Des flammes, hautes et puissantes, dansaient devant ses yeux. Le ciel, pourtant noir quelques minutes auparavant, s’était paré d’une lueur rouge-orangée. Le bâtiment, dont le sommet des tours en or reflétait ce matin encore les rayons du soleil, ressemblait à présent à un phare dans la nuit. Lumière dévastatrice, le Feu anéantissait tout sur son passage. On pouvait entendre le crépitement des flammes. Le son des poutres qui s’effondrent. Le souffle du vent qui renforçait cette puissance destructrice.
Des cris de détresse retentissaient tout autour d’elle. La fumée empêchait de distinguer les corps, mais ils étaient bien là. Ils n’étaient que des ombres informes s’agitant devant ses yeux. Leur souffrance ne pouvait pas se voir. Impossible de distinguer l’expression de douleur et de peur qui se dessinait sur leurs visages. Leur douleur s’entendait. À des kilomètres à la ronde résonnait l’écho de la souffrance de ces personnes prisonnières des flammes. Cris, gémissements, étouffements à cause de la fumée. Les sons habituels de la forêt environnante avaient laissé place à ces bruits horrifiants.
Elle était là, au sol, en train de contempler ce carnage. Son regard était obnubilé par les flammes. Bleues en leur centre tant la chaleur était forte, jaunes à leur extrémité. Le froid peut autant bruler que le chaud, songea-t-elle. Elle l’avait expérimenté la première fois qu’elle avait vu de la neige. La fraicheur l’avait surprise. Elle n’était pas habituée à un tel climat. Elle avait plongé ses mains dans la substance blanche qui scintillait à la lumière du jour. Les rayons du soleil rendaient difficile de la contempler sans plisser les yeux tant le blanc immaculé était éclatant. Le froid l’avait saisie à l’instant où ses doigts avaient touché le sol enneigé. Elle se souvenait encore de cette sensation désagréable de morsure. La sensation de brulure s’était rapidement fait ressentir. Tout comme le centre des flammes, la neige avait des tons bleu. Pourquoi cette couleur était-elle associée à la fraicheur alors que c’est elle qui brule le plus ? C’est la question qu’elle se posait alors que les flammes continuaient de danser devant ses yeux.
Elle était proche de cette chaleur. Trop proche. De la sueur perlait à son front alors qu’elle contemplait ce spectacle. La fumée rendait sa respiration laborieuse. Mais elle savait au fond d’elle qu’elle n’avait rien à craindre. Le Feu ne la brulerait pas.
Ses doigts s’ancraient dans le sol. La terre maculait ses ongles. La fraicheur de la terre l’apaisait presque autant que la danse du feu et des ombres. Le contraste était saisissant. Le Feu, lumineux, dansant avec grâce, mais détruisant tout sur son passage. La Terre, sombre, humide et statique, mais source inépuisable de création. Les deux éléments semblaient parfaitement s’opposer. Combiner le Feu aux ressources de la Terre permettait d’obtenir le meilleur des deux éléments. La lumière et la création. Le charbon chauffé à haute température permettait la création des diamants. Elle aimait les diamants. Ils l’intriguaient. Leur création nécessitait la combinaison de deux éléments. Ces pierres avaient hérité de la pureté du Feu et de la solidité de la Terre. Sa mère aussi aimait les diamants. Ses bijoux survivraient-ils aux flammes ?
Elle sentit de l’eau couler sur ses mains. Des larmes. Elle ne s’était pas encore rendu compte qu’elle pleurait. Mais pourquoi ? Elle ne se sentait pas triste. Tout se déroulait comme il se devait. Elle n’avait rien fait de mal. Cependant, elle ne pouvait pas empêcher les larmes de couler. L’Eau et le Feu ne font pourtant pas bon ménage. Soit elle s’évapore, soit il est étouffé. Ils ne peuvent exister ensemble.
Tout était détruit. Elle avait réussi à sortir, mais combien étaient restés enfermés, pris au piège dans cette fournaise ? Elle savait qu’ils n’allaient pas mourir brulés. Non, ils mouraient asphyxiés. Lentement. L’oxygène allait se raréfier, remplacé par le gaz toxique. Les poumons allaient bruler. Il deviendrait de plus en plus difficile de prendre une inspiration. En vain ils chercheraient à inspirer une goulée d’air comme un naufragé sauvé de la colère de la mer. Ils s’étoufferaient. La tête commencerait à leur tourner. Ils perdraient connaissance. Mêmes s’ils arrivaient à réchapper des flammes, les dommages causés à leur système respiratoire seraient trop grave. Il n’y aurait aucun espoir pour eux. La fumée cause plus de dommages que le Feu en lui-même. C’est donc l’Air vicié qui causera leur perte, pas les flammes.
Demain, tout ne serait plus que cendres et souvenir. Demain sera le moment du renouveau, de la renaissance. Elle se remémora alors un tableau qu’elle avait entraperçu au détour d’un couloir. Un Oiseau de feu. Les couleurs de la peinture l’avaient directement interpellées. Elle avait cessé sa course dans les couloirs pour se poster face à l’œuvre. Elle était sublime. Les détails de la lumière, les couleurs chatoyantes, la chaleur qui se dégageait de la peinture. Cette œuvre l’apaisait. Elle se sentait connectée à cet oiseau qu’elle n’avait jamais vu en vrai. La description disait simplement : Tel le Phénix, Il renait de ses cendres.
La fatigue s’empara d’elle. Elle s’allongea dans l’herbe humide. Son regard toujours fixé sur le feu qui crépitait. La danse des flammes la berçait. Ses larmes avaient cessé de couler. Elle était seule, mais ils ne tarderaient pas à la retrouver. Ses yeux se firent plus lourds. Son souffle s’apaisa. Elle s’endormit paisiblement alors que l’enfer des flammes effaçait tout ce qu’elle avait connu jusqu’à présent.