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Chapitre 4 : Message - Partie 1

« Toute association à un être de niveau hérétique peut être punie sans jugement d'une excommunication immédiate et d'une mise à mort, pour protéger les valeurs de l'Église du Soleil. »

Préceptes de l'Église du Soleil, quatrième verset, cardinal Roland Culé.

Chapitre 4 : Message

Aranwë ne parvint pas à retenir le baîllement qui s'échappa de sa gorge. Philodias cessa immédiatement sa passionnante leçon sur les taxes routières pour lui adresser un regard meurtrier. Le prince se redressa, faisant mine de s'intéresser aux dizaines de feuilles étalées devant ses yeux. Son précepteur leva les yeux au ciel, agacé, puis reprit.

Le jeune prince lâcha un léger soupir. Trois heures qu'il était enfermé avec cette vieille peau de vache, et il commençait à perdre patience. Le manque de son maître d'armes, parti depuis déjà quelques jours, commençait à se faire ressentir. Aranwë appréciait chevaucher et se battre pour se changer les idées. Il commençait à trouver le temps long. Ce n'était cependant pas pour son apprentissage qu'Orvil lui manquait.

Fidèle à sa promesse, Aranwë gardait précieusement dans sa chambre le message de l'elfe Lazare, qu'il avait semblait-il réussi à sauver des griffes de la garde royale, puisqu'ils avaient fini par abandonner les recherches la veille. Il ne l'avait pas ouvert, comme l'avait demandé son maître d'armes, bien que la tentation devenait insoutenable.

Il regrettait aussi sa protection. Depuis son départ, quatre jours plus tôt, l'Église du Soleil ne le lâchait plus. Dès qu'il se trouvait dans un lieu public, un émissaire ou un paladin le surveillait depuis un coin de la pièce. Le message était clair : les cardinaux le mettaient à l'épreuve. Au moindre pas de travers, ils risquaient d'intervenir. Il osait espérer que son père se rangerait de son côté s'ils devenaient plus agressifs, mais il n'était même pas certain d'obtenir son soutien en cas de problème.

— Cela conclut notre leçon du jour, termina Philodias. Nous nous reverrons demain à la même heure pour parler de l'économie boulangère et de son rôle dans la conservation du pouvoir sur le peuple.

Aranwë hocha la tête et se leva. Il se dirigea à grand pas vers la sortie, sous les remontrances de son précepteur qui fustigea son empressement à quitter sa salle. Le prince se contenta de l'ignorer. Il avait des sujets de préoccupation plus urgents que les états d'âme de son vieux professeur corrompu.

Il traversa le grand couloir menant à l'entrée d'un pas vif et s'apprêta à s'engager dans les escaliers pour regagner sa chambre, quand une voix tonna de la salle du trône adjacente.

— Aranwë, fils, peux-tu venir ?

Le prince se crispa, une main sur la rambarde qui menait aux étages. Il n'avait aucune envie de faire face à son père pour le moment. Malheureusement, le monarque acceptait rarement « non » pour réponse. Il soupira et fit demi-tour pour s'engouffrer dans la salle.

Son père était dressé sur son trône, le dos droit et le regard sévère. Aranwë se tendit. Il allait en prendre pour son grade, de toute évidence. Le prince baissa la tête et s'avança. Un mouvement du coin de l'oeil lui fit brièvement tourner la tête. Deux paladins de l'Église du Soleil montaient la garde de chaque côté de l'entrée. Il se tendit. La conversation était surveillée, il devait faire attention à ne pas faire de vagues, au moins cette fois-ci.

Le jeune homme s'installa sur la surface plate d'une des grandes rembarbes de marbre qui entouraient le trône, face au roi. Il garda le silence. Un coup d'oeil vers l'entrée lui apprit que les paladins s'étaient légèrement rapprochés.

— Est-ce que tu as une responsabilité quelconque dans la fuite de cet elfe ? demanda son père, direct. Il y a des bruits de couloir qui prétendent t'avoir vu traverser le palais à ses côtés.

— Ce ne sont que des bruits de couloir, répondit le prince, la voix contrôlée. Je n'étais pas d'accord avec la décision de son exécution, mais je n'aurais jamais pris le risque inconsidéré de le laisser partir. Je suis resté dans la bibliothèque toute la soirée, là où les gardes sont venus me chercher lors de sa sortie.

Père et fils restèrent une longue minute yeux dans les yeux. Aranwë soutint son regard sans flancher. Il ne pouvait pas se permettre de paraître incertain devant les paladins.

Archibald finit par soupirer. Ses épaules se détendirent et il alla s'appuyer contre le dossier. Aranwë déserra les poings. Il avait gagné ce tour, mais il devait rester prudent.

— L'elfe n'a pas été retrouvé, lui indiqua-t-il, las. Il doit être loin à présent. J'ignore toujours ce qu'il venait faire dans la région, il a été peu loquace.

— Est-ce étonnant ? ne put-il s'empêcher de répondre. As-tu vu dans quel état tes hommes l'ont amené ici ? Il ne tenait pas sur ses jambes. Ce n'était pas un guerrier ou un assassin.

— On ne peut en être sûrs. Il reste une créature hérétique dangereuse.

— Il portait des vêtements similaires à ceux de nos coursiers.

— Pour mieux se fondre parmi nous, fils. Ne sois pas aussi naïf. Le propre des assassins est justement de ne pas attirer les soupçons. Il n'a pas eu l'occasion de frapper proprement, voilà tout. Nous ignorons tout de ses intentions ou de sa cible. De toute manière, étant donné ses blessures, il m'étonnerait qu'il soit parvenu à retourner dans la forêt de Qerod. Il est sûrement mort dans des fourrés à l'heure qu'il est.

Le ventre du prince se serra à cette pensée. Les blessures de Lazare restaient impressionnantes malgré les quelques soins que lui avait porté Aranwë et Orvil. Il pria silencieusement les dieux qu'il soit arrivé à bon port. Si son évasion devait se retourner contre le prince, il espérait au moins qu'elle ait atteint son objectif.

— Peut-être, réagit-il, le plus neutre possible.

Un silence pesant prit place entre les deux membres de la famille royale. Leurs conversations terminaient toujours de la même manière. Une fois les sujets politiques, sociaux, économiques hors du chemin, ils n'arrivaient plus à se parler. Aranwë le regrettait parfois. Si sa mère était toujours en vie, peut-être leurs relations auraient été différentes. Plutôt que de lui tendre la main à sa disparition, Archibald s'était braqué et refermé sur lui-même. Aranwë n'avait jamais réussi à le rappeler à lui, et lorsque le roi, enfin, s'était rendu compte qu'il négligeait la seule famille qu'il lui restait, il était bien trop tard pour faire chemin inverse. Tous les deux le savaient. Tous les deux essayaient pourtant d'arranger les choses, en vain. Le lien était rompu.

Archibald chercha malgré tout à continuer cette conversation, tant bien que mal.

— Est-ce tu as été la voir récemment ? demanda-t-il.

— Pas depuis quelques mois, non.

— Marcherais-tu avec moi ?

Le jeune prince hésita, mais finit par hocher la tête. Archibald se leva de son trône, et tous les deux se mirent en route vers la sortie.

Les paladins leurs adressèrent un regard noir, peu ravis que leurs cibles ne décident de s'éloigner un peu trop de leurs oreilles pas si discrètes. Aranwë se sentit soulagé de leur échapper quelques minutes. Il ne s'était pas rendu compte d'à quel point leur présence lui pesait avant qu'il ne passe les portes principales, en direction des jardins. Les épaules du princes se relaxèrent et il se redressa légèrement.

Les jardins du palais d'Isendorn étaient magnifiques. Clothilde Balrarion, passionnée par la botanique, avait fait en sorte de lui donner des couleurs, ici rose, ici bleu. De nombreuses sortes de fleurs se côtoyaient dans de grands parterres dont les jardiniers du roi prenaient grand soin. Ils faisaient partis de l'héritage de la reine après tout. La plus belle partie du jardin, cependant, n'était pas visible des yeux du public. Elle se trouvait caché au centre du grand labyrinthe végétal situé à l'arrière du château, conçu après son décès. Aranwë avait aidé à en concevoir les plans.

Les deux hommes connaissaient le plan par coeur. Ils avaient foulé de nombreuse fois les allées cerclés de hautes haies verdoyantes et sauvages. À mesure du trajet, des sculptures végétales reprenant la vie de la reine se dévoilaient à eux. D'abord son enfance dans les terres hybrides de Mornepierre, puis sa rencontre avec Archibald lors de la Grande Guerre. Aranwë avait tellement entenu cette histoire qu'il pouvait la réciter à voix haute : le roi, blessé au combat, trouva refuge dans la modeste chaumière d'une jeune fille qui vivait avec des elfes. Le roi en tomba éperdument amoureux, mais les elfes, jaloux, refusèrent de la laisser partir. Il les combattit en duel et les tua tous, avant de ramener la belle au palais pour l'épouser.

Avec le recul... Ce n'était pas franchement une belle histoire. Aucun génocide ne pouvait justifier l'amour qu'il portait à sa mère. De plus, maintenant qu'il savait qu'elle avait peut-être des origines elfes, si ce que Lazare lui avait dit était vrai, cette histoire sonnait plus comme un enlèvement qu'un acte d'amour. Quelque chose qu'il devrait penser plus en profondeur, à n'en point douter. Combien de mensonges son père lui avait-il raconté ? Combien d'histoires avaient été détournées au profit d'une histoire qui ne rendait service qu'aux vainqueurs ?

Avait-il seulement le droit de renier ce passé pour la simple raison qu'il ne correspondait pas à ses idéaux ? Ces histoires seraient son héritage quand il prendrait le trône. Les faire subsister ne dépendait que de ses choix. Parfois, il aimerait que son père ait un regard plus critique sur ses aventures du passé. Malheureusement, père et fils étaient trop différents : Archibald, trop conservateur, lui, trop idéaliste.

Le prince s'arrêta quelques secondes devant la sculpture suivante. Elle représentait son père et sa mère enlacé, un jeune enfant dans les bras. Le prince baissa les yeux. Il n'aimait pas se voir représenter sur les oeuvres d'art. Certains le disaient pudique, mais ce n'était pas le cas. Il avait simplement du mal à accepter qu'il fût un temps où il était heureux dans ce palais, où il ne s'y sentait pas prisonnier d'un destin qui ne lui appartenait déjà plus à la seconde où on l'avait mis au monde.

Ses mains effleurèrent délicatement le visage végétal de sa mère. Elle lui manquait terriblement.

Dans un soupir, il rejoignit son père, qui l'attendait à quelques pas devant la dernière sculpture du labyrinthe, la plus terrible. Sur un banc, sa mère étendue, le jeune Aranwë Balrarion criant et la secouant pour la réveiller de son sommeil éternel. Il avait toujours haï cette sculpture, comme une violation de ses pensées les plus intimes. Son père jugeait qu'il était important que les visiteurs sachent. Aranwë ne pouvait arrêter de penser qu'on avait demandé son témoignage sur cette expérience traumatique que pour mieux pouvoir la représenter sur un buisson. Ce n'était pas une consécration. C'était une insulte.

Il prit une grande inspiration et pressa le pas, en direction du coeur du labyrinthe.

Dans un grand carré d'herbe verdoyant trônait fièrement l'Arbre-Mémoire, un gigantesque hêtre planté au décès de sa mère. C'était un cadeau de l'Église de la Terre, qui pensait que si les morts donnaient leur dernier souffle à un arbre, celui-ci existerait pendant des centaines d'années. Ils n'avaient pas précisé que l'hêtre deviendrait aussi gros en seulement quelques années : un miracle de la nature d'après eux, un acte magique suspect d'après l'Église du Soleil, qui ne voyaient pas d'un très bon oeil les pratiques archaïques de leurs collègues. Pour calmer les esprits, son père avait fait bâtir sous les racines un grand tombeau. Clothilde Balrarion reposait ainsi sous terre, mais côtoyait l'Arbre-Mémoire.

La crypte était accessible par une plaque au sol scellée. Seuls les membres de la couronne disposait de la clé pour l'ouvrir. Aranwë s'accroupit et disposa la fine rose de fer dans la serrure. Une forme originale, pensée comme un hommage. Le prince l'avait toujours sur lui.

La plaque coulissa, dévoilant un long escalier qui s'enfonçait dans les ténèbres. Aranwë s'y engagea prudemment, suivi de son père. La descente se fit pendant plusieurs minutes en silence, et sous l'éclat des torches qui s'illuminaient magiquement à leur passage. Aranwë n'avait jamais compris pour l'Église du Soleil était contre la magie, mais en utilisait. C'était un secret bien gardé, mais il avait vu par plusieurs fois des paladins user d'enchantements pour soigner leur blessure ou illuminer leur armure dans la nuit. En quoi cette magie était-elle meilleure que celle des elfes ? De plus, maintenant qu'il y pensait, il ne lui avait pas semblé que Lazare était doté d'un quelconque pouvoir.

L'escalier déboucha dans une petite salle sombre. Devant une fresque murale colorée qui reprenait des contes et légendes de ses ancêtres, le corps éteint de sa mère reposait sous un dôme protecteur de verre, figé pour l'éternité. Encore une magie que l'Église du Soleil n'approuvait pas, mais qu'ils avaient cédé à l'Église du Temps et de la Mémoire, qui avait insisté. Aranwë ne savait trop que penser de ce cadeau. D'un côté, il lui permettait de ne pas oublier le visage de celle qui l'avait élevé, de l'autre, il était condamné à la voir toujours jeune, alors que lui prenait peu à peu de l'âge. Il aurait bientôt le même âge qu'elle lorsqu'elle était décédée. La différence ne ferait que se creuser après ça. Il y avait aussi une forme d'irrespect de la laisser étendue là. Lorsqu'il s'agissait de lui ou de son père, il n'y voyait pas d'inconvénient, mais de nombreuses Églises passaient par la tombe de sa mère en pélerinage, avec la complicité de son père.

Aranwë posa la main sur le cercueil, et sourit.

— Bonjour, maman. 

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