendis.
L’excitation, l’appréhension, la peur et la douleur me maintinrent éveillée toute la nuit. C’est seulement au levé du jour que je réveillais l’homme assoupi à mes côtés.
— Iolaos, murmurais-je en le secouant par l’épaule.
— Oui, répondit-il la voix encore endormie.
— Je pense qu’il faut faire venir la sage-femme.
Les mots étaient à peine sorti de ma bouche que mon mari était parfaitement réveillé. Il se leva d’un bon et parti en direction de la porte. Je tentais de me lever pour sortir du lit et accélérer un peu les choses, mais à peine étais-je debout que je perdis les eaux.
La panique envahit le visage de Iolaos.
— C’est quoi ça ?, demanda-t-il livide.
— C’est rien, le rassurais-je, ça veut juste dire qu’il faut vraiment que tu ailles chercher la sage-femme.
Dans l’heure qui suivit, il la ramena a mon chevet. La nuit que j’avais passé m’avait épuisée et les choses tardaient à avancer.
— Ça ne se présente pas bien, déclara la sage femme. L’enfant se présente par le siège. Je vais essayer de le retourner.
La femme posa ses mains sur mon ventre et entreprit de retourner le bébé entre deux contractions. Cela était impressionnant mais ne faisait pas mal. L’opération était délicate et pris du temps car elle était régulièrement interrompue par les contractions.
Après quelques minutes d’essai, la situation se débloqua enfin. Le bébé se présentait la tête la première.
— Ça ira mieux maintenant, me promis la maïeuticienne.
Je pleurais de douleur, de fatigue et de soulagement. Il fallait que ça aille mieux. J’étais épuisée et je savais que si je n’accouchais pas dans l’heure mon corps me lâcherait.
Iolaos resta à mes côtés tout du long, me tenant la main et me passant des linges humides sur le front pour me rafraîchir. Il était pâle d’inquiétude, même s’il faisait en sorte de garder ses sentiments pour lui.
Quand le soleil atteint son zénith, enfin les cris de l’enfant résonnèrent dans la maison.
— C’est une fille, s’exclama la sage-femme en me la posant dans la bras.
Sentir son petit corps chaud contre le mien, l’entendre crier en découvrant le monde qui l’environnait, sentir Iolaos lâcher ma main pour caresser la peau rose du bébé… Je fus submergée par les émotions. Épuisée je fermais les yeux tout en savourant l’instant. Des larmes coulaient sur mon visage. Des larmes de joie cette fois.
Quand j’ouvris enfin les yeux pour contempler ma fille je fut frappée par ce regard bleu intense qui me fixait. Elle était magnifique.
Iolaos chuchotait des paroles que je ne comprenais pas. Lui aussi pleurait de joie face au miracle qu’est la vie.
— Tu peux la prendre avec toi s’il te plait ?, lui demandais-je.
— Bien sûr, dit-il.
Il la pris maladroitement, faisant particulièrement attention à chacun de ses gestes par peur de lui faire mal. Ses mains semblaient immenses en comparaison au petit corps qu’il tenait.
— Comment allez vous l’appeler ?, demanda la sage-femme qui restait dans la pièce pour être certaine que tout allait bien.
— Leipephilène, répondit-on de concert.
Nous restâmes un moment en silence à contempler notre fille. J’étais épuisée et mes yeux se fermaient d’eux mêmes.
— Tout va bien Még, demanda Iolaos soudain inquiet.
— Je suis épuisée c’est tout, je pense que je vais dormir un peu, répondis-je la voix pâteuse.
Mon mari leva des yeux interrogateurs vers la sage-femme qui se rapprocha de nous. Je ne sentais pas le bas de mon corps, j’étais trop endolorie pour cela. Je remarquais à peine l’échange de regards entre Iolaos et la femme qui m’examinait.
Des larmes commencèrent à couler sur les joues de mon mari.
— Repose-toi alors, dit-il doucement en me caressant les cheveux. Je m’occupe de tout, tout ira bien je te le promet.
Je sombrais alors dans un profond sommeil. Mon dernier souvenir étant le visage de Iolaos tenant notre fille dans ses bras.