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Chiara
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Chapitre 6

—   Comment se fait-il que mon agenda soit toujours aussi vide ? s’enquiert Aliona alors que Madame Noura la coiffe.

Cela fait une semaine que le couronnement a eu lieu et elle n’a encore participé à aucun Conseil royal, aucune assemblée, rien. C’est comme si rien n’avait changé. Son père continue de régner sur Arietis tandis qu’elle lui sert simplement de représentante lors des évènements mondains auxquels, il faut être honnête, elle se passerait bien d’assister. Son bureau est sans cesse jonché des mêmes dossiers de moindre importance qui n’influencent en rien la vie du royaume. Ses journées manquent de but. Elle se sent inutile, condamnée à ne jouer qu’un rôle futile et dépourvu d’intérêt dans la vie du royaume alors qu’elle devrait avoir le pouvoir de changer les choses.

—   Je ne sais quoi vous répondre mon enfant. Vous pouvez directement interroger votre père à ce sujet, suggère la femme de chambre.

Madame Noura s’applique à démêler les longs cheveux d’Aliona. Comme chaque matin, cela lui prend une éternité. Élaborer une coiffure à partir de ces mèches châtain relève du grand art. Chaque nouvelle journée débute par ce moment aussi intime qu’exigeant. Coiffer la reine demande rigueur, précision et patience. Patience que la jeune reine elle-même n’a pas. Si ça ne tenait qu’à elle, Aliona serait déjà debout. Sa jambe tremble alors qu’elle lutte de toutes ses forces pour ne pas bouger. Elle se mordille l’ongle du pouce, pensive…

—   Quel jour sommes-nous ? demande brusquement la jeune femme.

—   Mardi, Majesté.

—   Mardi ! Mais c’est fantastique ! Annulez tout ce que j’ai de prévu ce matin, s’exclame la reine.

—   Mais, Mademoiselle, vous vous plaigniez à l’instant que votre agenda soit vide ? Pourquoi annuler vos rendez-vous de ce matin ?, s’étonne la femme de chambre.

Aliona se tourne sur sa chaise pour faire face à Madame Noura. Son regard pétille de détermination.

—   Le mardi est le jour du Conseil restreint, et je compte bien m’y rendre.

Une fois apprêtée, Aliona ne perd pas une minute et se rend dans la salle du Conseil. La pièce au milieu de laquelle trône une immense table en bois massif se trouve juste à côté du bureau du Roi qui peut y accéder directement par une porte dérobée. C’est là que se tiennent toutes les réunions importantes relatives à la politique d’Arietis. Relations internationales, gestion des ressources, taxes… Toutes les grandes questions sont traitées entre ces quatre murs.

Il faudrait que mon père me cède son bureau. Je ne peux définitivement rester avec le mien qui se trouve à l’opposé du palais, songe la jeune femme en traversant les couloirs.

Il est presque dix heures quand Aliona pousse la porte de la salle du Conseil sous le regard surpris de son père et des représentants des régions d’Arietis. Le Roi préside la petite assemblée. Neuf sièges sont disposés de part et d’autre de la grande table. Un par région du royaume. Tous sont occupés par leurs représentants, sauf celui de la région d’Ignis. Ce n’est autre que Cyrus, premier prince du sang qui est censé représenter la région administrative d’Arietis, mais ce dernier brille par son absence. Les huit autres représentants semblent perplexes face à l’irruption de la jeune femme en plein milieu du Conseil. Léonard est le premier à reprendre contenance.

—   Qu’y a-t-il ? demande le souverain.

—   Je suis surprise que vous ne m’ayez pas attendu pour commencer, s’étonne faussement Aliona. Quel est l’ordre du jour ? s’enquiert-elle comme si de rien n’était tout en prenant place à l’autre extrémité de la table.

Les hommes qui lui font face la regardent, hésitants. Cela fait bien longtemps qu’une femme n’a pas mis les pieds au Conseil restreint. En réalité, aucune mise à part la reine n’y a jamais siégé. Les membres du Conseil jaugent la nouvelle arrivante d’un air méfiant. Seul Blaze, le représentant de l’hostile région de Therion se risque à légèrement incliner la tête pour accueillir la jeune femme. Tous les autres baissent les yeux ou font mine de relire leurs notes. Un silence gêné s’installe dans la salle.

—   Bien, qu’attendez-vous ? Reprenez donc la séance, les invite à poursuivre Aliona.

Les conseillers jettent des regards en coin à Léonard. Ils semblent attendre l’autorisation du monarque pour reprendre la parole. L’ancien Roi, lui, a planté ses yeux dans ceux de sa fille qui le défie en silence de la mettre à la porte. D’un geste presque imperceptible, Léonard cède et donne l’autorisation aux conseillers de reprendre la parole. C’est Elio, le représentant de la région minière de Luminia, à la frontière avec Hydrae, qui se lance. L’homme d’une quarantaine d’années est sec, le regard sombre.

—   Les choses ne s’arrangent pas près du mur d’Ombres…

Aliona est piquée par un vif intérêt. Elle n’avait jamais entendu parler d’un quelconque souci avec ce mur vieux de plus de deux siècles.

—   Il semble se fragiliser de jour en jour, poursuit Elio. Les habitants de Luminia craignent qu’il ne cède et qu’Hydrae tente d’envahir la région.

—   Vous sous-entendez que le souverain du royaume des Ténèbres y serait pour quelque chose ? interroge Aliona.

Personne ne prend en compte sa question.

—   Votre Majesté, il faut agir pour rassurer le peuple, implore Elio. Des choses étranges se passent près du mur. Des animaux ont pu se faufiler par des brèches. Ils effrayent vos sujets.

—   Avez-vous pu obtenir une audience à Eris ? demande Léonard.

—   Toutes me sont refusées. J’ai tenté d’approcher le Roi Kieran lors de sa venue pour… le politicien jette un coup d’œil en coin à Aliona,… mais je n’ai pu lui adresser la parole plus de quelques secondes.

Léonard hoche la tête, pensif.

—   Je ne pense pas que Ki…

—   C’est la prophétie de Sybil qui se réalise, dit Anatole, le représentant d’Heliara et Grand prêtre de Lux et Léonis en coupant délibérément la parole à Aliona. « Quand les étoiles brilleront, les Ombres trembleront », récite le vieux sage. Cela fait plus de trente ans que des perturbations sont réencensées autour du mur.

—   Arrête un peu avec tes prophéties en carton ! s’énerve Bran, le géant de Pyralis, chef des forgerons. Hydrae ne s’occupe pas de son mur et c’est nous qui allons finir par payer les pots cassés.

—   Je ne crois pas que… tente Aliona avant d’à nouveau se faire interrompre.

—   Si une attaque menace, il faut nous préparer à l’affronter, affirme le chef des armées d’Arderon, Ophir.

Aliona reste incrédule face à tant d’emportement.

—   N’est-il pas un peu tôt pour parler de guerre ? demande-t-elle.

—   Les femmes n’entendent rien à ces choses, maugrée Ophir. Croyez-moi, fillette, quelque chose se prépare et nos troupes doivent être prêtes à l’affronter !

—   Mais quelles en seraient les conséquences diplomatiques ? Nos relations avec les autres royaumes risquent de fortement se dégrader ?

—   C’est déjà le cas, et ça ne le serait pas sans votre obstination à refuser de recevoir le roi de Leporis. L’absence d’invitation à votre couronnement nous a donné bien du travail ! rétorque le chef des armées.

La jeune femme se renfrogne sur sa chaise, blessée par les propose du chef des armées.

—   Il va falloir assurer nos arrières, reprend Bran le forgeron.

—   Haco, quel est l’état des dernières récoltes à Calentha ? s’enquiert Léonard.

Le représentant de la région frontalière avec Ceti, la seule qui permette aux arietains de faire un peu d’agriculture semble gêné.

—   Nous avons des soucis d’approvisionnement en eau, Votre Majesté.

—   Par Léonis ! Encore ? Mais que se passe-t-il en ce moment ? Tout semble aller de travers, s’énerve Bran.

—   Les ambassadeurs du royaume de l’Eau s’excusent. Il parait que leurs ressources seraient contaminées et ils ne peuvent nous approvisionner pour l’instant.

—   Foutaises ! s’exclame Ophir. Ils veulent juste nous affaiblir.

—   Mais pourquoi feraient-ils ça ? demande Aliona.

Tous les regards se tournent vers la jeune femme. Les neuf paires d’yeux la regardent comme si elle venait de prononcer les mots les plus absurdes qui soient.

—   Pour nous envahir ! s’exclament-ils en cœur.

—   Mais quel serait leur intérêt ? rétorque la jeune femme. Ceti bénéficie déjà d’une alliance privilégiée avec nous depuis le mariage de Léna et Dylan.

Ophir le chef des armées semble exaspéré.

—   Vous êtes bien mignonne ma petite, mais laissez-nous faire notre travail. Retournez donc à vos essayages de robes et aux choix de la couleur des serviettes pour le prochain banquet, vous serez mignonne.

Le sang d’Aliona ne fait qu’un tour. Alors qu’elle allait prendre la parole pour exprimer le fond de sa pensée à cet homme rustre et misogyne, Léandre, le représentant de Fulgora et ambassadeur d’Arietis à Aquilae lui coupe l’herbe sous le pied.

—   D’ailleurs, en parlant de robes, il faudrait que la reine réfléchisse à un trousseau pour se rendre à Caecias. J’ai encore reçu une demande de la régente Samira qui tient à savoir quand Jonas et elle se rendront au Royaume de l’Air.

—   Il est hors de quest…

—   Oui je sais, soupire Léonard. J’ai écrit à Samira pour lui dire que le moment était mal choisi, mais elle sait se montrer obstinée. Elle souhaite que son neveu soit couronné au plus vite. Elle est même déterminée à venir jusqu’ici pour le ramener elle-même à Aquilae.

—   Il va falloir mettre en place une escorte dans ce cas, intervient Ophir.

—   Vous avez raison, renchérit Anatole. « L’air est un allié instable », cite le vieil homme, il vaut mieux prévenir que de prendre des risques inutiles.

Les discussions se poursuivent pour organiser le voyage de Jonas et Aliona à Aquilae alors même que la jeune femme a à peine pu prononcer une phrase de toute la réunion. Blessée d’être ainsi ignorée et rabaissée, Aliona craque. Elle abat vivement ses mains sur la table et fait sursauter tout le monde.

—   Il suffit ! s’emporte la jeune femme. Arrêtez d’imaginer le pire pour tout. Je suis persuadée qu’il y a des réponses cohérentes pour chaque déconvenue. Si cela fait plus de trente ans que le mur d’Hydrae se fragilise, ce n’est certainement pas de la volonté du Roi Kieran. Il a ses défauts, mais je ne pense pas qu’envahir Arietis soit dans ses plans.

—   Mais… intervient timidement Elio.

Aliona se tourne vivement vers l’ambassadeur et lui lance un regard qui pourrait réduire l’homme en cendre.

—   Il n’y a pas de « mais », aboie Aliona. 

Le politicien se ravise et garde donc ses protestations pour lui.

—   Ensuite, la région de Calentha a ses propres ressources en eux non ? poursuit la jeune femme. Testez-les. S’il y a un problème avec la qualité des eaux de Ceti, la nôtre aussi pourrait être contaminée. Enfin, concernant un éventuel séjour à Aquilae, ce n’est pas d’actualité pour l’heure. Inutile de se précipiter. Avant de réfléchir à mettre en place une garde pour nous escorter, établissez un itinéraire avec différentes étapes. Prenez aussi contact avec les ambassadeurs d’Aquilae afin de voir avec eux ce qu’il sera possible de mettre en place après le franchissement de la frontière. Venir entouré de troupes arietaines pourrait être mal perçu par la population.

Aliona se rassoit à l’issue de son monologue. Un silence assourdissant prend place dans la salle du Conseil. Des applaudissements, lents et espacés, retentissent dans le dos de la jeune femme. Elle se retourne sur son siège pour identifier le nouvel arrivant et se retrouve nez à nez avec Cyrus. Le regard froid, un sourire en coin, il lance ironique :

—   Bravo sœurette, belle démonstration. Maintenant, si tu veux bien laisser ces messieurs faire leur travail. Je pense qu’ils savent bien mieux que toi ce qu’ils font.

  Les joues d’Aliona s’empourprent de fureur. Si elle le pouvait, elle arracherait la tête de son frère qui vient de lui porter le coup de grâce en la ridiculisant devant tout le monde.

—   Excusez-moi messieurs pour le retard, j’ai été retenue par certaines… affaires, reprend Cyrus à l’attention des membres du Conseil.

Les hommes se remettent à parler comme si elle n’était pas là. Aliona a la gorge serrée. Elle lutte de toutes ses forces pour ne pas laisser de larmes s’échapper. Rester assises c’est prendre le risque de craquer et de se montrer faible. Partir, c’est donner raison à ces personnes qui ne la prennent que pour une poupée décorative bonne à choisir les fleurs pour orner les couloirs. La jeune femme ne sait que faire.

Blaze, le représentant de Therion, le seul à lui avoir témoigné une once de respect à son arrivée, tente de lui sourire timidement pour la rassurer. Même si l’intention n’est pas mauvaise, Aliona se sent blessée. Personne dans la pièce ne la pense capable de gouverner. À leurs yeux, elle n’est qu’une petite fille qui n’a pas à se mêler de la politique du royaume. Sentant ses forces l’abandonner, Aliona se lève et quitte la pièce sans un mot. Personne ne fait attention à son départ et les conversations se poursuivent sans la moindre interruption.

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