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Loranee
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Chapitre 1 : Massue Émotionnelle.

8 Février 2024

— Oh, bon sang !

Gare d’Amiens. Je descends du train et loupe la marche. Mon sac à main et ma sacoche d’ordinateur m’échappent. Je peine à me stabiliser et me tords la cheville sur le quai. Une grimace déforme mon visage. Je suis parvenue à rester debout, c’est un miracle.

Le refrain publicitaire de la compagnie ferroviaire me vrille les tympans avant que la voix crachouille son annonce au travers des haut-parleurs du bâtiment. Je serre les dents, ramasse mes affaires. Personne ne m’a prêté attention. Les étudiants et travailleurs poursuivent leur route, aussi pressés que moi de retrouver leur foyer. Un bref coup d’œil à l’horloge sur les quais m’indique qu’il est vingt et une heures dix-sept. J’aurais dû être rentrée depuis un moment, maintenant. J’ai manqué mon train de retour. À cause d’une « mauvaise blague » – et c’est peu dire – de mes collègues. J’ai pu attraper de justesse le suivant.

Le vent souffle, glacial, et déloge de ma natte déjà mal en point de nombreuses autres mèches. Je camoufle mon nez et mes joues, rougis par la température proche du négatif, sous ma grosse écharpe en tricot épais. Sa jolie couleur vert amande m’amène un peu de réconfort. Même si elle contraste avec mon manteau noir en laine. Qu’importe si les gens trouvent que ce vert est étrange. J’ai froid et je tiens à cette écharpe.

Lasse de cette journée interminable, je me traîne jusqu’à un banc libre, près de la voie ferrée. Ma sacoche tombe lourdement sur le métal, bientôt rejointe par le reste de mes affaires. Je réajuste mon manteau, et jette un œil à ma cheville, une fois assise. Un soupir m’échappe et la condensation formée par ma respiration s’évanouit dans les airs, en quelques secondes.

J’ai froid, je suis fatiguée, j’ai si mal à la tête que je me la claquerais volontiers contre un mur… M’enfin pour mon pied, on verra ça plus tard… Quand Nico sera là.

Sur les quais, seuls les quelques lampadaires chassent l’obscurité de leur lumière jaunie. Je dois encore traverser la gare, pour rejoindre mon compagnon. Avant, je m’accorde quelques secondes pour masser mes tempes douloureuses, et trouve le courage de refaire les lacets de mes bottines. Je fouine dans mes poches pour y dénicher mes mitaines, assorties à mon écharpe – un cadeau fait main de ma tendre Granny – et les enfile. En route vers le bâtiment, mon corps un peu trop léger envoie un rappel à ma mémoire embrumée :

Zut ! Ma sacoche !

Un râle m’échappe entre mes dents. Demi-tour, toute ! Je ne peux pas abandonner mes affaires sur un banc ! Heureusement que je m’en suis rendu compte tout de suite ! C’est déjà bien assez compliqué au travail pour que je perde leur ordinateur portable. Et puis… ma clé USB, avec une copie de mes manuscrits en cours. Sans parler de mes papiers d’identité, ma carte bleue, mon permis de conduire… bref. Tout un tas de paperasse dont j’ai un absolu besoin et qui serait une vraie plaie à faire refaire.

Tout ce que je préfère éviter.

Les escaliers pour remonter vers l’esplanade me paraissent insurmontables. Pourquoi ce maudit escalator est-il, encore, en panne ? Je traverse les couloirs de la gare, de plus en plus vides. Les pavés beiges défilent sous ma démarche claudicante. Pressée de rentrer, je ne prête pas attention aux affiches colorées ni à ce pauvre homme, qui mendie dans le froid, ni même à cet étudiant installé au piano. Mon esprit boucle sur mes contrariétés : le bout de mes doigts gelés, la douleur de mon pied, et mon estomac tordu par la faim. Je n’ai rien avalé depuis midi. Sans mentionner que le plateau-repas commandé par la boîte m’a semblé… peu ragoûtant.

Pour pas dire carrément dégueulasse.

J’ai besoin de réconfort. Et ce qui m’attend à la maison me met déjà l’eau à la bouche.

Un bon plat de lasagnes. La recette de ma grand-mère, suivie à la lettre. Une vraie dinguerie. J’ai eu le nez fin en prévoyant d’en faire plus, pour ce soir ! Un bain pendant que ça chauffe et je suis tranquille. Plus de déplacement sur Paris avant l’année prochaine ! Bye-bye, séminaire de merde !

Je passe la porte automatique et me retrouve sur l’esplanade. Mes grandes enjambées manquent de me faire glisser sur les pavés gris. Je suis bientôt arrivée… Sauf qu’en haut, j’ai beau le chercher sur notre point de rendez-vous, je dois me rendre à l’évidence : Nicolas n’est pas là.

Je pose ma sacoche entre mes deux pieds et me mets en quête de mon téléphone portable, tout en marmonnant :

— Il lui est arrivé quelque chose ? À cette heure-ci, à moins d’un accident sur le trajet, il n’y a pas de bouchon.

L’angoisse monte. Je parviens finalement à retrouver ce maudit appareil après avoir revérifié à deux reprises chacune des poches de mon manteau et de mon jean noir. Aucun message de mon conjoint. Un nœud dans la gorge, je décide de l’appeler.

Une tonalité… Puis deux… Puis trois…

Répondeur.

Mon cœur accélère dans ma poitrine. Le sang pulse à mes tempes encore un peu plus fort. Je rappelle aussitôt.

Une tonalité… Puis deux…

Un klaxon retentit quand une voiture passe à côté de moi. Je bondis sur le trottoir. Mon pied proteste et je ressens une vive douleur qui remonte dans mon mollet. La voix de Nicolas s’élève enfin, au bout du fil. Je le sens décontracté :

— Ouais ?

— Nick, chéri ? Tout va bien ?

De l’autre côté du combiné, je distingue des éclats de rire – les amis de Nicolas, connecté sur leur discord – et les bruitages de Fortnite. Mes inquiétudes se muent en déception. Il reprend :

— Ouais, pourquoi ça n’irait p… oh putain, je t’ai oubliée, c’est ça ?

— Oui, je t’avais dit que j’avais loupé le premier train, mais je t’ai texté l’heure d’arrivée de celui que j’ai eu…

Il souffle si fort que j’éloigne le téléphone de mon oreille. Penaude, je m’apprête à lui demander s’il peut venir maintenant… Nicolas me coupe :

— Écoute bébé, j’peux pas là, la game est lancée. Tu peux rentrer à pied ? J’suis vraiment désolé…

Mes yeux se brouillent, mon nez pique. Derrière lui, un des hommes éclate de rire en soulignant que ce « crétin » a encore « oublié sa meuf ». J’ignore les ricanements gras, secoue la tête et ferme les paupières pour chasser les larmes. Le bus qui aurait pu me déposer pas très loin de chez moi vient de démarrer. Le prochain ne passe pas avant quarante-cinq minutes. J’en ai pour trente minutes de marche, entre la gare et la maison. Quand je n’ai pas de cheville douloureuse… et si je traverse le parc Saint-Pierre. Pas hyper recommandé pour une femme seule, de nuit. Si Nicolas avait daigné se déplacer, il aurait été question d’un petit quart d’heure. Et encore, si les feux tricolores s’étaient alliés pour tous passer au rouge sous notre nez. Je me tapote les joues à deux mains. Inutile d’y réfléchir. Je sais que je vais rentrer à pied.

Le bain, le repas chaud.

Je déglutis avec peine. Nicolas ne me prête déjà plus son attention et glousse comme un crétin, avec ses « potes ».

— Ne t’en fais pas, ce n’est pas grave. J’arrive. Je t’aime, chéri.

— Ouaip, à tout à l’heure !

Sans plus de cérémonie, il raccroche.

Ne pleure pas, tu vas ressembler à The Kiss et t’auras l’air pitoyable. Au moins, il ne pleut pas.

J’inspire un grand coup… et me mets en route en boitillant.

 

***

Vingt-et-une heures cinquante-six : je remonte enfin la rue à sens unique pentue où nous habitons. Une succession de maisons étroites à étages, et aux façades colorées, s’alignent le long de la chaussée. Un peu plus haut, j’aperçois le lambris défraîchi de notre petite amiénoise en location. Épuisée, j’attrape la clenche… et rien.

Il s’est encore enfermé ? Mais… il savait que j’allais rentrer…

Depuis le trottoir, les éclats de rire de mon conjoint me parviennent. Persuadée qu’il ne se déplacera pas pour m’ouvrir, j’abandonne mes affaires sur les quelques marches devant chez nous, et fouille dans mon sac, pour trouver ce maudit trousseau. Quand je mets finalement la main dessus, que j’enfile la clé dans la serrure et que je tente un quart de tour pour déverrouiller…

Il a laissé la sienne dedans… Mais ce n’est pas possible !

Nicolas râle et daigne se lever quand je tambourine du poing sur la vieille porte en bois. Juste un « clic » me permet de comprendre que je peux entrer. Un dernier effort pour ramasser la sacoche… me voilà à l’intérieur. Chez moi, enfin.

Nick s’est de nouveau affalé dans notre canapé en cuir noir synthétique, casque sur les oreilles. Il parle si fort que je songe à la chance d’avoir cette bonne dame Herminie pour voisine. Même avec un mur mitoyen entre nos deux maisons, elle peut couper son sonotone et éviter ainsi la cacophonie nocturne causée par Nicolas, elle.

Pourquoi est-ce que je ne supporte pas les boules quies ?

D’ailleurs, mon conjoint vient de se faire descendre, virtuellement. J’en profite pour passer devant la télévision – sans risque d’écoper d’un « t’es pas de verre » – et me faufiler à travers le coin repas et jusque dans la cuisine. Du coin de l’œil, je l’aperçois en train de fulminer après notre connexion internet « pourrie ».

On a la fibre… ça t’écorcherait d’avouer que le joueur en face a été meilleur ?

Carafe à la main, je me sers de l’eau fraîche avant d’y mettre à fondre de quoi soulager la migraine. La lumière vive de l’éclairage m’aveugle et me fait souffrir davantage. Pendant que le comprimé effervescent se dissout, j’allume le four et ouvre le frigo à la recherche du reste de lasagne.

Il est où ? Il restait encore au moins quatre parts de mon plat d’hier ! Nick les a mises dans un tupp ?

Non, aucune boîte dans le réfrigérateur. Mes épaules s’affaissent quand je pense comprendre ce qu’il s’est passé. Ma nuque se tend et je serre les poings le temps de laisser refluer la pointe de colère qui s’insinue sous ma peau. Le plus innocemment possible, je lui demande :

— Nick ? Tu sais où sont les lasagnes ?

Pas de réponse, il est de nouveau « dans la game » et ne m’a pas entendue. Après un soupir, je hausse le ton :

— NICK !

Il sursaute, tombe d’une hauteur, s’écrase au sol… une mort de plus. Ses yeux noisette me foudroient sur place, et à ce stade, je n’en ai plus rien à faire :

— Tu fais chier, merde ! Qu’est-ce que t’as ?

Je prends le temps de respirer. Crier a réveillé la douleur, et je n’ai pas envie d’une énième dispute :

— Les lasagnes, Nick ? Celles que j’avais préparées en rab, pour quand je rentrerais ?

— Ah, c’était pour toi ? Désolé, j’les ai mangées, j’avais faim. Fais-toi des pâtes au pire, c’est vite fait.

Il renfile son casque et se relance dans son jeu. Un œil à la grosse horloge industrielle de la cuisine : vingt-deux heures et sept minutes. J’avale d’une traite mon médicament, récupère une pomme dans la coupe à fruits sur la table et monte à l’étage, le pas traînant.

Tant pis pour le repas. Je vais me faire un bain ultra chaud… avec des bougies, et un bon bouquin.

Dans la salle de bain, je ferme à clé derrière moi. Je refuse qu’il débarque. Nicolas est capable de venir me rejoindre pour se brosser les dents. Ce ne serait pas un problème si m’apercevoir nue ne réveillait pas sa libido.

Après une journée pareille, sincèrement, je n’ai pas envie de lui servir de sex-toy. Et il ne lâcherait pas l’affaire.

Je fais couler l’eau, y ajoute une bombe de bain de chez Lush et installe la petite tablette en bois avec le support pour mon livre en travers de la baignoire. J’allume quelques bougies sans parfum et les dispose dans la pièce avant d’éteindre le plafonnier. La lumière plus tamisée du miroir suffira amplement pour mon moment de lecture.

Mes vêtements noirs finissent dans le panier à linge sale, qui déborde.

Si seulement ils pouvaient trouver le chemin de la machine à laver tous seuls… Si un jour je pouvais avoir un pouvoir magique, je veux faire comme Merlin.

— Higitus figitus migitus wom ![1]

Un sourire triste fleurit sur ma bouche, au souvenir du dessin animé qui me revient. Face au miroir, je ne le vois même pas. J’ôte mes lunettes aux motifs floraux sur fond vert et attrape sans conviction de quoi retirer fond de teint, mascara, encre à lèvre et paillettes.

Mes yeux me brûlent, et ma peau tiraille…

Je défais ce qu’il reste de ma natte et enfile un bandeau pour maintenir mes longs cheveux acajou et ondulés en arrière. Je coince ma frange droite en dessous du tissu pour libérer mon champ de vision et j’entreprends de me laver soigneusement le visage. Mes iris ambrés fuient avec une précaution tout à fait consciente mon image. Je dois avoir une mine affreuse, de toute manière. Je ne me reconnais plus dans mon reflet. Une fois démaquillée, mes lunettes retrouvent leur place sur mon nez.

Je ferme les robinets du bain, remonte ma tignasse en un chignon approximatif, et me glisse dans l’eau chaude, très chaude. Je les prends si chaud que ma peau lactescente rougit systématiquement. Je pose mon téléphone sur la tablette en bois et croque dans la pomme qui me servira de repas alors que je me plonge dans ma lecture. Mon cerveau déconnecte enfin. Le paracétamol semble faire effet. Les cris de Nicolas passent au second plan. Je savoure la quiétude du moment, happée par le monde imaginaire qui se peint entre les lignes, sous mes yeux.



[1] Chanson de Merlin l’enchanteur, de Disney.

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5 Comments

10 days
Hey !
Le résumé de ton histoire me tentait bien et je ne suis pas déçue par ce début ☺️ L'écriture est fluide, sans fautes. Ça se lit tout seul. On plonge directement dans l'ambiance, l'environnement et la relation sentimentale (avec une mention spéciale Nick, élu meilleur petit ami de l'année 👏🏻).

Hâte de voir comment la protagoniste va évoluer et prendre conscience de ce qui l'entoure
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10 days
Hey ! Merci d'avoir donné sa chance a mon histoire 💝 Ce petit commentaire est un nougat tout doux pour mon petit coeur d'autrice. J'espère que la suite te plaira tout autant ✨ deux publications par semaine, le mercredi et le samedi ☝🏻 sans pause garantie car le texte est entièrement rédigé ✨

A bientôt 💫
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13 days
Hello ! Super premier chapitre, on est direct dans l'ambiance ! Son mec c'est vraiment un abruti ! Et j'aurai aimé connaître la fameuse blague de ses collègues par contre !
En tout cas j'aime beaucoup ta plume !
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13 days
Hello ! Merci pour ta lecture, je viens d'ajouter l'entrechapitre suivant ainsi que le chapitre 2 :p

Tu auras le fin mot de l'histoire, pour cette "blague"... qui tu t'en doutes, n'en est pas une.

Nous sommes d'accord : Nick est un GROS crétin. Hélas...

Merci beaucoup pour tes petits commentaires, ça me fait très plaisir ♥
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13 days
Hello ! Merci pour ta lecture, je viens d'ajouter ...
Avec plaisir ! Je lis la suite demain je pense ! J'aurai du temps 😉
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