On dit souvent que quitter le cocon familial est une véritable libération. Dans mon cas, ça n'a pas été pareil. J'ai encore la sensation de mes larmes sous mes yeux. Ces petites perles qui paraissent si petites sur notre peau mais quand on l'a regarde, elle est aussi énorme que notre chagrin. On ne dirait pas non plus, mais ce sont ces mêmes petites larmes qui nous laissent de belles traces bouffis sous les yeux. Et à partir de là, impossible de cacher le fait qu’on a pleuré. Enfin bref. Le jour où j'ai dû quitter ma maison, mes parents, ma chambre, mes deux chats : il a fallu qu’Iris vienne me décrocher de ma mère. J'étais comme un koala, collée à elle, pas prête à partir hors de son arbre.
Je n'ai jamais aimé le changement. Et celui-ci est le plus énorme, le plus important et le plus imposant que j'ai dû faire. Pour mon avenir, mon rêve aussi !
C'était très pénible de quitter ma mère et mon père. J'ai toujours vécu avec eux, depuis ma plus tendre enfance même si ça n'a pas toujours été rose entre nous. Ce lien qui nous unit est puissant. C'est le lien familial, l'amour malgré les parties obscures qui décore ce fil d'or.
— Ça va mieux ? lance-t-elle toujours les yeux fixés sur la route.
— Ouais, acquiescé-je. Beaucoup mieux…
J'expire un faible soupir avant de détourner la tête sur ma droite pour regarder les arbres qui défilent sous mes yeux. C'est un nouveau décor, une nouvelle route. Toutes les routes semblent se ressembler. Mais moi, j'y vois une différence. L'air est nouveau, la flore, les branches des arbres, les feuilles, l'herbe. Tout est différent. Il y a aussi des ronds-points différents, certains sont d'ailleurs très rigolos. On a tous un rond-point en tête qui nous fait rire.
Iris et moi n'avons pas d'autres choix que de quitter notre ville natale vers un nouvel horizon. Nous avons toutes les deux dix-neuf ans, toutes les deux redoublantes. Ça nous fait un point commun et, personnellement, c'est un poid qui se dérobe de mes épaules.
J'ai toujours eu honte de dire que j'ai redoublé le CE2. Je ne supporte pas qu'on me traite d’idiote. Et puis, l'impression d'être plus immense que les autres a tendance à m'écraser. Et je ne parle pas que de mon côté astigmate. Car oui, aussi fou que ça puisse paraître, dès que je me balade dans la rue sans mes lunettes, c'est comme si mes jambes venaient de s'allonger. C'est très drôle mais aussi déstabilisant. Avant de savoir que j'avais des problèmes de vues, myopie et astigmatisme, tout me paraissait normal avant d'avoir des lunettes. Revenons à la grandeur. Elle n'est pas qu'au niveau de ma vue mais, c'est aussi mental. Dès lors que j'ai redoublé, j'ai senti que j'étais différente des autres. Je me sentais comme une maman alors qu'on avait qu'un an d'écart. C'est une sensation bizarre, celle d'être plus grande que les autres et… on ne devrait pas subir ça à un aussi jeune âge.
— Au fait, commencé-je, quand est-ce que tu vas me dire où on va ? Qui est cette personne généreuse qui accepte deux filles pour une coloc ?
Elle glousse.
— Surprise. Tu le sauras bientôt.
Je fais une petite moue déçue.
J'admets que j'aurai apprécié être dans la confidence car après tout, cette personne, je ne la connais pas et j'aimerais bien savoir avec qui je vais vivre pendant quelques années de faculté.
Je m'étire sur le siège. Mes chaussures commencent à me démanger. Mes pieds ont besoin de se libérer. Mais je ne peux pas me débarrasser de mes chaussures dans la voiture de quelqu'un. Avec mon père en tout cas, je n'ai aucun remords.
— On arrive bientôt ?
Elle hoche la tête.
— Dans environ une demie heure.
Ça me permet de respirer un peu mieux. Ça fait si longtemps que je n'ai pas été sur la route, dans une voiture durant plusieurs heures, que je ne suis plus habituée. Et je parle de mon derrière. J'ai aussi des fourmis dans les pieds, ce qui n'est pas très agréable. Oh et puis je suis assez curieuse de voir comment va être cette colocation. Bien que j'appréhende un peu. Enfin, de toute façon, j'ai pris mes livres avec moi alors tout se passera bien. Oh et puis je vais à l'université ! Ça, c'est cool ! Je n'ai pas l'impression d'être aussi grande que ma sœur, c'est une géante contrairement à moi, je me sens toujours aussi petite mais rien que d'imaginer : moi, à la fac, parmi les grands. J'ai hâte !
Je me rappelle de la journée portes ouvertes comme si c'était hier. J'ai dit à mes parents que j'irai seul, en prenant le train, qu'il fallait que je découvre par moi-même le futur endroit de ma vie de jeune adulte. Et c'est dans ce même train que j'ai rencontré Iris. Un homme comptait se mettre à côté de moi, je n'étais pas spécialement à l'aise et puis elle est arrivée avec son air enjoué. Elle a fait comme si on se connaissait depuis toujours. Elle s'est installée à côté de moi et m'a parlé avec un naturel qui m'a laissé sans voix. Puis jusqu'à destination, on a découvert qu'on allait à la même université pour les visites. C'est de cette journée qu'est née notre amitié.
— Un peu de musique ça te dit ?
— Ouais, ça me semble être une bonne idée, approuvée-je.
Elle enclenche la musique et d'un coup, Iris se met à danser la main sur le volant. Elle déhanche le haut de son corps en chantant. Sa main passe dans ses longs cheveux ondulés, châtains clairs et brillants à la lueur du soleil.
Ce n'est clairement pas mon truc de danser, de bouger au rythme d'une musique alors je me contente de glousser et de sourire en la regardant. Amusée par sa joie de vivre.
On entre dans la ville, la grande ville universitaire. Là où on va passer trois ans de nos vies sans compter le master. Les grands bâtiments vertigineux font leur apparition, des gens qui se baladent, d'autres étudiants qui rigolent en groupe et le meilleur de tous : les librairies. Là où je passerai tout mon temps libre, la majorité.
— On est arrivé ! s’exclame-t-elle toute excitée.
Je me penche près de la fenêtre pour regarder le bâtiment. Puis je me tourne vers Iris qui est sur son téléphone.
— Tu fais quoi ?
— Je préviens Lowen. Il faut bien qu'il bouge son fiak pour aider deux femmes délicates à porter les affaires.
— Tu es délicate quand ça t'arrange, rié-je en me souvenant de ce jour où elle a gagné à une compétition de squat face à un mec sexiste.
Je soupire en souriant mais d'un coup, ce même sourire s'efface de mes lèvres lorsque je repense au prénom.
— Attends ! Lowen… Ce n'est pas masculin ?
Elle acquiesce, toujours le nez sur son téléphone.
— Oui c'est ça. Oh tiens, il arrive !
Je n'ai pas le temps de dire quoique ce soit que son corps s'évade de la voiture pour la contourner par l'avant en toute tranquillité pour rejoindre cet homme que je n'ose même pas regarder. Même pas du coin de l'œil.
Je ne me tourne pas mais je l'entend crier gaiement son nom.
Donc si je comprends bien, cette fameuse personne qui accepte qu'on s'installe chez elle pour une colocation… est en réalité un homme ? Oh non. Ça ne va pas le faire. J'ai toujours eu un problème avec les hommes. Que ce soit pour leur parler ou les regarder en face sans que mes pupilles virevoltent dans tous les sens pour fuir le contact visuel. Elle ne m'a pas prévenu que c'était un homme. Elle aurait pu me le dire au moins.
Je lâche un soupir qui est coupé par un doigt troquant à ma fenêtre.
Je tourne la tête pour tomber sur Iris qui semble parler mais sa voix parvient à mes oreilles comme une voix étouffée par un oreiller. Alors je ne comprends rien. Je devine simplement qu'elle m'incite à sortir de la voiture.
Mon cœur palpite et mon ventre se creuse à l'idée de sortir et de tomber face à un mec que je ne connais même pas. Mais je n'ai pas le choix. Il faut que je sorte de là. Je n'ai pas tellement envie de rester ici, de dormir dans sa caisse alors que j'ai déjà très mal au postérieur avec ces trois heures de route.
Ça va aller.
J’actionne la poignée et sort de la voiture.
— Lou, je te présente Lowen. Lowen, je te présente Lou.
Je bloque ma respiration avant de lever la tête, avant de me figer sur place.
Déjà que discuter avec un homme n'est pas chose aisée pour moi mais là, il est craquant. Vraiment beau. Très beau. Cheveux couleur noir intense, des yeux marrons qui me paralysent sur place, un visage taillé à la perfection et il a une carrure imposante.
Je déglutis.
— Oh et je suis son ex, renchérit-il en riant avant de se faire taper par Iris.
Ok. C'est mort. C'est la fin de mes petits rêves car oui, il est très beau mais finalement je dois m'arrêter là. Il aurait dû préciser ça avant que je le mate ouvertement et que mes scénarios romanesques prennent vie dans ma tête. C'est ça, aussi, mon problème avec les hommes : les scénarios que je me construis et qui sont irréalisables. Surtout dans ce cas-là !
Maintenant je dois étouffer ces idées que je viens de me faire pour la simple et bonne raison qu'il est l'ex de ma meilleure amie et Iris est peut-être bien ma seule amie dans ce milieu paumée. Je ne peux pas perdre son amitié et aussi me finir larguée à la rue ou pire, dans l'appartement avec une ambiance glaciale. Je suis terrorisée d'avance, avant même que ça ne se produise !
L'amitié avant tout, l'amour n'est qu’éphémère. De plus, j'ai mes romans alors je n'ai pas besoin d'homme dans ma vie.
Tirons un trait à ce scénario pourri.